Un généreux pourboire ♛ pv Elissa

La plume grattait le parchemin dans un murmure incessant. L'encre s'étalait au même rythme que la pointe s'enfonçait dans la feuille végétale. Ce n'était qu'une mélodie éternelle qui accélérait et décélérait au pas de sa main maîtresse. Tantôt des lignes se formaient, tantôt elle disparaissaient au profit de notes de musique ou de dessins. L'ensemble n'avait ni queue, ni tête. Seule Elissa écoutait la mélodie qui se dégageait de la danse emplumée, fredonnant en rythme. Son regard ne se portait cependant pas sur ses écrits mais bel et bien sur les tissus étendues devant elle.

Jupons et robe remontés sur ses hanches, la dame de la Compagnie Dorée reposait sur un klinê, dans une posture fort peu féminine, ou du moins digne de son éducation. Seule, bien que Felicia et son nouveau chef des gardes attendissent dans une pièce adjacente, elle n'était guère vêtue que d'une chemise et de jupons blancs. Le corps doulant, couvert de bleus résultant d'une mauvaise chute dans la cave poussiéreuse, elle s'efforçait de rester concentré. La bouche plissée en un sourire amer, ses lèvres ne bougeaient que pour fredonner la douce mélodie tandis qu'elle cherchait à laisser l'inspiration affluer à travers son corps. Les sons affluaient autour d'elle formant une cacophonie au première abord, se transformant peu à peu en ronde qui semblait se concentrer. Doucement, Elissa se perdit dans la mélodie éternelle du flow l'atteindre et ferma les yeux, perdue dans le temps.

Lorsqu'elle les rouvrit, ce fut pour sentir une pointe de migraine percer derrière ses yeux. L'aiguille de la douleur grattait déjà son cerveau dans une habitude désormais trop bien ancrée. Jetant un oeil à l'atrium grand ouvert, elle se rendit compte qu'elle était restée immobile près d'une heure et demie. Frêle, le corps perclus de courbatures, Elissa examina son parchemin. Malgré les quelques gribouillis du début puis du moment qu'elle avait fermé les yeux, le croquis d'une robe apparaissait. Satisfaite, Elissa appela d'une voix enrouée Felicia. La couturière surgit aussitôt. Frêle ancienne esclave à demie Yiti, elle affectait un air servile que son minois de félin démentait  d'un seul coup d'oeil. Approchant à pas feutrés, elle réprimanda aussitôt sa maîtresse d'autrefois.

Madame, pourquoi vous vous mettez dans ces états pour de vulgaires traits de plume ?
Ces vulgaires traits de plume, Felicia, sont de parfaits exercices. J'ai besoin de pratiquer. Le maître Elias a bien spécifié que ma maîtrise de la couture devait être la meilleure pour espérer comprendre mes employés.

Un doux rêve que celui d'Elissa. Aussi roturière fut elle, elle ne rêvait pas d'être une noble dame mais simplement d'évoluer parmi eux. Telle était la prochaine étape pour faire de la Compagnie de l'Aiguille Dorée, la corporation dont rêvait sa famille. Or, la draperie ne suffisait pas à approcher les maîtres. Seuls les intendants, parfois les enfants des seigneurs, acceptaient de discuter avec leurs représentants. Si l'or entrait à flots, cela couvrait parfois à peine leurs frais en particulier avec les troubles du Nord. Non, l'avenir de la Compagnie résidait désormais en ces couturiers. Elissa avait réussi à embaucher cinq, deux maîtres, leurs compagnons et son esclave affranchie à son retour de Lys. Elle détestait se séparer de Felicia mais maître Elias, un des couturiers, désiraient la former et en faire une compagnon. La jeune fille montrait bien des talents, s'occupant des tenues de sa maîtresse depuis des années.

Elissa se leva et quitta sa chaise pour retourner à l'abri de la maison. Située place Crépin, elle servait depuis plusieurs années à la Compagnie pour représenter ses intérêts à Port Réal. De taille modeste, elle comptait une boutique au rez de chaussée et un minuscule logement au dessus. Son luxe résidait dans l'atrium situé à l'arrière ainsi que ses grandes caves. Son grand père avait mis longtemps à rentabiliser la maison mais elle évitait de devoir payer des entrepôts sur le port. Miraculée du grand incendie lors de la guerre, la boutique en elle même n'avait rouvert qu'un an auparavant. Sa propriétaire grimpa quatre à quatre les escaliers pour aller s'habiller d'une robe bleue nuit, serrée à la taille par une ceinture sertie d'argent et au décolleté large relevée de zibeline. Elle natta ses cheveux en arrière puis redescendit pour s'occuper des livres de compte qui l'attendaient. La journée se terminant, elle doutait voir quiconque pousser la porte.

Ce fut ainsi que la trouva sa cliente. Elissa leva les yeux en entendant la porte s'ouvrir. Aussitôt son oeil expert reconnut une noble à son noble port. Il était difficile de la prendre pour une femme du commun. Ses traits fins lui paraissaient taillés dans le marbre le plus pur et ses boucles cascadaient en ruisselant d'or. Même les saphirs étoilés de Yi Ti pâlissaient d'envie devant ces yeux céruléens. Le chevalier l'accompagnant finissait de clore le tableau digne d'une chanson épique. Elissa inclina la tête avec respect tandis qu'elle approchait. Avant qu'elle n'ait pu la salué, la dame allait déjà droit au but. Elle désirait quelque chose et rapidement. Lorsque les pièces frappèrent, sonnantes et trébuchantes, Elissa ressentit un frisson d'avidité la parcourir. Mais surtout son ambition. Elle affecta un visage de marbre et posa un de ses longs doigts élégants sur la bourse pour la repousser légèrement.

Lady, c'est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Elissa, de la Compagnie de l'Aiguille Dorée. Je ne puis vous promettre l'impossible mais je ferai de mon mieux pour vous satisfaire. Vous en payerez le juste prix, rien de plus.

Ni rien de moins.

Pourriez vous m'éclairer sur votre souhait Lady... ?