La solution ➹ pv Ombeline

Bronn l’esquive depuis plusieurs jours.

Ombeline est bien des choses, mais certainement pas aussi stupide qu’elle peut le paraître. Elle sait reconnaître quelqu’un qui l’évite ; elle a passé des années à développer ce genre de stratégies pour échapper à ses frères lorsqu’elle le souhaitait.

Elle a passé des nuits à se tourner et retourner dans son lit en se demandant ce qu’elle a fait de mal. Est-ce le mariage princier à Lancehélion qui est la cause du changement de comportement de Bronn à son égard ? Ou se fait-elle simplement des idées ? Peut-être est-il préoccupé par tout autre chose qu’elle et qu’elle panique pour des prunes.

Peut-être qu’elle rira de sa propre erreur dans quelques temps. Ou peut-être qu’il ne lui restera que ses yeux pour pleurer.

Le regard de Merry lorsqu’elle lui a annoncé que Bronn l’attendait pour l’entraînement ne l’a pas rassuré. Sa cousine avait les yeux inquiets de celle qui n’arrive pas à savoir ce qui se trame ; Ombeline sait qu’elle déteste ce genre de situations et la comprend. Elle-même est bouffée par la nervosité et songe sérieusement à se faire porter pâle pour échapper à la confrontation. Cela n’apaisera certes pas son anxiété, mais au moins elle pourrait rester dans le déni encore quelques temps.

Ce serait cependant lâche et Ombeline refuse de l’être. Aussi, elle s’habille plus confortablement avant de rejoindre l’endroit choisi par Bronn pour leurs sessions. Elle doit avouer qu’elle n’aimait pas cette terrasse face à la mer, au début. Des flashs de souvenirs dansaient devant ses yeux et une peur rampante de tomber à l’eau lui tordait les tripes. Cependant, avec les entraînements, la jeune fille a réussi à apaiser ses terreurs ; Bronn a dû se poser des questions la première fois qu’elle a osé tremper ses pieds dans l’eau après leur entraînement pour se rafraîchir et qu’elle a souri de toutes ses dents.

Maintenant, elle arrive à plonger ses jambes jusqu’aux genoux. Une victoire sur son oncle qu’elle doit secrètement à son suzerain, sans aucun doute. Peut-être un jour arrivera-t-elle à nager à nouveau comme quand elle était enfant, sans peur de se noyer et de sentir l’eau remplir ses poumons.

Si Bronn ne lui tourne pas le dos et ne la renvoie à la terreur sourde d’être un otage dans les mains de son oncle.

Ombeline esquisse tout de même un sourire alors qu’elle s’approche de son protecteur, avant de se figer à sa salutation. Sobre. Trop sobre. Ça ne lui ressemble pas. Elle plisse les yeux, avant de croiser ses bras sur sa poitrine. Elle a peur de ce qui se cache là-dessus, mais elle refuse de le montrer. Elle a sa fierté.

— Il y a un problème, Bronn ?

Un soupir.

— Et ne me dites pas non. Vous n’êtes pas comme d’habitude. Les gens ne changent pas de comportement sans raison. Jamais.

Ombeline est bien placée pour le savoir.

— … Je suis le problème, n’est-ce pas ?

Ombeline n’arrive pas à formuler clairement ses pensées. Est-ce que son oncle a approché Bronn, malgré tout son mépris pour le noble parvenu, et a réussi à le convaincre de l’abandonner de nouveau à son sort ? Est-ce que quelqu’un les a vu s’entraîner et qu’il la lâche pour qu’elle subisse seule le poids des rumeurs ?

Son cerveau échafaude mille et une raisons depuis plusieurs jours ; elle en a à peine dormi et ses doigts se serrent d’angoisse. Pourvu qu’elle se trompe et qu’elle soit à des kilomètres de la véritable raison.

Par les dieux, qu’elle se trompe. Ombeline ne veut pas être un problème pour Bronn.

Un immense soupir s’échappe des lèvres d’Ombeline alors que Bronn nie ses affirmations. Elle fronce cependant ses sourcils alors qu’il s’emmêle les pinceaux dans ses propositions, un pressentiment lui serrant le ventre. Par précaution, elle s’assoit sur le muret tout de même, tandis qu’il lui tend une missive.

Un regard en diagonal lui fait comprendre ce qu’elle tient entre les mains et elle se fige. Elle tourne la tête vers Bronn, interloquée, avant d’additionner deux plus deux. Il veut l’épouser. Réellement. Ce n’est plus une vague idée lancée au milieu d’une conversation avec son frère pour se sortir des griffes de Morren.

Foutredieu, il parle même de ne plus aller aux putes, si c’est pas du sérieux.

Malgré tout, elle ne peut s’empêcher de rire nerveusement alors qu’il requiert son accord. Elle hésite un instant, avant de lui répondre en le tutoyant pour la première fois. Cette conversation s’annonce compliquée, alors autant être honnête de bout en bout.

Cette lettre, elle a aidé son frère à l’écrire.

— … Treyvir n’aurait jamais envoyé cette lettre sans mon accord, tu sais ? Il est un serpent, peut-être, mais mon jumeau avant tout. La dernière fois qu’il a agit dans mon dos, c’était pour voler de la tarte aux pommes aux cuisines. Maman lui a passé un tel savon que tout Cendregué l’a entendue le punir.

Il y a un nœud qui grandi dans sa gorge alors qu’elle serre ses mains sur le bord du muret. Elle ne lui a jamais parlé de Morren et de ses actes ; aujourd’hui, elle ne peut pas y échapper, mais elle ignore comment aborder le sujet.

— Pour être honnête, j’ai fini par penser que me prendre pour pupille était ta façon d’y répondre sans refuser directement.

Ombeline tourne autour du pot, avant d’inspirer profondément.

— Je… J’ai quelque chose à te dire, avant. Je ne t’en voudrais pas si tu retires ta proposition après m’avoir écouté.

Les yeux vers le sol, elle se saisit de l’outre de vin pour en prendre une gorgée. Elle est définitivement trop sobre pour cette conversation, mais elle n’a pas le choix. Elle clôt brièvement les paupières pour rassembler son courage, avant de chuchoter.

— Pour faire simple, mon oncle a tué ma mère, puis a fait plier Treyvir à ses volontés en me torturant devant lui. C’est pour ça qu’on a pensé à me marier. Pour ça que j’ai sauté sur l’occasion quand tu m’as proposé d’être ta pupille. C’était pour me protéger. Pour ma survie. D’ailleurs, c’était mon idée, à la base, de t’épouser. Dans le pire des cas, si je ne t’avais pas supporté, il n’aurait pas été très difficile de rallier le Bief contre toi.

Ses mains tremblent et ses yeux fuient le regard de Bronn. Admettre qu’elle a imaginé, un temps, assassiner son suzerain pour sa survie lui paraît d’autant plus difficile qu’elle apprécie Bronn, maintenant. Bien plus qu’elle n’aurait pu l’imaginer à l’époque.

Sa relation avec Bronn dépasse tous ses espoirs les plus fous et elle prie pour qu’il ne revienne pas sur sa proposition après avoir entendu dans quoi il met les pieds. Jamais elle ne trouvera un époux comme lui. Certes, elle ne l’aime pas comme ses parents s’aimaient, mais ils se respectent et s’entendent bien. Il y a bien pire mariage.

— Est-ce que tu veux bien me protéger quand même, dans ces conditions ? Je suis née pour respecter les tiennes. Je pourrais même fermer les yeux sur les putes. Je sais que les hommes ont des besoins et je ne peux pas t’assurer par avance que je saurais les satisfaire.

Ombeline nie avoir le bout des oreilles écarlates alors qu’elle repense à tout ce que Merry lui a raconté sur les relations hommes-femmes. Et encore, elle est certaine que sa cousine est restée la plus délicate possible.

Un poids tombe brutalement de ses épaules lorsqu’Ombeline se rend compte que son suzerain la croit à propos de son oncle. Elle n’est plus seule. Un hoquet lui échappe et elle tourne la tête pour ne pas montrer l’humidité dans son regard. Elle n’a plus à craindre que son oncle n’achève ce qu’il a commencé des années auparavant ; elle n’a plus à craindre d’être un poids sur ses frères.

Elle se sent enfin libre, encore plus que lorsqu’elle court sur les toits. Elle n’a plus à s’inquiéter que Morren arrive à ses fins.

— Je ne mentirai pas à ce sujet. Jamais.

Ombeline essuie rapidement les larmes de soulagement au bord de ses yeux, inspirant profondément. Treyvir et Duncan ne seront bientôt plus en danger à cause d’elle. Son jumeau sera bientôt libre de ses faits et gestes, prêt à aider de nouveau les habitants de leur domaine plutôt que de garder sa posture neutre actuelle.

Un rire lui échappe cependant à la remarque de Bronn ; il y a une lueur de malice dans ses yeux alors qu’elle souffle :

— La plupart des femmes ne rêvent-elles pas d’avoir un homme à leurs genoux ?

Ombeline ricane, avant de secouer la tête. Elle a toujours su qu’elle n’aurait pas le bonheur de ses parents, ou alors par une chance si incroyable qu’elle ne devait pas l’espérer. Elle ne s’est jamais imaginé qu’un homme puisse s’éprendre d’elle et la demander en mariage à genoux, alors elle préfère la demande de Bronn, à leur image à tous les deux.

Il la respecte et compte la protéger. Il n’a pas besoin de se mettre en scène alors qu’ils ne sont que tous les deux.

— Mais je n’exigerai pas ça de toi. Je ne me suis jamais imaginée me marier autrement que par devoir, de toute façon.

Peut-être qu’elle aurait rêvé du prince charmant, sans les murmures et les regards dans son dos, sans la certitude vivace qu’elle ne collait pas à l’image d’une demoiselle de la noblesse. Ses parents l’ont mise en garde dès son plus jeune âge ; quand bien même ils auraient tout fait pour lui trouver un parti agréable et qui prendrait soin d’elle, ils ne lui ont jamais promis de lui trouver l’amour.

Il y a des illusions qu’Ombeline n’a jamais connues, et c’est mieux ainsi.

— Alors j’accepte de devenir ton épouse.

Pour le meilleur comme pour le pire. Surtout le pire, à vrai dire, connaissant l’animal.