Folks can be cruel ☽ Ulwyck Uller

Tout semblait s'être accéléré d'un coup, depuis leur retour du donjon rouge la vie était devenue légèrement différente. Pas assez pour marquer un véritable choc, mais assez pour que le goût du temps qui s'écoule ne soit plus le même. Megalis avait changé, elle avait grandi, un peu forcée par les évènements, par les horreurs qu'elle avait vues. Sa petite fille, l'enfant qu'elle avait pris le temps d'éduquer comme si c'était la sienne, était devenue une femme. Et dans deux jours, Mezzara avait du mal à y croire, elle serait mariée. Ce n'était pas son rôle de donner son avis sur l'homme qu'elle avait choisi, d'autant plus que c'était assez rare comme ça de pouvoir choisir et qu'elle avait peu de doute dans la lucidité d'esprit de Megalis, mais elle avait tout de même ce petit goût amer de frustration de n'avoir pas pu glisser un mot ou deux au jeune Uller. Eddara s'en était chargée, Mezzara n'avait pas assisté à la scène mais elle lui était probablement tombée dessus avec la force de trois mamans à la fois, à n'en point douter. Seulement, là où la matriarche avait probablement mis en avant quelques points importants dans la sauvegarde de l'honneur des Farman, Mezzara voyait naître des inquiétudes plus... sentimentales.

L'avantage lorsque l'on siégeait à une place importante dans le coeur de Megalis, c'était qu'on pouvait aménager son emploi du temps comme on le voulait. Mezzara restait une servante avec pas mal de travail, mais si elle décidait un jour de tout déléguer aux servantes inférieures, personne n'irait lui dire quoi que ce soit. Elle commandait. Alors quand elle décida de prendre quelques heures pour étudier les déplacements de lord Uller et le suivre comme une ombre dans le domaine, personne ne s'en rendit compte. La manoeuvre avait été difficile, il s'agissait de pouvoir obtenir une discussion avec Ulwyck sans que personne ne s'interpose et sans non plus avoir besoin de lui demander une entrevue, ce qui serait quand même foutrement mal placé de sa part pour un sujet aussi léger. Alors Mezzara l'avait suivi. De loin. Jusqu'à ce que finalement, il aille se perdre quelque part dans les jardins, au soleil. Là, elle se permit d'avancer jusqu'à lui, s'assurant qu'il l'ait entendu, repéré, avant de s'incliner poliment devant lui. « Bonjour Lord Uller. » Elle se redressa et lui adressa un sourire tout ce qu'il y avait de plus chaleureux. Du Mezzara tout craché, gentille et avenante. En principe, il devait savoir qui elle était. Qui elle était vraiment pour Megalis. Mais dans le doute... « Nous nous sommes déjà croisés il me semble, je suis Mezzara. Je travaille pour Lady Megalis. Depuis qu'elle a 9 ans. » Le sujet était lancé. Difficile de ne pas deviner là où elle voulait en venir.

Absolument rien ne forçait le futur mari de Megalis a lui adresser la parole. Rien du tout. La suite de la conversation reposerait entièrement sur sa bonne volonté. De ce que sa tendre enfant lui avait dit, Ulwyck était un homme agréable et avenant, elle n'avait aucune raison de craindre un rejet, mais une fois devant lui toute son assurance était remise en question. Mezzara connaissait sa place mais elle avait tendance à oublier, par amour pour la jeune Farman, que tout ce qui relevait des choix diplomatiques -ou non- ne la regardaient pas. Les affaires de la haute société n'étaient pas les siennes, personne ne lui demandait son avis, et en règle générale elle ne le donnait pas. Mais là, c'était différent. Il était bien sûr trop tard pour remettre en question l'union qui allait avoir lieu et de toute façon Mezzara n'était pas là pour dissuader qui que ce soit. Le choix était fait, elle en était heureuse. Elle avait juste besoin de s'assurer qu'elle n'aurait pas besoin de rester planquée dans les couloirs afin d'intervenir si le petit seigneur s'avérait en fait être un gros connard. Bien sûr, elle avait toute confiance dans le choix de Megalis, mais c'était plus fort qu'elle. Son instinct maternel prenait le dessus, elle voulait échanger avec lui, se faire sa propre idée de l'homme qu'il était. Et la bonne nouvelle, c'était qu'il savait déjà qui elle était. Donc Megalis avait parlé d'elle, mais en plus il avait retenu son prénom et sa position auprès de sa future femme. Un bon point pour lui.

L'air un peu perdu, nerveux, on aurait dit un enfant qu'on venait de surprendre à faire une bêtise. Pendant une seconde, Mezzara se sentit vraiment vieille, comme une véritable maman qui devait donner son accord à l'amant de son enfant alors qu'ils avaient approximativement le même âge. Une attitude qui lui arracha un petit sourire mi amusé, mi attendri. « Ce serait une joie, je vous remercie. » Suivant le mouvement de tête du jeune Uller, elle alla s'asseoir sur le banc. Et le moins qu'on pouvait dire, c'était que Mezzara n'avait rien à voir avec Eddara. Chaleureuse, les traits doux, le regard avenant, elle n'avait aucunement l'intention d'être une menace et elle comptait bien le lui faire comprendre afin qu'ils puissent discuter librement. « Je vous remercie de m'accorder un peu de votre temps. Vous devez probablement déjà le savoir mais lady Megalis m'est très chère et nous n'avons malheureusement pas encore eu le temps de discuter, vous et moi. » Les mains jointes sur sa robe, elle se tenait droite, et honnêtement on pouvait sentir que lorsqu'elle fronçait les sourcils ça n'était sûrement pas une partie de plaisir, mais à cet instant Mezzara se voulait rassurante. « J'ai toute confiance quant aux choix de ma maîtresse, et je vous assure que je n'ai aucunement l'intention de vous mettre mal à l'aise avec de quelconques jugements. Ce ne serait de toute façon pas ma place. Seulement... » Parce qu'il y avait toujours un mais. « Depuis le temps qu'elle me parle de vous, j'avais besoin de vous découvrir de mes propres yeux. » Et à première vue, elle validait déjà la première impression. Beau garçon, grand, visiblement prêt à se montrer à l'écoute, en plus de ce qu'elle avait appris de lui et de ses fonctions, elle ne voyait pour l'instant aucun mauvais signe. « Vous allez épouser une jeune femme au caractère singulier, qui a appris aux côtés d'esprits pour le moins affirmés. Lady Megalis ne sera pas femme à vous attendre au coin du feu une broderie à la main. En avez-vous conscience ? Plus qu'une compagne, vous allez avoir à vos côtés une partenaire de vie qui sera prête à tout pour sa famille. Pour votre famille. Celle que vous allez fonder ensemble. »