Rowena Farman - La perle de Belcastel

Ma chère soeur,

Lorsque j’étais enfant, Eddarra n’a jamais fait attention à moi, ni toi, ni personne à part mère et Willos. J’étais jalouse de tout ce que tu avais. Toute la fierté de la famille allait vers toi, promise au plus beau des mariages. Tous les regards des jouvenceaux se tournaient sur ton passage et moi je n’étais qu’une gamine mal dégrossie, le vilain petit canard de la Maison Farman, tout juste bonne à prendre les petites choses qui trainaient un peu partout à Belcastel. Personne ne le remarquait, personne ne me remarquait. Personne, certainement ne me remarquera jamais.

Tout a changé quand tu es partie à la cour. Eddarra s’est enfin intéressée à moi. Elle m’a enseigné tout ce qu’elle t'avait appris, mais si cela me sera certainement utile en temps voulu, elle a surtout planté profondément ses griffes de lionne dans ma chair et j’en porte les stigmates après quelques années seulement de ce traitement. Je n’ose imaginer ce que toi, depuis ta plus tendre enfance, éduquée par cette vipère terrifiante, tu as pu vivre. Je t’enviais, mais je ne savais rien de ta vérité, idiote que je suis, je n’ai rien vu et toi, forte comme le Roc, tu ne montrais rien. Je me rends compte en écrivant ces lignes que j’en sais toujours si peu sur toi et cela me désole. Pardonne moi de ne pas me montrer aussi digne que toi, d’être faible et de ne jamais être à la hauteur de tes attentes. Je suis triste de ne pas avoir été davantage présente pour toi, mais aussi pour nos frères et pour mère. Lorsque père est mort, je n’ai pu soutenir personne, je suis redevenue une enfant et ce alors qu’il fallait que je grandisse et que je me montre courageuse. Il était le pilier infaillible de notre famille et vous n’aviez pas besoin d’une gaine geignarde alors que nous aurions dû traverser cette épreuve ensemble.

Dire que tout le temps que tu étais à Port-Real, Belle-Maman n’a eu de cesse de me répéter de me méfier de toi, que tu étais une vipère et que tu n’hésiterais pas à me sacrifier pour satisfaire tes intérêts. Je suis sûre que tu ne ferais pas cela, et qu’en réalité, elle parlait d'elle-même. Ton cri dans les tribunes lorsque Willos a été blessé sur la lice le prouve, tu te soucies de ton frère, tu te soucies de nous, comme je me soucie de toi et encore plus de l'état de notre frère. Si Willos venait à mourir, je ne sais pas ce que nous deviendrions. j’ai peur, ma chère sœur. Nous ne sommes que des pions sur l'échiquier des puissants et je ne saurais supporter de perdre un frère comme nous avons perdu père. Peut-être que, si nous restons unis, loyaux les uns envers les autres, nous avons une chance de nous en sortir. C’est pourquoi je t’écris ce mot, pour que tu saches que tout ce qu’il nous reste, c’est notre famille, et que je t’aime.

Je me souviens que, lorsque j’avais quatre ou cinq ans, nous montions sur les remparts pour regarder la mer et que tu me disais que les Fer-Nés allaient arriver et m’enlever pour m’effrayer. Peut-être que cette peur est restée ou peut-être est-elle viscérale sur Belle Île tant nous avons eu à subir leurs attaques et une de plus à présent. Et pourtant, même si tu cherchais à me faire trembler, par ta simple présence, tu m’as protégée des horreurs de ce monde, tu as essayé les tempêtes à ma place et, ingrate que je suis, j'étais envieuse et froide avec toi. Je ne te remercierais jamais assez, toi, Willos et mère d’avoir préservé mon innocence, j’espère me montrer à la hauteur de votre sacrifice à présent, et faire mon devoir comme une véritable Farman. Mais je ne pourrais supporter que les voiles noires déferlent sur nous une fois de plus.

Quand j’étais petite, j'étais émotive jusqu’à l’excès et parfois imprudente, mère m’a enseigné à enseigner la patience et la sagesse. Parfois j’oublie ses précieux conseils et je me laisse guider par mes sentiments. Par le passé, j’ai ainsi enchaîné les maladresses et fait honte à notre nom et à notre famille. Je souhaite de tout coeur me racheter et ferais tout à présent pour faire honneur à Belle Île. Je sais le devoir qui est le mien

Ta sœur qui t’aime.