[sur la Route de la Rose] Une promenade à l'abri des regards

La Route de la Rose ne tenait certes pas son nom des milliers de champs de fleurs éponymes qui la bordait mais elle n'en restait pas moins magnifique. En particulier dans sa partie méridionale alors qu'elle s'éloignait du bassin de la Mander pour occuper de grandes plaines à peine ombragées par les nuages. Difficile de douter pourquoi la chevalerie était née dans cette région. Tout s'y prêtait. Sa beauté, ses grands espaces dégagés, la douceur de vivre de son peuple... Le Bief respirait honneur et respectabilité. Les yeux de Humfrey se délectaient de ce paysage, autant qu'il appréciait La Treille. Parfois son regard se perdait dans l'or incandescent des cheveux de Desmera et lui arrachait un sourire avant qu'il ne replonge dans ses pensées.

Tel était l'ennemi des voyageurs : l'ennui. Il s'insinuait, insidieux et pervers dans leur esprit. Les questions et les doutes remontaient et assaillaient inlassablement chaque jour que les Sept font. Son histoire se répétait à son âme à tout instant et plus Humfrey réfléchissait aux dernières années et plus un malaise diffus grondait dans son coeur. Malaise qui devenait colère et presque aigreur au fil des jours. Chevaucher son destrier lui avait paru une idée merveilleuse après le court voyage en mer de La Treille au continent. Malgré son amour des cheveux, Humfrey ne pouvait s'ôter les sombres pensées de la tête. Il était plus distant et fatigué. Les cernes se creusaient sur son visage et chaque matin il se levait, le front déjà plissé. Aussi lorsque Desmera lui proposa cette échappée, il ne put qu'accepter.

Ô il était doux, ô il était bon de sentir les muscles de son destrier se dénouer. Sa vitesse intrépide, la puissance de ses lourds sabots écrasant la terre meuble sous ses fers. Humfrey priait sans cesse Père, Guerrier et Ferrant pour lui donner cette virilité la nuit où viendrait enfin le temps d'honorer dame son épouse. Cette même fiancée filant entre ses doigts à chaque instant de désir partagé, ou simplement à la tête d'une jument d'exception comme à cet instant. Humfrey ne s'était jamais fait d'illusion lorsqu'avait talonné les flancs de sa monture. Un destrier de guerre ne pourrait jamais vaincre à la course tandis qu'il la rattrapait, enfin arrêtée, et que tout d'un coup les pensées revenaient. Même Desmera le remarquait à sa plus grande honte. Livide, les mains serrées sur ses rênes, il finit par laisser les mots se déverser de ses lèvres :

"Oh mon aimée, je ne saurai te cacher ma détresse."

Bientôt leur vie serait partagée devant le monde et les Sept. Il lui devait la vérité.

Humfrey aimait sincèrement Desmera mais il lui arrivait d'être si douce et avenante qu'il enviait presque les furies à la gifle facile qui peuplaient ce bas monde. Plongé dans ses sombres pensées, il ne désirait pas être dorloté ou réconforté mais bien secoué et remis à sa place. Pourtant, la douceur de sa fiancée était bel et bien impossible à résister aussi violent fut parfois son désir. Il regarda longuement la main sur son genou puis la laissa porter la sienne à ses lèvres et soupira autant d'aise que de résignation. Les Sept l'avaient béni d'une telle femme, comment pouvait il oser se plaindre même en en pensée de ce qu'elle désirait réellement ?

Il laissa choir de son cheval, desserra quelque peu la selle et les mors du destrier pour le mettre à son aise puis suivit docilement Desmera. Difficile de croire que ce preux chevalier avait combattu la Mort elle même sur les remparts de Winterfell. Humfrey se moquait des moqueries qui pouvait fuser quant à sa "soumission" aux désirs de sa future épouse. Il veillait sur elle autant qu'elle le faisait sur lui. Il s'en contentait. Plus encore : il en tirait félicité et contentement. Aussi le chevalier se laissa aller contre Desmera et frissonna au contact de sa main fraîche dans ses boucles.

"Parfois, je me demande si tu ne désires être collée à moi dès que tu le peux. Une dornienne m'aurait giflé pour cet égarement."