It comes from the wind ✧ Tyldr Salfalaise

La chope fut reposée un peu brutalement sur la table, tandis que le barbu essuyait sa barbe d'un revers du bras. Il tapa des deux mains sur la table, pour faire monter les encouragements autour de lui, ayant probablement abandonné ses prières au dieu Noyé qui ne semblait pas décidé à lui donner une once de chance. Le tas de pièces au centre de la table avait diminué, il y en avait quelques unes devant lui et un tas assez conséquent devant Nour, que le petit sourire mesquin n'avait pas quitté depuis la première fois où les dés s'étaient dévoilés. Autour d'eux, un petit groupe s'était rassemblé en cercle pour les observer jouer, hurlant d'excitation à chaque fois que le gobelet masquant les dés se relevait. L'homme les mélangea un peu en secouant le gobelet, posa ses deux mains dessus comme si un geste aussi anodin pouvait changer le cour des choses, prit une profonde inspiration et le souleva d'un coup. Un deux et un trois. Des éclats de rire résonnèrent autour d'eux et l'homme frappa du poing sur la table. « J'ai pas encore perdu bande de bouseux ! » hurla-t-il. « Joue ! » L'ordre claque, autoritaire et impatient. La jeune femme ramena les dés à elle qu'elle couvrit avec le gobelet avant de le secouer pour les mélanger, puis elle arrêta le mouvement de sa main. Son regard se posa sur un homme près d'elle, qui lui sourit en haussant les épaules. Elle tapota le bout de ses ongles sur le cul du gobelet, regardant autour d'elle pour dévorer l'impatience des spectateurs, puis le souleva. Un cinq et un trois. L'attroupement poussa des hululements de moquerie envers l'homme qui regardait les dés avec désespoir. « Par le Noyé... C'est pas possible... T'as triché, sorcière, rends moi mon argent ! » Il se leva soudainement en tirant une hache de sa ceinture, et au même moment une vingtaine de pirates se tournèrent vers lui en posant la main sur leur arme. S'en suivit la même chorégraphie avec presque autant de fer-nés, prêts à riposter. Dans le silence qui venait de s'imposer dans la taverne, on entendit résonner le petit éclat de rire de Nour. Elle prit sa chope de bière pour boire une gorgée, sans prendre la peine de se lever, et releva les yeux vers lui avec amusement. « Tu vas vraiment lancer un bain de sang, pour ça ? » « Cinq de tes chiens valent pas un fer-né, morue, je te trainerai moi-même dans la boue. »

« Cinq de tes chiens valent pas un fer-né, morue, je te trainerai moi-même dans la boue. » Les mots tranchaient l'air, sans doute à cause de son haleine de chien, et la main de Nour avait glissé doucement sur sa jupe pour venir frôler le manche de la lame cachée. Un coup net, précis, rapide, et une chance sur deux pour que ça suffise à calmer tout le monde ou que ça fasse tout péter. Elle resserra ses doigts sur le manche. « Tu es aussi mauvais perdant que moi Bors mais tu vas pas nous foutre tous ici dans la merde pour quelques pièces. » La main ferme sur l'épaule stoppa le fer-né en pleine effusion de colère. Les doigts de Nour relâchèrent le manche de sa lame tandis qu'elle examinait celui qui venait de tuer le bain de sang dans l'oeuf. Un chef, un lieutenant, un lord quelconque, peu importe. Il avait l'autorité. Un ordre de sa part, masqué sous une demande bien trop polie, et la taverne fut débarrassée du trouble fait, remplacé par le donneur d'ordre. Elle ne le lâcha du regard à aucun moment, complètement désintéressée de celui qui se faisait sortir de force. L'homme à côté d'elle, en revanche, sembla ne pas vouloir assister à la suite puisqu'il se leva à son tour en apposant une tape sur l'épaule de Nour. Un bref signe de main aux pirates qui avaient dégainé et tous rangèrent leurs armes. Lorcan alla retrouver Orrick.

« Je pensais naïvement que les armés des nobles de Westeros recevaient une éducation lors leur formation. » La jeune femme glissa sa main sur la table pour ramener les pièces vers elle, les faisant glisser une à une dans un petit pochon de cuir. Puis elle attrapa sa chope et la tendit vers l'inconnu, un petit sourire insolent sur les lèvres, dans l'idée de se faire servir. Et malgré tout... « Chacun de mes hommes ici se serait battu jusqu'à la mort. » Une brève pause dans ses paroles, le temps de glisser son regard sur les protections qui constituaient la tenue du fer-né, puis elle le releva vers ses yeux d'un bleu hypnotisant et étira légèrement son sourire. « A choisir, je préférerais mourir en mer. Merci d'être intervenu, sir... ? » Les bannières auraient pu défiler devant ses yeux qu'elle n'aurait pas su deviner la maison face à elle. « Nordien... ? Fer-né ? » hasarda-t-elle dans une volonté claire d'en savoir plus sur l'inconnu. « Vous êtes bien loin de chez vous, n'est-ce pas ? »

Un homme des îles de fer, donc. Il lui était déjà arrivé de croiser un ou deux ressortissants de cette région durant ses voyages mais jamais elle n'avait été confrontée à leur mauvais caractère. Leur réputation n'était plus à faire et à l'entente de cette confirmation, son sourire s'étira un peu plus. Une étincelle d'excitation était apparue dans le regard de la pirate qui pencha légèrement la tête sur le côté en balayant le noble du regard. A combien Marlow estimerait-il le prix d'un homme de la carrure de Tyldr au marché noir ? Elle n'en saurait rien ce soir puisque le commerçant du navire avait préféré passer la soirée ailleurs. La capture aurait de toute façon été trop difficile, trop risquée, mais l'idée était belle. Salfalaise. Le nom effleurait agréablement son esprit, il sonnait doux à son oreille. Elle l'entendait presque grogner au fond de la cale, comprenant heure après heure que sa vie avait disparu en un claquement de doigts... « [...] Mourir glorieusement au combat sur les mers cela nous fait un point commun. » Un ricanement court s'échappa des lèvres de Nour qui haussa les deux sourcils avec amusement avant de rabaisser les yeux vers sa bière. « Glorieusement, bien sûr... » Elle ne trouvait rien de glorieux à la mort. Si tout était perdu sur le navire et qu'elle pouvait s'en tirer alors que tous les autres se faisaient massacrer, elle serait la première à tenter sa chance. Mais quitte à sombrer, quitte à se faire égorger, elle préférait encore que son corps soit ensuite balancé à la mer. « Qarth ? Pourquoi Qarth ? » La seule raison qui lui venait à l'esprit était le surnom moqueur que leur donnaient les Dothrakis, ce qui ne sonnait pas comme un compliment. Elle aurait peut-être préféré, ceci dit. La cité était bien plus classe que celle où elle avait vu le jour. « Non, je ne viens pas de Qarth. » Le suspens se prolongea un peu, le temps de boire une nouvelle gorgée de bière. « Mon chez moi est sur le port, à m'attendre sagement. Partout où il va, c'est chez moi. Mais d'où je viens... Ca ne l'a jamais été. » Meereen était un souvenir douloureux qui avait tendance à la foutre de mauvaise humeur et elle balaya le sujet d'un revers de la main dans le vide, sans se départir de son sourire. « Et qu'est-ce que des fer-nés font dans un endroit aussi raffiné et luxueux ? » Une pointe d'insolence dans la voix, de provocation dans le sourire en coin. « Il me semblait que vous étiez les mal-aimés du continent ? » Son coude se posa sur la table, sa joue contre sa main, avec une nonchalance dérisoire. « Des rustres, bornés, violents, qui saccagent les terres des pauvres petits bourgeois endeuillés... » Quelques mots qui auraient facilement pu être pris pour des insultes dans la bouche de n'importe qui, dans celle de Nour ça sonnait plus comme de l'admiration très amusée.

Son sourire s'évanouit, lentement, en voyant Marlow entrer. L'homme, séduisant et bien habillé, sembla chercher quelqu'un du regard, et en voyant Nour il s'approcha d'un pas déterminé. La jeune femme se redressa, sourcils froncés. « Lorcan ? » Elle fit un mouvement de tête vers l'homme qui discutait avec une bière à la main, un peu plus loin, et Marlow alla à sa rencontre. Quelques brèves paroles échangées et la porte s'ouvrit à nouveau sur quelques gardes dont la présence seule instaura le silence dans toute la pièce. Nour avait à nouveau glissé sa main sur le manche caché de sa lame mais n'avait pas bougé de sa place. Des questions commencèrent à être posées aux personnes présentes jusqu'à ce que l'un d'eux s'arrête à leur table et dévisage l'étrangère. « Ton nom, femme. Tu viens d'où ?! » Un nouveau petit sourire, serein, innocent, s'installa sur le visage de Nour. Du coin de l'oeil, Lorcan surveillait. « Narcisse la coquette. Vous avez dû me voir, au bordel des Trois Soleils. Je suis difficile à rater. » « Jamais vue. Le nom de ton maître ? » « Mevrick. » Lorcan mit un petit coup de coude à Marlow et le commerçant s'approcha, bras écartés, l'air effaré. « Mais enfin messieurs, il n'y a pas idée de déranger les honnêtes travailleurs comme ça ! » Son regard se posa sur Tyldr et il prit un air profondément désolé. « Je suis vraiment navré, la maison vous dédommagera bien évidemment pour ce temps perdu. » Le garde les regarda tour à tour de travers et alla chercher ses compagnons pour quitter la taverne. Nour perdit à nouveau son sourire d'un seul coup et son regard se noircit. « Qu'est-ce que c'était que ça ? » « Il semblerait que tu aies vexé quelqu'un en le dépouillant de sa bourse et qu'il ait été se plaindre de notre identité aux autorités. » Un nouveau rire, jaune celui-ci, et Nour posa les yeux sur Tyldr avec amertume. Lorcan s'approcha finalement. « Et si tu allais quelque part où tu n'attireras pas l'attention ? » La jeune femme le regarda d'un air effaré et ouvrit la bouche pour protester mais le regard du capitaine suffit à la lui faire fermer. Elle eut un très bref rictus de haine et prit une dernière gorgée de sa bière avant de poser la chope devant Tyldr comme pour lui offrir la fin. Elle se leva, bousculant Lorcan d'un coup d'épaule au passage -ce qui n'eut pour effet que d'arracher un petit sourire au capitaine- et elle passa derrière Tyldr pour se pencher à son oreille et murmurer doucement. « Ton homme vient de gâcher ma soirée. Si je le trouve, je lui arrache la langue. »

Le capitaine ne perdit pas une miette de cet homme qui suivait sa rafleuse. A ses côtés, Marlow avait les sourcils froncés. « Il la suit. » « J'ai vu. » « Et ? C'est tout ? » « Il m'a l'air raisonnable. Au pire, elle sait se défendre. » Une tape amicale dans le dos et Lorcan retourna à ses occupations malgré les inquiétudes de Marlow.

Dehors, Nour se frayait un chemin dans la foule. Tendue, elle promenait son regard sur les passants avec l'espoir vain de retrouver celui à qui elle devait son exil de la beuverie du groupe. La main sur le manche de sa dague, elle en caressait la texture du bout des doigts, voyant déjà ce bout de langue trop bavard sécher dans la crasse du sol. « Une pute vraiment ?  » Arrachée à sa rêverie sanguinaire, elle releva la tête avec surprise. Un rapide coup d'oeil derrière elle pour confirmer qu'il était seul et elle ralentit légèrement le pas, lâchant au passage le manche de son arme. « Les hommes croient ce qui leur fait plaisir. » Elle était peut-être un peu trop sophistiquée pour une pute, un peu trop habillée aussi malgré les tissus colorés et vifs, mais elle était habituée à ce qu'on ne pousse pas la réflexion plus loin. Elle tourna dans une rue, tranquillement, son regard toujours à l'affut. Le maître de ce connard à côté d'elle n'était qu'un détail. Entre les hommes de Tyldr et la Garce du Basilic, une course contre la montre avait démarré. « J'ai été poussée par le vent, celui d'Essos commençait à souffler trop fort. » Une autre rue plus loin, beaucoup plus vide celle là, et elle remarqua un peu plus loin la tignasse de sa cible. Un sourire en coin sur les lèvres, elle remit la main sur sa dague, mais avant d'avoir pu esquisser un mouvement les fer-nés mirent la main sur leur collègue pour l'entraîner avec eux. Elle s'arrêta, tout sourire envolé, la mine déçue, et soupira doucement. Perdu. Elle se tourna vers Tyldr pour relever ses yeux sombres vers lui, et la différence de taille aurait dû être assez conséquente pour qu'elle soit un tant soit peu intimidée mais il n'en était rien. « J'espère pour lui qu'il sera en sécurité le temps qu'on parte. » menaça-t-elle en toute tranquillité avec un sourire serein sur les lèvres. Puis son regard croisa celui d'un garde et son sourire devint tout de suite plus mielleux tandis qu'elle prenait le bras de Tyldr pour l'entraîner avec elle dans une marche bien plus tranquille. « Si je me souviens bien, votre île se trouve... » Son doigt se leva légèrement devant elle comme pour dessiner une carte imaginaire et elle le pointa vers l'ouest. « Quelque part à l'ouest ? A l'opposé strict de Port-Real ? Ces affaires politiques doivent être d'une ampleur considérable pour que vous fassiez pareil voyage. » Tranquillement, ses pas les menaient vers les quais, où le Cache-Sanglots attendait paisiblement. A combien pouvait bien s'élever le prix d'un fer-né sur le marché d'Astapor ? L'idée lui frôlait dangereusement l'esprit.