[Herbeval] Aux souvenirs de ces jours heureux [Terminé]

Il est vrai que le château avait terriblement changé depuis la précédente venue de Desmera, il avait vieilli depuis ces années où les deux jeunes femmes s’étaient vues pour la dernière fois adolescentes. Pourtant le plus gros changement sur la bâtisse s’est ressenti ces deux dernières semaines depuis la mort de l’intendant Edward. Une ambiance lourde se fait sentir quand on arrive à ces portes, comme si l'entretien de Herbeval était sur le point d’être laissé à l’abandon. Les rideaux aux fenêtres sont tirés et commencent à entasser la poussière, le pont-levis est relevé comme si on avait peur d’un siège imminent. La paranoïa a peut-être envahi le château dans un désordre sans nom ? On pourrait le croire en tous cas. Certes, l’entretien de base des écuries, des repas des nobles et autres quotidiens sont encore exécutés par les servants de la cour qui ne veulent pas s’attirer les foudres d’un seigneur ivrogne, mais on voit clairement qu’il règne une légère pagaille. Comme si personne ne tenait les rênes de ce lieu, ni ne donnait d'ordres aux choses prioritaires. Ainsi, dame de compagnie et autres serviteurs du seigneur local emploi leur temps à faire ce qu’ils ont toujours été habitué à faire, dans une forme de nonchalance grandissante.

Pour dire à quel point cela commence à dégénérer, le pli contenant l’annonce de la venue de Lady Redwyne n’a jamais franchi le seuil du plateau argenté du messager en charge. Lord Elbois De La Nouë avait dû y renverser une bouteille de vin dessus et son contenu illisible avait dû être jeté sans que Lady Telanie n’en soit informée officiellement.

La maison allait de mal en pire depuis la mort de Lady Irène de la Nouë, y a de cela trois ans, mais la mort de l’intendant il y a quinze jours semblait être le début d’un chaos irrécupérable.
Telanie s’enferme depuis lors dans sa chambre et ne veut voir personne, elle semble ne plus trop comment redresser la situation, elle sait qu’elle doit affronter ses sujets, mais elle ne trouve pas la force intérieur de communiquer avec eux. Elle a toujours vécu comme une femme solitaire et ne sait guère comment faire pour aider son père qui se noie progressivement dans l’alcool.

Il est indéniable qu’elle n’arrive pas à gérer le deuil de son meilleur ami, l’intendant. Pourtant elle a besoin de se remuer au plus vite si elle ne veut pas que sa maison s’écroule d'elle-même.

Par chance, tel un miracle venue d’un passé perdu, vient l’annonce d’une noble à la porte du château. Le seigneur, encore en train de cuver son vin de la veille étant indisponible, un garde vient informer la venue de Lady Redwyne à la porte de la chambre de Lady de la Nouë :

Lady De la Nouë, Dame Redwyne de Treille vient de s’annoncer à nos portes, votre père dort encore, nous ne parvenons pas à le réveiller comme à son habitude… Dois-je lui annoncer que vous ne voulez pas la voir ?

A ce moment-là, je n’étais pas réellement moi-même, totalement décoiffé, pas habillé comme le devrait une femme de mon rang à une heure aussi tardive, enfermé à double tour dans ma chambre pour ne voir personne. Mon esprit vagabondait, pleinement consciente de ce que ma maison subissait tant que je ne me déciderais pas à prendre les rênes, à vrai dire je ne savais pas comment agir sans Edward pour m’épauler. Je passais donc mes journées à lire des histoires de haut seigneur d’antan pour trouver une solution à mes problèmes en vain.

La venue de cette vieille connaissance, Lady Redwynn fut alors pour moi comme un déclic, une sorte de raison de me lever et de ne plus entretenir le surnom que l’on m’avait donné toutes ses années. Lady Ronce. Je bondis de mon lit et donna mon premier ordre à ce garde au travers de la porte close, comme si je renaissais de mes cendres.

Sûrement pas ! Faîtes là patienter dans le salon qu’elle puisse observer nos tapisseries le temps que je me prépare. Et faîtes lui également mes excuses pour cette attente, servez lui des rafraîchissements et de quoi la nourrir, elle et ses gens ! Je veux qu’elle soit traitée comme le roi en personne ! Allez, allez ! Dépêchez vous !

Ma voix raclée dans ma gorge, je n’avais plus parlé à personne depuis longtemps, et il était temps pour moi de me préparer pour affronter le monde, je ne devais pas la faire attendre plus que de raison.
 

Maintenant que tout avait été demandé à mes gens, le plus dur restait à faire, paraître ! Pas d’un chapeau comme un lapin, ni d’un trou de souris bien que c’est là que je me cache des miens depuis des lunes. Je devais paraître une lady.Pour cela, la première étape était de trouver une brosse à cheveux capable de redresser une haie de ronce. Autant vous dire que rien que de la chercher aller prendre une bonne dizaine de minutes quand à l’utiliser, il faudrait compter le double. Le défis était encore d’enfiler une robe de convenance pour cet événement, pourquoi diable n'avais-je pas été annoncé plus tôt de sa venue ? Rien d’étonnant à vrai dire, tout part à la dérive ici. Bien que je pourrais en vouloir à la terre entière en commençant par mon père, il faut que je me décide enfin à assumer ma part de responsabilité.

En tous cas je me bougeais enfin pour faire quelque chose de bien de ma vie, accueillir une vieille amie d’enfance. Cela me donnait du baume au cœur. Je quémandai même de l’aide à une dame de compagnie plus habituée à cette corvée depuis des lunes afin de m’aider à enfiler ma robe et de tirer les lacets de mon corset.

Une bonne heure en tout pour paraître... acceptable, bon disons potable ! Surement le meilleur de moi depuis des lustres. Intérieurement je m’en veux de la faire patienter autant et espère que l’on s’occupe bien d’elle. Je me précipite alors dans les couloirs, en me trompant moi-même de chemin car je ne vais plus dans le salon des invités depuis des lustres, à croire que je ne connais même pas le château de mon père. En réalité le stress m’a envahit, je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir lui dire pour justifier de tout ce qu’un aveugle verrait ici qui ne va pas.

Finalement je retrouve la raison et fait demi tour jusqu’à la porte qui nous sépare, lady Redwyne et moi mais dans ma hâte voilà que j’emballe une armure qui roule au sol en provoquant un vacarme sans nom. De quoi potentiellement effrayé mes convives que je n’avais pas vraiment convier.

Je fixe alors le cadavre métallique totalement désemparé de ma maladresse, la logique aurait voulu que je donne l’ordre de la ramasser au plus vite mais je n’en fis rien,je suis totalement désemparé.

Dans sa chute, l'armure avait déchiré un tout petit morceau de tissu de ma robe au niveau de mon épaule gauche. Rien de vulgaire par chance, mais de quoi paraître encore plus pouilleuse que ce que je suis déjà et il en faut !

Je ne réalise pas ce qui vient d’arriver à mon apparat et ouvre malgré le capharnaüm la porte principale où Lady Redwyne m’attend depuis maintenant une heure. Elle pourra observer un casque vide au sol à mes pieds et moi qui m’avance vers elle. D’abord un énorme sourire de ma part éclaire mon visage et fend les ténèbres de ce lieu que j’ai sûrement moi même maudit par ma simple existence, puis vient au fur et à mesure de mes pas un retour à la réalité dans mon esprit. J’étais ravie de la voir mais je ne savais pas comment lui dire ce qui semble pourtant évident. Je suis dépassée par les événements récents.

Mon visage ensoleillé tombe, et alors que la convenance serait de saluer le sourire aux lèvres, voilà que je termine ma course en l’enlaçant et en dégoulinant une larme le long de mon visage et de se fait je mouille d’une goutte salé ma convive dans mes bras entrepreneurs au niveau de ses longs cheveux.

Pour une raison que j’ignore, je craquais enfin dans les premiers bras que j’avais pu trouver. Je devais pourtant me contenir, mais s'était plus fort que moi, la pression m'avait rattrapé.

- Je....je...Suis si heureuse de te revoir, tu... Tu as pas idée...

Comment lui dire que je suis en train d'échouer lamentablement à mes devoirs. Avouer ses faiblesses à une noble de Bief même si nous étions amies d'enfance jadis ce serait une terrible erreur politique de ma part. A contrario ne rien dire ne m'aiderait pas à avancer. Je ne pouvais pas avouer toute la vérité sur la situation mais je devais un peu me livrer pour faire avancer les choses. Je devais surtout me ressaisir. Voilà que Desmera m'offre un moyen de fuir mon cauchemar avant même que je ne me remette de mon sanglot de crocodile que je refoule pourtant le plus possible au fond de moi mais dont quelques gouttes débordent de ma carcasse solitaire.

"Je.. je suis juste heureuse de te voir..C’est tout… qu'est ce que tu vas imaginer…"

Encore un mensonge, un de plus à une longue liste d'erreurs de ma part. Certes j'étais heureuse de la revoir mais ce n'était pas la raison de mes larmes.

"Pour le voyage …je dois y réfléchir, partir du jour au lendemain, n’est pas une chose aisée… j'espère que tu restes déjà un peu avec moi ? Cela fait tellement de temps que nous ne nous sommes pas vues. Cela me laissera le temps de prendre ma décision et de parler avec toi du bon vieux temps." dis-je sur un ton nostalgique.

Je détourne le regard vers l'extérieur pour me remettre de mes émotions, en ôtant la larme de mon visage et me rend compte de l'armure au sol derrière moi.

"Tu te souviens peut-être pas de ma maladresse naturelle… je crois que c'est la raison de tout ce désordre, pardonne moi de t'accueillir ainsi, je ne savais pas que tu venais sinon j'aurais fais préparer le tapis rouge…"

Ma maladresse, une belle excuse de ma part ou un doux mensonge de plus, et bien sûr je ne suis pas habitué à parler de chose aussi frivole sans être percé à jour. Autant je suis capable de faire taire mon implication dans des choses bien plus graves, autant le délabrement de ma maison reste un sujet qui est tellement évident que chaque mot qui sort de ma bouche pour détourner la vérité à ce propos semble si factuel. En tous cas, je lui aurais déroulé le tapis, c'est certain mais au sujet de sa venue, je ne savais rien.

Je réalise alors la présence de cet homme armé à ses côtés, tout porte à croire qu'il s'agit de son garde du corps personnel mais dans mon manque d'habitude je ne peux m'empêcher de dire une chose plus improbable encore que le mensonge précédent.

"Est ce que ce seigneur est devenu ton époux ? Il me tarde de le connaître, il semble si charmant."

Comment une noble peut-elle faire une telle erreur me direz-vous ? S’il avait été son époux, lady Desmera se serait empressé de faire les présentations. La raison de mon erreur est simple, je n’ai pas fait de soirée mondaine depuis des années, je ne me mêle plus avec personne depuis la mort de ma mère si ce n'est avec mon père ivrogne et mon intendant aujourd'hui mort. j’ai perdu le sens des convenances. J’ai tout à apprendre de ce voyage, il est fort probable que je finisse par dire oui, mais ce serait bien trop cavalier de m’empresser de dire “OUI” comme si elle était ma sauveuse.

J’ose croire que nous aurons le temps d’échanger plusieurs heures avant que je ne consente à accepter. En vérité, c’est déjà trancher dans ma tête, je dois sortir de ma torpeur et découvrir le monde.
 

Je lui mentais ouvertement, et elle le savait. Voilà à quoi on s’expose quand on veut préserver la réputation de sa maison alors que tout va de pire en pire. Elle affirme qu’elle n’est pas une idiote, et moi je réalise que je le suis sûrement. Puis vient la date butoir dans sa voix, deux jours d'oxygène en sa compagnie, cela me paraissait terriblement précieux sur le coup et aussi terriblement court.

Finalement vient ma bourde au sujet de Dandelion, qui alerte une dernière fois ma convive que je débloque totalement depuis qu’elle est ici.
Cela fait quoi ? Une dizaine d'années que nous ne sommes pas vues, elle ne sait pas réellement qui je suis, je ne sais plus réellement qui elle est non plus, aujourd’hui j’ai l’impression que c’est moi qui suis plus jeune qu’elle et qui ment comme un enfant qui a encore du chocolat au coin des lèvres en disant qu'il n’est pas responsable de la disparition des cookies qui sortent du four. Lady de Treille me fait alors le plaisir d’un doux rappel, une après-midi à faire ses fameuses tartes aux pommes et à manger la confiture tout en me broyant le visage entre ses douces mains afin que je lui fasse confiance. Elle a eu la bonne idée de nous isoler de son bouclier lige, afin que j’ai plus de facilité à me confesser, et alors que je pensais cela impossible, je commence à parler.

Tu as surement dû apprendre la mort de ma mère et de ma tante dans l’explosion du septuaire… y a trois ans de cela...

Je me relève en brisant la pression sur mon visage, comme si je cherchais la force en moi de lui avouer ce lourd secret qui m’accable, je fais alors littéralement les cents pas persuadé que je dois lui parler mais que c’est également une mauvaise idée. Une façon pour moi de trouver mon courage et de prier les septs de me pardonner pour ce que je m’apprete à faire.

Mon père, le seigneur de La Nouë passe ses journées à boire et à picoler pour oublier la mort de son épouse, s’il ne te reçoit pas, c’est sûrement car il cuve à côté d’un tonneau de vin…

Je venais par mes paroles de trahir mon père ainsi que mon allégeance à ma propre maison, cest choses là se cachent et ne se divulguent pas.

Je t’en conjure Desmera, il faut que tu gardes cette confession pour toi seule, je n’arrive pas à gérer ma maison depuis la mort de mon intendant, il était mon unique ami et allié en ce lieu. Je voudrais aider mon père mais je suis totalement dépassé, tous part en lambeau depuis sa mort.

Je tourne en rond autour de la table, je me mord les ongles, la panique se lit sur mon visage, mes aveux sont de plus en plus dangereux pour moi et ma famille, et pourtant je me livre à cet amie que je n'ai pas vu depuis mon enfance.

Et pour être honnête, je suis tellement dépassée que je ne suis pas sortie de ma chambre depuis deux semaines, c’est pour ça que tu me trouves si blanche…

Maintenant Desmera savait, et elle avait sur moi tellement de pouvoir que je m’attendais au pire… Et pourtant nous sommes amies depuis si longtemps.

Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à faire confiance aux gens… Pourquoi j’ai dans mes tripes l’impression d’avoir trahi mon père. Si Desmera est devenue une vipère avec les années qui nous ont séparé, je venais de condamner ma maison à mort.

En attendant qu’elle me réponde, je sens mon rythme cardiaque qui augmente à une vitesse folle, comme si j’étais prise de panique. Si j’étais blanche, voire livide, voilà que je tourne cadavérique.

 

Pour une raison que j’ignore, Desmera me fit m'asseoir alors que cela m’aider à trouver mon courage de lui parler en la fuyant. Soit disant que j’était pâle, peut-être avait-elle peur que je m'évanouisse dans ma panique. Faisait-elle donc cela pour mon bien ou pour me dominer psychologiquement ?

Elle se met alors à raconter son histoire que je trouve très similaire à la mienne si ce n’est qu’elle a perdu en prime son père alors que moi ce fut mon intendant. Comment faisait-elle après un tel drame pour être aussi vive et tenace ? Me raconte t elle un conte macabre pour enfant afin que je m’endorme et baisse ma garde ?

Ma paranoïa a grimpé en flèche dans mon esprit pour atteindre son sommet quand elle jura de garder mes confessions pour elle. Moi qui avait été élevé dans une maison de secret et de mensonge, je voyais le mal partout avant de pouvoir voir un rayon de soleil.

Pourtant Desmera en est bel et bien un. Un ange de lumière au bout de ce tunnel bien sombre dans lequel ma maison s’est engouffré mais pour le moment je n’y croyais pas encore.

C’est alors que je bondis de peur sur ma chaise en entendant la porte se faire frapper par le gant de son bouclier lige. Tout ceci n’était que comédie de mon invité ? On venait me chercher ? m’emmener ? Et si je venais docilement ce serait plus simple pour mes ravisseurs ?  

Elle se leva pour aller chercher un petit sac rouge, qu’elle versa dans de l’eau chaude. Un breuvage pour m’endormir ?  Mes pensées obscures ne cessent de m’envahir, je tourne clairement à la paranoïa, et je lutte au fond de moi pour lui faire confiance.

Juste avant qu’elle ne me tende le fameux breuvage surprise, je n’ai aucune envie de le boire, pas après tout ceux que j’ai moi même confectionner. Je sais bien tout ce que l’on peut mettre dans un sachet de ce genre.

Quand elle m’affirme alors que cela va m’apaiser, je suis persuadé qu’elle veut me tuer. Pourtant je ne bouge pas, comme si je le méritais au fond de finir ainsi. Ma maison appartiendrait alors à ma vieille amie, je n’aurais plus besoin de m’en inquiéter, ce serait peut être une bonne chose au fond.

Vient alors une odeur familière sur mon nez expert, celle de la rhodiola Rosea, connue aussi sous le nom de l’orpin rose, une espèce de plantes de la famille des crassulaceae. Elle ne pousse que dans le nord, dans les régions froides. Ses propriétés médicinales contre le stress et la déprime sont reconnues de par le monde comme la plante la plus efficace qui soit. Elle vient donc de me servir un breuvage connu de la noblesse.

Je réalise alors qu’elle ne me veut que du bien et me saisit de cette tasse pour la boire doucement. Desmera n’en avait alors pas conscience mais elle venait de me prouver avec cette plante que je pouvais lui faire confiance comme jadis.

Et à ce moment là, comme par magie, elle me proposa à nouveau de l’accompagner et en prime de laisser un homme pour s’occuper de mon domaine. Un régent de substitution, une personne en qui je pourrais avoir confiance, car dorénavant, j’avais confiance en elle. Cela représentait tout pour moi, je n’avais plus besoin de m'inquiéter pour mon père, je pouvais être libre et prendre du temps pour former des alliances puissances. Ce n’était pas une épine qu’elle venait de m’enlever mais un pieu du corps.

“Je…Bien sûr que je t’accompagnerais, tu n’imagines même pas à quel point… je te suis redevable pour ce que tu m’offres…”

Je remue alors plusieurs fois la tête comme si je parvenais à me détendre enfin, les larmes remontent et j’évacue cette fois une plus grosse rivière de mes yeux. Sa boisson n’avait pas encore fait effet que Desmera avait par ses simples mots réussi à me rendre plus heureuse que ce que je n’avais jamais été. Entre deux crises de pleurs, je tente alors de balbutier quelques paroles de bonheur.

“Je dois …quand… même… l’expliquer… à mon père… bien …que je…. doute qu’il… réalise mon absence…Je …. Merci… merci mille fois Desme…”

Elle méritait ce petit surnom, car elle est devenue en quelques phrases seulement ma meilleure amie. Ma seule véritable amie. Comment avais-je pu l’oublier après tant d'années… Elle, elle ne m’avait pas oublié, je me devais désormais d’être digne de sa générosité, et d'abandonner l'un des surnoms que j'avais moi même fait courir dans les couloirs de ma propre maison à mon propos. Lady ronce ne serait plus à Herbeval désormais, elle parcoure le monde.

Faire pareil, je ne crois pas, j’en suis bien incapable de faire tout ce qu’elle fait, cela lui semble naturel pour elle, mais pas pour moi, pour preuve je laisse mon père à même le sol dormir dans son vin et peut être bien pire encore. Moi l’aider ? Si elle avait été dans ma situation, je doute que j’aurais fait le chemin jusqu’à treille seule déjà, casanière comme je suis.

Je n’ai pas souvenir d’avoir jamais quitté Herbeval d’ailleurs tellement je me suis enfermé dans mon laboratoire au cours de ma vie. Cela m’a permis de développer mon don, mais cela m’a rendu terriblement solitaire.

Je préfère ne pas répliquer à Desmera quand elle dit que j’en aurais fais de même pour elle, je n’ose d’ailleurs pas lui dire non par politesse, mais j’ai un doute sur moi même à ce propos. Elle s’en rendra peut être compte que je ne suis pas comme elle. D’ailleurs si j’étais comme elle, je ne serais pas dans cette situation.

De mon point de vue actuel, elle avait surmonté son deuil et ses difficultés avec tellement d’aisance que je la comparais à une héroïne. A moins qu’elle soit simplement ce que l’on demande à une Lady de grande importance. Sa maison a toujours été plus réputée que la mienne et son éducation a dû jouer sur ce qu’elle est aujourd’hui.

Je n’ai clairement pas eu la même.

Elle enchaîne alors les propositions, d’abord de voir Isaac, puis Sarah, ai-je seulement le temps de réfléchir à tout ce que cela implique ? Qu’elle me parle déjà du voyage d'après- demain.

“Attends Desme, attends, tu … Tu vas trop vite pour moi… Ralenti s’il te plait, je n’ai pas retenu la moitié des prénoms et des noms qui sont sortis de ta bouche… Je n’ai pas l’habitude de parler aux gens… Tu ne veux pas simplement que l’on refasse une tarte aux pommes…en souvenir du passé ? Je n’ai pour l’heure envie de rien d’autre qu’un instant en ta compagnie sans avoir à penser, à gérer, à anticiper… Je ne m’en sens pas la force…”

J’avais baissé les bras bien avant sa venue, elle pouvait laisser qui elle voulait dans mon château, je n'aspirait pas à rencontrer tous ces gens dont elle parlait, je voulais juste vivre, respirer, ne plus sentir le poids des responsabilités. Elle vivait à cent à l’heure, moi j’étais au bord de mourir asphyxié.

Je n'aspire qu' à une bouffée d’air pur, un instant de joie. A retrouver ma vieille amie.

La tornade Desmera venait de s’abattre sur mon domaine, en moins de temps qu’une fraction de seconde elle m’avait déjà entraîné dans mes cuisines pour faire cette fameuse tarte de notre enfance, bien sur si cela n’avait été que çà, je ne la verrais pas comme un vent qui retourne  une maison comme un fétu de paille.
Voilà qu’elle se met à parler et à organiser les gens autour de nous dans mon silence le plus total, cela choque mes sujets surtout qu’il ne me voit pas réagir. Comment le pourrais-je ? Je suis totalement ébloui par son savoir faire. Elle se met à claquer des mains pour donner un rythme qui n’a pas cours chez moi, et comme si cela était naturel les gens s’activent alors autour de nous. Voilà donc ce qu’il suffit de faire, taper des mains comme un troubadour et garder un ton calme, gentil mais aussi autoritaire.

Je gardais mon regard sur Desmera attentive à tous ses faits et gestes, j’apprenais déjà à son contact, bien plus que ce qu’elle imaginait. Une phrase posée envers son intendant junior, je pouvais voir son baume au cœur débordé de ses lèvres  alors que celui-ci s'apprête à faire ramasser mon père. Une tâche des plus ingrates que de s’occuper d’un noble poivrot surtout si ce n’est pas le sien.

Comment transmettait-elle autant de charisme et de chaleur humaine autour d’elle, je n’avais pas encore la clé pour faire de même mais je ne renonçais pas à comprendre. Peut être que si j’arrivais à fermer ma bouche, car c’est sur le coup la seule façon naturelle pour moi d’exprimer ce que je ressens en la voyant faire, j’arriverais à dire quelques mots des plus intelligents. A la place, il ne vient que ceci à dire dans la plus totale des maladresses, et toujours en présence d’Isaac.

“ Mais… il va vraiment le faire… ?”

Pour moi cela me paraissait improbable qu’un inconnu s’occupe de mon père, rien ne justifiait une telle générosité. Et finalement Desmera m'achève !  Elle s’excuse ! J’en reste encore plus pantoise. Mon regard qui ne cessait de la fixer pour apprendre ce qu’elle savait naturellement faire changea en admiration. J’ai eu comme un petit pincement au cœur de voir sa bonté déborder encore sur moi.

Cela généra un court silence de ma part, je l’admirais comme une femme admire pour la premiere fois les muscles d’un homme. Je venais de voir une messie, une muse, une source de lumière dans mes ténèbres et tel un ange, elle avait naturellement comme flèche à son arc, la naïveté de cœur, de croire que cela pourrait me déranger qu’elle s’occupe de tout.
Bien au contraire. J’envisageais dans ma tête de me mettre à genoux pour lui baiser les pieds et la remercier de mille mots.

Heureusement que mon père débarqua alors totalement torché dans les bras de Isaac qui le tenait fermement sur son dos, sinon j’aurais été capable de le faire.

Je crois qu’il demanda alors où se trouvait sa chambre et il eut encore un instant de flottement quand finalement je réalisa qu’il ne parlait pas à sa dame mais à moi. L’occasion de me laisser m’exprimer. Je tenta ma chance cette fois.

“Oh euh, vous prenez l'escalier du dernier étage, la porte à droite au fond du couloir, c’est sa chambre.”

Puis vient un moment d’hésitation dans ma tête et voilà que je me rattrape immédiatement alors que celui-ci commence son ascension.

“A GAUCHE A GAUCHE !”

Je reviens alors vers Desmera en réalisant la chance de sa venue. Je me dois aussi de lui répondre malgré tout.

“Tu es vraiment un cadeau du ciel Desmera, fait ce que tu veux chez moi, je te reprocherai jamais rien, tu es la bienvenue ici.”