Une leçon de vin

"Hmppfff
C'est bien votre nom, Seigneur.
Quoi ?
Non rien.

Du fond de la stalle où s'était enfoncé l'écuyer, Humfrey pouvait l'entendre ricaner bêtement. Le chevalier leva les yeux au ciel avec un sourire indulgent. L'insouciance du jeune homme avait le don de lui rendre le sourire. Il adorait les entraînements à l'épée avec lui mais également les chevauchées autour de La Treille. Quelle merveilleuse île de beauté ! Il y faisait bon vivre, bien plus que les vents marins de Villevieille, pourtant si agréable. La douceur du climat, à peine rafraîchi par les eaux calmes du chenal Redwyne lui donnait une volonté des plus viriles chaque matin. Il ne demandait qu'encore plus à son corps, bien plus qu'avant. Levé dès le point du jour, où dans la demeure de son frère il attendait bien une heure pour laisser le temps aux mitrons de servir le déjeuner, il allait chevaucher avec les écuyers de la maisonnée Redwyne. Fidèles compagnons, et équipée que voilà, on se croyait revenu à la douce époque de la véritable chevalerie bieffoise avant la guerre et les temps troubles amenés par ce démon de Bronn. Eût il été quelque peu vulgaire, Humfrey aurait volontiers pisser dans la Néra pour preuvre de sa haine du suzerain.

Sifflotant quelque ballade entendue dans sa prime jeunesse, alors qu'il n'avait pas quitté le giron de dame sa mère, le benjamin des Hightower décrottait le sabot de sa jument de course avec entrain. S'il ne partageait pas la passion sans limite de sa nièce pour ce sport, il ne pouvait pas nier son attrait pour ces montures lorsqu'il s'agissait de grimper les doux coteaux de La Treille. Il ne valait pas les destriers de guerre au poitrail puissant que tout chevalier digne de ce nom devait tamer pour écraser l'adversaire à la bataille. Dépliant sa fringante carcasse, Humfrey tapota la croupe de la jument qui hennit de ravissement. S'il était d'humeur à gratouiller encore quelque peu sa compagne du matin, et qui sait de la gâter d'une pomme ou deux, la tête ébouriffée de l'écuyer vint le rappeler à l'ordre.

"Vous n'aviez pas un rendez-vous avec lady Desmera, messire ?"

Par les Sept, comment avait-il pu oublier ? Se fustigeant intérieurement, Humfrey remercia chaleureusement son ami qui lui promit de finir de prendre soin de sa monture. Il put ainsi jaillir de l'écurie comme une flèche et grimper les escaliers quatre par quatre. Il sentait le regard désapprobateur du Père dans son dos et celui amusé de la Jouvencelle. Dieux savaient ce que le Forgeron pouvait penser d'un jeune homme oublieux ! Heureusement, le chevalier blanc n'était point en retard. Il eut juste le temps de passer aux bains pour s'immerger dans une eau chaude jusqu'à ce que sa peau rougisse, frottée et décrassée. Humfrey enfila une tunique aux couleurs de sa maison, une paire de braies couleur ciel et se jeta sur des sandales. Guère chevaleresque, mais il ne trouva aucune paire de bottes à sa taille, pas après plusieurs heures de monte avec ses jambes lourdes et encore gorgées de sang. Il n'y avait qu'à espérer que Desmera ne baisse le retard sur ses pieds.

Alors qu'il dévalait les escaliers, propre comme un sou neuf et tiré aux quatre épingles, il laissa ses pensées dériver vers sa douce. Chaque jour passant, il croyait ne pouvoir l'aimer plus et pourtant, elle le surprenait encore et toujours. L'activité du jour consister à découvrir les vins et les délices de La Treille. S'il se contentait de la pulpe des lèvres de sa promise comme seul caprice, Humfrey se devait de connaître les particularités de son futur domaine. Or les revenus tirés de la vente des cuvées du pays valait bien une étude approfondie. Si le vieux Paxter ne se lassait jamais de parler de ces navires, Desmera s'épanouissait dans la véritable richesse des Redwyne. Et comment s'en étonnait alors qu'il la retrouvait enfin ? L'opulence de sa chevelure ne rivalisait qu'avec la rondeur de ses reflets brandevin. Sa carnation délicate tenait du marbre alors que ses yeux pétillaient autant qu'un La Treille auré. La plus belle des cuvées à ses yeux, et il pouvait se réjouir de lui appartenir comme elle était sienne. Alors qu'ils se dévoraient du regard, comme deux âmes soeurs qui se redécouvraient jour après jour, Humfrey revint à la réalité.

"Le vin, ma douce promise. Nous sommes ici pour le vin."

Avec galanterie, Humfrey baisa la main de Desmera et la guida vers la table.

"Je ne doute pas que tu as préparé ce qu'il fallait. J'ai moi même discuté avec ton mestre. J'aurai des questions..."

" Le regard de Desmera brûlait d'un ardent désir, la flamme exaltée du désir. Malgré tout, là où Humfrey aurait craindre la malédiction des Sept Enfers, il n'y lisait que la promesse de merveilles que même le Septième Ciel ne pouvait offrir. Il s'était promis de rester calme et ne pas être assailli par quelconques pensées pendant les heures qui les attendaient. La vue du désir de sa fiancée venait à bout de ses murailles mentales. Pour n'échanger ne serait ce qu'un regard pareil, Humfrey aurait traverser les flammes des dragons de Daenerys du Typhon. La reine folle d'une heure pouvait bien être transpercée de mille lames pour pouvoir enfin épouser Desmera.

Malheureusement pour le vin ? Humfrey ne pensait plus qu'à une seule chose désormais. Le talent de sa dame pour lui échauffer le sang ne rivalisait qu'avec son propre désir. Les souvenirs de leurs caresses interdites lui revenaient, le goût de ses doigts - promesse de délices bien trop habillés - et le propre ballet de ses mains le long de ses hanches. Même la mante religieuse ne savait charmer avec autant de grâce son mâle. Humfrey, le preux chevalier blanc, était à la merci de Desmera. Il n'en éprouvait aucune honte. Ah les autres sirs du Bief pouvaient bien se moquer lorsqu'il dévorait du regard sa promise. Ils ne connaissaient pas sa chance et ne la connaîtrait jamais. Peu lui importait la dot de sa main, aussi rondelette fut elle. Tout ce qui lui importait était Desmera.

"Mes questions..." dit il, songeur et encore perdu dans son admiration infantile. "Hmm oui mes questions ! Hmm... Charmante robe. " Le vin ou son aimée ? Les deux assurément ! "Les différents vins... Je suis curieux de comprendre les différents cépages, qu'est ce qui vous comprendre que telle ou telle grappe deviendra un brandevin ou un La Treille Auré... Tout cet art."[/b]

L'épaule de Desmera le frôlant, le jeune chevalier en eut le souffle coupé. Capable de braver le danger et se porter à la rencontre des lances ennemies, il se sentait incapable de seulement cueillir le regard de son aimée. Avec une telle proximité, il risquait simplement de défaillir et... Son regard se portait déjà vers des grappes ô combien plus attrayantes que celles pourtant bien lourdes des cépages Redwyne. Avec un soupire, il reporta ses yeux droits devant et essaya de s'échapper d'un pas chassé. Pas ici et pas maintenant, ô combien Desmera resplendissait dans le clair obscur de la cave au gré de la danse silencieuse des flambeaux.

"Je crains que la robe de ce vin surpasse la splendeur de ta robe. Les Sept m'en pardonnent."

Humfrey eut sourire en coin et un clin d'oeil. Evidemment que la robe de Desmera était charmante. Au delà de la qualité du tissu et du travail soigné apporté à la pièce, son aimée était la véritable porteuse de la beauté de l'île aux mille vins. Le seul nectar qu'il désirait goûter était l'élixir de ses lèvres et la seule ambroisie à croquer, la chair délicate de sa promise.  La Jouvencelle savait son désarroi de devoir attendre pour la faire sienne et lui appartenir en retour. L'esprit se forgeait face aux épreuves de la vie disaient les anciens. Humfrey le jurait : son âme serait d'acier valyrien d'ici à ce que leurs maisons s'unissent aussi bien par leur voeu que dans la chambre nuptiale. L'expérience charnelle désirée devenait un hurlement au plus profond de son coeur. Un supplice partagé qui allégeait le fardeau.  

Des lignées dis tu ? Est-ce similaire à l'élevage des chevaux ? Tu arrives à faire se reproduire par hybridation et bouture les pieds qui offrent les meilleures grappes ?

Le mestre de Port Ryam lui montrait depuis plusieurs semaines déjà cet art botanique de la greffe. Humfrey était fasciné de voir la capacité d'un arbre à s'adapter. A l'image d'un être humain, propre à lui coller un frisson dans le dos, la petite branche de citronnier finement plantée dans la branche du bigaradier. Sa chaîne cliquetant alors qu'il prenait soin de protéger l'incision, l'homme de science lui avait expliqué d'ici quelques mois, la ramification serait digne d'être replantée au sol par bouture et devenir bergamote. Lorsque le chevalier aux mille questions l'avait assailli, le mestre s'était contenté de rire doucement et de lui répondre que tout se savait par l'expérience. Peu versé dans le conflit millénaire entre empirisme et nativisme, Humfrey ne voulait que le croire, fasciné au fur et à mesure de la poussée de la greffe. L'homme s'était d'autant plus réjoui lorsqu'il avait expliqué que le bigaradier lui même était un hybride dont l'origine se perdait dans la nuit des temps, loin à l'est d'Essos dans la mythique contrée de Yi-ti.

Humfrey reporta son attention sur le sujet du jour et sentit avec précaution le vin. La saveur fruitée, rappelant la pêche et le melon, le frappa et il hocha la tête avec appréciation. Une note florale blanche se rappela à lui pour mieux embaucher le fond de sa gorge. Elle lui rappelait l'odeur capiteuse des jasmins lors des chauds étés de Villevieille. Fasciné, il se décida enfin à goûter et laissa le liquide froid roulait contre ses papilles et frapper le fond de sa bouche. Un vin blanc et frais, propre à désaltérer après une longue joute. Les notes fruitées revinrent, plus intenses tandis que les réminiscences de fleurs blanches lui paraissaient plus lointaines qu'au nez. L'aigreur frappa alors, plus vive qu'un serpent et le surprit. Plissant le nez, Humfrey secoua la tête et la recula sans s'en rendre compte. Levant les yeux vers Desmera, il eut un sourire de travers :

"Je ne suis pas le plus grand admirateur de celui-ci... C'est ça qu'on appelle un vin sec ? Dame ma mère ne boit que du moelleux..."

Si l'aigreur du vin resserrait la gorge d'Humfrey, il ne suffit que de quelques mots de sa promise pour qu'il s'étouffe proprement. Pris au fait en pleine gorgée, l'audace des propos de Desmera le fit crachoter une pluie verdâtre dans sa couple. Il se mit à tousser et un profond râle lui échappa. Un serviteur, bien inquiet, finit par passer la tête par l'embrasure de la porte et le chevalier lui fit signe de s'éloigner. Rouge pivoine, il ferma les yeux et reprit son souffle en même temps que son esprit. Bonté divine, Desmera ne savait elle pas se tenir ? Des images s'imposèrent sous ses paupières fermées et Humfrey se força à les rouvrir et se décala pour éviter que sa promise ne voit l'épée qui ne demandait qu'à être dégainer dans ses braies. Feignant de jeter un coup d'oeil au tonnelet entre les deux, il finit par lui répondre du même ton :

"Je te bois bien assez du regard. Ne tente pas la pointe de ma langue..."

Fort heureusement, Desmera répondit à ses questions, suffisamment pour le laisser pensif. L'hybridation, et sa comparaison avec l'élevage équin, le fascinait en toute honnêteté. La capacité à créer une meilleur version de deux individus confiné à la sorcellerie ou à l'hérésie. Ces choses là tenaient du divin et pourtant, elles étaient ancestrales. Humfrey se demanda si c'était là un cadeau de l'Etranger, toujours prompt à damer le pion du Père. Dans tout les cas, cette création se rapprochait tant et si bien de la procréation que le jeune homme eut d'autres grappes en tête, au goût non moins sucré. Loin d'être amères comme la coupe qu'il tenait. Mordillant sa lèvre, il nota mentalement les commentaires de Desmera. Par Les Sept, pourquoi dans sa hâte il n'avait pas pensé à emporter un bout de velin et un morceau de charbon ?

"Je note. Qu'en est il des autres blancs alors ? Moelleux ? Vin.. jaune et muté ? Il y'a tellement de variantes."

Quand Desmera lui demanda ce qu'il préférait pour continuer, il ne put s'empêcher de penser à une remarque qu'il entendait souvent prononcer par ses amis et autres chevaliers. Il ne l'avait jamais expérimenté assez pour savoir quoi en pensait mais il comptait bien ne pas le faire en ce jour :

"Rouge sur blanc, rien ne bouge. Blanc sur rouge, tout fout le camp, n'est ce pas ? Continuons avec les blancs."

Humfrey but les paroles de Desmera. Non point qu'il ne le faisait généralement pas, il était fou d'elle. Cependant, la saveur des mots d'aujourd'hui était particulière. Au delà de l'intimité qu'ils partageaient dans un cadre idyllique, le chevalier savait qu'il apprenait pour son avenir. Un jour, il siégerait aux côtés de son aimée et devrait l'aider à gérer bien des aspects de leur domaine. Humfrey n'était pas taillé pour régner. Sa place dans sa fratrie ne l'avait jamais préparé à le faire. Tout du moins pas à cette échelle ci. Chevalier fieffé, ou tout juste bon à tenir une forteresse au nom de son frère, il se satisfait de son rôle dans la nébuleuse Hightower. Les Sept en avaient voulu ainsi. Du moins le croyait il, car apparemment le Père et le Ferrant avaient d'autres idées pour lui.

La folie des informations qui tombaient lui tournaient presque autant le tournis que le vin. Il n'avait jamais cru le monde des vins si complexes. Pour lui, il consistait à trois choses : le très bon rouge servi à la table de son père puis de son frère, le rouge qui l'accompagnait lors des chasses et des voyages et la piquette âcre et acide des soldats de la guérite de la Grand Tour. Le dernier était faute de mieux mais il en avait assez bu pour savoir quoi en penser. Humfrey n'était pas particulièrement séduit par ce liquide. Il découvrait là un autre univers, bien plus dense et intense qu'il ne le croyait. Peu étonnant que Desmera se plaise tant à y consacrer son temps.

"J'ai l'impression de te redécouvrir Desmera."

Attendri, Humfrey tendit sa main et la posa élégamment sur l'avant bras de sa fiancée. L'idée de la découvrir d'une façon tout à fait différente l'effleura et ses doigts se contractèrent malgré eux contre la peau de Desmera pour mieux se nourrir de sa chaleur. Il ne brisa leur contact que lorsqu'elle servit un nouveau vin et lui tendit la coupe. Concentré, il la regarda faire pour éviter de passer pour un rustre puis l'imita. L'art de goûter lui était inconnu. Loin d'être grand échanson ou bouteiller de sa famille, il n'était pas sûr de s'y prendre correctement. Pourtant, il put aisément discerner l'arôme poivré du vin. Surprise, il cligna des yeux puis se força à laisser courir le liquide sur sa langue. Son palais, rétif au premier abord, finit par s'ouvrir aux effluves plus fruités que le précédent. Ce mélange lui rappelait presque l'oeillet ou le chèvrefreuille qui poussaient dans les jardins de la Citadelle en grande quantité. Avec un petit bruit de bouche, Humfrey hocha la tête :

"C'est beaucoup plus à mon goût ! Moins sec et aigre après l'avoir bu, je t'avoue être surprise par le côté poivre du vin ! Au delà de la cuisine, je pense toujours aux mestres qui.... " Il baissa la voix : "Le conseillent aux vieux seigneurs pour réveilleur leur ardeur pour donner un héritier."

Difficile de regretter de découvrir un nouveau monde de saveurs et d'arômes. Humfrey n'était pas un de ces vieux chevaliers avec la souplesse d'un barral taillé dans le fondement. Il aimait apprendre et dépasser ses limites jusqu'à un certain point. Le monde particulier de la viticulture en faisait bien évidemment parti. Il n'y avait rien de déshonorant ou de peu viril à explorer dans ces moindres recoins cet univers. A vrai dire, il plaisait bien au chevalier d'un jour régner sur le domaine viticole le plus réputé du monde. La Treille et ses merveilles avaient de quoi faire rêver. Même si sa merveille à lui n'était guère plantée dans le sol et d'autant plus plaisante. Quel plaisir de la voir à son tour tourner pivoine et s'étouffer sur sa langue si prompt à le mettre mal  à l'aise.

Quelle ne fut pas sa surprise de se voir envelopper dans ses bras délicats et déposer un baiser sur ses lèvres pour peine de sa bêtise. Un méfait bien payé ! Voilà qui appelait presque à récidiver. Humfrey retint bien malgré lui sa langue, ses bras et son corps bouillonnant lorsque Desmera se détacha de lui. Pour peu qu'on lui ait donné le choix, voilà bien longtemps qu'il aurait fait de sa promise sienne. Il ne désirait que la prendre, en tout bien tout honneur sous la bénédiction des Sept. Plus ou moins ? Les chevaliers et les reîtres ne manquaient pas d'histoires concernant les femmes et leur promptitude à se donner corps et âme aux hommes. L'idée de la langue de sa fiancée se baladant en des endroits autrement plus sacrés que sa bouche lui donnait des bouffées de chaleur. Il lui était difficile t’attendre jusqu’à ce foutu mariage ? Oui.

"Père donnes moi la force et le courage de surmonter cette épreuve."

Un simple murmure tandis que malgré la distance entre eux, le regard de Desmera l'invitait à lui sauter dessus. Rouge pivoine, Humfrey agrippa le rebord de la table et serra jusqu'à blanchir ses jointures. Fermant les yeux, il invoqua de toutes ses forces la Jouvencelle. Il désirait si ardemment Desmera et enfouir ses mains dans sa chevelure pour l'attirer à lui qu'il devait invoquer bien des images. La vieille Olenna Tyrell, les champs de bataille, un étalon saillant une ju... non pas ça ! Les Sept veillent sur sa morale. Son frère, le regard désapprobateur de sa cousine Aelinor, les mestres et septon décrépits de Villevieille... L'ardeur refluait de son bas ventre à ces idées et il reprit peu à peu contenance. Pâle et en sueur, il délaça légèrement sa tunique, inconscient de l'effet que ça pouvait avoir sur Desmera et soupira.

"Tu... es... la tentation incarnée ma douce mie. Cesses donc de me torturer de la sorte, même lorsque tu te refuses à moi je suis à deux doigts de briser mes voeux pour..." Il baissa sa voix : "Te prendre ici bas à l'abri du regard des Dieux." Puis d'un ton badin il reprit avec un clin d'oeil : "Le vin poivré de Myr je crois. Suis donc..."

L'espace d'un instant, Humfrey craint que Desmera fut celle qui se jette sur lui. Il ne lui aurait opposé aucune résistance. Face à ses grands yeux et sa chevelure de feu, il n'était pas plus fort qu'un chaton affamé. Très bonne comparaison pour éviter de penser à ce qui se passait dans ses chausses. Dansant d'un pied sur l'autre et mal à l'aise, le chevalier évitait à tout prix de poser ne serait ce qu'un centimètre de sa vision sur sa promise. Quelle injustice. Il se trouvait face à l'être aimé et ne pouvait pas seulement la regarder. Encore moins l'approcher. Il enviait presque les épousailles forcées, où on pouvait à tout moment tomber sur une bonne surprise et pouvoir en profiter directement. Et à défaut d'être attiré par sa douce, l'épreuve était bien vite passé. La différence avec le dégoût, c'est que l'attirance rends l'épreuve d'autant plus longue. Là où le rejet transforme l'acte en un mur à grimper, quelques bons coups de reins, une pensée douce pour une prostituée et l'affaire était réglée. Lorsqu'on désirait autant quelqu'un, l'attente était l'obstacle à surmonter et rien ne pouvait y être fait.

Conscient de la dangerosité de telles pensées, Humfrey but cul sec ce qui lui restait de vin de Myr et s'empressa de prendre la nouvelle coupe que Desmera lui tendait, tout en évitant sciemment son regard. Il se perdit dans l'observation du beau cuivre jauni que reflétait le vin. Cela lui rappelait quelques pièces venues de l'Est lointain, dans cet alliage étrange qu'était l'électrum. Glissant son museau dans la tulipe évasée de la coupe, il fut surpris du fumet capiteux du liquide. Presque nacré et liquoreux, il avait un aspect des plus étonnants de pommes trop mûres mais aussi de miel. L'aspect floral du précédent était presque inexistant, comme envolé. Trempant ses lèvres, Humfrey découvrit un univers de sucre et de baumes qui lui plaisait. Voilà ce qui lui rappelait les vins liquoreux de mère. Il ferma les yeux et poussa un grognement des plus singuliers, mélange de surprise et de plaisir.

"Ca me rappelle cette liqueur des Îles d'Ete... Le rhum je crois ? C'est très fruité et caramel en bouche, et c'est similaire. Moins exotique, ça me rappelle aussi l'hypocras sans les épices. J'aime beaucoup... Et euh.. c'est capiteux ?"

Pas aussi capiteux que la saveur de ses lèvres sur les siennes, point autant solaire que le contact brûlant de sa peau, se risqua à penser Humfrey en levant les yeux vers Desmera.