crashin' burnin' breakin' ☽ Rowena Farman

Lorsque le soleil traversa la fenêtre de la chambre de Bethany, cette dernière avait déjà les yeux ouverts. Elle fixait le plafond, le regard vide, des cernes sous les yeux. Ces derniers jours avaient mis son sommeil à l'épreuve, déjà bien entaché par la captivité de son père. Elle attrapa les bords de sa couverture pour les remonter au dessus de sa tête, chassant le rayon de soleil qui venait chatouiller son nez, et se rendormit probablement puisqu'elle se réveilla en sursaut lorsqu'elle sentit une main la tapoter par dessus les draps. Elle baissa la couverture et son regard rencontra celui de sa camériste préférée qui la regardait avec incompréhension. « Hmpf. » "Mais il est presque midi ! Tu as encore veillé toute la nuit ?" « J'ai pas réussi à dormir. » "Allez, lève toi. Viens au moins manger un morceau et prendre l'air." Bethany souffla mais repoussa les couvertures et s'extirpa du lit. Le reste, elle n'avait pas besoin d'y penser. Sa servante s'occupa de lui faire sa toilette, de l'habiller, la coiffer et la parfumer. Elle se serait volontiers passée de tout ça si des invités ne déambulaient pas dans les couloirs du château mais la Farman n'était pas encore partie et Bethany devait combler la bêtise de son frère par sa diplomatie. Les apparences comptaient beaucoup sur ce coup là.

Accrochée au bras de sa camériste, Bethany croquait dans une pomme en longeant les remparts du château. Elle était anormalement silencieuse, son regard balayait l'horizon sans arriver à se fixer sur un point spécifique et elle n'arborait pas son habituelle sourire radieux. Son visage aux traits mitigés entre la fin de l'enfance et le début de l'âge adulte était tiré par la fatigue et malgré la conversation intéressante que sa servante avait toute seule, elle n'arrivait pas à se détendre. "Mais qu'as-tu donc aujourd'hui ?!" « Mais rien. Je suis inquiète c'est tout. C'est le jour du Rendez-vous des Artisans et j'espère que les petits feront bonne impression. » "Et pourquoi n'irait-on pas voir si cela t'inquiète tant ?" « Je ne sais pas... ? Si j'y vais, les artisans vont peut-être se sentir obligés d'en prendre comme apprentis ? Ce ne serait pas juste et ils risqueraient de maltraiter les enfants par la suite. » "Enfin Bethany, personne n'oserait faire ça à tes petits protégés. Pas avec le suivi que tu leur donnes." La jeune femme s'arrêta, retirant son bras de celui de son amie et se frotta les yeux. Puis, son regard s'arrêta sur la tignasse blonde qu'elle aurait connu entre mille en bas, dans la cour. « On peut demander son avis à une personne extérieure ? » Une raison excellente pour que sa camériste ne fouille pas plus et pour extraire Desmond de son esprit.

Quelques minutes plus tard, elle rejoignait la cour et s'approchait de Rowena avec, réapparu miraculeusement, son sourire solaire sur le visage. « Lady Rowena, bonjour. Comment allez-vous ? Je ne vous ai pas encore croisée ce matin. » La servante à ses côtés manqua de pouffer de rire et Bethany la bouscula de l'épaule en faisant mine de s'approcher de Rowena, pour la faire taire. Inutile de faire savoir qu'elle avait glandé au lit toute la matinée. « Vous tombez bien. Je discutais de quelque chose avec ma camériste et j'adorerais avoir votre avis. Accepteriez vous d'écouter mon problème ? »

L'air angélique et innocent de Rowena pouvait pousser à bien des erreurs, dont ne pas se méfier de ce qui pouvait se tramer dans cette petite tête blonde. Bethany, encore jeune et insouciante, ne connaissait pas tout de la politique et des relations entre régions, elle ne s'était pas demandée si sa requête devant rester personnelle ou si elle pouvait la partager avec quelqu'un qui n'était ni de sa famille, ni même de sa région. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle voulait prendre la meilleure décision possible et que, jusque là, Rowena s'était montrée aussi avenante que chaleureuse. La Nerbosc n'avait pas besoin de plus. « Oh, merveilleusement bien. Le temps est agréable et je suis bien entourée, que demander de plus ? » Au hasard, le retour de son frère, la libération de son père, la fin de la famine, des guerres, des maladies ? Peut-être verrait elle ça lorsqu'elle serait plus âgée. En attendant, elle faisait ce qu'elle pouvait avec les moyens qu'on voulait bien lui accorder, et si Brynden était d'une simplicité enfantine à manipuler pour obtenir ce qu'elle voulait, il en était autrement de Hoster, bien moins attendri par sa cadette. « Si je peux me permettre, ce n'était en rien du temps perdu. Vous êtes magnifique. » Et si dans la bouche de n'importe qui d'autre le compliment aurait pu sonner hypocrite, dans celle de Bethany il n'en était rien. Consciente que ses mots étaient mielleux, elle les pensait pourtant de plus profond de son coeur. Elle ne connaissait pas grand chose de la Farman mais s'il y avait une chose qu'elle pouvait lui accorder, c'était sa beauté. A côté de ça, la jeune Nerbosc paraissait encore enfantine, et pourtant ses traits commençaient à affirmer sa sortie de l'enfance.

« Je vais essayer de faire court pour ne pas vous assommer d'informations. » Poliment, elle prit le bras de son invité pour l'inviter à marcher à ses côtés, commençant à s'approcher des escaliers qui menaient vers les remparts d'où elle venait. « Voyez vous, j'essaye de m'impliquer au mieux dans la vie sociale de notre peuple. Entre autres gestes de bienfaisance, j'ai mis en place, plusieurs fois dans l'année, des espèces de rendez-vous entre les jeunes gens des orphelinats et les travailleurs en activité. » Derrière elles, Eulalie les suivait, silencieuse. Emphyria Vance ne devait pas être loin non plus mais Bethany l'avait encore oubliée et la noble boudait probablement quelque part. La petite princesse des Nerbosc était malheureusement plus douée pour gérer les actions sociales des roturiers que les siennes. « Durant ces rendez-vous, les jeunes gens peuvent découvrir un métier puis se présenter auprès de nos travailleurs et prétendre à une place d'apprenti. Bien sûr, les travailleurs sont libres de choisir l'apprenti qu'ils souhaitent et scellent ensuite le statut de leur relation par une forme de contrat que je prends soin de faire suivre pour m'assurer que les conditions humaines des sélectionnés sont respectés. » Arrivée en haut des remparts, elle s'arrêta pour faire face au fief qui s'étendait devant elles. « L'un de ces rendez-vous a lieu aujourd'hui et je m'inquiète de sa bonne tournure. Ma camériste et amie ici présente, Eulalie, pense que je devrais m'y rendre pour apaiser mon inquiétude, mais j'ai peur que ma présence influence les travailleurs et qu'ils se sentent obligés de s'engager dans des contrats qu'ils ne voudront pas honorer de bon coeur et que, par la suite, il y ait des risques de maltraitance. » Un nouveau regard sur le village qui s'étendait un peu plus loin et elle se tourna vers Rowena, lâchant son bras par la même occasion. « Qu'en pensez-vous ? »