[Braavos] Arnaque et contre-arnaque ◈ Elissa

Depuis l'aube des temps, ou du moins la création des Cités Libres, les riches et les pauvres étaient séparés. Les premiers trônaient, seuls mais puissants, dans leur immenses palais. Les seconds étaient parqués, à peine mieux lotis que les esclaves qu'ils avaient autrefois été. Telle était la vie de la tentaculaire Braavos, rude, étonnante, terrible et chatoyante. Hommes et femmes suaient et saignaient, n'offrant que leurs larmes comme seuls regrets, pour le plaisir des plus riches. Cette structure était inchangée depuis des millénaires car il existait deux choses : l'espoir et le goût de la liberté.

L'espoir de sortir un jour de la gangue éternelle dans laquelle on pataugeait, de pouvoir rêver à autre chose que la bière âcre et la viande de chien rôtie des auberges de la ville basse. Celui qui réussissaient pouvoir alors dormir sur ses deux oreilles, avec des gardes (plus ou moins) loyaux pour veiller sur sa vie. Et même s'il devait finir égorger, cela serait dans des draps de soie. Enfin venait cette liberté, douce liberté. Devenir moins que le chien d'un homme était l'humiliation suprême, l'anathème par excellence de cette société. Ne pas être un esclave était une fierté en soi. L'homme simple chérissait sa simple liberté et se considérait mieux loti. Cette illusion calmait les ardeurs des plus pauvres, les empêchait de se retourner contre leurs maîtres.

Telles étaient les pensées d'Elissa alors que son palanquin avançait avec une certaine grâce dans les rues du port des chiffonniers. Le vacarme des marchés de Braavos était si diffus que l'on se croyait dans une autre ville. La jeune femme s'émerveillait toujours de la métropole septentrionale d'Essos. Lys avait ses atouts et ses charmes mais rien ne pouvait se comparer à Braavos. Sa ville d'adoption possédait aussi des quartiers cosmopolites et une population conséquente mais palissait face à sa voisine lointaine. Elissa aimait Braavos et Essos. Plus que tout, elle voulait régner et apporter sa pierre à l'édifice de la Compagnie. Ce n'était certes pas la raison principale qui l'amenait ici aujourd'hui, l'affaire était principalement un grand achat de fourrures d'Ibeen pour ses tanneries, mais elle espérait plus de la ville aux milles canaux.

Pour préparer cette première rencontre,  Elissa avait revêtu ses plus atours. Une longue robe, tout à fait décente, d'une belle couleur plume réhaussée sur le col et les manches de fourrure de renard argenté. La seule folie à cette mode westerosi était la longue fente sur le côté de la robe, dévoilant ses jambes à l'occasion. Elle portait d'ailleurs de jolies bottes de monte, tannées et parfumées de même que ses longs gants de daim. Sa chevelure, qui d'habitude était simplement attachée, avait été soigneusement huilée et coiffée en une épaisse couronne dont s'échappait quelques boucles rebelles et de belles épingles en jade. La belle Moyra, sa servante, avançait à la tête du palanquin, elle aussi vêtu de goût. La quinzaine de gardes, mélange de mercenaires et d'hommes au service de la famille depuis des années, complétait cette riche procession. Si on oubliait les serviteurs évidemment.

L'affaire s'était déroulée comme voulue. Elissa pouvait compter sur ce fournisseur de longue date. Malgré sa tendance à vouloir marchander, l'homme restait honnête et s'enrichissait en même temps que ses partenaires. Il ne l'avait jamais déçue, bien moins que son père ou son frère. Elle frémissait de colère à chaque fois qu'elle pensait à eux et à l'exil auquel ils l'avaient forcé. Si ses lèvres grenats et sa peau d'albâtre ne trahissaient pas son trouble, sa moue naturellement cruelle trahissait son ressentiment. Aimable au possible, elle réussit à convaincre même son fournisseur de trahir le nom de quelques faussaires de renom. Face à son regard inquiet, elle le rassura d'une voix douce. Seuls ses ennemies devraient subir son courroux et elle avait une vieille dette à leur faire payer. Cela avait suffi à délier les lèvres.

Arrêtez-vous

La voix, teintée de son accent du Conflans et légèrement nasillarde, fut entendu par les hommes qui s'arrêtèrent et lui ouvrirent les rideaux du palanquin. Elle les remercia et paya ce qui était dû avant de s'engager dans le port des chiffonniers. Mélange de crasse et d'ordre étonnant, Elissa n'aimait pas y traîner. Elle ne craignait certainement pas d'y être attaquée mais ne goûtait pas les eaux crasseuses clapotant le long des quais, les bordels et autres joueurs invétérés. Elle préférait la douceur des canaux du centre ville, elle s'y sentait plus à l'aise. Bien qu'elle sache nager, Elissa n'était pas une fille de la mer mais bien des Conflans. Son regard se porta sur les hommes et les femmes gagnant leur vie comme ils pouvaient. Elle était des leurs... Simplement plus riche. Plus détendue, elle s'avança  parmi eux avant que son regard se porte sur un jeune homme. Barbu, la mine négligée avec élégance, il avait un sourire ravageur alors qu'il l'invitait à jouer aux dès. Elle lui adressa son sourire le plus charmant et ses longs cils s'abaissèrent même en une révérence silencieuse :

Mon brave homme, je ne saurai accepter. Je connais tout simplement pas les règles ! Je ne suis pas sûre de pouvoir simplement me mesurer à vous.

Ses traits se durcirent l'instant d'après et elle baissa son regard sur les dés dans la main du joueur :

Ma seule certitude est que si je vous surprenais à tricher, mes gardes devront vous traîner devant les miliciens du port. Non sans vous ôter quelques doigts pour votre jugement devant les Sept. Je cherche un homme, peut être le connaissez vous, il se pare du nom de Plume et traîne souvent ses guenilles sur le port d'après un ami commun.

Je ne vois ni honnête homme ou femme à des lieues à la ronde. Seul un fou pourrait croire qu'il existe de tels personnages au port des chiffonniers.

Elissa avait répondu du tac au tac sans attendre réellement de réponse. Elle avait rompu la glace sans attendre parce qu'elle ne désirait pas se voir entourlouper par l'homme. Même si il lui avait été recommandé, la marchande ne doutait pas un seul instant qu'il ferait tout pour tirer ce qu'il pouvait. Si dévote fut elle, elle partageait l'avis du faussaire et faux joueur quant à l'influence des Sept sur ce lieu oublié des Dieux. Elle était loin de Westeros et ses figures divines se confrontaient à tant d'autres à Braavos qu'elles devaient se sentir bien seules. Aussi elle contenta d'adresser un sourire cajoleur à l'adresse de celui qui se faisait appeler Plume. Enroulant un doigt innocent autour d'une boucle de sa chevelure, elle s'avança d'un pas juste assez pour faire semblant de s'intéresser aux dés de l'homme et de lui répondre d'une voix plus basse :

Notre ami commun nous a bien dit que Plume n'aimait guère la compagnie des inconnus. Mais tout le aime celle d'Elissa de l'Aiguille Dorée, cela se sait. Et vous savez pourquoi vous l'aimerez aussi ?

Elle attrapa une pièce d'or dans sa bourse et la glissa à la ceinture de son interlocuteur.

Elle paie comptant.

Plume, peu lui importait son réel nom, ne donnait pas l'impression d'être originaire de Braavos. Sa remarque sur les Sept et sa méfiance, méritée après avoir été menacé aussi franchement, tranchait avec la bonhomie et la grande tolérance des braaviens. Pourtant, comme ils parlaient tout deux parfaitement la langue du commerce, il était difficile d'en être certaine. Connaître son interlocuteur permettait toujours de prendre l'ascendant sur lui. Elissa n'appréciait pas être en situation de faiblesse après avoir dévoiler son propre nom mais elle désirait gagner la confiance de l'homme. De toutes façons, peu important ce dont on pouvait le renseigner à propos, il était improbable qu'ils se croisent à jamais de nouveau.

Considérez la pièce comme un dédommagement pour avoir troubler votre tranquillité, Plume. Je souhaite simplement utiliser le don qui vous a donné ce surnom. Je souhaite établir des papiers, en westerosi et marqués d'un sceau. Est ce possible ?