[Quelque part sur les mers de l'Ouest] L'animal et le monstre

An 305 - lune 11 - semaine 1 - jour 1

Inspire. Expire. Je tirais légèrement sur la chaîne comme tous les jours, comme-ci cela pouvait les détendre. Jours. Cela faisait combien de temps que j’étais enfermée ici ? Jours ? Heures ? Lunes ? Qu’importe. Je ne restais calme que tant que je n’avais personne devant moi. Et cela malgré le bâillon immonde qu’on m’avait fourré dans la bouche. Malgré tout cela. Je serrais les dents en tirant à nouveau pour essayer de les faire céder. Le métal allait sûrement abîmer ma peau… Un peu plus. Un peu moins… qu’importe. En tout cas, personne ne m’avait touché pour l’instant. Cela faisait plaisir… En quelque sorte. Par contre, ma propre odeur m’incommodait. Tout comme la douleur dans mon ventre : j’avais faim, mais je grognai dès qu’on s’approchait de moi. Je reculai, refusant qu’on me touche, je donnais aussi souvent que possible un coup de pieds dans les assiettes qu’on me donnait, refusant qu’on me nourrisse même. J’inspirais à nouveau profondément.

C’était long… J’étais fatiguée… Et j’avais faim. De plus en plus faim… Ma tête tombait régulièrement sur mon torse alors que je lutais pour rester réveiller. Mes yeux étaient habitués à l’obscurité du lieu… Des tonneaux, mais trop loin pour que je puisse faire quoi que ce soit… Je bougeais un peu, je ne pouvais pas bouger beaucoup plus que mes bras… Ma tête tomba à nouveau sur mon torse et je me laissai dormir un peu jusqu’à ce que j’entende le bruit de la trappe s’ouvrir. Ce fut mes yeux qui se rouvrirent en grand alors que je relevais la tête pour regarder qui descendait… Le soleil qui entrait par la trappe me brûlait les yeux, autant que mon odeur brûlait mon nez.

L’homme était grand. Ou alors c’était moi qui étais petite. Et je ne distinguais pas grand-chose d’autre de lui alors que je serrais les poings en tirant un peu sur mes chaînes. Un grondement monta de ma gorge. C’était la seule chose que je savais faire après tout.

L'animal et le monstre
AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1La plupart des hommes sont attisés par des pulsions plus ou moins similaires. Certains ont des penchants plus déroutant et d'autres plus couteaux qu'une tripotée de prostituées dorniennes. Des étalages de marchandises aux abords des ruelles, jusqu'au fond de cales nauséeuses puant la pisse et la merde de pesteux qui pullulent enchaînés ou en cage. Les occasions sont nombreuses de croiser toutes sortes de gens, d'ethnies, de faciès prêt à faire parler le commerce et vider des bourses bien remplies. Je songeais à cette vie de mercenaire à laquelle la plupart d'entre nous se prêtait loin des Îles de Fer. Nous autres ne voguions que pour la gloire et la richesse, pour permettre d'étendre notre influence et commettre nos méfaits à travers le monde. Une vie similaire aux pirates des Degrés de Pierre. Nos ennemis auraient notre peau, un jour. Mais avant je ferais raisonner à nouveau le glas du cor noir de mes navires sur les flots. Il ne resterait qu'un amas de coques flottant dans une mer brûlante et bouillonnante des os d'une centaine de rafiots.

J'arpente quelques marches et m'engouffre suivi de plusieurs de mes hommes dans les tréfonds des cales pour y jeter un rapide coup d’œil morne d'inspection. Je laisse mon avant bras relever un long tissu sale séparant de part et d'autres les cales ou j'aperçois à travers l'obscurité de la salle l'endroit ou j'avais enfermé une drôle de sauvage. Amoindris, maigrelets enchaînés le long d'entraves et de chaînes contre les parois humides du navire elle ne ferait pas long feu dans cet état. Au fur et à mesure que j'avance l'odeur se fait plus forte, ça empeste le mort et le climat pesant et lourd ne fait qu'accentuer cet état de suffocation vous poignant le poitrail jusqu'à suffocation. À quelques mètres pourtant mon œil aguerrit et accoutumé aux nuances dans la pénombre remarque sa silhouette se détachant du reste du paysage morbide ou étaient retenu généralement des infortunés précédemment. Elle était la ma précieuse otage. Je pouvais à peine l'entendre grogner telle un chien.

« Hé on se réveille la dedans ! »

Déclarais-je en me redressant craquant l'ossature de ma nuque. Je me tenais à quelques mètres plus loin attendant de voir la sauvageonne se tenir derrière les barreaux. Ma main droite s'appose contre le devant de mon ceinturon cintrant mon armure de cuir j'envisage de voir de plus près cette chose au faciès plutôt blafard. Je garde un œil vigilant sur sa silhouette puis j'inspire le peu d'air respirable qui m'est accordé dans ce lieu. Je me saisis d'un morceau de pain rassi que je gardais pour l'occasion attendant le moment opportun pour l'interroger si elle pouvait me répondre du moins vu le caractère bestiale qu'elle arborait le plus clair de son temps.

« Je t'ai apporté à manger. » Reprenais-je en m'avançant suffisamment près pour déposer sur le rebord des geôles le morceau de pain en question. J'en profitais pour débouché ma gourde et me désaltérer un coup. D'un revers de main j'essuyais ma barbe avant de reprendre.

« Comment tu t'appelles ? »

Si je devais donner un avis sur ma captivité, les barreaux en plus des chaînes étaient sans doute un peu trop. Tout comme le bâillon. Mais, bon point, personne ne m'avait encore violé. Par je ne sais quelle miracle. En attendant je vois que ce miracle allait prendre fin lorsque l'homme s'approcha en touchant son ceinturon. Le grognement de ma gorge devient plus profond et non plus juste une simple marque d'avertissement, mais de colère : s'il s'approchait trop j'allais cogner. Oui même cruellement bâillonné, même attaché. Je ne voulais pas me laisser faire.

Il me narguait avec son pain posé juste assez loin pour que je ne puisse le toucher qu'avec la pointe du pied alors qu'avec le bâillon meurtrissant les commissures de mes lèvres je ne pouvais pas manger. Ni même l'enlever. J'avais les mains soigneusement attachées. J'étais presque sûre que c'était parce que j'en avais mordu un à la gorge. Qui n'aurait pas fait pareil pour qui ne crit pas. Il était en vie d'ailleurs ? Aucune idée. Et ce pain ils avaient fait quoi ? Tous pissé dessus puis laissé sécher pour me le donner. Ça je connaissais j'avais déjà subi. Mais impossible de savoir à l'odeur j'empestais trop moi-même.

Le grognement ce stoppa net quand on me demanda mon prénom. Ah... J'étais sensée en avoir un ? Je ne savais pas. Je ne m'en souvenais pas en réalité. Ça changeait. Mais surtout les yeux s'étaient braqués sur la gourde qu'il avait. J'avais soif mortellement soif... Je me redressai un peu, mal habile ainsi enchainé avant de tenter de prendre du bout du pied le quignon... Je réussis qu'à le faire tomber du côté de l'homme. Leur chef sans doute. Et bien je ne mangerais pas aujourd'hui non plus....

L'animal et le monstre
AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1La forme humaine ou ce qu'il restait de cette silhouette féminine restait prostrée un long moment avant que l'insulaire se souvienne que son bâillon ne lui couvrait la bouche. La prudence était devenue coutume après la morsure laissé à l'un de ses hommes. Le fer-né fouilla dans ses habits en ressortant une petite coquille. La clé qui la séparait elle et lui de ce trou. Salfalaise n'avait pas peur du danger, après tout il courait avec depuis tellement longtemps désormais qu'il lui semblait presque un ami familier. Le cliquetis de la cellule laissa entendre le grincement des gongs rouillés.

Asservie par les chaînes, pieds et mains liés la jeune femme débraillée gardait un amer ressentiment sans doute envers son geôlier. Qu'importe, Tyldr était habitué à être haïs plus qu'apprécié. Le fer-né rangea sa gourde à sa ceinture puis reprit de plus belle.

« J'te préviens si tu tentes quelque chose de stupide je te donnerai une bonne raison de couiner. »

Ma bouche entrouverte se referma spontanément expirant l'air d'entre mes narines marquant une forme de déception face au manque de réponse. Rien pas même un hochement de tête. Je laissais mes yeux se détourner de son visage lorgnant le long de son corps jusqu'aux chevilles l'observant un peu plus à chaque fois que mes pupilles céruléennes s’attardaient un peu trop longtemps. Je gardais bien ma lame dans ce large ceinturon entourant le plastron de cuir sombre telle les écailles d'un reptile arborant fièrement son statut de prédateur. Alors qu'elle était une proie facile, fragile attendant son heure. Je me rapprochais un peu plus de sa personne maniant ses pieds et chevilles pour vérifier l'état de la marchandise d'une certaine façon. Ma langue se mouvant dans ma bouche, glissant le long de mes dents m'aidait à réfléchir. J'estimais un temps à quel genre d'oiseau j'avais à faire ici auscultant son corps dans un premier temps.

« Voyons ça d'un peu plus près. »
Déclarais-je en lui retirant le bâillon autour de sa bouche prenant au moins la précaution de ne pas me faire bouffer un doigt ou deux. Consentement ou non, je laissais ma main gauche se saisir de son sale visage brisé par cette condition de captive lui faisant ouvrir la bouche en cœur par une simple pression au niveau de la commissure de ses lèvres.

« T'es pas en si mauvais état.. Quoi que l'odeur franchement... »

Lançais-je avant de relâcher subitement mon emprise sur elle et me saisir d'un pan de sa chevelure et la sentir préalablement. On pouvait aisément distinguer qu'elle était différente, j'aspirais à comprendre par l'expérience et le dialogue qui elle était véritablement.

« Bon... »
Mon corps se releva péniblement allant chercher ce morceau de pain tombé le long des barreaux. Je m'en saisissais en arrachant de mes doigts sale un morceau le tendant vers elle puis le refourguant dans ma bouche. Machinalement je me laissais un peu de temps, la mastication c'est important pour pas s'étouffer comme un con.

« Qui es-tu ? »
Requestionnais-je lui tendant à nouveau un autre morceau du pain que j'avais entamé juste devant ses yeux. Si elle tentait de me mordre je lui ferait avaler autre chose que de la nourriture comme une dent ou peut-être même deux ?

J’observais chaque mouvement de l’homme en silence, pas comme-ci en fait j’avais d’autres choix avec le bâillon que j’avais dans la bouche et qui m’avait volé toute ma salive. Quelque chose de stupide, je t’en foutrais moi… Comme-ci j’en avais physiquement la possibilité. Mais mes yeux suivaient surtout la gourde qu’il avait à sa ceinture qu’autre chose, quand bien même je braquais mon regard sur lui quand il entra. Et oui, je puais. Ça arrivait ça… On s’habituait à puer, c’était possible. Malgré moi, je me reculais autant que possible en sentant son regard sur moi. Si j’avais eu l’habitude de n’être qu’une poupée de chaire entre les mains des hommes, un jouet, je détestais cela au plus haut pointe. Je me raidis, mais retient un coup de pieds, quand il manipula mes yeux. Je n’aimais pas cela… Je me dérobais à ses mains autant que possible en retenant les grondements derrière mes dents. Je tentais d’esquiver ses mains quand il ôta mon bâillon, je ne voulais pas qu’il me touche alors que la terreur et la rage primaire se libéraient dans mon sang.

Il saisit ma bouche et dans un vieux réflexe je l’ouvris bien grand. S’il voulait me violer qu’il fasse ça vite. Moins ça durait mieux c’était. Je refermais vite la bouche, mes dents frôlant ses doigts lorsqu’il me lâcha pour sentir mes cheveux, je repoussais mon propre corps autant en arrière que possible. Éloigne-toi de moi ! Éloigne-toi ! Ne me touche plus avec tes sales pattes ! Ni toi ni plus personne ! Je vous tuerais tous ! Tous ! Tous ! Tous !

Un grondement de colère et de peur jaillit de ma poitrine franchissant mes dents alors que je le regardais s’éloigner pour manger du pain qu’il faisait semblant de me présenter. Je restais, aussi recroquevillée sur moi-même que possible. Le grognement avait fini par se taire alors que je regardais toujours la gourde. J’avais soif, la langue plus rêche que le tissu que j’avais eu en bouche. Qui j’étais ? J’inclinai la tête sur le côté en ouvrant la bouche… Sans réussir à répondre. Je savais prononcer des sons, des onomatopées, mais je ne pouvais plus former des mots. Je ne savais plus. Nourriture… J’approchai lentement pour renifler le morceau de pain avant de le prendre en essayant d’éviter ses doigts. Je ne pouvais pas le mordre. J’avais soif. Mes yeux fixaient toujours la gourde… Donne à boire. Je rouvris la bouche pour essayer de parler… Un coassement de corbeau jaillit de mes lèvres, un coassement rocailleux, celui d’une voix qui n’a pas l’habitude de fonctionner, celui d’une personne qui ne sait pas parler… Je serrais les poings en plantant mes ongles cassés et sales dans les paumes de mes mains. Je ne voulais pas parler, je ne savais plus le faire et avais honte. Mais je souviens son regard sans frémir. Si tu veux me violer, fais-le et casse-toi. T’es comme tous les autres de toute manière… Mais… c’était la première fois depuis longtemps qu’on me demandait qui j’étais… Je lui offris un signe de menton dans sa direction : et toi. T’es qui ?

L'animal et le monstre
AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1Aucune réponse seulement de la peur et le tiraillement de cette gorge qui ressemblait au croassement d'un corbeau entrain de crever. Ma main crissait cette barbe hirsute en observant sa réaction. J'avais laissé le fer-né reprendre le dessus, moi qui faisait preuve d'audace et de détermination dans la manière d'aborder le monde qui m'entoure j'avais aussi su faire preuve de tempérance pour obtenir ce que je voulais. Je me plaisais presque de ces mouvements contre mes agissements, malhonnête je m'en amusais surtout quand le pied n'arrivait pas à partir plus loin que le peu de jeu qu'offrait ses chaînes. Quand je posais les yeux sur cette esclave, j'imaginais qui elle aurait pu être, quel genre de vie était la sienne avant ce sort funeste. J'avais quelques idées qui me trottaient derrière la tête. Celui d'une marchandise bonne pour les affaires se transformait en une esclave accablée, battue et rompue sous les multiples viols et les privations continue. Au fond nous aurons tous le destin que nous aurons mérité songeais-je. Quelque chose clochait.

Son regard soutenait avec insistance quelque chose dans ma direction. Je m'attardais à saisir un instant ce qu'elle recherchait dans ma direction. À l'évidence la faim n'était pas le plus important mais alors quoi ? Je scrutais son visage et ce petit mouvement de menton qui espérait seulement quelque chose à boire. Aussitôt qu'elle c'était fait comprendre je laissais mes doigts défaire la gourdasse et j'approchais plus prudemment encore cette fois pour m'éviter qu'elle s'agite dans un dernier effort de désespoir. Salfalaise se retrouva à faire semblant de boire l'invitant à ouvrir ce qui lui servait de bouche et relever légèrement sa tête pour que je puisse la faire boire.

« Tes pas très causante toi.. » Mon crâne restait en éveille, je laissais quelques pauses entre chaque gorgée pour qu'elle étanche sa soif.

De l'eau ! Se l'eau ! Je la sentais couler dans ma gorge et sur mon menton. Par tous les démons du monde que c'était bon. J'aurais plus boira sa gourde jusqu'à la lie ! Cela faisait du bien ! Plus que le morceau de pain que j'avais marché. Par tout ce qui était bon sur terre l'eau c'était ce qu'il y avait de meilleur. Pas très causante ?! Mais on ne m'avait jamais demandé à l'être. Je portais mon regard sur lui une fois ma soif étanchée. Pas très causante. Mais je ne sais pas faire. Je ne pouvais même pas lui faire comprendre. Alors je tentais. Vraiment de parler. Réellement. Mais je ne savais plus comment former les mots avec ma langue et mes lèvres. Des sons sortaient de ma gorge. C'était déjà bien... Mais c'était dans le même temps horriblement fatiguant pour moi. Comme un exercice trop complexe pour que j'en comprenne le sens. Je gardais les poings fermés à m'en blanchir les phalanges en soutenant ce regard sans baisser le mien.

Mes lèvres et ma gorge réussirent enfin à prononcer quelque chose ressemblant à un mot. À un " oi " qui voulait dire " toi ". Et lui qui il était. Moi je ne savais pas. C'était la première fois depuis longtemps qu'on voulait communiquer vraiment avec moi. Juste plus de quelques secondes. La première fois qu'on s'intéressait à moi pour autre chose que de l'amusement. Mais je sentais je le maigre effort de fournir une syllabe compréhensible m'avait déjà fait mal à la gorge. Mon regard fouilla à nouveau pour trouver la gourde d'eau. Libère-moi rien qu'une main que je puisse boire seule ! T'as eu ce que tu voulais non ? Que je cause ! Alors donne-moi ma récompense ! Donne-moi de l'eau ! Et à manger ! Aller !

L'animal et le monstre
AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1La voir à ce point étancher sa soif semblait être une délivrance. Quand elle eut suffisamment à boire le fer-né replaça la gourdasse à sa ceinture. Il y avait une forme d'attente mais la difficulté semblait s’immiscer entre ce qu'elle voulait exprimer et ce qu'elle pouvait réellement accomplir. Dans cet état c'était compréhensible. En tendant l'oreille Salfalaise avait cru comprendre partiellement l'attente de sa prisonnière.

« Moi ? » Déclarais-je en me pointant du bout de mon index. J'imagine que la confiance se gagnait au fur et à mesure qu'on apportait chacun de son côté un pierre pour construire l'édifice. À l'intérieur je réalise que tout semble confus.

« Tyldr. » Reprenais-je avant de penché ma tête sur le côté, continuer de l'observer était ma meilleure option pour tenter de comprendre ce qu'elle était, qui elle était.

« Et toi ? Ton nom ? » Demandais-je pour la troisième fois consécutive. L'attente et la patience faisait partie de mon instinct celui d'un prédateur qui savait attendre le bon moment.

J’inclinai légèrement la tête à sa remarque : oui. Lui. Je voulais savoir qui il était. Le reste, je n’arrivais pas à prononcer les mots. Le « toi » m’avait déjà coûté beaucoup d’efforts pour réussir à le dire, prononcer. Je n’y arrivais pas facilement. Je ne savais plus faire… Je ne savais pas. Je me redressais un peu dans un cliquetis de chaîne. Je passais ma langue entre mes lèvres en fixant l’homme. Tyldr. Tyldr.

« Yl… »

J’essayais de prononcer son nom… Mais il était difficile pour moi à le prononcer. Je fronçais les sourcils à sa question. Mon… prénom ? Le mien ? Je me mordis les lèvres un instant en essayant de fouiller dans ma mémoire pour trouver mon prénom… Je n’en avais pas.

« Pas. Ai pas. »

C’était même difficile pour moi de prononcer ainsi juste… vaguement deux mots. Je n’étais même pas sûre de bien prononcer tant les mots semblaient déformer entre mes lèvres. Je l’interrogeais du regard, est-ce qu’il avait compris ce que je tentais de dire ? Je n’en étais pas sûre. Mais non, je n’avais pas de nom. On en avait pas besoin pour s’amuser avec moi. Et lui ? Qu’est-ce qu’il allait faire de moi ? Me tuer ? Me transforme en jouet ? Je restais à soutenir son regard. Je n’avais plus peur. Plus peur du tout. On me l’avait enlevé.

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AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1Perplexe l'insulaire observait ce qui restait de cette femme. Elle tentait vainement de répéter son nom. À bout de force ou complètement déboussolé, Tyldr soupirait face à la situation. Il passa une main sur son faciès ses yeux se fermés songeant à ce qu'il allait faire d'elle maintenant.

« Hmrrr au moins tu comprends ce que je dis… »

Récapitulons, une sauvageonne qui n'a pas de nom et ne sait visiblement pas parler. Dont on ne sait strictement rien sur sa provenance. Son état et ses réactions ressemblant à ceux d'un animal appeuré. Dans des circonstances similaires les fer-nés avaient souvent capturer ou pris des villageois au bord des côtes durant leurs razzias et autres pillages. La situation s'y prêtait mais n'était pas la même. Pour autant elle était là entravée dans cette calle, dans son navire.

« Qu'est ce que je vais bien pouvoir faire de toi… »

Salfalaise avait quelques idées mais pas sûr qu'elle ne tienne le voyage de retour et encore fallait il obtenir de cette sauvage la garantie de ne pas se faire écharper en morceaux. Ce point là était plus important que les autres. Tyldr s'accroupit lentement devant le visage tuméfié de sa prisonnière. À peine à quelques mètres d'elle prenant son temps pour ne pas brusquer les choses.

« Sur ce navire c'est moi qui décide. Je donne les ordres tu comprends ? »

L'avantage qui se présente à lui plutôt qu'à elle c'était la dominance flagrante face à ce petit corps frêle. Enchaînée elle allait le rester quelques temps mais après ? Que se passerait-il après ? Dans la caboche du fer-né plusieurs choses se confondent et confrontent ses idées. Si elle n'était personne il pouvait en faire finalement ce qu'il voulait. Pas de passé pas d'avenir… Ou il pouvait en façonner un à sa manière.

Je grognai un peu d’agacement : bien évidement que je comprenais ce qu’il disait ! Même si je n’en avais pas l’air, je comprenais ce qu’il disait. Jusqu’à preuve du contraire, nous parlions, je crois, la même langue. Je me redressais un peu comme je le pouvais dans mes chaînes sans baisser ou ciller les yeux. Ce qu’il pouvait faire de moi… Je connaissais des gens qui avaient eut les mêmes idées pour moi que pour certaines catins et ceux depuis mes six ans. Mais je ne me sentais pas d’essayer de parler pour l’instant. Cela faisait trop mal à la gorge et je n’avais pas envie de faire plus d’efforts. J’étais trop fatiguée pour ça.

Il se baissa face à moi. Prudent, il ne tentait pas de trop s’approcher. Est-ce que l’homme que j’avais mordu à la gorge était encore en vie ? Je me demandai… après tout, j’avais senti le goût du sang, mais on m’avait fait lâcher avant que je ne puisse en arracher un morceau après tout. Est-ce qu’il était mort d’une infection… Ah… ça serait amusant après tout. Oh. Il était un capitaine. Est-ce que je comprenais ? Bien sûr trous du cul… J’inclinai la tête sans plus essayer de parler. Grogner c’était plus facile après tout. Mais là, il ne voulait que je dise oui. Sauf que je ne pouvais pas. Alors je hochais la tête. Est-ce qu’il pensait que je ne parlais pas leur langue… C’était pas faux après tout… je ne parlais pas.

Mon ventre s’éveilla soudain en faisant un bruit digne d’un dragon hurlant. J’étais sûre qu’on l’entendait d’un bout à l’autre de la cave. Je ne fis aucun geste, le capitaine ne m’avait pas donné d’ordre après tout, et je ne supplierais pas pour de la nourriture.

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AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1Le hochement d'approbation était le bienvenu. De toute façon, ce n'était pas comme si elle avait réellement le choix.

« Ta dû sacrément en baver.. »

Salfalaise crissait sa barbe en songeant à des questions souvent voire trop souvent sans réponses. Il n'était pas capable d'interpréter ce qu'il ignorait mais de cette forme sauvage et feignant de grogner il pouvait sans doute en tirer quelque chose. Alors que le ventre de ce chat sauvage à forme humaine grondait, Tyldr se leva pour lui ramener quelque chose de plus consistant. La nourriture était là première denrée et priorité de n'importe quel être vivant normalement constitué. Il servait dans une écuelle le reste d'une bouillie de gruau et de poissons. Il l'a positionnait au devant de ses mains encore entravées.

« Je vais te proposer un marché.. Si tu décides de m'écouter et à m'obéir sans t'attaquer à moi et à mes hommes.. Tu gagneras un toit et à manger. »

Est-ce qu’il pensait que si je n’en avais pas assez bavé, j’aurais osé m’attaquer à un ferné pour prendre ses vêtements et son arme en essayant de le tuer à coup de dent ? Si je n’avais pas souffert comme j’avais souffert, jamais je ne l’aurais fait. Et… pourtant… Donc oui, j’en avais bavé. Sûrement assez pour quelques vies, si pour autant que la réincarnation existe dans ce monde pourri. J’inclinai la tête : oui j’en avais sacrément bavé… Comme tu dis Tyldr.

Mon ventre hurla famine et je soutiens son regard alors qu’il se frottait la barde. Ah et visiblement mon gargouillement lui avait fait peur puisqu’il avait disparu brusquement. Si maintenant même mes gargouillements faisaient peur… On était pas sorti de l’auberge… Je fus surprise de le voir revenir avec une écuelle. Je sentis l’odeur frotter mon nez et la salive monta dans ma bouche à toute allure. J’avais encore plus faim maintenant. Est-ce qu’il allait la manger devant moi ? Cela serait cruel de sa part… Surtout qu’il semblait me la tendre juste assez proche pour que je puisse la frôler mais pas assez pour que je puisse la prendre.

Un marché ?! L’écouter et lui obéir… Un toit. À manger ? Ce n’était pas quelque chose que j’avais eu depuis des années… Je finis par hocher la tête. C’était d’accord, même si je ne pouvais pas prononcer le mot : c’était d’accord pour moi. Il voulait quoi ? Que je lui promette ? Que je fasse un pacte avec mon sang ? Je ne pouvais pas, alors je hochais la tête : mon obéissance, et cela uniquement s’il ne me violait pas ou ne m’offrait pas à son équipage, contre un toit et de la nourriture.

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AN 305, LUNE 11, SEMAINE 1Le petit marché que proposait Tyldr pouvait s'apparaître de l'extérieur un poil dangereux. Mais aux désespérés il ne restait plus vraiment beaucoup de choix. Alors le hochement de la tête de sa captive était déjà un bon début. Il fallait pas se leurrer le fer-né ne savait pas réellement à qui il avait à faire et la nourrir signifiait la rendre un peu plus forte peut-être même suffisamment pour qu'elle tente quelque chose de stupide. Sa main droite tendait l’écuelle, son regard glaçant ancré dans celui de cette femme dont il ne connaissait rien.

« Bien. » Accroupit, le fer-né dérida cet air soucieux qui marquait son front et ses sourcils par un faciès un peu plus enjoué. Sa main relâchant son emprise sur la nourriture lui laissant le loisir de manger. Salfalaise se releva et s'apposa contre le bois humide de son navire l'observant manger en silence. Dans ce moment de répit qu'il lui offrait il ne savait pas si ce qu'il venait d'offrir était une bonne alternative ou si il allait amèrement le regretté par la suite.

Je lui arrachai presque l’écuelle des mains lorsqu’elle fut à ma portée. Il n’y avait pour l’instant aucune fidélité entre lui et moi. Et puis quoi encore ? Pour l’instant il me nourrissait… Mais si j’avais décidé que j’allais me tirer une fois à terre : je le ferais… Je ne vivais qu’au jour le jour. Le reste je verrais. J’avalai la bouillie aussi lentement que possible : si je mangeai trop vite, je le savais : je vomirais tout sur moi. Et ça c’était hors de question. J’avais trop faim pour ma part. J’avais besoin de manger et de boire. Et de me laver aussi mais ça c’était autre chose. Pour l’instant je ne pouvais pas… Pour l’instant. Je léchai l’écuelle soigneusement pour ne rien laisser. Cela faisait du bien.

Je fermai les yeux en soupirant de plaisir et de soulagement. Mmh… c’était très bon pour moi. Je sentis un rôt monter avant de s’échapper de mes lèvres. Comme-ci il en serait surpris. Qu’est-ce que j’en avais quelque chose à foutre. Comment on disait déjà ? Ah oui… Merci…

« Ciiiiiii… »

J’essayai vraiment de communiquer… mais je n’étais pas très douée avec ça. Je n’arrivais pas à parler… est-ce que je réussirais un jour à parler à nouveau ? Peut-être. Je lui tendis l’écuelle pour qu’il la prenne sans le quitter des yeux. Qu’est-ce que j’étais censée faire ou dire maintenant. Je lui avais rendu l’écuelle et j’étais maintenant épuisée. Il allait me laisser dans l’obscurité de la cale et moi j’allais sans doute dormir quelques heures…

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