Puisse l'orage connaitre son Accalmie | Karlon Storm

Sur le grand échiquier d’Aelinor Hightower les pièces venaient de bouger. Bronn La Nera était désormais Échec et Mat et elle, alliée avec Dorne. En ce second jour de festivités, elle était parue avec le Prince Edmund, son fiancé, Damion Gargalen et leurs sœurs à la tribune d’honneur, officialisant l’alliance devant tout Port-Real, ou devrait-on dire tout Westeros. Car c’était bien tout le pays qui s’était réuni à la capitale pour ce tournoi. Tournoi durant lequel, d’ailleurs, Ser Humfrey, l'oncle de la jouvencelle, s'était illustré sans gagner. Toujours second le beau chevalier amoureux de la rousse Redwyne et désormais sans espoir de l’épouser étant donné qu’elle aussi était fiancée à un Dornien. Ça, c’était… ennuyeux. Pour les plans de la brune aux yeux azur. Mais Desmera était également son amie et la nièce par alliance de sa tante, cela pourrait suffire.


Désormais, le Grand Argentier n’importunerait plus la Hightower, il ne pouvait décemment pas s’opposer à la principauté et à son représentant, elle était donc à l’abri de l’humiliation de l’épouser. Mais si le Gargalen l’avait sauvée des griffes de la Néra sans rien demander d’autre en retour que le blé des terres de Grand Tour pour nourrir son peuple, elle avait bien l’intention de l’aider au delà de ce qu’ils avaient couché sur le papier quelques heures plus tôt. Ce dernier envisageait de marier Lady Sara à Gendry et, avec le Bief, cela pourrait permettre d’unir les trois régions du sud, aussi, Aelinor ne pouvait que soutenir une telle idée et elle était décidée à convaincre le bâtard fait Baratheon. Seul problème, elle ne le connaissait pas, elle ne savait rien de lui et elle était consciente qu’elle, née avec une petite cuillère en argent dans la bouche, était loin de pouvoir comprendre un garçon né dans la fange et l’adultère. Avait-il grandi parmi les prostituées avant de devenir apprenti forgeron ? Et à présent, quelle était sa légitimité sur l’Orage, comment était-il perçu par ses gens ? Il y avait beaucoup trop de questions sans réponses et elle ne pouvait pas les poser à Jonas, trop proche du Sire d’Accalmie.


Or le temps pressait, d’ici quelques jours, ils quitteraient Port-Real pour Lancehélion afin de célébrer le mariage du Prince Edmund avec la future Princesse Elia Dayne, née Sand. Était-ce la nouvelle mode que de légitimer tous les bâtards de Westeros ? Passons. Là bas, elle serait certainement plus scrutée qu’ici où elle faisait office de meuble avec tout le temps qu’elle y avait passé. Un meuble un peu voyant, elle en convenait, mais elle connaissait chaque recoin du Donjon Rouge et savait, quand elle le voulait, se fondre dans la masse des invités du Tournoi. Il était vrai que la plupart du temps, ce n’était pas ce qu’elle souhaitait. Mais ce soir-là, si. Restait à trouver une tenue adéquate. Seulement elle avait beau avoir fait étaler sur son lit les robes les plus discrètes de sa malle, il n’y avait pas à dire, toutes portaient les signes de son appartenance à la Maison Hightower. Qu'importe au fond, car elle n’avait pas l’intention de cacher son identité, s’eut été vain après s’être fait remarqué aux côtés de la délégation dornienne et également parce que son père n’avait rien trouvé de mieux que de l’attraper par le bras pour la traîner jusqu’à sa tente.


Baelor était furieux de l’alliance signée par sa fille dans son dos, chacun de ses doigts avait laissé un beau bleu sur l’avant bras de la jouvencelle, mais ça aurait pu être pire, même si Aelinor était loin de s’en douter. La Nera était intervenue et pour l’éloigner, elle avait fait semblant de faire une malaise et de perdre connaissance, mais cela avait au moins eut l’avantage de calmer un peu le Lord de Grand Tour. En tout cas, elle n’avait pas pu assister au tir à l’arc à cause de ce coup de sang du paternel, punie qu’elle était dans la tente grise ornée de tours blanches surmontées d’une flamme dorée. Mais heureusement, une fois les épreuves terminées, elle avait su le calmer en lui expliquant la situation et en lui rappelant l’objectif de tout cela : empêcher Bronn de forcer le Hightower à donner sa fille aînée à un reître, tout gouverneur du Bief soit-il. Elle avait donc quitté la tente de son géniteur libre comme l’air et en avait profité pour repérer les lieux avant de rentrer au Donjon Rouge.


La jouvencelle en ressortit une fois la nuit tombée, elle avait finalement gardé la robe qu’elle portrait lors du tournoi et l’avait recouverte d'une cape de velours noir pour la discrétion. Creighton avait quant à lui remplacé son manteau de laine grise avec la tour blanche pour une manteau de laine sombre. Elle avait laissé son palefroi blanc et avait prit un des chevaux de ses garde, un bai brun tout ce qu’il y avait de plus banal, tout comme la monture du chevalier qui l’accompagnait. Capuche sur la tête, ils traversèrent Port-Ral jusqu’au grand campement qui s’étalait à l'extérieur de la ville pour accueillir les trop nombreuses suites des trop nombreux Seigneurs venus participer ou assister au Tournoi. Elle prit bien soin de passer loin de la place occupée par les troupes Hightower et se dirigea vers la partie peuplée d’Orageois. Dans la nuit, elle ne reconnaissait plus très bien le chemin qu’elle avait fait dans l'après-midi, mais elle finit tout de même par repérer la lune argentée et le vert des conifères. Certes, mais maintenant, comment savoir où se trouvait la tente de Karlon le bâtard. Elle descendit de cheval et avança dans le camp avec sa capuche toujours sur la tête, au premier garde qu’elle croisa elle demanda sans trop lever le nez pour ne pas être reconnue :

__ Bonsoir, je cherche Karlon. Il a… Hum… Il a loué mes services.


Avec ce mensonge, la jouvencelle espérait qu’il lui indiquerait le chemin sans lui demander qui elle était, mais au lieu de ça, le garde nota qu’avec un tel manteau, ça devait être une catin de luxe et il s’approcha en disant :

__ Bah dis-donc, il ne se refuse rien le capitaine ! Fais-moi voir tes atouts ma jolie.


Elle recula pour éviter la main que le soldat approchait pour tâter la marchandise et le bas agité de sa cape révéla le brocart vert brillant de sa robe qui avait fait forte impression au matin. Son épée lige, restée dans l’ombre jusque là, s’interposa main droite sur le pommeau de son arme, prêt à dégainer si besoin. Il avait relevé sa cape sur son épaule afin d’être en mesure de se battre si besoin et une armure d’acier, certes sans fioriture, mais de trop bonne facture pour être celle d’un simple reître. Il dit d’une voix forte :

__ Elle veut voir ton capitaine !
__ Mais t'est qui toi ?


Une rencontre en toute discrétion ? C’était déjà bien compromis, mais la brune aux yeux céruléens avait toujours sa capuche et les épées étaient toujours au fourreau. L'honneur était sauf. Pour le moment.