[BELLE-ÎLE] Fin de soirée mouvementée [ Mezzara ]

Beaucoup de bruit, des rires gras, et l'absence, de plus en plus évidente, de ceux qui auraient pu être intéressants. Si Mezzara avait espéré que Megalis revienne pendant la soirée, ses espoirs s'étaient vite envolés. Elle avait bien réussi à choper Rowena -ou plutôt c'était Rowena qui l'avait agrippé en plein vol- pour grapiller un verre de vin mais la petite blonde au coeur fragile avait fini par disparaître, elle aussi. La camériste s'était retrouvée seule au milieu de la foule, sans personne avec qui discuter et sans sa fille de coeur pour partager sa joie. La fête n'en était plus vraiment une. Elle n'avait même pas eu le temps d'imprimer la vision de Megalis dans sa magnifique robe de mariée, et si elle n'avait pas été là pour l'aider à se préparer avant la cérémonie, elle aurait complètement loupé la transformation de sa petite fille en nouvelle femme. A l'heure qu'il était, elle était probablement couchée dans les draps de la chambre nuptiale aux côtés de son nouveau mari. Mezzara avait raté tout ce qui était le plus important parce qu'elle travaillait et qu'elle devait terminer ses tâches avant de rejoindre la fête, mais tant pis. Elle s'y attendait. En désespoir de cause, elle prit le luxe d'emmener son verre avec elle tandis qu'elle quitter la salle du banquet.

Assise dans l'une des chaises de ses appartements, le pied nonchalamment posé sur un tabouret, elle regardait le ciel étoilé avec l'impression envahissante d'être étouffée par la mélancolie. Elle avait l'impression que c'était hier qu'on la libérait de la tyrannie de la vieille Eddara pour lui confier Megalis. Elle avait parcouru tellement de chemin, vécu tellement de choses à son échelle que tout ça lui paraissait à la fois très lointain et très proche, comme une accumulation d'évènements qui s'étaient bousculés. Et là, avec ce mariage, tout semblait s'arrêter pour laisser place à un calme et une stabilité qu'elle n'attendait pas si rapidement. A quoi servait-elle, maintenant que son enfant avait d'autres soutiens ? Le claquement de la porte l'arracha à ses rêveries dans un sursaut, tandis qu'elle portait un regard perplexe vers la scène qui se déroulait devant ses yeux. Rapidement, son regard analysa la scène. Un fer-né, à moitié essoufflé, un pichet à la main, et la porte refermée. Elle aurait pu paniquer si elle n'était pas certaine de l'avoir vu au banquet, déjà bien entamée par le vin. « Les chances étaient minces, effectivement. Deux portes plus loin et vous tombiez sur le placard à balais. » Un sourire au coin des lèvres, une ombre de taquinerie dans le regard, et Mezzara se leva avec l'énergie de celle qui était sur le point de s'endormir sur sa chaise. Lassitude, donc. Elle approcha du fer-né en lui tendant son verre. « Il va falloir au moins ça pour acheter mon silence, lord Salfalaise. J'aurais donné cher pour voir mon collègue vous courir après... » Lorsque son verre fut servi, elle inclina poliment de la tête en guise de remerciement et en avala une gorgée. « Vous êtes bien loin de vos appartements. Avez-vous besoin que je vous raccompagne ? »

Mezzara savait, elle, où il était supposé dormir cette nuit. Elle avait évidemment mis son nez là où elle n'avait pas à le faire et glané les informations générales qui pouvaient s'avérer utiles. Le quartier des fer-nés en faisait partie. Mais lord Salfalaise n'avait pas l'air décidé à partir tout de suite, au grand dam de la camériste qui n'avait absolument pas prévu de se retrouver avec un fer-né dans ses appartements en pleine nuit. Le voilà qui s'installait même à sa table, comme s'il était chez lui, et pendant une seconde Mezzara se mit à imaginer la réaction de Rowena si elle assistait à cette scène. Elle se serait probablement évanouie à la minute où il avait pénétré dans la pièce. La camériste en était loin, mais ce n'était pas pour autant qu'elle appréciait la présence inopportune d'un homme -quelle que soit ses origines- chez elle. « Je sers lady Megalis. » précisa-t-elle. Pourtant, son regard ne cherchait nullement à fuir celui du fer-né. Des hommes comme lui, elle en avait rencontré un bon paquet dans sa vie, voir pire. Elle n'était ni dans l'inquiétude ni dans la peur, uniquement dans l'appréhension de ce que les litres d'alcool ingérées pouvaient le pousser à dire ou à faire. Pendant un instant elle envisagea même de le renvoyer, mais la nuit était déjà assez longue comme ça pour qu'elle se noie un peu plus dans sa nostalgie dévastatrice. Sa compagnie n'était plus si désagréable que ça après réflexion.

La jeune femme, qui avait pris la décision de jouer le jeu, alla s'installer en face de Tyldr. Elle prit, dans un geste qui relevait plus du réflexe que d'autre chose, le temps de réajuster le voile qu'elle portait sur la tête et qui masquait une partie de ses cheveux. « Mon nom est Mezzara et je vous préviens, je suis assez mauvaise perdante. » Un nouveau petit sourire malicieux sur les lèvres et elle posa une main sur la table, puisque l'autre tenait toujours son verre de vin. Vin qu'elle ne tenait pas extraordinairement bien non plus, en cause un manque cruel d'entraînement à la beuverie. Pourtant elle aimait ça, boire, mais le temps lui manquait. « Prêt ? Pierre, feuille, ciseaux. » Sa main bougea en rythme avec la petite comptine et elle écarta finalement les doigts pour faire une feuille.

1 & 2 = gagné
3 & 4 = égalité
5 & 6 = perdu

La main face à son poing, Mezzara sentit une forte excitation grimper en elle, lui arrachant un sourire fier. Son regard se releva vers le sien avec une lueur de provocation et elle le regarda boire son verre en s'assurant qu'il le finissait bien. A ce stade, elle avait naïvement omis la possibilité que le fer-né ait quelque chose en tête, ou alors elle y avait pensé mais avait balayé ça avec déni, elle ne savait pas trop. Toujours est-il que le petit jeu prenait une tournure qu'elle savait qu'elle n'allait pas assumer. « Au risque de vous décevoir, ma basse naissance ne fait pas de moi femme si aisée à déshabiller, lord Salfalaise. Vous allez devoir faire mieux que ça. » Elle le laissa toutefois retirer ses brassards et une idée lui vint en tête. Puisqu'il voulait jouer, elle allait jouer. Elle fit mine de réfléchir en prenant une gorgée de son verre de vin, puis haussa les sourcils avec l'air de celle qui venait de penser à un truc alors que la taquinerie de la question la titillait depuis déjà bien longtemps. L'homme avait de l'ego, savait probablement qu'il effrayait autant qu'il attirait, un peu de modestie ne lui ferait que plus grand bien. « Pensez-vous que les femmes vous tombent dans les bras parce que vous les intéressez vraiment ou parce que votre statut vous accorde une autorité qu'elles n'osent pas bafouer ? » Un petit sourire amusé et elle remit sa main en place pour une nouvelle manche. Mais en voyant à nouveau ce poing se dresser devant la paire de ciseaux, il s'estompa légèrement. « Très bien... Je vous accorde une question. » Elle laissa retomber sa main et suivit le fer-né dans sa descente d'alcool, finissant son verre comme il l'avait fait lui-même. Et elle le remplit à nouveau elle-même. Mais pas un bout de tissu ne fut retiré. Au lieu de ça, elle joua sur les mots et retira juste une bague, qu'elle posa sur la table et fit doucement glisser vers lui. Et vu la quantité de petits détails qu'elle avait dans sa tenue, ça pouvait durer très longtemps. « Vous ai-je dis que j'étais mauvaise perdante ? » Elle remit sa main en place pour une nouvelle manche.

1 & 2 = gagné
3 & 4 = égalité
5 & 6 = perdu

Une jolie fleur. C'était tout ce qu'il avait trouvé ? Mezzara ne chercha pas à cacher son expression faciale, mélange d'hébétude et de dépit. « Il est vrai que vous avez un regard envoutant. Il vous fallait au moins ça. » pour rattraper le reste, avait-elle envie de dire. Elle n'avait toutefois pas encore assez bu pour aller plus loin dans le manque de respect. Tranquillement, elle se laissa retomber en arrière pour que son dos soit appuyé contre le dossier de la chaise. Elle pressa même un peu sur sa jambe pour basculer sur les deux pieds arrière de la chaise et se balancer tranquillement dans un équilibre précaire. « Est-ce là le niveau des femmes que vous charmez, lord Salfalaise ? Des... "Jolies fleurs" qui s'ouvrent à vous ? » Son petit sourire amusé ne s'était pas envolé mais il y avait un peu de déception dans sa question. Elle ne s'attendait pas à ce que le guerrier des mers soit un poète, ce genre là n'était pas le plus intéressant, mais elle était persuadée qu'il pouvait être plus captivant que ça. Bien plus intéressant. « Je suis née esclave à Meereen. Y êtes-vous déjà allé ? Cette cité est d'une incroyable beauté. Lorsque le soleil frappe la harpie de la Grande Pyramide, un rayon multicolore pave les rues. Enfin... » Pendant quelques secondes, son regard se perdit sur le liquide dans le verre qu'elle tenait, et qui bougeait doucement au gré des petits balancements qu'elle faisait sur sa chaise. « On m'a rapporté qu'elle avait été retirée après la conquête de la ville par Daenerys Targaryen. » Elle prit une nouvelle gorgée et fit basculer sa chaise en avant pour la remettre sur ses quatre pieds, cédant à une nouvelle partie avec le fer-né. Une fois de plus, sa main se tendit face au poing de l'homme et cette fois elle se laissa emporter par le jeu et lâcha un bref éclat de rire. Elle vint envelopper, quelques secondes à peine, la main du marin avec la sienne, comme dans une affirmation de sa victoire. « J'apprécie grandement la tournure des évènements. Ok, à mon tour. » Elle prit une autre gorgée de son vin, n'ayant pas vraiment besoin de jouer pour descendre son verre rapidement. « Pas vraiment une question, mais racontez moi quelque chose. » Sa main balaya l'air devant elle comme pour effacer aussitôt toute tentative de banalité. « Pas l'une des aventures que nous connaissons tous ou que vous crachez dans les tavernes, je me fiche de ça. Racontez moi quelque chose... » Elle réfléchit à l'ordre de ses mots, à ce qui pourrait être le plus exaltant. « De terrifiant. Quelle est la fois où vous avez eu le plus peur dans votre vie ? Je veux connaître ce qui s'est passé le jour où, vraiment, vous avez sentit votre sang se glacer dans vos veines. Racontez moi la terreur qui vous a fait sentir plus humain que jamais. » Penchée, elle posa ses coudes sur la table et sa tête dans l'une de ses mains, attentive, concentrée.

« J'ai conscience de la réputation de votre peuple. J'évite toutefois les amalgames. Je me reporte aux faits, lord Salfalaise, et à mes yeux vous n'êtes pas moins homme et pas plus monstre que d'autres. » Sûrement un peu plus dangereux, un peu plus imprévisibles, mais les enjeux n'étaient pas les mêmes que sur le reste du territoire. La culture et l'éducation non plus. Et pourtant, en cette nuit de nostalgie, il tenait compagnie à une servante en partageant son vin. Bien des seigneurs n'auraient jamais pris cette peine, et peut-être qu'en d'autres circonstances, à un autre moment, il aurait été de même avec Tyldr. Mais dans les faits, ce n'était pas le cas. Il était là, avec elle, souriant, bavard, agréable, joueur. Un homme. Un homme mortel qui pouvait saigner, comme elle, c'était à peu près ça qu'elle avait dit à Rowena pour la rassurer lorsqu'elle lui était tombée dans les bras au banquet. Elle ne doutait pas de la cruauté dont il pouvait faire preuve lorsque le besoin s'en faisait ressentir, mais c'était le cas de tous les hommes des maisons nobles. Les fer-nés s'en prenaient juste plein la gueule parce qu'ils jouaient pour gagner et que les fioritures ne les intéressaient pas. Sans pour autant les déresponsabiliser des atrocités qu'ils pouvaient commettre, Mezzara ne voyait pas en eux cette image d'abomination que certains se permettaient de leur coller. Pas pour l'instant.

Peu à peu, le sourire de Mezzara avait quitté ses lèvres, buvant les paroles du fer-né avec attention. Elle voyait parfaitement la scène, imaginait sans peine la douleur et la peur sans pour autant être en capacité de réellement la comprendre, et une empathie profonde grandissait à son égard. Forcément, les grands yeux sombres de l'ancienne esclave se levèrent vers le haut du crâne du fer-né pour tenter d'y voir une quelconque cicatrice sous ces quelques mèches blondes, mais elle ne s'y attarda pas. Ca n'avait pas d'importance. « Je ne suis pas sûre d'être prête à mourir. » murmura-t-elle dans un souffle. Elle se redressa doucement et tendit les doigts vers le bracelet pour venir toucher la tête du serpent. « Mais on y passe tous un jour. J'espère juste que ma mort pourra servir à quelqu'un que j'aime. Je n'ai pas envie de mourir au fond d'un lit, vieille et malade. » Pourtant, c'était bien parti pour finir comme ça, et n'importe qui rêverait d'être à sa place. Mezzara était aimée, protégée, elle gagnait assez d'argent pour être indépendante, elle avait une place de choix. Elle espérait toutefois ne pas passer le restant de ses jours ici.

Dans un geste symbolique, la Meereenienne glissa ses doigts sur les bords du voile qui recouvrait ses cheveux et l'abaissa, le faisant glisser dans son cou. Ce n'était rien, juste un peu plus de clarté sur son visage, quelques mèches de cheveux qui se libéraient enfin pour détourer son doux visage, mais pour Mezzara c'était un pas énorme. Eduquée à se camoufler, comme toutes les femmes de Meereen, elle se débarrassait petit à petit de cette contrainte depuis qu'elle était à Westeros, mais la culpabilité restait grande, avec l'impression irrationnelle de faire une bêtise alors qu'elle n'en était point. Ce geste symbolique, elle le faisait uniquement parce qu'il avait accepté de se dévoiler. Elle lui rendait la pareille. « Ce n'est peut-être pas ce que vous attendiez, lord Salfalaise, mais c'est un symbole de mon estime, aussi insignifiant soit-il. » Elle prit le pichet de vin, se servit un fond de verre, puis vida ce qui restait dans celui du fer-né. « Je n'ai rien d'aussi intime à vous raconter, malheureusement, mais j'espère tout de même que si l'on se revoit vous aurez d'autres histoires à me partager. » Tranquillement, elle se leva et se dirigea vers l'une des commodes de ses appartements pour l'ouvrir. Les mains de chaque côté des portes, elle regardait à l'intérieur avec l'air de chercher quelque chose, avant de finalement attraper une bouteille qui semblait vieille mais qui n'avait, à priori, jamais été ouverte. Elle referma les portes et jeta un petit coup d'oeil par la fenêtre, nuit si claire qu'elle n'avait même pas besoin d'allumer quelconque bougie. Seuls les rayons de la lune caressaient sa silhouette et c'était largement suffisant pour la voir. « Aimez-vous la liqueur, lord Salfalaise ? J'attends depuis longtemps une occasion d'ouvrir cette bouteille mais je pense qu'il serait plus sage d'arrêter d'attendre. » Un petit sourire malicieux sur le visage, tandis qu'elle attendait sa réponse avant de revenir, des fois qu'elle ait besoin de la ranger pour un prochain évènement.