À Hautjardin dansons entre les fleurs

Ireyne avait soigné sa garde-robe à la manière dont un limier affûtait sa lame. Tout avait été préparé pour que chacun voie la splendeur de sa maison et se rappelle des liens ancestraux qui liaient sa famille aux terres du Bief. Elle n'était pas la seule à avoir fait ça, la stratégie des femmes différait de celles des hommes, mais la bataille était néanmoins aussi sanglante. Tout le monde voulait rappeler à chacun l'influence qu'ils pouvaient exercer, tout le monde convoitait le même prix, une place unique et une chance d'établir sa dynastie à la tête du Bief dans les prochains siècles à venir. Sa camériste noua la dernière tresse et la plaça astucieusement derrière sa tête dans une coiffure complexe, mais qui laissait voir les nombreuses boucles blondes qui brillaient face au soleil de Hautjardin. Elle se regarda encore une minute dans le miroir, ajustant quelques tresses pour qu'elles soient exactement à l'endroit où elle voulait et se leva, sa robe dorée et rouge émettant un léger bruissement de tissus.

Sa cousine Desmera Rewyne l'avait invité à prendre le thé dans les roseraies du jardin. L'invitation pouvait sembler innocente, mais elle savait très bien que la discussion allait porter bien plus sur la politique que sur des sujets typiquement féminins. Elle avait appris auprès des meilleurs à cacher ses véritables intentions à travers des banales discussions de broderies et de ragots. Ireyne se dirigea vers les jardins d'un pas décidé, adressant des sourires à quiconque croisait son regard, son pas étant suivi par celui de son protecteur attitré qui agissait comme une ombre sur son passage. Elle arriva rapidement au point de rendez-vous, un sourire sincère aux lèvres en apercevant sa cousine devenue Dame de la Treille. Elle lui adressa une légère révérence et s'approcha de celle-ci la prenant dans ses bras. Ainsi, donc, le chef d'orchestre voulait jouer la corde de la famille, elle allait donc jouer sa partition.

« - Dame Desmera, je me porte à merveille je vous remerci et vous ?  »

Elle prit place en face de la dame servant elle-même à sa cousine un peu de thé et s'en servant elle-même une tasse. Ainsi, Desmera ne savait pas que ce concile avait été décidé suite à la lettre qu'elle avait envoyée au Roi des Six Couronnes lui-même suite à la disparition de Bronn. L'information était intéressante et elle se demanda un instant si elle devait révéler son rôle dans cet événement, mais elle préféra ne rien dire pour le moment et attendre de voir ce qu'allait lui dire ou proposer sa cousine. Elle prit une légère gorgée, savourant le savant mélange avant de reposer sa tasse et de regarder sa cousine. Celle-ci n'avait pas changé depuis le jour de son mariage bien qu'elle pouvait déceler une nouvelle gravité sur son visage.

« - Vous ne trouvez pas la situation heureuse ? Je trouve au contraire que cet événement permettra enfin d'avoir une personne digne du Bief à sa tête. » Lui dit-elle sur le ton de la conversation en souriant.

Ireyne regarda un instant l'offrande de sa cousine, elle avait toujours adoré les pâtisseries en tout genre. Après les fiançailles de Margaery à Joffrey, les Tyrell avaient fait importer de nombreux mets venant du Bief et d'ailleurs, elle se souvient avoir goûté chacune des pâtisseries avec les autres dames de la Cour pour savoir lesquelles allaient être servies le jour du mariage. Cette après-midi là, elle avait cru ne plus pouvoir rentrer dans ses robes par la suite. Elle accepta la pâtisserie avec un sourire remplie de nostalgie. Comme elle aurait aimé que sa cousine ne soit que sa cousine, mais celle-ci voulait qu'elles jouent un jeu aux conséquences dangereuses plutôt que de parler de leurs vies avec honnêteté. Lorsqu'un régent Bieffois sera en place, peut-être que les tensions entre les principales maisons du Bief se calmeront enfin, mais en ce moment même, elle pouvait sentir les regards lourds des uns et des autres se poser et la gravité de la situation s'immiscer dans une belle après-midi auprès des roses.

« - Espérons que ce concile apporte avec lui un candidat à la hauteur de la tâche et pouvant nous aider à contrer les remous qui secouent notre si beau royaume.» Lui répondit-elle, ne laissant rien apparaître de ses véritables pensées.

Le concile était la solution rêvée pour justement élire directement quelqu'un qui aurait la légitimité du vote de la plupart des seigneurs du Bief et l'appui du roi Brann. Sa cousine, croyait-elle qu'un régent allait apparaître et mettre tout le monde d'accord sans aucune discussion ? Nulle doute que le concile sera long et rempli de disputes incessantes sur ce qui définirait le règne du prochain régent. Ireyne priait les Sept qu'ils choisissent quelqu'un qui créerait une certaine unité et qui réunirait enfin le Bief sous une seule et même bannière. Rendre le Bief plus fort, plus sûr aussi, voilà ce qui devait être la priorité du prochain régent. Bronn était aussi Bieffois qu'elle était Dornienne et n'avait pas eu la statue, le bon nom de famille et le bon charisme pour un jour espérer avoir l'agrément des maisons Bieffoises. En cela, le roi avait échoué bien qu'elle n'oserait le dire à voix haute dans un jardin où mêmes les roseraies avaient des oreilles.

« - Les candidats ne manqueront pas j'en suis sûre. Pour ma part, je suivrais mon mari dans ce qu'il choisira.»

La réponse était évasive et ne laissait rien paraître de ses véritables ambitions. Gyl et elle convoitaient ce siège bien qu'elle attendait le concile pour l'annoncer. La maison Rowan et la maison Du Rouvre faisaient parties des plus anciennes maisons du Bief, toutes deux étaient descendants du Roi Garth Mainverte. Surtout, Gyl et elle avaient des idéaux et de véritables idées pour renforcer le Bief et tenir tête face aux armées dissidentes de Bronn et aux fanatiques qui ravageaient les terres du Bief. Desmera avait toujours été contente et si Ireyne était honnête, elle irait jusqu'à dire que la jeune femme n'avait pas assez d'ambition à son goût, le contraire d'Aelinor.

« - Le voyage s'est fait sans encombres, et vous ?»

Ireyne but une gorgée du thé tout en appréciant le paysage qui s'offrait à elle. Le parfum des roses était sucré comme la pâtisserie dont elle avait pris un bout. Elle regrettait la distance qui s'était imposée entre sa cousine et elle. Elle avait eu peu de temps pour écrire avec les nombreux remous qui avaient secoué la région. Il y avait eu le mariage par la suite qui avait requis sa pleine et entière attention tant elle voulait qu'il soit parfait. Elle avait été dans une telle nervosité pendant les mois précédents celui-ci qu'elle avait eu peu de cas de ce qu'il se passait autour d'elle à ce moment-là. Elle pouvait presque encore s'entendre hurler contre une couturière qui avait choisi la mauvaise couleur pour sa robe de mariée. Tout cela avait été un moyen pour elle d'évacuer sa peur de tomber sur un homme horrible en tant que mari, aujourd'hui, elle pouvait le reconnaître. Ireyne avait plaidé pour que son père arrête de soutenir les fanatiques, mais cela était parti dans une oreille sourde allongeant la distance entre sa cousine et elle.

Elle acquiesça de la tête face aux paroles de la rousse. Les égos des uns et des autres allaient forcément se mettre au travers de son chemin, à elle et à Gyl. Le roi devait se douter que tôt ou tard Bronn allait devoir se faire remplacer et si jamais il revenait que comptait-il lui dire ? L'homme avait abandonné le Bief pour aller à un endroit inconnu si il était vivant ou était mort peut-être assassiné. Dans les deux cas, le roi avait trop tardé dans sa réponse face à la situation Bieffoise et avait gagné en retour une certaine rancoeur de la part de nombreux seigneurs du Bief. Si Bronn était la personne facile à désigner comme le problème, Ireyne n'oubliait pas le rôle du souverain dans toute cette histoire et à quel point son inaction avait coûté à sa région natale.

« Mon mari est un homme bon. Je le soutiens autant qu'il me soutient dans toutes ses décisions. Notre mariage n'a pas toujours été facile mais nous nous en sortons bien.» Lui répondit-elle en pensant à sa fausse-couche puis elle rajouta evc un air taquin « J'ai hâte de vous voir aller jusqu'à l'autel, vous aussi.»

Elle but une nouvelle gorgée de thé et hocha la tête à la mention des Hightower. La famille avait réussi à gagner de plus en plus d'influence dans le Bief ce qui dérangeait profondément Ireyne qui voyait clair dans les jeux de la maison. Nulle doute qu'un membre de leur maisonnée allait se proposer en tant que régent du Bief et elle avait hâte de voir qui allait se proposer en tant que volontaire dans cette tâche. Son cœur se pinça douloureusement dans sa poitrine, elle espérait que les rivalités politiques n'entacheraient pas sa relation avec sa cousine Aelinor auprès de qui elle avait grandi et qui avait été à ses côtés dame de compagnie de Margaery.

« - Je vous remercie, cousine mais j'aurais aimé avoir votre chevelure. Le feu lui-même doit vous jalouser.» Lui répondit-elle sincèrement.

Après une seconde d'hésitation, elle prit les mains de Desmera dans les siennes, les serrant doucement et dans un moment de pûre sincérité lui dit :

« - Cousine, je tenais à m'excuser quant à la brève note que vous avez du recevoir suite au décès de votre père. Je souffrais moi-même d'une perte qui m'a empêché de vous écrire directement.»

Ireyne était heureuse que sa cousine se marie, elle devait produire des héritiers pour sa maison avant que l'âge ne l'empêche de le faire. Surtout, elle espérait que le mariage l'empêcherait de se sentir trop seule dans sa maisonnée et dans son cœur. Ireyne avait toujours grandi au milieu d'une fratrie et de cousins et cousines, grâce aux Sept, ses parents étaient toujours en vie et bien portants. Elle ne pouvait imaginer la peine qu'elle ressentira le jour où elle perdra son père ou sa mère. À chaque fois que son père et son frère étaient allés en campagne militaire, elle s'isolait pour prier pendant des heures, suppliant les Sept qu'ils ne lui prennent pas son père et son frère. Elle ne pouvait imaginer l'isolation que devait vivre Desmera et à quel point les Hightower s'en était servie pour avancer leurs pions à son insu. Néanmoins, elle espérait que le futur mari serait bon pour sa cousine et surtout qu'il la traite bien. Elle pouvait voir une certaine appréhension sur son visage alors elle lui adressa un sourire rassurant.

« Le mariage est un compromis constant que l'on fait avec l'autre. J'ai hâte d'assister à votre mariage, nulle doute qu'il sera somptueux.»

Ireyne se demanda en la regardant attentivement si elle savait quelque chose concernant une probable candidature d'Humfrey au poste de régent. Si elle-même n'avait pas l'ambition de devenir régente, elle n'excluait pas son fiancé et n'avait pas dit un mot à ce sujet. À la mention de sa solitude face à la mort de son père, Ireyne ne pouvait que compatir. Elle essayait de ne pas penser à sa fausse-couche trop souvent, parfois cela la hantait au point de ne pas dormir la nuit. Parfois, elle se prenait à maudire les Dieux de lui avoir enlevé cet enfant. Elle se souvient de ses larmes en tenant les draps ensanglantés, des sages-femmes qui s'agglutinaient autour d'elle en murmurant des mots qui sonnaient comme affreux à ses oreilles. Elle se souvient avoir supplié son corps d'arrêter, d'avoir hurlé dans sa chambre pour supplier les dieux d'épargner la vie de son enfant à naître. À cette simple pensée, elle sentit ses yeux devenir brûlants, mais elle ravala cette tristesse, empêcha ses larmes de couler.

« Je regrette de vous avoir laissé ainsi. Ne vous demandez pas ce que vous avez fait de mal, dans mon coeur l'affection que je vous porte est toujours la même et aucun grief n'existe entre nous.»

Elle se redressa légèrement comme pour prendre un peu plus de distance avec les prochains mots qui allaient sortir de sa bouche. Sa main se posa instinctivement contre son ventre qui était désormais plat. La rondeur fantôme de son ventre lui semblait être un poids en plus qui voulait l'empêcher de se redresser ce qu'elle fit malgré la douleur que lui causait ce mouvement.

« - J'ai pris beaucoup de temps, trop peut-être à pleurer ce que j'avais perdu.» Lui répondit-elle d'une voix qui laissait transparaître une certaine sensibilité.

Même des mois plus tard, elle avait du mal à nommer ce bébé qu'elle avait perdu.

« - Les Sept m'avaient donnés une bénédiction, j'étais enceinte. Je l'ai perdu lors d'une belle après-midi comme aujourd'hui.»

Ireyne ne savait pas si elle était la personne la plus qualifiée pour donner des conseils de mariage. La vérité était qu'elle improvisait au fil des jours et au fil du temps. Gyl et elle vivaient en harmonie avec ce qui était plus que la plupart des mariages qu'elle connaissait. Elle ne savait pas si il y avait de l'amour entre eux comme celui que décrivent parfois les poètes mais il y avait du respect et de l'amitié. Ils avaient une tendresse l'un envers l'autre qui était indéniable. Elle ne regrettait pas ce grand amour que décrivent tant de gens, le sentiment pouvait être bénédiction comme malheur et pouvait mener aux erreurs. Cette alliance avec Gyl ne devait pas être perturbée par des torrents d'émotions. Pourtant, ce serait mentir que de dire que son apparent pragmatisme face à la perte de leur enfant ne l'avait pas blessé. Ireyne devait faire mieux, produire une multitude de fils le plus vite possible, prouver qu'elle était fertile et pouvait porter un enfant à nouveau.

« Quelque soit le faste de votre mariage, comptez ma présence comme acquise. J'ai peu de souvenirs d'Humphrey cependant, quel genre d'homme est-il ?»

La question était d'apparence innocente, mais Ireyne voulait savoir quel genre d'adversaire pouvait mettre les Hightower sur sa route. L'homme pouvait être présenté par son père comme futur régent du Bief, il avait bien le nom qui était suffisamment glorieux pour réussir à glaner des soutiens puissants. Elle but une nouvelle gorgée de son thé. Desmera ne semblait pas être éprise de l'homme, elle n'en parlait pas en terme particulièrement affectueux et n'avait pas eu ce regard sot que toutes les jeunes filles ont quand elles ont le malheur de tomber amoureuse.

« Les Dieux prennent mais ils donnent aussi. J'aurais bientôt en mon ventre un fils et héritier.» Sa voix vibrait d'autorité, comme si elle pouvait par cette simple phrase ordonner aux Dieux de lui donner rapidement.

Ainsi donc la jeune flamme dévoilait ses cartes. Elle avait toujours eu du mal à comprendre les fanatiques ; ces bouseux qui contournent la loi des dieux et des hommes pour une cause qu'ils ont peine à comprendre. La Foi avait toujours été dangereuse, donner du pouvoir à cette institution était comme jouer à être équilibriste ; trop et ils peuvent soumettre des gouvernements et peu, ils se mettent à comploter contre le dit gouvernement. Le Grand Septon lui-même n'arrivait pas à contrôler ses propres chiens et les laissaient vagabonder dans le Bief comme des animaux errants méritant la mort pour leur insubordination.

« - La politique plus que douteuse de mon père a réussi à les tenir hors de nos terres mais je ne suis pas de ceux qui les regardent avec bienveillance.» Elle mangea un bout de son gâteau et rajouta quelques secondes plus tard, d'une voix honnête mais froide comme le fer « Ces animaux doivent être remis sur le droit chemin au plus vite et sont un pêché aux yeux même des Dieux.»