Richter

Le silence régnait au milieu du Bois-au-Loup. Cette dense forêt de Ferrugier comptait parmi les bois les plus sombres du continent et il n’était pas rare de penser que la nuit était tombée en plein milieu de la journée. Dans cette pénombre, certains n’avaient pas d’autres choix que de briser cette tranquillité avec leurs coups de hache se plantant dans ces arbres majestueux.

Richter ne connaissait que trop bien cette mélodie puisqu'aussi loin qu’il pût se rappeler, il n’avait jamais quitté le Bois-au-Loup. Travaillant comme bûcheron pour la famille Forestier, il passait ses journées à inlassablement fendre le bois de sa hache au gré des commandes qu’on pouvait lui faire parvenir.

Une vie solitaire, mais qu’il appréciait plus que tout. Fils d’un père inconnu et d’une mère dont il n’avait que de bref souvenirs, Richter avait été élevé dans un village de bûcheron non loin, Ferécorce. Malgré l’attention qui lui avait été portée, dès qu’il a pu, il prit la décision de s’installer à une lieue. Une magnifique clairière qui, comme une oasis dans le désert, était une bénédiction dans ces ténèbres. Habitué à dormir dans le froid, il prit le temps de se construire sa modeste cabane. Lieu de vie pour une personne seule, elle avait au moins le mérite de le faire dormir au chaud et de stocker la nourriture qu’il ramenait du village.

Rare étaient ses visiteurs. Il lui était possible de croiser d'autres bûcherons, généralement perdus et cherchant la direction de Mont-de-Fer, la forteresse des Forestier. Finalement, c’était une sorte d’intendant qui passait le plus souvent, chargé de lui communiquer les besoins de ses suzerains et de s’assurer que les arbres coupés soient bien replantés. Le Lord Gregor Forestier avait bien compris l’importance de cette ressource et avait bien l’intention de ne jamais mettre en péril toute son exploitation.

Richter avait cependant de temps à autre la visite d’une certaine Lora, fille du tavernier de la seule taverne de Ferécorce. Une douce brune qui avait pris en pitié le bûcheron, bien qu’elle lui soutienne qu’elle ne venait que pour profiter du silence. Sa tendance à ne pas pouvoir rester muette plus de quelques secondes la trahissait, alors le Nordien restait la tapant sur ses arbres et tendant l’oreille pour savoir quand il devait gémir pour acquiescer.

An 292 - Lune 6 - Semaine 2 - Jour 5 (20 ans)

Richter avait repoussé le moment au maximum, mais l’état de sa hache et le niveau de son stock de nourriture l'obligeait à se rendre au village. Une fois ses emplettes faites et son outil de nouveau affûté comme au premier jour, le bûcheron décida de passer par la taverne afin de saluer la fameuse Lora et de lui rendre la pareille en quelque sorte.

Bien moins bavarde qu’à l’accoutumée, il avait dû rester assis de longues minutes dans la taverne déserte pour que la brune trouve finalement le courage de lui raconter ce qui s’était passé la veille. Elle était une habituée de la présence des bûcherons dans leur établissement, et même si leur comportement de certains était peu fin, il y en avait toujours un ou deux dans le groupe pour calmer les ardeurs des plus cavalières. Ce qui visiblement n’avait pas été le cas, cette fois-ci, les avances de plus en plus lourdes s'étaient transformées en de réelles menaces. Menaces devant lesquelles Lora et son père n'avaient pu que rester impuissant.

Les coupables étaient bien connus de Richter, Norb et Wyluck, deux autres bûcherons qui avaient grandi à Ferécorce. Richter n’était pas plus étonné de réentendre le nom de ces derniers, il ne les avait guère appréciés durant ces longues années. Malgré son manque d’envie de les recroiser, il n’arriva pas à se résoudre à retourner simplement d’où il venait. Agrippant sa hache, le bûcheron demanda où ils pouvaient bien se trouver avant de se mettre en route, bien décidé à faire passer son message.


An 292 - Lune 6 - Semaine 2 - Jour 6 (20 ans)

La nuit avait été assez rude pour Richter, malgré son enfoncement dans les bois, de fortes bourrasques de vent avait réussi à s'engouffrer jusqu’à lui. Manquant à plusieurs reprises d’éteindre le feu au centre de son antre.

Au petit matin, le vent était de nouveau silencieux alors le nordien décida de finalement mettre le nez dehors. L’ambiance était étrange et le calme du lieu était bien plus pesant qu’à l’accoutumée. Observant les alentours, Richter remarqua que sa hache qu’il plantait sur une souche de la clairière avait disparue. Ne sachant trop quoi faire, il se mit à parcourir les bois à sa recherche. Cela l’étonnerait, mais peut-être l’avait-il simplement oublié sur un arbre.

Ce n’est que plusieurs heures plus tard qu’il finit par poser les yeux dessus, mais le spectacle lui glace le sang. La hache ensanglantée était plantée dans l’abdomen d’une jeune femme adossée à un arbre. Jeune femme qu’il mettra bien trop de temps à identifier comme Lora. S’approchant du cadavre, il comprit que les deux avaient exécuté leurs menaces faites la veille à Richter. Et il se trouvait là impuissant, face au corps sans vie de celle qui venait briser son silence.

Le bûcheron se posait beaucoup de questions. Comment avait-il fait pour ne rien entendre ? Richter remarqua que sa mâchoire était brisée, réduisant fortement sa capacité à se faire entendre. Et le vent s’était chargé de couvrir les tentatives d’appel à l’aide qu’elle a dû crier à pleins poumons.

Délicatement, l’homme à la longue chevelure brune retira sa hache du corps de sa victime et la lanca quelques mètres plus loin. Il en profita pour allonger complètement la victime, comme pour lui permettre d’enfin trouver le repos. Il marmonna quelques prières aux anciens dieux, pas bien convaincu de leur existence avec la vision d’horreur qui se trouvait devant lui. Quel en était le but ? Une réponse qu’il ne trouvera très certainement jamais.

Ayant eu à peine le temps de se relever, le silence fut une nouvelle fois brisé par des bruits de pas. Mais un son supplémentaire arrivait aux oreilles, un petit bruit métallique, une sorte de petit cliquetis. Il l’avait déjà entendu quelque part, mais sur le moment impossible pour lui de s’en souvenir. Quoi qu’il en soit, il se devait de prévenir les nouveaux arrivants de la scène qu’ils s'apprêtaient à voir.

Allant à leur rencontre, Richter se figea sur place lorsqu’il aperçut des soldats de la maison Forestier. Jamais il n’en avait vu aussi profond dans les bois, mais par chance, il pourrait directement leur raconter ce qui s’était passé et ils pourraient tous partir à la recherche des fameux Norb et Wyluck.

Les soldats n’étant évidemment ici par hasard, ne laissèrent pas Richter placer le moindre mot avant de dégainer leurs armes et de se jeter sur lui pour le maîtriser. Essayant tant bien que mal de se défendre, il finit par abandonner toute idée de résistance après avoir été rué de coups.

Le bûcheron fut ensuite menotté et bâillonné. Pendant ce qui lui avait semblé être une éternité, il fut traîné jusqu’à une forteresse. Construite presque entièrement en Ferrugier, elle était majestueuse, trônant au milieu d’arbres millénaires aussi hauts que des montagnes. Pour la première fois de sa vie, Richter allait pénétrer à l’intérieur de Mont-de-Fer, fief des Forestier.

Son procès pour un meurtre qu’il n’avait pas commis allait avoir lieu. Mis à genoux devant le Lord Gregor, Richter avait tenté par tous les moyens de prouver son innocence. Mais sa présence sur les lieux et que ce soit sa hache qui ait servie a comme arme pour commettre cette atrocité pesaient trop lourd dans la balance contre lui. Et le Seigneur finit par lui proposer le choix du condamné : La Mort ou le Mur.

Aucun n’était préférable à l’autre, la mort avait cet avantage d'être rapide puisque être envoyé au Mur n’était qu’une mise à mort à retardement. Cependant, Richter ne put se résoudre à choisir la mort et préféra revêtir le noir. Le tout poussé par une envie de vengeance et de justice qu’il n’avait pas encore ressentie. Mais comme beaucoup de choses, seul le temps pourra lui donner l'opportunité de mettre en œuvre ses sombres dessins.


An 304 - Lune 2 - Semaine 4 - Jour 2 (29 ans)

Bien des années avaient passé et Richter se trouvait une nouvelle fois entouré de ces Ferrugier qui lui avaient tant manqué. Des années à abattre des arbres de l’autre côté du mur, des années à combattre les sauvageons pour finalement se battre à leurs côtés lors de la bataille de Winterfell face au Roi de la Nuit.

Le bûcheron était un miraculé, survivant de la Longue Nuit, il s’était réveillé allongé sur le champ de bataille à l’intérieur des murs de Winterfell à l’arrivée des premiers rayons du soleil. Voyant dans cet événement un signe divin, il avait depuis compris que sa mission sur cette terre n’était pas terminée. Et qu’il devrait, inlassablement, continuer de se battre face aux ennemis que les Anciens Dieux mettront au travers de son chemin.

C’est pour cela qu’après un mois de marche depuis Châteaunoir, il se retrouvait une nouvelle fois non loin de Mont-de-Fer. Caché derrière un tronc, il observait deux hommes autour d’un feu, parlant, se réchauffant et buvant. Richter n’avait aucun doute, il s'agissait bien des deux responsables de la mort de Lora. Et sa justice et celle des dieux les frapperaient d’un moment à l’autre.

S'agenouillant derrière l'arbre, il posa sa main dessus, prêt à murmurer sa prière.

Ô vous dieux anciens, vous dieux des arbres. Je vous envoie ces deux âmes, rendant ainsi la justice des hommes. Puisse votre colère habiter mon cœur et me donner la force pour apporter l’espoir dans ces ténèbres.

Ouvrant à nouveau les yeux, Richter se leva et tout en dégainant sa hache sortit de sa cachette pour se diriger vers les hommes. Il n’était pas venu pour un combat, mais bel et bien pour une exécution. Le bûcheron ne s'était jamais battu avec honneur, alors il n’hésita pas une seule seconde à planter sa hache dans le dos de Wyluck qui n’eut pas eu le moindre instant de comprendre ce qu’il se passait avant de s’écrouler mort sur le sol. Norb en revanche, avait eu tout le loisir d’observer la scène avant de voir la masse sombre qu’était Richter s’avancer vers lui. Le pauvre homme tenta bien d'agripper sa propre hache, mais son bras fut coupé par un violent coup de la part du frère juré de la Garde de Nuit. Le coup de grâce ne se fit pas attendre puisque Richter planta son arme dans le crâne du démembré qui ne put que s'effondrer dans la neige. La force qu’il fallu à l’homme en noir pour récupérer son arme l’avait suppris, il n’y était pas allé de main morte. Il avait néanmoins le sentiment de devoir accompli et remercia les dieux pour avoir été à ses côtés.

Il était désormais temps pour lui de reprendre le chemin de Châteaunoir, les dieux n’en avaient pas fini avec lui. Encore une fois un mois de marche, bien assez de temps pour trouver un argumentaire et éviter de passer pour un simple déserteur.