Dans les roseraies de Hautjardin

Aelinor évitait soigneusement de se retrouver seule avec Lord Cendregué depuis qu’ils avaient failli s’embrasser, pourtant, elle était bien consciente qu’ils devaient parler. Gunthor lui avait dit pour son projet d’attaque de campement fanatique et sa décision finale d’organiser des reconnaissances. De plus, il y avait eu la missive de la couronne annonçant le concile. Ils avaient donc un tas de choses à se dire et à préparer pour organiser la venue de tous les nobles du Bief à Hautjardin, leur sécurité notamment, ainsi que la tenue du Concile. Elle avait déjà confié à l’intendant le soin de gérer les repas de tout ce beau monde et d’organiser un banquet. Le capitaine de Hautjardin et Gunthor organiseraient la sécurité de la forteresse et des routes alentour conjointement avec Treyvir. Mais il restait beaucoup à faire et notamment à parler de la stratégie à adopter lors du Concile. Après tout, le jeune homme n’était pas à Hautjardin par hasard et la Hightower non plus, mais nul doute que d’autres Seigneurs voudraient leur damer le pion, aussi, pour s’assurer de l’unité du Bief, ils allaient devoir parler stratégie.

__ Il est aux jardins Ma Dame.


Fit le serviteur qu’elle avait chargé de la prévenir quand le moment serait propice à une nouvelle discussion privée mais dans un lieu public. Les jardins, c’était parfait.

__ Creighton.


La jouvencelle quitta ses appartements suivie par son épée lige et rejoignit Lord Cendregué dans les jardins qui étaient toujours aussi magnifiques et dont, hélas, ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de profiter la dernière fois. Entre-temps, elle avait perdu beaucoup de poids et ses traits étaient manifestement tirés, mais elle continuait à se rendre à l’office en ville tous les jours et à distribuer le pain. Différence notable cependant, elle avait changé de garde robe et ses nouvelles tenues ne présentaient plus le moindre décolleté. C’est ainsi qu’elle arriva, face au jeune Seigneur et s’inclina vêtue d’une robe de laine grise près du corps aux motifs géométriques blancs dotée d’un col officier qui couvrait jusqu’à son cou. Par dessus, elle portait un serre taille de cuir noir. Elle offrit néanmoins un sourire à Treyvir et constata avec joie que ses blessures avaient bien cicatrisées. Gladys ne lui avait rien dit des soins qu’elle lui avait apportés, mais ils semblaient en tout cas avoir porté leurs fruits.

__ Lord Cendregué. Je suis ravie de vous croiser par hasard, j’avais à vous parler. Avez-vous déjà eu l'occasion de discuter de la sécurisation de Hautjardin et de ses alentours avec Ser Gunthor ? Je ne voudrais pas qu’il arrive malheur aux illustres participants au Concile organisé par la couronne d’ici quelques semaines. Je pensais pour ma part organiser un banquet de bienvenue la veille au soir afin de nous retrouver tous autour d’un bon dîner. Pensez-vous qu’il serait malvenu que nous le présidions ensemble ?


Dit-elle en restant à distance raisonnable, les mains croisées devant elle, ses doigts jouant frénétiquement avec la chaîne qui était accrochée à son serre-taille et au bout de laquelle dansait une montre en argent ciselée d’élégants entrelacs.

La brune aux yeux céruléens remarqua le changement, mais ne sut trop dire s’il était ainsi plus impressionnant, plus digne ou simplement effrayant. Il y avait quelque chose dans son regard, mais en un sens, elle avait aussi cette lueur, cependant, c’était quelque chose de nouveau chez lui, ou en tout cas elle ne l’avait pas noté avant. Bien sûr, les sept boutons qui fermaient son manteau ne passèrent pas inaperçus. Alors, elle décida de lui sourire, tout en restant toujours à bonne distance. En détaillant le reste de ses vêtements, elle nota des signes religieux partout. Était-ce elle qui délirait ou était-ce lui qui avait fait son chemin d'Étoile comme elle avait fait le sien durant ces quelques jours ? Elle ne le savait pas pieux, mais elle n’avait certainement pas suffisamment discuté avec lui pour savoir s’il l’était ou non. Le Ferrant et le guerrier transparaissent dans ces choix vestimentaires. Elle était surprise, agréablement surprise, mais néanmoins elle n’était pas certaine de ne pas voir de signes là où il n’y avait rien d’autre que des vêtements. Gladys lui avait rapporté que, quand elle était allée le voir pour la première fois, il avait l’Etoile à sept Branches entre les mains. Il faudrait qu’elle se renseigne pour savoir s’il y avait d’autres faits pouvant corroborer sa volonté d’afficher une symbolique pieuse.


Se pouvait-il qu’il partage la même foi qu’Aelinor ? Une foi profonde et puissante, sincère et ardente, allant parfois même jusqu’à l'idolâtrie mystique, voir la folie. Imaginez seulement qu’elle n’ait pas fait que penser au baiser, imaginez qu’elle ait quelque chose de plus grave à se faire pardonner ? Jusqu’où était elle prête à aller pour incarner la Jouvencelle ? Jusqu’où était elle prête à aller pour les Sept ? Pour respecter leurs préceptes, pour se conformer à leurs saintes paroles ? Elle même le savait-elle ? Elle avait durant Sept jours exploré de nouveaux horizons de sa foi, elle était allée au bout d'elle-même mentalement et physiquement pendant cette retraite, manquant de mettez sa santé en péril pour une simple pensée qu'elle jugeait mauvaise, impie, sale, indigne. Et pourtant Gladys avait raison, il était beau et c’était un Grand Seigneur du Bief. Si vraiment il était également à la fois pieux et ambitieux, il pourrait bien être le parfait prétendant pour la Hightower. Et s’il avait fait tous ses efforts, c’est qu’il n’était pas indifférent, n’est-ce pas ?

__ Vous profitez des jardins je vois. C’est un endroit merveilleux n’est-ce pas ? J’aime Villevieille, j’aime Grand Tour, probablement plus que n’importe qui, même dans ma famille, mais les jardins de Hautjardin, je les aime plus que de raison. Là où ma cité pullule et s’agite, ici, je trouve un calme et je vois s’exprimer le divin dans chaque manifestation de la nature qui nous entoure.


Dit-elle doucement alors qu’ayant fini de parler il reporta son regard sur l’horizon, posant ses yeux sur la magnificence des lieux plutôt que sur elle. Elle fit de même avant de reprendre le cours de la conversation.

__ Votre idée d’unité mixte me semble parfaite et votre sollicitude concernant la dispersion de vos troupes vous honore. Je suis certaine que vous avez trouvé en la personne du Ser mon oncle un bon interlocuteur pour garantir la sécurité de Hautjardin et celle de nos hôtes. Je doute d’être d’une quelconque utilité en la matière, mais si je peux vous aider de quelque manière que ce soit, ne serait-ce qu’en fournissant quelques chevaliers de ma garde personnelle, vous n’aurez qu’à demander.


Est-ce que cela signifiait que Ser Gunthor allait quitter Hautjardin ? Il semblait que oui. Comment Treyvir avait-il pu le convaincre d’un tel mouvement ? Il était vrai cependant qu’une escorte conjointe serait bienvenue pour le Maître des Lois, mais Aelinor aurait cependant préféré que Lord Caswell s’en charge, il était plus proche de la frontière, peut-être même encore à Port-Real à ce moment là, et puis De La Nouë aurait également pu s’en charger. En vérité elle n’aimait pas du tout l'idée d’être privée du seul homme avec Ser Creighton en qui elle avait entièrement confiance et à qui elle confierait sa vie les yeux fermés. Mais elle ne pouvait pas faire part de ses inquiétudes à Treyvir et désormais la chose était actée. Est-ce que le Cendregué la protégerait s’il y avait du grabuge ? Où est-ce qu’il avait intentionnellement éloigné Ser Gunthor de la jouvencelle ? Les hommes de Villevieille seraient certainement commandés par le second de Gunthor, mais il n’avait pas son talent partial et il n’était pas un Hightower. Elle essaya de chasser la peur et de rester stoïque malgré ses craintes, se disant qu’elles étaient certainement infondées et qu’il fallait qu’elle arrête d’être paranoïaque. Difficile cependant de ne pas penser au pire après ce qui lui était arrivé, mais après tout, c’était le jeune homme qui l’avait sauvée. Pourquoi chercherait-il à présent à lui faire du mal ? non ça n’avait aucun sens. Elle prit une grande inspiration et retrouva son sourire. Au fond, c'était une bonne chose qu’Ulwick Uller soit escorté par un Hightower en personne.

__ En tout cas, vous me voyez ravie de l’aide que vous a apportée mon oncle. J’ai ouï dire que vous aviez trouvé un terrain d’entente effectivement, et pas uniquement concernant la caravane. Il semblerait que vous ayez renoncé à attaquer le camp des fanatiques installé près d’ici et choisi une approche plus… prudente dirons nous. Je vous en remercie. Cela me touche que vous respectiez ma position et que vous fassiez cet effort pour moi, d’accepter de faire un pas de côté pour accorder nos perspectives. Sachez que si nous estimons également qu’une attaque est nécessaire, nous serons à vos côtés dans cette attaque et je tâcherais de convaincre le Lord mon Père de vous laisser diriger cette offensive.


Marquant une courte pause, elle le regarda un instant, toute droite dans sa robe neuve que son père dès approuverait certainement. Elle se demanda si elle ne s’avançait pas un peu trop sur sa capacité à convaincre son père de quoi que ce soit après les mauvais tours qu’elle lui avait joué ces derniers temps. Elle se demanda aussi s’il lui ordonnerait de reprendre les tenues taillées pour mettre en valeur toute sa grâce et sa féminité encore intacte et innocente afin d’attirer de prestigieux prétendants. Elle ne pouvait pas lui avouer qu’elle avait déjà embrassé un homme et qu’elle avait trop peur de recommencer, s’il apprenait que la chasteté de sa fille aînée était en péril, il la marierait au plus vite sans lui demander son avis, et encore, s’il ne la tuait pas avant. N’empêche, sans son initiative, elle serait probablement mariée à Bronn à l’heure actuelle, peut-être alors serait-il tout aussi porté disparu et elle exactement à cette place, mais sans Treyvir, la seule différence c’est que les accusations qu’avaient porté le guet à son encontre n’auraient certainement pas été infondées. Mais grâce au Prince Edmund et grâce aux Sept, elle n’avait pas été forcée de l’épouser et était donc toujours célibataire. Elle se souvint de tous les plans qu’elle avait envisagé pour qu’il ne la touche pas, les divers poisons qu’elle aurait pu utiliser pour que ce reître indigne ne puisse jamais lui prendre sa vertu. Elle savait que son devoir d’épouse était de faire des héritiers et elle savait plus ou moins ce que cela impliquait, elle y était résolue, mais grands dieux pas avec lui. Jamais, non, jamais avec un roturier qui s’était tapé toutes les putes de Port-Real et de bien d’autres régions et qui déshonorerait certainement leur union dans le lit d’une ou plusieurs prostituées et des bonnes et de n’importe qui puisqu’il n’avait aucune dignité. Puisse Ombelline échapper à ce sort tragique.

Aelinor ne répondit rien quant aux paysages. Elle se contenta de sourire, approuvant totalement ce que venait de dire le Cendregué et préférant garder le silence suite à ses mots aussi justes que beaux. Sa loyauté allait au Bief autant qu’à sa famille et autant qu’à son ambition. Elle n’envisageait pas l’un sans l’autre, elle n'envisageait pas l'ascension nécessaire et oh combien mérité des Hightower sans que cela soit pour couvrir la région des mêmes bienfaits dont ils avaient couverts Villevieille, cité richissime au commerce florissant qui, grâce aux Sept et à la politique de Baelor avait été relativement épargnée par la guerre. Elle aussi avait grandi face à un fleuve, ou plutôt un estuaire, Le Murmure, et face à la mer, observant, depuis l’immense tour, les bateaux venus du monde entier danser autour du port. Du chemin des contrebandiers aux champs verdoyants, de la lande aux bois fleuris, de la ville et ces mille rues où les hommes et les femmes qui du haut de Grand Tour ressemblaient à des fourmis, s’agitaient et échangeaient biens et argent à la citadelle et aux nombreux septuaires. Elle connaissait bien également les alentours de Bois Doré ainsi que la route qui y conduisait, car fut un temps, elle était proche de sa cousine et son père de son beau-frère, Lord Mathis Rowan.

__ Puissent les Sept vous pardonner. Sachez que moi, je vous comprends et vous pardonne si cela peut-être important pour vous. Comme vous disiez, il y a ce que nous sommes, et ce que nous voulons être. Tâchons de devenir le meilleur de nous même pour le Bief.

La brune posa ses yeux azur sur Lord Cendregué avec un sourire.

__ J’ai toujours eu ce rôle, j’ai toujours été le gant de velours de Villevieille, la négociatrice des actions politiques du Lord mon père. Mais je ne peux l’être que si je suis accompagnée d’une main de fer, celle de mon père, de mon oncle et, un jour, celle de mon époux. Ce qu’une femme peut faire pour apporter la paix n’est possible que si des hommes sont prêts à faire la guerre pour la défendre si la diplomatie et la bonté échouent. L’une n’existe pas sans l’autre, se sont ,en quelque sorte, les deux faces d’une même pièce. Je respecte cela, car parfois la violence et la lutte sont nécessaires. Alors vous n’avez pas à être aussi doucereux que la Jouvencelle, laissez cela aux femmes, soyez ce que vous êtes un Guerrier, mais un Guerrier sage qui aime davantage la paix et la vie que la destruction. Votre capacité à adapter votre stratégie et à accepter d’écouter une autre vision me font penser que vous l'étiez déjà, ce Guerrier sage. Mais dans l’adversité, nous avons tous tendance à oublier la patience et la douceur et votre impétuosité vous a aussi permis de vous débarrasser de votre… problème.

Elle le regardait toujours quand elle eut terminé, et elle souriait toujours. Elle ne broncha pas quand il s’approcha et heureusement il s’arrêta suffisamment loin pour qu’aucun malentendu ne puisse se glisser entre eux. La Hightower était ravie qu’il la rejoigne sur ses positions vis-à-vis de ceux qui n’avaient rien fait.

Aelinor avait parlé avec humilité, parce qu’elle se devait d’en faire preuve face à un Seigneur et qu’elle parlait sous le regard des Sept et jamais à leur place. Mais elle se doutait bien que son avis comptait pour Treyvir, après tout, il l’avait déjà démontré en adaptant sa stratégie suite à sa discussion avec Gunthor. Peut-être même que sa tenue du jour et cette nouvelle attitude étaient liées au fait qu’il respectait sa position et sa pudeur, plus les choses allaient, et plus elle pensait en ce sens, sans pour autant pouvoir en être certaine. Elle ne pouvait que se réjouir si tel était le cas, cela voudrait dire qu’elle éclairait effectivement la voie, ce qui était son vœux le plus cher. Mais, si elle était plus que flattée de compter à ses yeux d’une telle manière, elle ne pouvait pas s’en féliciter pour autant, elle ne faisait que son devoir. Cependant, cela n’empêcha pas ses joues de rosir légèrement.

__ Ne me remerciez pas, tout l'honneur est pour moi.


Les réflexions de la brune aux yeux céruléens étaient valables quel que soit l’époux qui serait le sien. Mais elle n’avait pas pour habitude de parler au hasard et de n’avoir point d’idées derrière la tête quand elle choisissait ses mots. Ils n'étaient cependant pas nouveaux, cela faisait longtemps qu’elle envisageait un mariage dans lequel elle serait ce gant de velours, si tant est que son mari veuille bien lui laisser cette place. Elle avait prié en ce sens, elle avait pensé toute sa vie en ce sens. Parce que si le mariage était une étape indispensable dans la vie d’une noble jouvencelle comme elle, s’il pouvait-être une fin en soi pour certaines, ce n’était pas son cas. Elle voulait continuer à peser dans la politique de Westeros, elle voulait pouvoir guider son peuple, épauler son homme, être aimée et admirée par tous pour ses actions et non seulement pour son titre. Elle était aussi femme à envisager toutes les opportunités et c’était bien pour cela qu’elle ne s’était pas mariée avec le premier charmant seigneur venu et qu’elle s’était débrouillée pour que son père ne puisse pas choisir à sa place. Alors une union avec le Cendregué, elle y avait évidemment déjà longuement pensé.


Toutefois, la réaction du jeune homme ne fut pas celle escomptée. Était-elle allée trop loin en évoquant ce qu’elle pouvait être en tant qu’épouse ? Avait-elle dit une bêtise ? Quelque chose qui ne correspondait pas à l'idéal féminin de Treyvir ? Après tout c’était possible, elle était femme de caractère, forte et indépendante, cela était loin de plaire à tout le monde et elle le savait. De plus elle savait ne pas pouvoir compter sur ses connaissances en matière d’homme et de sexe pour espérer garder son époux, à moins qu’il ait la patience de lui apprendre en douceur, encore que cela même elle ne sauraut l’envisager étant donné ce qu’elle s’imaginait de la chose. A cette heure, elle appréhendait le carnage, mais elle s’y plierai car tel était son devoir et sans nul doute que, une fois mère, elle oublierait ce qu’il avait fallu faire pour mettre une enfant au monde.

Nul ne pouvait exceller en tout, Aelinor pas plus que n’importe qui d’autre. Si vous lui demandiez lui de tenir une épée, simplement la tenir, vous comprendriez vite qu’elle en était incapable. En effet, son éducation ne s’était absolument pas portée sur le maniement des armes ou même simplement le fait d’apprendre à se défendre. C’était là son plus gros point faible, et si elle en avait d’autres, celui-ci était sans doute le plus évident. Même avec une dague elle serait capable de se blesser plutôt que de blesser un assaillant. Ce n’était pas pour rien que ses protecteurs étaient triés sur le volet en cas d'attaque, elle serait strictement inutile et deviendrait même un boulet, particulièrement si la peur lui faisait perdre connaissance. Mais parfois, comme lors de la tentative d’enlèvement par exemple, l’instinct de survie pouvait éviter ce genre de réaction qui la rendait particulièrement vulnérable. C’était une bonne chose qu’elle ne soit pas tombée dans les pommes ce jour là, sans quoi Treyvir n’aurait pas eut ses hurlements pour se repérer et venir la chercher et il était probable que ses ravisseurs n’auraient eut aucun mal à l’emporter à travers les tunnels et à parvenir à l’enlever pour de bon.


Aelinor vit le sourire du Cendregué, son hésitation, mais surtout sa réponse qui voulait tout dire. S’inclina en réponse à la révérence du Cendregué et, avec un léger sourire sur les lèvres, elle répondit :

Aelinor n’avait pas souhaité faire revivre l’horreur à Treyvir, alors quand elle le vit soudain s’affaisser et s’éteindre, comme si Morren était à nouveau là à le maltraiter, elle s’arrêta sur le champ de parler. Elle était désolée de le voir ainsi souffrir, désolée aussi qu’il n’ait eu personne d’autre qu’Ombelline pour en parler à cette époque sombre de sa vie. Elle imaginait la souffrance et elle était triste pour lui, en colère aussi, contre son oncle.


Mais elle se souvint également que c’était cela, sa compassion envers lui qui les avaient tous deux amenés à dépasser les limites de la bienséance. Et pour cause, en le voyant ainsi, elle voulait s’approcher, elle voulait pleurer avec lui, elle voulait verser les larmes qu’il ne pouvait probablement pas verser. Elle avait envie de lui caresser la joue et de chercher son regard pour qu’à nouveau ses iris s’illuminent en la regardant. Elle voulait qu’il la serre dans ses bras pour sentir que tout dans la vie n’était pas aussi cruel que la main de Morren. Elle voulait l’embrasser pour qu’il connaisse la douceur, au moins une fois dans sa vie. Et c’est en pensait à tout ça, à toutes ses folies qui lui traversaient l’esprit en cet instant hors du temps qu’elle l’observa. Il regardait l’horizon et elle lui savait gré de ne pas s’approcher, de ne rien faire de tout ce qui lui passait par la tête à elle. Elle aurait pu résister, elle avait le soutien de sa foi, la force intérieure de la jouvencelle. Mais cela aurait créé un nouveau quiproquo inutile. Elle lui souriait cependant avec toute sa bienveillance, avec toute la compassion de la Mère, les mains jointes devant elle.


Ils avaient tous deux céder à la tendresse, c’était humain, mais s’il fallait qu’elle résiste pour deux alors elle le ferait sans hésiter car un tel comportement n'était pas digne d’elle, pas digne d’eux en vérité. Le Cendregué était un Lord Bieffois digne de ce nom contrairement à Bronn qui ne savait pas se tenir. S’il avait certainement connu d’autres femmes, il n’était pas comme La Néra prompt à assouvir ses besoins avec la première venue et à se gargariser de ses piètres expériences. Il avait peut-être même couché avec des prostituées, comme une grande majorité des jeunes hommes de son rang à qui on payait des putes pour se déniaiser avant la première bataille. Mais il savait, contrairement au reître, qu’Aelinor n’en était pas une et qu’il fallait un peu plus que quelques sols de cuivre pour la séduire. Il avait la foi probablement autant qu’elle et donc ils ne pouvait pas se laisser détourner de son devoir ainsi, par faiblesse, par amour, Morren ne méritait pas qu’il se fourvoie à ce point. Et jamais il ne la forcerait à quoi que ce soit avant le mariage. S'il avait été le seul fautif, cela aurait été plus simple, mais elle n'était pas innocente hélas et pour que cela ne se reproduise pas, il fallait bien Sept jours de prière et de privation afin de se remettre les idées en place. Puisse-t-il trouver la paix. Se prit-elle à penser alors qu’enfin, elle posait ses yeux sur le même horizon que lui.


Quand il accepta la première, elle sut en reposant son regard sur lui, qu’il en avait besoin maintenant, tout de suite, ici. Alors, elle s’agenouilla devant un petit banc de pierre situé non loin et posa ses coudes dessus. Elle ferma les yeux et joignit ses mains avant de se mettre à chanter la prière à la mère.

Oh la Hightower n’avait pas la plus belle voix du monde et elle n'avait jamais eu le temps de s'adonner également à la musique autant qu’elle l’aimait. Elle avait une voix grave quand elle parlait et elle ne savait chanter réellement que les chants religieux qu’elle avait l'habitude de partager avec ces gens et sa famille au Septuaire. Cela lui faisait bizarre d’entendre ainsi sa voix dans ces jardins, solitaire, sans écho, sans chœurs, mais elle y mettait du cœur pour soigner les blessures de Treyvir. Gladys pour cela était bien plus douée et son chant bien plus mélodieux, elle avait des airs de rossignols et jouait de la vièle à merveilles. Seulement, elle ne savait pas prendre soin d’une âme meurtrie autrement qu’ainsi, en priant, alors elle avait prié et pour guider le Cendregué, elle avait chanté la chanson de la mère car il avait sans nul doute besoin de la paix qu’elle apportait et du réconfort qu’elle procurait. Nul ne pouvait exceller en tout et Aelinor, bien qu’adorant la musique, appréciant en écouter, n’avait aucun talent pour elle.


Pour autant, cela avait eu l’air de faire son effet, le jeune homme semblait plus détendu, mieux en tout cas que quelques instants avant, quand la brune aux yeux azur rouvrit les yeux après la chanson. Il s’était approché pour se mettre, lui aussi, à genoux devant le banc. Elle lui sourit, lui signifiant ainsi qu’elle n’était pas effrayée par cette nouvelle proximité somme toute très raisonnable. Cependant, quand il se leva, elle tendit sa main afin qu’il l’aide à se redresser elle aussi et elle le vit reculer au lieu de la prendre. Alors, elle resta là, avec la main posée avec grâce sur l’air empli du parfum des fleurs et du chant des oiseaux en le regardant avec une certaine autorité, mais sans colère. Il était bien maladroit au fond, et elle aussi, mais quoi qu’il en soit de leurs sentiments réciproques et de ce qu’ils avaient failli faire dans cette chambre, il pouvait l’aider à se redresser et surtout, faire preuve d’un minimum de galanterie. Elle se fit la réflexion que c'était comme s’il passait de trop à pas assez dans sa façon de l’aborder et de lui parler. Il gardait ses distances comme un enfant qui aurait peur de faire une bêtise et pourtant, s’il était allé trop loin la dernière fois, il n’avait pas vraiment fait de bêtise. Elle resterait là à attendre qu’il l’aide le temps qu'il faudrait, même si elle n’en avait pas vraiment besoin.

__ Je suis contente si cela a pu vous aider.


Fit-elle avec un doux sourire.

__ Je ne chante pas aussi bien que Gladys, mais j’espère cependant que cela n’était pas inaudible. Heureusement pour vous, je me débrouille mieux avec les prières qu’avec les chansons profanes. Mais peut-être que les chants guerriers siéraient à ma voix également, qu’en pensez-vous ?


Elle prit un air taquin.

__ Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui est un jour de paix.


A part les Septons, rares étaient ceux qui avait pu voir Aelinor agenouillée aussi longtemps, car la Hightower ne s’agenouillait pas si elle pouvait l’éviter. Elle savait d’ailleurs jouer avec les limites du protocole pour l’éviter, mais bon, parfois elle n’y coupait pas, devant un Roi ou devant un Suzerain qui réclamait son allégeance, sauf qu’elle n’était pas Lord, alors la plupart du temps, ils n'attendaient pas cela d’elle et elle se contenter d’une large révérence bien basse, geste qu’elle maîtrisait avec grâce. D’ailleurs Ser Creighton commençait à s’impatienter, mais il savait bien que, si elle ne le regardait pas lui, mais bien le Cendregué, c’était qu’elle voulait que se soit lui qui lui tende la main. Le gant de velours une fois de plus pliait plutôt que de rompre et acceptait de rester dans une position bien peu digne d’elle dans le seul but de montrer à Treyvir qu’il avait mit les limites un peu loin depuis le début de leur entretien. Évidemment s’il s’était agit d’un vieux crouton ou pire, de Bronn, elle se serait levée seule en deux temps trois mouvements, et d’ailleurs, elle ne se serait jamais agenouillée pour prier avec lui. Mais puisqu’il semblait apprécier sa compagnie et puisqu’il avait répondu positivement à ses allusions, il était peut-être temps qu’il lui fasse la cour comme un gentleman. Elle était peut-être coincée, dévote et inexpérimentée, mais pas insensible. Elle resterait aussi pure que la Jouvencelle jusqu’au soir de ses noces, mais il y avait tout un tas de choses qu’il pouvait néanmoins entreprendre. Par ce geste, elle lui rendait l’initiative de la suite de la relation, parce que ça n'était pas à elle de mener la danse à ce niveau là.