Une leçon de vin

Humfrey sourit à Desmera tandis qu'il dégustait une nouvelle gorgée du vin de Pentos. Il comprenait ce qu'elle voulait dire lorsqu'elle évoquait la Terre et la Mer. Il se dégageait cette note solaire, presque salée dans l'aspect capiteux qui lui plaisait tant. Faisant rouler le liquide sur sa langue, il s'humecta les lèvres pour en garder le goût le plus longtemps possible. Il surprit également sa fiancée faire de même. Il attendit qu'elle serve une nouvelle coupe, puis lorsqu'il remarqua qu'elle ne servait qu'une seule dose, il traversa l'espace les séparant. Humfrey prit délicatement la coupe qu'elle lui tendait et la reposa près de la carafe. Posant ses mains de part et d'autre du délicat visage de sa fiancée, il l'embrassa à pleine bouche et titilla ses lèvres de la pointe de sa langue. Après quelques longues et délicieuses secondes, il s'éloigna d'elle, légèrement pantelant.

"Ce serait dommage que tu oublies le goût de Pentos."

Se détournant de sa douce, il reprit la coupe et lui tourna le dos pour y jeter un coup d'oeil. Etant donné la petite quantité servie, c'était un vin rare. Peut être un de ceux des Îles d'Été, ou un de Lys, même si il se doutait que cela puisse être du Auré de La Treille. Il retrouvait la marque de Desmera de réserver le meilleur pour la fin. L'affamer jusqu'au bout pour enfin le nourrir de ce que son corps languissait tant... Belle comparaison avec leurs fiançailles. Plongeant son nez, il reconnut ce nectar, enfin une note des plus familières. Les Hightower avaient accès à ce genre de délice. Humfrey but une longue gorgée et secoua la tête de plaisir devant le bouquet d'arôme. D'un autre côté, l'alcool lui montait à la tête. Il se sentait joyeux et une douce chaleur tapissait sa peau. Malgré sa vision assombrie, il le mettait sur le compte de la pénombre de la cave. Avec un dernier sursaut de conscience, il regarda si aucun serviteur n'était présent avant de répondre à Desmera :

"Une robe jaune pâle, arômes de poires et d’agrumes confits sur une touche de miel. C'est sirupeux en bouche mais avec la délicatesse de la soie."

Il se retourna vers sa fiancée et recula de quelques pas dansants avant de rajouter à voix brisée, tout en regardant le sol :

"Je me demande si tu as ce goût... Ma petite Auré de la Treille."

Fier de sa sortie, passablement rendu joyeux par le vin bu à jeun après un exercice, Humfrey n'entendit ni ne vit Desmera se rapprocher derrière les tonneaux. Que les foudres de chêne les cachent à la vue des serviteurs, il en avait conscience mais étrangement sans aucune arrière pensée immédiate. Par contre, il entendit parfaitement ce qu'elle lui demandait d'une voix des plus langoureuses. Certains disent que les mots suffisent parfois à prendre une douche froide et en être calmé pour un moment. Ce fut l'inverse pour Humfrey. Ce fut telle l'éclatement d'un brasier sous l'appel de l'air. Un feu intense ne demandant qu'à brûler et dévorer tout sur son passage. Se retournant, la bouche entrouverte devant tant d'outrecuidance de la part de Desmera, le chevalier en fut pour son compte de se retrouver nez à nez avec son aimée.

Le souffle court, il se figea de longues secondes durant. Il voyait la poitrine de sa promise se soulevait de son souffle brûlant et envoûtant, sa peau rougie par les longues semaines de torture mutuelle. Même dans la pénombre, Humfrey pouvait deviner ses yeux vairons, si délicieux à admirer, dilatés par leur désir et ses lèvres gonflées par son dernier baiser des plus virulents. Il n'y eut pas de pensées pour les Sept, aucune hésitation.  Il se saisit simplement de Desmera pour l'attirer dans ses bras et glissa ses mains dans son dos. Agrippant sa longue chevelure auburn, il lui tira la tête légèrement en arrière pour l'embrasser avec passion et découvrir son cou qu'il ne tarda pas à dévorer à son tour. Empêtré dans le mélange de ses pensées, de son désir aux derniers échos de son honneur, il n'était pourtant obsédé que par une question : était il plus rapide d'ouvrir le corset de Desmera ou lui trousser cette charmante robe ? Son corps répondit à la question lorsque ses doigts se trouvèrent empêtrés dans le délicate laçage en soie. Il tira dessus, libérant ainsi les objets de son désir. Y glissant sa main, aussi fébrile que brûlante, Humfrey leva les yeux vers Desmera.

"Es tu sûre ?"

Le regard de son aimée en dit long. Aussi Humfrey plongea la tête la première en eaux troubles.


Maître Perwyn régnait d'une main de fer sur les caves de La Treille depuis près de trente ans. Il servait Dame Desmera avec la même loyauté qu'il avait eu pour son père, et son père avant lui. Palais le plus de Sept Couronnes, à son humble avis, il était un homme modeste sorti de son domaine. Infernal sommelier, sa tolérance passait pour de la gentillesse. Perwyn considérait seulement qu'étant un maître de son état, il pouvait bien laisser respirer les autres. Il savait sa prestance et son orgueil bien assez lourds pour ceux servant sous ses ordres.

Dans son éternelle course à la perfection, il errait des jours durant dans les caves de l'île. Voilà longtemps qu'un coup de nez lui suffisait à comprendre si tel ou tel vin était mûr. L'art de l'assemblage n'avait plus aucun secret. Or, plongé dans une nouvelle composition à destination du Magistrat de Pentos  - rien que ça - il savait qu'une base d'Auré de La Treille lui permettrait d'atteindre la quasi perfection. Il savait où trouver un tonnelet de cette merveille. Il s'y dirigeait à grand pas, absorbé par ses créations lorsqu'il entendit un bruit. Il se rappela alors que Dame Desmera avait demandé à pouvoir montrer à son jeune fiancé, un charmant chevalier de son propre jugement, les secrets de son art. Pourtant, le bruit qu'il entendait n'était pas réellement de la conversation... Passant prudemment la tête à l'orée d'une rangée de tonneaux, Perwyn put découvrir sa maîtresse adossée au solide chêne. Son promis prenait un plaisir autrement différent que la dégustation du vin, la tête nichée entre ses seins.

Papillonnant, le maître sommelier détourna le regard, non sans s'assurer qu'aucune chasteté n'avait été brisé. Voilà des raisins bien mûrs. Que jeunesse passe ! grommela le vieil homme tout en quittant la cave pour se poster à son entrée. Il avait eu son lot d'aventures dans les corridors humides et sombres de La Treille. Tant que la virginité de sa dame était préservée, il pouvait bien fermer les yeux. Heureusement que des canailles à la langue trop pendue ne l'avait pas surprise ! Une Mathyld ou un Arthur aurait tôt fait de faire courir les plaisirs de Dame Desmera et son chevalier servant sur toute l'île... Heureusement, Perwyn veillait au grain, le regard dur. Du moins un certain temps, lorsque les gémissements et autres grincements eurent atteint un quasi point de non retour, promettant des besoins bien plus pressants, le sommelier retourna dans la cave et s'éclaircit bruyamment la gorge:

Si monsieur a fini de... hum... aider madame à relacer sa robe pour l'aider à respirer, pourrai je s'il vous plaît accéder à l'Auré que vous gardez précieusement ? C'est pour l'assemblage du Magistrat, Lady Desmera.

Humfrey découvrait un énième monde de plaisir aujourd’hui. De l’équitation au vin, il était passé d’une passion à un plaisir. Maintenant, il vivait une extase. Alors que son visage épousait les contours de la poitrine de Desmera, il explorait une nouvelle facette de son aimée. Là où sa peau semblait si délicate et goûtait la pêche, le chevalier titillait d’autres saveurs dans le creux de ses seins. La poudre de son maquillage se mêlait à la senteur de son parfum, de ses soies mais également la touche légèrement acide de la sueur. Mais surtout il ressentait son désir à travers ce mélange. Le sang palpitant derrière la peau brûlante, il se mit à l’embrasser puis mordiller le renflement déliceux.

Voilà des grappes qui l’intriguaient bien plus que nécessaire. Affamé par les semaines de résistance, Humfrey se laissa porter par l’instinct de tout homme de retourner au sein (presque) maternel. Repoussa le corset d’un coup de nez, il mordit doucement sa proie ainsi découverte. Le sang battant aux tempes, il sentit son corps se coller un peu plus contre Desmera. Il n’était qu’à deux doigts de ne vouloir faire qu’un, à défaut de les glisser dans le battant d’une porte pour se calmer. Ainsi ses mains agrippèrent fermement les hanches puis les fesses de sa fiancée, ou amante à ce stade, pour mieux la trousser en tout bien tout honneur. Son méfait aurait été accompli sans l’intervention bienvenue – malvenue – de ce toussotement insupportable.

Il eut pour bénéfice de faire l’effet d’un coup de fouet. Se redressant, rouge pivoine, Humfrey se découvrit les mains pleines comme si jusqu’à présent il n’avait pas conscience de ses faits et gestes. Il dut, à regret, desserrer ses doigts des chairs moelleuses de Desmera et attrapa avec fébrilité les lacets du corsage. Gêné d’avoir été pris la main dans le sac, son propre glaive frôlant encore à travers son fourreau la robe de sa fiancée, le chevalier mit quelques longues minutes à réussir à remettre le corsage en place puis il s’éloigna d’un pas. L’excuse offerte par l’homme était des plus généreuses. Il espérait sincèrement qu’il saurait tenir sa langue.

« Mon plaisir ma dame. Je ne doute pas que vous allez respirer à merveille maintenant. »

S’il s’était éloigné de Desmera, il n’osait pas faire face à l’homme. La vue de son problème était une honte. Il profita que sa promise détourne l’attention de l’homme pour s’éloigner à grands pas et revenir derrière les coupes et flacons encore disposé sur les tonneaux. Pas encore horrifié par son acte, il ne demandait qu’à redécouvrir la gorge de Desmera en pleine lumière. Leur nuit de noce risquait bel et bien de ne pas aider au sommeil du château pendant de longues lunes. Et même longtemps après espérait-il.

« Excellente idée que d’aller manger. Je crois que le vin me monte un peu à la tête. »

Avec entrain, Humfrey salua l’homme de la tête et vint offrir son bras à Desmera. Lorsqu’ils se furent éloignés, il la relâcha. Il craignait par trop de se jeter à nouveau sur elle, avec cette fois un public bien visible.

« Je ne sais pas qui est ton serviteur mais j’espère qu’il sait tenir sa langue… »

Se passant la langue sur les lèvres, il goûta à nouveau un peu de son aimée et en frémit. Mais se découvrit une réelle faim et sentit son ventre gargouiller. Il baissa ses yeux vers le criminel puis les remonta vers Desmera. Il l’embrassa tendrement :

« Je crains devoir manger seul… »

Il l’embrassa sur le front.

« Je ne sais pas si je tiendrai Desmera. »

Humfrey était sincèrement inquiet en ce qui concernait l'homme qui les avait surpris. Non pas pour lui, au contraire ses frères et autres chevaliers auraient tôt fait de célébrer son charme ravageur et sa capacité à briser la volonté de la plus douce des demoiselles. C'était pour la réputation de Desmera qu'il s'inquiétait. Il suffisait d'un rien pour sa vertu et son honneur disparaisse à l'orée d'une mauvaise langue. Ce qu'ils avaient été surpris à faire était limite mais bien qu'encore chaste. Rien n'était plus aisé de réarranger l'histoire. Un frisson le parcourut à l'idée de voir hommes et femmes dénigrer son aimée. Rien que pour cela il leur bouclerait le clapet, que ce fut à coups de mots ou d'épée.

Desmera sut le rassurer et il espérait sincèrement que ce fut le cas. Si Perwyn devait parler, au moins saurait il qui confronter et remettre à sa place. Un sommelier, aussi maître fut il dans son domaine, obéissait aux règles de bienséance et sa discrétion vis à vis de sa maîtresse et son futur maître était clé ! D'une certaine façon, Humfrey avait une dent contre l'homme. Son coeur battait encore la chamade de son embrassade avec Desmera et l'appel de ses lèvres, peu lui importaient lesquelles, était violent. Il aurait aimé encore être dans une moite chaleur autre que celle des caves. Il serra brièvement Desmera dans ses bras puis la laissa se séparer de lui à regret.

« Va mon coeur. Courage dans tes corvée. Puissent elles te détourner de nos pensées... »  

Pour sa part, il filerait probablement au champ de courses ou s'entraîner à l'épée. Humfrey savait parfaitement quelle tentation l'attendait dans sa chambre. De celles que le Père et le reste de Sept condamnaient. Probablement bien pire que de coucher avec Desmera. Avec une énième pensée pour la Jouvencelle, restée pure de peu, le preux chevalier du Guerrier s'éloigna.

(fin)