Aux Sept, au Bief et au roi

Les prières se mêlaient aux lourdes senteurs venues de l'Orient et la chaleur des fidèles contrastait avec la fraîcheur des dessous du septuaire. La cérémonie battait son plein alors que le soleil n'était même pas encore couché. Les mœurs des Sept se débridaient avant le Concile. Les esprits échaudés trouvaient une catharsis dans leurs amples mouvements de hanches, goûtant à l'ambroisie païenne des lèvres des Septon et Septa d'un soir. Un banquet accueillait ceux qui sortaient du temple. Les hommes rivaient leurs bouches à une nouvelle forme de mollusque tandis que les femmes découvraient - ou redécouvraient - ces instruments à anche. Parfois, les premiers jouaient volontiers de la flûte tandis que les secondes se régalaient de leur festin.

En d'autres termes, la gargantuesque partie de bigoterie débridée atteignait peu à peu son apogée. Tel le lion des plaines aux babines rebroussées, les gestes allaient crescendo, les plaintes se transforment parfois en cris de surprise - ou de déplaisir. Les gestes se faisaient nerveux et même les musiciens atteignant leur Ferrance, cet état de grâce où les actions semblent alors se présenter de façon très claire et naturelle. Les tambours montaient crescendo au rythme de ces guerriers de la Jouvencelle et de la Mère alors que flûtes et trompes témoignaient de leur sacrifice glorieux pour nourrir leur succube mélomane de maîtresse divine. Une unique viole, ô instrument atypique, menait la danse des pieux.

S'y mêlaient l’amour; le rire, le chagrin; la colère; l’énergie; la peur; le dégoût; et l’étonnement. Qu'il n'y avait pas être surpris de cette bouche incandescente propre à faire frémir votre âme au rythme d'une quadrille ? Pourquoi ne pas être dégoûté par cette bedaine grasse et outrageant sous les graves basses ? Les vibrations aiguës et grinçantes de l'horreur agréable devant les dimensions de son compagnon ? Horrifiantes. Que dire de ce sentiment d’héroïsme, de bravoure, de majesté, de gloire, de grandeur et une sorte d’excitation noble, une certaine fierté devant le souffle court ? Et cette série d’ornements rapides et "tremblants" de la colère explosive de certains puissants auxquels répond la pathétique, triste et pleine de larmes euphorie de leurs vassaux ? Les tambourins joyeux ne répondaient ils pas à la surprise et l’étonnement, la gaieté et même une légère peur, comme lorsque l’on vit une expérience nouvelle, étrange ? Enfin l'amour lui se passait de mots dans ce lieu à la décence farouche.

Fade et morne figure, Gyl trônait au milieu des convives, assis sur un couffin à même le sol. Autour de lui les premières victimes de la guerre sauvage qui se déroulait dans le Septuaire se reposaient accompagnées de, bien rares, abstinents. Le chevalier ne pouvait que faire partie de ces derniers malgré la chaîne porteuse de l'étoile à sept branches qui pendait autour de son cou. Son regard éteint se portait parfois sur les poitrines des femmes sans une pointe d'excitation. Seul le vin sanglant qui éclaboussaient leur prude atouts éveillait de vagues sensations dans son bas ventre. Avec un gémissement, il attrapa sa lourde coupe et y but le vin amer et sec qu'il s'était servi. Une piquette fade.

La soirée se déroulait très bien. Il avait joué, gagné puis rejoué pour mieux perdre. Buvant et festoyant dans l'antre de ses anciens suzerains, Gyl pensait reconnecter avec la vie et les vices. Pourtant, même au coeur de la Foi et sous la lumière des dieux, il n'avait ressenti qu'un grand vide. Un épuisement moral profond. Son esprit ne pouvait que remonter aux gémissements des blessés sous les murailles de Hautjardin, guère ceux éloignés des chuchotements effrénés des conversations autour de lui. Nombreux étaient les seigneurs du Bief qui s'étaient joints pour prier en cette fin d'après midi. Les occasions de se réunir étaient si rares. Ils se devaient autant communier que comploter. Mais à cette heure, Gyl n'avait goût ni pour l'un ni pour l'autre.

Quel déplaisir. Un déplaisir auquel vint s'ajouter une silhouette non moins gironde, bien que petite. Aussi délicate que fine, elle arrivait à lui gâcher la vue, non pas que Gyl eut grand chose à observer si ce n'était les amers souvenirs au goût de cendre qui le hantaient. Reposant sa couple, il leva ses yeux noisette vers celle qui osait pénétrer dans son espace personnel et tendit la main pour l'inviter à prendre place près de lui. Loin d'être saoul, il savait reconnaître ses pairs bien qu'il ne soit pas attendu à la trouver ici. Il s'inclina doucement et reposa sa coupe près de lui avant de tourner son regard vers elle avec un léger sourire sous sa barbe bien taillée :

"Dame Desmera, j'espère que vous vous portez bien. Nous nous sommes pas croisés jusqu'à maintenant. Toutes mes condoléances pour votre père et vos frères... Leur sang ne méritait pas de couler. Seriez vous venue recommander leur âme aux Sept ou simplement profiter du banquet de retrouver les nôtres ?"

Gyl savait que son épouse entretenait des relations des plus étroites avec les Redwyne par le mariage. Il n'aurait pu dire s'il s'agissait d'une soeur ou une d'une tante. Ce qui lui importait c'était que les Du Rouvre et les seigneurs de La Treille ne frayaient généralement pas. Ce n'était pas tant pas conflit que désintérêt mutuel au fil des siècles. Les premiers régnaient sur la terre ferme et le nord du Bief alors que les seconds sur les mers et les îles du sud du royaume antique. Pour ce qui était du reste ils étaient très similaires : antiques maisons de chevaliers, liées par le sang aux Jardinier et connus pour leur robustesse. Moins adepte du compromis que les Hightower toujours prêts se baisser pour survivre, Gyl voyait presque en les Redwyne le véritable mur de chêne du Bief. Plus que les maisons du Bouclier incapables de se mettre d'accord sur une marche à suivre et qui préféraient mettre des bâtons dans les roues des leurs.

Le regard posé sur Desmera, Gyl ne put s'empêcher de remarquer à tel point elle était différente de son épouse. Là où Ireyne était tout en courbes à attraper à pleines mains avec une délicate carnation et des cheveux aussi soie que le soie mais rayonnait comme le blé au soleil, la dame Redwyne présentait les traits typiques de sa maison. Avec ses traits fins et sa carrure non pas moins frêle - non point autant que sa propre mère - elle était plus délicate et plus froide dans sa beauté. Au moins ne tenait elle pas de ses frères, puisse les Sept veiller sur leur âme, Horreur et Baveux nommés pour une bien bonne raison. Il se murmurait des critiques vis à vis de leur loyauté pendant la guerre mais Gyl avait du mal à blâmer leurs actes. Lui même s'était tenu éloigner des Lannister... pour mieux combattre sous leur bannière lorsque sa mère l'avait exigé. Seule la trahison des Tyrell l'avait poussé à rompre son serment, bien le seul Du Rouvre à le faire tandis que vivait son frère Arys à la Garde Royale. En d'autres termes : il ne valait pas mieux qu'eux. Seule une existence honorable et le respect des Sept rachèteraient leurs fautes à tous. Gyl salua de la tête Dandelion avant de répondre à Desmera:

"Je suis venu prier Desmera et lorsque je suis sorti de l'autel du Guerrier, on m'a convié à cette fête. Je n'étais pas d'humeur et j'ai cru qu'un verre de vin pourrait me dérider. Je me suis trompé hélas. Maintenant je veille que certains imbéciles avinés ne profanent pas le septuaire dans leur insouciance."

S'il ne portait pas son marteau de guerre à la ceinture, Gyl restait pas moins un solide chevalier musculeux et capable d'arrêter quiconque voudrait insulter les Sept. Il doutait cependant que ça arrive. Avec un soupir, il attrapa sa coupe et en but une longue gorgée acide :

"Je vous proposerai bien d'y goûter mais ce serait insulter votre palais que de boire cette piquette. Je crois qu'ils servent du La Treille et des vins de Myr et Pentos si vous le désirez, je puis allez vous en prendre une coupe."

Son regard, fier et pieux, se porta vers les hauts murs du septuaire.

"La Foi est au cœur de la maison Du Rouvre comme vous le savez parfaitement. Nous avons de tout temps soutenu le Grand Sept pendant les Guerres de la Foi, horrifiés par l'inceste valyrien. Seul l'Exceptionnalisme a su nous réconcilié, bien que je déplore la disparition de la Foi Militante et des Pauvres Compagnons, ils savaient tenir les masses les plus extrêmes parmi nos coreligionnaires. Je crains que ces soit disant Enfants du Berger ne jettent l'opprobre sur les vrais croyants et sur le Concile... Qu'en pensez vous Desmera ?"

Lorsque la dame Redwyne repoussa son offre de partager une coupe avec lui, Gyl ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait bien assez bu de cette piquette et passer à des vins plus gourmets ne le tentait absolument pas. Il reposa à nouveau sa coupe, non sans une dernière gorgée tandis Desmera lui répondait. Il ne pensait pas les Redwyne aussi peu concernés par la religion. Par leur proximité avec Villevieille il aurait cru avoir affaire avec quelqu'un de plus concerné par la voie des Sept. Peut être que ne pouvant accéder aux Fils du Guerrier comme aux Pauvres Compagnons par son statut de femme noble, elle n'avait pas été bercée de la même manière par le Jugement des Sept de Maegor, ou le sauvetage héroïque de Jeyne par Ser Hill.

A vrai dire, l'héritier du Vieux Rouvre ne pensait plus nécessaire l'établissement d'ordres guerriers au service du Grand Septon. Les trois cent dernières années avaient vu son influence politique être réduite à peau de chagrin. Tous savaient que les deux Grand Septon avant le Grand Moineau étaient des créatures Lannister. Et ces derniers avaient étouffé dans les flammes et les pleurs les prétentions du premier. Pourtant, le conflit récent polarisait encore aujourd'hui les relations entre la religion et les pouvoirs en place. Les crispations autour de ces questions n'apportaient que malheur et radicalisation des idées au grand dam de Gyl. Il hésita un instant à aborder le sujet avec Desmera avant de finalement se jeter à l'eau. Advienne que pourra.

"Les Fils du Guerrier comme les Pauvres Compagnons sont des idées du passé si vous voulez mon avis. Autrefois, lorsque la discorde régnait dans les Sept Couronnes il était compréhensible de pouvoir faire entendre la voix du Grand Sept et la paix des Sept... L'avènement des Targaryen ont montré leur limite et seul la grâce du roi Jaehaerys ont su préserver la paix en instaurant l'Exceptionnalisme. Vous parlez des Enfants du Berger comme d'une véritable institution religieuse mais qu'en est il vraiment ? Un soulèvement populaire, à peine capable d'offrir un vrai point de vue théologique..."

Gyl leva les yeux vers le Septuaire et eut une pensée pour l'Aïeule, la Mère et le Père, puissent ils lui apporter la force et la sagesse dans ses propos.

"Le cœur du problème c'est d'avoir décapiter l'hydre que représente le pouvoir de nos Pères. Sans un Grand Septon et leurs Saintetés pour le guider, le peuple se retrouve abandonné. Après la guerre, le ravage des Lannister, Targaryen et autres dothrakis, il aurait dû pouvoir se tourner vers la miséricorde des Sept."

Gyl prit une profonde inspiration :

"De l'abîme, j'ai crié vers Vous, ô Sept. Et seul le silence leur a répondu. Je comprends cette colère et j'aimerais y remédier. Tout d'abord en écrasant ceux qui osent s'élever contre l'ordre naturel des choses. Vouloir écraser le droit des nôtres à régner est une erreur qui ne peut être toléré. Le silence ne doit pas avoir lieu au Concile ! Nous sommes le Bief, le coeur de la Foi histoire et à venir. J'espère au contraire aborder la question. Réunir noblesse et Foi à nouveau, réformer cette dernière peut être. Tel est notre devoir à la tête du peuple."

Il regarda de biais Desmera :

"Vous croyez que je suis un fanatique assoiffé de reconnaissance n'est ce pas ? Je sais les rumeurs qui courent sur certaines maisons du nord du Bief. Croyez vous vraiment que je tolérerai la violence du peuple envers les nôtres ? Que certains désirent se retrouver au sein de camps et y vivre selon les vieux préceptes, soit. Mais qu'ils osent lever la main sur d'autres fidèles. Jamais."