Les verres tintaient joyeusement au rythme entraînant de la musique, quelques gouttes de vin s'en échappant par moment. Au milieu du tourbillon coloré des robes portées par les nobles dames qui dansaient, Alcéaerys se tenait, plus à l'écart de la foule. Même si son regard était posé sur les nombreux danseurs, elle ne semblait pas concentrée sur ce qu'il se passait devant ses yeux. Elle remuait lentement son vin dans sa coupe dans un mouvement automatique, semblant s'ennuyer fermement. Pas qu'elle n'aimait pas ce genre de rassemblement, au contraire, mais depuis le décès d'Andar, elle n'avait plus dansé lors d'un banquet.

Après tout, de nombreuses rumeurs courraient à son sujet, notamment sur le fait qu'elle ne pouvait porter d'enfants. En réalité, ce n'était pas une incapacité à cause de ses gênes, comme certains se plaisaient à le dire, mais bien des avortements dus au thé de lune qu'elle avait ingéré dès que les symptômes d'une grossesse se présentait, refusant de porter l'enfant d'un homme dont elle n'était pas réellement amoureuse et dont elle n'avait jamais voulu. Quoi qu'il en soit, ces quelques rumeurs lui menaient la vie dure et il était plutôt rare qu'elle se fasse aborder, chose qui lui déplaisait.

Au-delà des alliances manquées, la valyrienne commençait à se sentir réellement seule. Depuis quand n'avait-elle pas pu parler à cœur ouvert avec l'un de ses proches ? Même si elle ne portait pas son époux dans son cœur, elle regrettait les moments passés à discuter et à partager leurs rêves sous les étoiles.

Poussant un lourd soupir, elle finit par se retourner pour s'éloigner de quelques pas et aller respirer un peu d'air un peu plus frais, ne supportant plus la chaleur régnant sous les tentes. Seulement, elle s'éloignant en quelques pas rapides, elle fonça droit dans un mur de muscles. Reculant d'un pas maladroit en bafouillant des excuses, Alcéaerys leva les yeux pour voir se dessiner le visage d'un inconnu, mesurant quelques centimètres de plus qu'elle.

— Je suis sincèrement désolée, je ne vous avais pas vu, s'excusa-t-elle, mortifiée et les joues rouges de honte. Je ne vous ai pas fait mal ? Ni sali ? lui demanda-t-elle ensuite en baissant les yeux sur son torse, horrifiée à l'idée de trouver une tâche sur ses vêtements : heureusement, le riche tissu semblait avoir été épargné par son vin, qui était sagement resté dans son verre.

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Alcéaerys eut presque un sursaut supplémentaire en voyant les mains de l'homme se tendre devant elle pour la rattraper au cas où. Elle releva les yeux vers lui et se pinça les lèvres en l'entendant s'excuser alors qu'elle savait pertinemment que c'était de sa faute si elle lui était rentré dedans : elle n'avait pas pris garde à là où elle marchait.

— Je vous en prie, ne vous excusez pas, c'est de mon fait. Je n'ai pas regardé où j'allais, je voulais simplement m'éloigner, se confondit-elle en excuses en secouant négativement la tête, désolée.

Elle apprécia qu'il lui retourne la question et le rassura d'un sourire : elle ne s'était pas faite mal. Et bien heureusement, elle avait presque terminé son verre et sa robe ne s'en trouvait pas tâchée. Passant une main rapide sur son buste pour s'en assurer, elle émit un petit soupir rassurer : c'était l'une de ses robes préférées, plus fluide et légère que les autres, d'un bleu si sombre qu'il semblait noir et réhaussé de détails argentés.

— Tout va bien, merci.

L'insulaire finit par reculer d'un pas en se rendant compte de leur soudaine proximité, restant sur la réserve au milieu de tous ces gens : elle n'aimait pas particulièrement se donner en spectacle... encore moins lorsqu'elle savait que cette peste de Lady Cressey n'attendait qu'un faux mouvement pour la ridiculiser et faire courir des rumeurs à son sujet.

Par les Sept, qu'elle détestait cette femme.

Son regard finit par se relever vers l'inconnu et elle laissa ses yeux papillonner sur les traits de son visage avec curiosité avant qu'elle ne lui offre un sourire. Il n'y avait pas à dire, il était charmant. Elle haussa un sourcil en l'entendant avant d'émettre un léger rire en secouant la tête, amusée.

— Je m'en serais voulue de créer une esclandre, répondit-elle d'un ton malicieux alors que ses yeux améthystes brillaient sous la lueur vacillante des torches enflammées. Lady Alcéaerys Velaryon, se présenta-t-elle à son tour en inclinant légèrement la tête.

Un braavien. Cela ne l'étonnait guère : elle ne l'avait jamais vu par ici et le blason qui décorait son pourpoint lui était inconnu. Il était alors certain qu'il ne venait pas d'ici. Soudain, elle fut curieuse à son sujet : que venait-il faire à Port-Réal pour le tournoi ?

— Ravie de vous rencontrer, Vala Nymeros. Vous êtes bien loin de chez vous... sous-entendit-elle, espérant une réponse à sa question silencieuse pour ne pas laisser la conversation s'éteindre.

Il l'intriguait et elle s'ennuyait ferme durant cette soirée. Peut-être avait-elle trouvé là un peu de compagnie.

Les lèvres de la valyrienne se pincèrent alors qu'elle tentait de contenir son léger rire, sans succès. Elle devait bien l'avouer, il était charmant. Et toute veuve qu'elle était, elle appréciait être séduite, surtout lorsque l'homme en face d'elle était agréable à regarder.

— Je vous pardonne, ne vous en faites pas, répondit-elle d'un ton malicieux en l'observant quelques instants.

La solitude la poussait sur un chemin qu'elle n'aurait peut-être pas pris en temps normal, mais il était trop tentant de s'accorder un petit moment de détente en discutant avec le braavien. Se sentir seule était la pire chose qui lui était donné d'expérimenter : même lorsque son époux était encore en vie, elle se sentait moins seule. Et pourtant, il brillait bien trop souvent par son absence. Peu importait désormais : elle était veuve, maîtresse de sa maison et de son destin... et même si cela pouvait être mal vu et lui causer des problèmes, elle profitait des petits moments en bonne compagnie comme cet instant. Ils lui étaient précieux, et elle ne voulait pas les oublier.

Elle n'aurait pas dû s'étonner de l'entendre parler en braavien... et pourtant. La langue était semblable au Haut-Valyrien par bien des aspects, et elle se rappela qu'à l'époque, le mestre lui avait expliqué que beaucoup de langues essosi étaient des bâtardes de la langue mère. Le dévisageant en silence, la blonde chercha une preuve de son ascendance valyrienne dans son apparence... mais elle ne vit qu'une petite mèche de cheveux immaculés, mélangés au brun naturel de sa chevelure. Le laissant se saisir de sa main, elle l'observa la porter à ses lèvres pour y déposer un chaste baiser avant de la lui rendre.

— Nyke tolī*, répondit-elle dans sa langue natale, lui faisant faisant une traduction immédiatement après : elle se doutait qu'il ne devait pas comprendre son langage plus soutenu, mais les consonances étaient les mêmes. Il est rare de croiser des personnes maîtrisant des langues autres que la langue commune, ajouta-t-elle avec un sourire, ravie de pouvoir s'exprimer autrement.

Fort heureusement pour elle, il parut comprendre son sous-entendu et répondit à sa question silencieuse alors qu'elle l'écoutait avec attention, rendue curieuse. Hochant la tête doucement, elle nota mentalement les informations importantes. Si elle n'était jamais allée à Braavos, elle avait pourtant étudier une partie d'Essos ainsi que les cités libres. Elle ne les connaissait que par le biais des livres - sauf Pentos, qu'elle avait pu visiter en personne - si bien qu'elle n'en savait pas grand chose hormis les informations importantes.

— Une mission d'importance qui doit vous prendre une grande partie de votre temps, répondit-elle en l'observant tranquillement avant de lui sourire légèrement. Port-Réal doit vous changer de Braavos... Si je n'y ai jamais mis les pieds, on m'en a vanté ses mérites et sa beauté.

L'homme était paisible : cela calmait ses nerfs échauffés et la faisait sourire. Voilà bien longtemps, lui semblait-il, qu'elle n'avait pas autant souri. Acquiesçant à sa remarque, elle oeilla son verre d'alcool avant de rire.

— Oh, je suis presque sûre que vous sauriez trouver une solution pour vous faire pardonner de cette faute, lui répondit-elle d'un ton badin alors que son regard se faisait légèrement plus perçant. Je vous remercie pour la proposition, c'est avec plaisir, tant que vous la buvez avec moi, ajouta-t-elle sans se départir de son sourire malicieux.


* Nyke tolī, en Haut-Valyrien dans le texte : "moi de même"

Sourires charmeurs qui faisaient mouche. Alcéaerys adorait plaire, même si elle savait qu'il était extrêmement dangereux de se laisser parfois aller à des histoires sans lendemain. Heureusement pour elle, elle avait toujours du thé de lune sur elle, par simple précaution. Si bien que même si ça n'était jamais arrivé depuis la mort d'Andar, elle se laissait séduire par le braavien sans se faire de soucis.

Remarquant l'air surpris de l'homme face au Haut-Valyrien qu'elle venait d'employée, elle ne put s'empêcher de sourire en lui faisant la traduction, amusée de le voir inquiété face à sa méconnaissance. Elle se doutait qu'il n'employait que des langages bâtards de sa propre langue maternelle, mais elle pensait qu'il aurait peut-être réussi à traduire : ça n'était pas le cas. Lui offrant un nouveau sourire à son remerciement silencieux, elle retint son clin d'œil, bien trop au courant que ce n'était pas dans les convenances d'agir ainsi.

— Effectivement, répondit-elle, songeuse. Mon Haut-Valyrien est un peu rouillé, d'autant plus que c'est une langue morte ici : nous sommes très peu à l'utiliser et je ne suis pas une experte en la matière.

La valyrienne se prit de passion pour le récit du braavien, l'écoutant avec attention alors qu'il lui expliquait en quoi consistait son travail. C'était quelque chose de fort intéressant, si bien qu'elle ne le quitta pas des yeux en acquiesçant de temps en temps, souriante.

— En effet, voilà quelque chose de bien intéressant. Je me sens moins même perdue lorsque je ne suis pas à Marée-Haute, je ne peux que comprendre votre sentiment. D'autant plus que Port-Réal n'est pas des plus accueillantes, je le crains... Elle émit un petit soupir, ses sourcils se fronçant légèrement en repensant à son entrevue avec Aelinor et aux nombreux problèmes soulevés. Quoi qu'il en soit, je ne puis qu'espérer que vous apprécierez tout de même ce séjour parmi nous.

Elle ne prit pas la perche tendue au sujet de la famille, refusant de penser à la sienne et à ce qu'ils avaient pu lui faire par le passé. Tout était encore trop frais, trop douloureux dans sa mémoire. La manipulation dont elle avait été l'innocente victime l'avait brûlée au fer rouge, et elle se refusait à y penser trop souvent. Elle n'était que trop au courant de ce que faisait peser sur les épaules la pression familiale.

La badinerie ne faisait que commencer, si bien que les deux jeunes gens s'aventurèrent sur ce terrain quelque peu glissant sans hésiter. Observant son geste, elle afficha un sourire tranquille avant d'hocher la tête, acceptant ainsi sa proposition, et de le suivre de près, se glissant à ses côtés sans le toucher. Trop proche pour les mœurs de certains, pas assez pour le toucher.

Arrêtée devant la longue table, elle finit par se tourner vers lui pour l'observer, d'abord à la dérobée lorsqu'il ne la regardait pas, puis sans se gêner lorsque leurs regards, si différents l'un de l'autre, se croisèrent. Son sourire se fit immédiatement malicieux alors qu'elle se penchait légèrement vers lui, comme si elle le mettait dans la confidence.

— Il y a bien des choses de Westeros, me semble-t-il, que vous pourriez découvrir ici, lui souffla-t-elle sans cacher une seule seconde le sous-entendu dissimulé sous ses propos. Néanmoins, il me plairait de découvrir ce que vous avez à me proposer.

Son regard brilla légèrement sous les lumières, se parant d'un chaleureux éclat enjôleur alors qu'elle le fixait avec indolence, se délectant du spectacle qu'il lui offrait. Dans un sens, il la fascinait presque, et elle se demandait comment il allait réagir à ses avances à peine dissimulées derrière son respect des convenances.

Un sourire goguenard se dessina sur les lèvres de la jeune femme alors qu'elle observait son vis-à-vis en entendant sa réponse, puis elle inclina la tête pour le remercier, retenant un rire.

— Voilà un geste bien charmant, répondit-elle en rivant à nouveau son regard dans le sien.

Puis la conversation dériva sur Port-Réal, et elle vit bien que Nymeros retenait les mots salés que lui inspirait la cité : elle ne pouvait que le comprendre, elle n'aimait pas beaucoup la capitale non plus. Mais au milieu de tous les nobles, il valait mieux être prudent sur ce qui était dit, elle le savait mieux que quiconque. Elle se remémora un instant le regard mauvais de Lady Cressey avant de secouer légèrement la tête, retrouvant son sourire tranquille.

— Je n'en doute pas. Je ne connais pas personnellement le Prince Edmund, mais j'ai cru entendre qu'il jouissait d'une bonne réputation à Dorne, c'est là l'essentiel, répondit-elle. Et il vaut mieux avoir un appui dans la fosse aux loups.

Ca aussi, elle le savait mieux que quiconque. Être seul, c'était prendre le risque de se faire dévorer tout cru. Suivant le mouvement jusqu'aux tables, sur les talons du braavien, elle ne cacha pas ses intentions, les enrobant simplement de miel en lui lançant des regards malicieux. Car si elle savait ce qu'elle voulait, il lui semblait qu'il n'était pas contre ses idées. L'observant à la dérobée, elle ne put empêcher le charmant sourire qui se dessina sur ses lèvres alors qu'il parcourait la table du regard : la partie s'annonçait intéressante.

— Navrée d'entendre une telle chose, murmura-t-elle d'un ton chaud avant de river ses yeux violets dans les siens, joueuse.

Sa tête se pencha légèrement sur le côté alors qu'elle le dévisageait, puis son regard s'illumina d'une lueur chaleureuse alors qu'elle hochait finalement la tête.

— Oh, mais je suis même persuadée que je saurais vous faire changer d'avis très cher, répondit-elle d'un ton provocateur.

Puis il se détourna à nouveau vers la table jusqu'à trouver ce qu'il cherchait. Saisissant une bouteille de vin qu'elle ne connaissait pas, il leur en servi deux verres en lui expliquant de quoi il s'agissait. Saisissant sa coupe avec élégance, elle porta le verre à sa bouche pour y tremper ses lèvres, goûtant la saveur avant d'hocher la tête.

— Bien meilleur que la piquette régulièrement servie ici, rit-elle en buvant une véritable gorgée de la boisson avant de reporter son attention sur le jeune homme. Bien que je ne puisse m'empêcher d'être légèrement déçue, je m'attendais à quelque chose de plus... brûlant.

Elle lui lança un nouveau regard échauffé par la situation avant de sourire : ah, elle n'avait aucune envie de craquer en première : le jeu n'aurait rien de drôle, si tel était le cas.

Alcéaerys se contenta d' un hochement de tête lorsqu'il parla du prince de Dorne. Visiblement, il connaissait personnellement l'homme, ce qui n'était pas son cas. Mais elle avait entendu beaucoup de bien sur son compte et, le peu qu'elle l'avait croisé, il lui avait semblé être juste et droit. Valeur rare depuis quelques temps sur Westeros. Enfin, elle ne comptait pas entrer dans ce débat, où ils n'en finiraient pas. Elle gardait son avis des hommes politiques bien pour elle - sauf quand elle faisait exprès de cracher auprès des autres nobles afin d'affaiblir les positions de ses ennemis. Un autre temps.

Finalement, la conversation s'engagea sur une pente bien plus raide et glissante. Bien plus excitante aussi, car rien ne valait le frisson du danger et de l'appréhension à ses yeux. Malgré ses manières et son air de princesse, elle adorait sentir l'adrénaline couler dans ses veines lorsqu'elle faisait quelque chose d'interdit. Enfin, interdit était un bien grand mot. Car son esprit, sauvage et aventureux, avait tendance à considérer que si certaines règles existaient, c'étaient pour être contournées. Et elle s'appliquait à le faire dès lors qu'elle trouvait un compagnon d'aventure assez courageux pour braver les interdits à ses côtés.

Alcéaerys retint un rire lorsqu'elle vit que sa pique avait touché sa cible, et elle se contenta d'un sourire en coin alors que son regard violet restait fixé sur lui, dévorant la moindre de ses réactions. Lorsqu'il se pencha, elle ne bougea pas un muscle, se contentant de le suivre du regard, les paupières légèrement plissées, sans se départir du rictus qui étirait ses lèvres.

— Parait-il que je ne déçois jamais, je ne me fais donc aucun soucis quant à ce que je pourrais vous proposer pour vous faire changer d'avis, répondit-elle sur le même ton avant de s'humecter les lèvres lorsqu'il se redressa pour prendre du vin.

Excellent, en passant. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas bu une aussi bonne bouteille. Comme quoi, les savoirs faires existaient encore. Néanmoins, elle ne put s'empêcher de rajouter son grain de sel, de continuer à entretenir le jeu brûlant entre eux, comme une droguée ne voulant se séparer de son addiction. Oh, ce qu'elle aimait plaire... et elle savait qu'elle avait agrippé la bonne cible.

Ses lèvres s'étirèrent encore un peu plus en un sourire appréciateur alors qu'il reprenait la parole, répondant à chacune de ses provocations avec la finesse qu'elle trouvait en lui. Il était décidemment un adversaire bien coriace, ce quoi la motiver à gagner la partie.

— Quel dommage que je ne puisse y goûter.... Vous m'en voyez extrêmement déçue, souffla-t-elle d'un ton bas et vibrant avant de reposer sa coupe de vin, à moitié pleine, sur la table et de se rapprocher de lui d'un pas. Croyez vous pouvoir remonter dans mon estime, Nymeros ?

Ses yeux le quittèrent quelques secondes pour regarder par-dessus son épaule alors que son visage se faisait plus ennuyé, comme si la situation lui déplaisait réellement et qu'elle était prête à le quitter pour rejoindre une quelconque personne. Leur proximité n'avait désormais plus rien d'anodine, mais la valyrienne se plaisait à jouer avec les limites de l'acceptable : c'était là une nouvelle source d'adrénaline dont elle ne pouvait se passer.