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Lune 3, 297— Dis, Jansen, tu peux me raconter comment Papa et Maman se sont rencontrés ?
Les tresses d’Ombline tressautent dans son dos alors qu’elle tourne autour de son frère aîné Jansen. Ce dernier se baisse pour la saisir et la faire assoir sur le rebord d’une fenêtre, avant de s’installer à côté.
— Tu ne veux pas une autre histoire, avant que je ne retourne chez les Tyrell ?
Ombline secoue la tête. Quand bien même son frère aîné n’est revenu à la maison que pour le mariage de leur oncle et qu’il retournera dès le lendemain auprès de leur suzerain pour continuer son apprentissage de chevalier, il n’y a que cette histoire qu’elle veut entendre de sa part. Il la raconte bien mieux que sa septa et elle n’ose pas demander à leurs parents.
— Il y a très, très longtemps, Père se rendit à Dorne sur l’ordre de notre suzerain, dans l’espoir d’apaiser quelque peu les tensions entre nos royaumes. Il y rencontra Mère et d’un regard, ils tombèrent profondément amoureux.
— Sauf que Maman, elle voulait pas être amoureuse de Papa !
— Exactement ! Mais Père ne l’entendait pas de cette oreille. Il passa cent jours et cent nuits à la courtiser. Il finit par la convaincre de partir avec lui, cependant sa famille s’y opposa. Père crut qu’il repartirait de Dorne avec un cœur brisé.
— Et Maman brava l’interdiction de sa famille pour le suivre et l’épouser, et c’est comme ça qu’elle devint la Dame de Cendregué !
Un rire secoue Jansen et il lève la main pour la frotter contre les cheveux d’Ombline.
— Pourquoi tu me demandes cette histoire alors que tu la connais par cœur ?
— Parce que !
Son aplomb fait redoubler d’hilarité son frère, qui l’aide à se remettre sur ses pieds. Un soupir lui échappe cependant, alors qu’il attrape le col de la chemise que porte Ombline.
— Tu sais qu’un jour, les vêtements de Trevyr ne t’iront plus ? Va donc mettre une robe avant tes leçons, ou ta septa te punira sévèrement !
— Mais c’est moins pratique pour courir dans les couloirs !
— C’est le but. Un jour, tu seras la Dame de Cendregué et tu devras être aussi distinguée que Mère.
— Personne n’est aussi distinguée que Maman.
Ombline roule des yeux comme s’il s’agissait d’une évidence, avant de courir en direction de sa chambre.
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Lune 11, 298— Quand rentrerez-vous ?
Ombline s’accroche au bras de son frère jumeau Trevyr, alors que leur père s’agenouille devant eux. Elle n’est pas sûre de comprendre pourquoi il part, mais il s’agit d’une demande de leur suzerain, alors ça doit être important.
— Je l’ignore. Ser Loras Tyrell rassemble des hommes pour permettre au véritable roi de monter sur le trône. Jansen et moi ne rentrerons peut-être pas avant la prochaine année, mais j’espère être là pour votre anniversaire.
— Mais n’est-ce pas Joffrey Baratheon, le vrai roi ? demande Trevyr.
Leur père soupire, le regard à la fois doux et inquiet.
— C’est compliqué. Comme toutes les histoires de la Cour. Promettez-moi de veiller l’un sur l’autre, d’accord ? Trevyr, ne sèche pas tes entraînements, ni ne néglige tes leçons.
Le garçon hoche la tête et leur père le récompense d’un sourire fin, avant de se tourner vers Ombline. Cette dernière se cache derrière son jumeau, mal à l’aise par la gravité qu’elle observe sur son visage. Ce n’est pas son air normal. Il est jovial d’habitude.
Il y a un mauvais pressentiment qui lui serre le ventre, alors que son père la saisit par le bras pour la tirer face à lui. Il lui caresse doucement la tête, avant de renouer dans un soupir amusé le ruban de sa tresse.
— Je sais qu’une femme n’est pas censée se battre. J’ai toléré que tu apprennes le tir à l’arc parce que je ne sais pas dire non à ta mère.
Un rire bref échappe à son père, avant qu’il ne défasse un lien à sa ceinture et lui tende un étui de cuir. Ombeline tend les mains pour recevoir son cadeau, avant de tirer sur la poignée qui dépasse de l’étui. Elle cille devant la lame, avant de relever les yeux vers son père.
— Continue aussi à t’entraîner. Et garde mon couteau de chasse jusqu’à ce que je sois rentré, d’accord ?
— Père… ?
Ce dernier se contente d’un sourire triste, alors qu’il pose ses mains sur les siennes pour rengainer la lame et refermer ses doigts fins sur l’étui.
— Les temps à venir ne seront sans doute pas simples et je refuse de vous perdre. Trevyr a son épée, toi, tu as ce couteau. Ne t’en sers que si tu n’as pas d’autres choix.
Ombeline observe son père se redresser lentement, recevant son baiser sur le front avec une incompréhension mêlée d’inquiétude. Pourquoi pense-t-il qu’elle pourrait avoir besoin d’une arme ? Elle sait que la vie en-dehors du château est rude et violente, mais au sein des murs de Cendregué, que devrait-elle craindre ?
—Ne donnez pas trop de fil à retordre à votre Mère, d’accord ? Et n’oubliez pas que vous êtes ma fierté. Je vous aime.
Ombeline ne peut que regarder son père faire ses adieux la boule au ventre et accrochée à Trevyr comme une moule à son rocher.
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Lune 2, 299— Jansen, tu me promets de pas mourir ?
Son frère aîné se contente de serrer sa main en silence, les yeux rivés sur le tombeau de leur père. La Bataille de la Nera lui aura coûté la vie et Ombline est en colère. Plus qu’elle ne le voudrait.
Leur père n’avait pas le droit de mourir ainsi. Pas aussi loin de la maison. Elle devait lui rendre son couteau à son retour. Ils devaient chasser à nouveau ensemble. Il devait être là pour le douzième anniversaire de Trevyr et elle.
Elle déteste les hommes et leurs conflits stupides.
— Je ne peux pas faire de telles promesses. Tu le sais très bien, chuchote finalement Jansen.
Son grand frère s’agenouille finalement à sa hauteur, avant de poser une main dans son dos. Ombline croise son regard et n’aime pas la lueur grave qu’elle voit dans les yeux aussi sombres que les siens.
— Les gens murmurent dans notre dos, encore plus depuis que Père est mort. C’est pour ça que j’ai une demande à te faire.
Ombline se doute de sa demande avant même qu’il n’ouvre à nouveau la bouche. Autant leur père n’avait que faire des ragots, autant Jansen en est bien plus affecté.
— Donne-moi ton arc.
— Maman me l’a offert ! Et Papa voulait que je le garde ! se défend-t-elle.
L’enfant sait pourtant que rien ne pourra détourner Jansen de son choix. S’il y a bien quelque chose de commun à tous les membres de leur famille, c’est l’entêtement.
— Ce n’est pas digne d’une dame. Je n’ai pas d’autre choix, Lili. Tu n’es plus à un âge où cela est tolérable. Donne-moi cet arc.
— Et ce n’est pas digne d’un frère de faire pleurer sa sœur !
Il y a des larmes au bord de ses yeux alors qu’elle recule de quelques pas. Elle ne veut pas pleurer, pas à cause de Jansen. N’a-t-il pas conscience de ce qu’il lui demande ? C’est contraire aux derniers mots de leur père. Est-ce que cela n’a-t-il pas d’importance à ses yeux ?
— Je suis ton seigneur, maintenant. Plus seulement ton frère.
Évidemment. Son frère est comme tous les autres nobles de la région. Pourquoi a-t-elle pensé qu’il en serait autrement ? Ce n’est pas parce que leurs parents les ont éduqués que Jansen est imperméable aux réactions extérieures.
Ce n’est pas digne d’une dame. Oh, comme ces mots la hante depuis son enfance. Pourquoi ne peut-elle pas faire les mêmes choses que ses frères aux yeux des autres ? Qu’est-ce qui justifie qu’un arc soit une honte entre ses mains et un honneur entre celles de ses frères ?
Ombeline serre les poings et redresse le menton.
— Je vous déteste, Monseigneur.
Que Jansen garde son arc s’il le souhaite. Elle ne sera jamais la dame qu’il rêve qu’elle soit pour autant.
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Lune 11, 299— Je suis désolée, tu sais. J’aurais pas dû te crier dessus.
Ombeline hoquette à travers ses larmes, recroquevillé contre le nouveau tombeau dans la crypte familiale.
— T’avais pas le droit de partir sans que je puisse te dire au-revoir.
Elle regrette de ne pas avoir salué Jansen alors qu’il repartait guerroyer, perdue dans sa colère. Oh, qu’elle voudrait qu’il l’enserre dans ses bras et la pardonne, plutôt qu’elle doive trouver du réconfort dans la pierre froide et humide.
Trevyr lui fera sans doute des câlins quand elle remontera. Il n’aime pas mettre les pieds dans la crypte. Elle comprend et ne lui en veut pas. De toute façon, elle veut être seule pour digérer ses remords.
Sa colère paraît si peu de chose en comparaison de l’amour qu’elle avait pour Jansen.
Aussi, lorsqu’elle aperçoit dans l’embrasure de l’entrée de la crypte la silhouette de son bâtard de frère, elle se terre un peu plus contre le tombeau, espérant qu’il lui fiche la paix. En vain.
— Je savais que tu serais là.
Duncan l’éclaire d’une torche et Ombline redresse la tête pour lui dire de partir, avant de voir l’objet qu’il lui tend. Un arc, bien moins orné que celui qu’elle avait auparavant et qu’elle devine plus puissant. Ses mots restent coincés dans sa gorge, alors que Duncan le lui pose de force entre les mains.
— Les temps sont sombres. Jansen songeait que tu en aurais peut-être besoin s’il mourrait.
— Mais, les convenances…
— Les convenances ne te sauveront pas la vie. Cet arc et le couteau de chasse de Père, si. Ne t’éloigne jamais trop de Trevyr et si quelque chose arrive, fuyez tous les deux par les souterrains. Rejoignez vos vassaux. Est-ce clair ?
Il y a une lueur dure dans les yeux de Duncan qu’Ombline comprend, maintenant. Cendregué ne sera pas forcément épargnée par les conflits actuels. Elle serre les doigts dur le bois sombre de l’arc, avant de demander :
— Pourquoi parles-tu de nos vassaux et pas notre suzerain ? Les Tyrell nous protégeront, je suis fiancée à l’un d’entre eux !
— Promets-moi. Les vassaux de la maison Cendregué. Personne d’autre.
Ombline ne comprend pas, mais Duncan doit mieux savoir qu’elle. Elle n’a que treize ans, après tout. Si peu de choses comparés aux vingt-trois ans de son frère. Alors elle acquiesce machinalement, avant qu’une question ne lui traverse l’esprit. Duncan n’a parlé que de Trevyr.
— Et nos cousins ? Et Mère ?
— Promets-le moi.
Duncan reste impassible et Ombline comprend qu’elle n’obtiendrait rien de plus de lui. Elle se remet sur ses pieds, avant de l’étreinte maladroitement.
— Je te le promets. Devant les dieux.
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Lune 2, 302— Bonsoir, Jansen.
Ombline s’avance pour s’assoir au pied du tombeau, une bouteille à la main. Elle l’ouvre sans plus attendre, prenant une gorgée avec un air de défi. Oh, sa mère lui passerait sans doute un savon si elle la voyait en ce moment, mais c’est l’avantage de la crypte ; personne n’y passe jamais ou presque.
Il n’y a qu’elle qui vient régulièrement chercher réconfort auprès des défunts.
—Je n’ai plus de fiancé, tu sais ? Tous les Tyrell ou presque sont décédés. On ne peut même pas transférer les fiançailles sur le fils cadet.
Ce n’était qu’un cousin éloigné de la famille Tyrell et pourtant, il était mort comme les autres, victime des manigances de Port-Réal et de la Cour. Pour une fois, elle bénit son ascendance demi-dornienne qui l’a écarté des positions enviables de dame de compagnie depuis qu’elle est devenue adulte.
Le mariage aurait dû avoir bientôt lieu. À la place, il n’y a plus que des enterrements. Encore. Et une terreur absolue due à l’absence de certitudes. Peu importe combien elle redoutait quelque peu ce mariage, elle savait qu’elle serait bien traitée par son époux. Père s’en était assuré. Mais maintenant ?
— J’ai peur. Maman pourra jamais trouver un aussi bon mariage. Quand c’était Père qui négociait, les autres maisons pouvaient passer outre ses origines, mais elle ? Ils lui cracheront dessus.
Ombeline ne se fait pas d’illusions. Elle ne s’en fait plus. Elle n’est plus une enfant. Les guerres de pouvoir ont fini par lui voler toute son innocence.
— Parfois, j’aimerai qu’elle ne soit pas de Dorne. Que Papa ait épousé quelqu’un d’ici. Est-ce que ça fait de moi quelqu’un de mauvais ?
Elle sait bien que non. Qui ne rêverait pas d’être mieux né ? Elle a pourtant conscience de sa chance d’être née noble, mais tout autant de la malchance d’être née femme. Elle aurait voulu être un garçon, comme ses frères. Pour être libre.
— J’ai peur de me marier à quelqu’un qui me détesterait pour les origines de Maman. Mais elle aura peut-être pas le choix. Ou Trevyr quand il aura l’âge de décider.
— Quand j’aurais l’âge de décider quoi ?
La voix de son frère jumeau retentit et elle relève les yeux, pour apercevoir sa silhouette à l’entrée de la crypte. D’un air de défi qu’il ne voit sans doute pas, elle reprend une gorgée de vin. Trevyr se contente de soupirer, alors qu’il se hâte de la rejoindre, crispé.
— Je ne te marierai jamais sans ton accord. Je te le promets.
Ombeline ne le croit pas un seul instant. Trevyr n’a pas le pouvoir de faire cette promesse. Il la mariera à qui voudra bien d’elle, ils le savent tous les deux. Ce n’est qu’un vain espoir.
— Viens. Le repas ne va pas tarder et tu as de la poussière partout sur la figure.
Sans rien ajouter de plus, Trevyr lui reprend la bouteille, avant de lui tendre la main pour l’aider à se relever.
Ombeline n’a pas le luxe du choix.
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Lune 9, 303— Bonsoir, Jansen. On a un nouveau Suzerain, tu sais ? Maintenant que la maison Tyrell n’est plus et que la guerre est terminée. Que… Tout ça est terminé.
Ombeline esquisse un vague geste en l’air, avant de lever sa coupe de vin et de la vider. Ce sera son seul verre de la soirée. Elle est soulagée. Elle ne perdra pas une personne de plus dans des conflits.
— Il s’appelle Bronn. Bronn La Nera. Le nom ne te dit rien, hein ?
Un rire lui échappe.
— Il était roturier avant d’être anobli. Tu n’imagines même pas à quel point ça engendre des mécontents.
Jansen en aurait sans doute fait partie, avant que leur mère ne lui tire les oreilles pour être aussi obstiné. Toutes leurs familles ont été roturières un jour, même si cela fait des siècles qu’elles existent. Bronn a le seul malheur d’être le premier de sa lignée.
Il est peut-être cependant suicidaire de faire de lui un noble de si haute importance. Il n’y a qu’à entendre les dires de son oncle pour le deviner. Trevyr est plus mesuré, mais il n’approuve pas non plus.
— C’est Trevyr qui lui a juré fidélité. Il est devenu le seigneur de la maison, maintenant. Maman l’estime assez âgée. Puis tu sais, je crois qu’elle est fatiguée de vivre sans Papa. Elle aura moins sur les épaules, maintenant.
Trevyr n’a certes que seize ans, mais il a la maturité nécessaire désormais pour gérer les affaires de Cendregué. Leur mère lui laisse petit à petit de plus en plus de tâches, effectuant lentement la transition. Dans quelques mois, un an tout au plus, Trevyr n’aura plus besoin de son aide ; peut-être de ses conseils, cependant.
La sagesse vient avec l’expérience et Trevyr en manque cruellement.
— Quant à moi… Hé bien, j’imagine que je ne tarderai plus à être de nouveau fiancée. Je ne serais peut-être plus capable de te rendre visite, bientôt.
Elle a déjà seize ans. Elle a saigné pour la première fois il y a longtemps déjà aux yeux du monde et maintenant, les conflits ne sont plus une raison suffisante pour repousser une telle échéance.
— Peut-être qu’il est bientôt temps de te dire adieu.
Ombeline aimerait avoir encore un peu plus de temps.
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Lune 10, 303— Ce n’était pas un accident.
Ombline tremble, cachée derrière la statue de Jansen. Elle porte la bouteille de vin qu’elle a piquée aux cuisines à sa bouche, avalant tant bien que mal une gorgée. Elle n’arrive toujours pas à réaliser. Elle a prié pendant des heures avoir été flouée, que ses yeux lui aient joué un fort vilain tour, en vain.
— J’ai vu notre oncle se disputer avec Maman et la pousser dans les escaliers.
Il y aura bientôt une statue en plus dans la crypte.
Leur mère n’a pas survécu à sa chute.
— Ce n’était pas un accident.
Ombeline boit une nouvelle gorgée, la boule au ventre.
— J’ai peur, Jansen. Si peur.
Si son oncle l’a vue, elle est peut-être sa prochaine victime.
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Lune 11, 303Ombeline aurait préféré être la prochaine victime de son oncle.
Sous les yeux de leurs ancêtres, son oncle lui plonge impitoyablement la tête dans un baquet d’eau ; les supplications de son frère à quelques mètres lui parviennent étouffées, déformées, alors qu’elle lutte pour conserver l’air dans ses poumons le plus longtemps possible.
Elle a l’impression de brûler de l’intérieur alors que son oncle la redresse. Elle tousse, cherche de l’air, alors qu’il la maintient au-dessus du baquet. Autour d'eux, des hommes qu'elle connaît depuis l'enfance, qui préfèrent suivre le guerrier plus âgé que deux demi-dorniens. Combien ont tourné le dos à leur serment ? De qui devront-ils se méfier s'ils survivent à cette soirée ?
Ombeline a beau supplier du regard les chevaliers d'intervenir, espérant qu'ils se reprennent, aucun ne bouge, si ce n'est pour détourner le regard.
— Cesse d’être buté, Trevyr. À moins que cela ne te plaise de voir ta sœur souffrir ? Ou tu jures de m’obéir, ou elle replonge dans le baquet.
Ombeline croise le regard de son frère, le supplie silencieusement de ne pas céder. Cendregué mérite mieux comme seigneur qu’un homme comme leur oncle.
Mais elle est la seule faiblesse de Trevyr et il jure devant les dieux, la tête basse.
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Lune 1, 304— Bonsoir, Jansen. Désolée pour l’heure, je ne peux plus venir dans la journée.
Il faisait nuit noire lorsqu’Ombeline est descendue de sa chambre par la fenêtre et il fera toujours aussi sombre quand elle remontera. Elle n’a pas vraiment d’autres choix, si elle veut échapper à la surveillance de son oncle.
— Je reste dans ma chambre, la journée. Je dis que je suis malade. En même temps, après…
Ombline tremble. Elle n’arrive plus à s’approcher des rivières autour de Cendregué, maintenant, et elle ne saurait prendre un bain sans être terrifiée. Plus jamais elle ne veut ressentir à nouveau la sensation de se noyer.
— Je sais pas ce que je vais devenir. Je peux même plus parler à Trevyr sans que notre oncle le sache.
Elle aimerait tant parler à son frère, pourtant. Lui jurer qu’elle ne lui en veut pas, qu’il n’a rien à se reprocher. Elle aurait préféré mourir plutôt qu’il ne cède, pourtant. Maintenant, son avenir se présente bien sombre. Mais elle le blesserait en lui disant la vérité, alors le mensonge lui paraît plus supportable.
— Il… Il m’utilise pour manipuler Trevyr. Pour l’obliger à suivre ses conseils. Il me mariera forcément à quelqu’un qui acceptera que je serve d’otage.
Ombeline se saisit de la bouteille qu’elle a ramené et y boit en silence. Il n’y a rien de plus à ajouter.
L’enfer est ici, quoi qu’en disent les dieux.
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Lune 2, 305Ombeline s’adosse à la tombe de son frère en chantonnant. Il n’y a pas de bouteille de vin à l’horizon, aujourd’hui : elle se sent déjà bien assez euphorique pour s’en passer.
— Hey, Jansen, tu savais que notre oncle avait une bâtarde ? Il a engrossé l’une des servantes de Maman quand tu étais encore tout petit.
Un rire joyeux lui échappe. Elle ne devrait pas s’amuser de pareille situation, mais c’est plus fort qu’elle. Son oncle a passé son temps à reprocher à leur père d’avoir accueilli avec autant de facilité son bâtard, tout en dispersant lui aussi des bâtards à travers le fief de Cendregué.
— Duncan l’a appris de Maman. Elle s’est chargée jusqu’à sa mort d’entretenir mère et enfant. La bâtarde, elle s’appelle Meryan. Elle est devenue prostituée pour survivre, après le décès de Maman.
Une chose de plus à reprocher à son oncle, comme si la liste n’était pas déjà assez longue.
— Mais du coup, Trevyr peut la payer pour une nuit et je le rejoins en escaladant jusqu’à la fenêtre. On peut discuter sans que notre oncle le sache. On va s’en sortir. On a trouvé une solution.
Ombeline se retourne pour faire face à la sépulture de Jansen ; il y a une flamme d’espoir qui s’est rallumé en elle et qui lui donne le courage de se battre. Elle a des alliés. Elle n’est plus seule pour imaginer des moyens d’échapper à son oncle.
— Le plus simple, c’est de me marier à quelqu’un que notre oncle n’apprécie pas. Qui pourra me protéger de lui.
Un ricanement lui échappe alors qu’elle pose ses poings sur ses hanches.
— Je te vois venir. Oui, ça va être compliqué avec mon ascendance Dornienne, mais on a un plan.
Un plan loin d’être infaillible, mais elle préfère ne pas y penser pour l’instant. Mieux vaut penser au positif avant le négatif.
— Et tu me connais. Une fois lancée, on ne m’arrête plus. Et dans le pire des cas… Il y aura un tombeau supplémentaire ici. Désolé, Jansen. Je me préfère morte qu’otage à vie.
Cette décision, elle n’en a parlé à personne. Trevyr aurait pleuré en l’entendant dire ça, mais que peut-elle y faire ? Elle refuse d’être la faiblesse de son jumeau jusqu’à la fin de ses jours. Ils méritent tous les deux mieux.
Elle mérite mieux qu’une cage dorée.
— Que les dieux me protègent, Jansen. Je vais en avoir besoin.
Et pas qu’un peu.
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