[HAUTJARDIN] L'amour est une fumée faite de la vapeur des soupirs ft. Desmera Redwyne

Les jardins de la capitale du Bief étaient magnifiques en cette saison. Les roses fleurissaient partout, leur parfum et leurs couleurs enivrant ses sens. Des haies bien entretenues masquaient des passages, des gloriettes et des bancs où amis et amants pouvaient se retrouver sans être espionnés. Partout des arbres fruitiers et des rosiers. Un enchantement. Mais pour l'heure, il écoutait une troupe de musiciens, un verre de vin de La Treille en main. Le seigneur de Hautjardin ne se permettait que le meilleur, et c'était un plaisir d'y goûter. Vraiment cette demeure était la plus belle du continent. Peut-être même du monde ! Il était venu accompagné de son père et de son frère, qui allait commencer son écuyage auprès du seigneur Tyrell. Un poste prestigieux, que leur père avait négocié brillamment. Duncan était heureux pour Jansen. Mais également triste, il ne verrait plus son frère pendant un long moment. Lui était déjà écuyer de leur père, il devrait donc rester à Cendregué. Treyvir et Ombeline n'étaient encore que des bambins, et il perdait son compagnon de toujours. Il était triste. La musique, une ballade romantique n'aidait pas à lui remonter le moral. Mais il n'écoutait que d'une oreille, absorbé par un spectacle beaucoup plus impressionnant.

Parmi les spectateurs, il y avait Desmera Redwyne, la fille du seigneur de La Treille. Il l'avait déjà aperçue plusieurs fois, lors de fêtes organisées par leur suzerain, mais n'avait jamais osé aller lui parler. Elle était ravissante, sa tenue la mettait agréablement en valeur. Ses cheveux de feu et ses yeux couleur mer...Il aurait pu passer des heures à l'observer, de loin. Elle éclipsait toute autre distraction. Mais elle était bien née et lui pas. Il se contentait donc de la contempler de loin. Ses yeux brillaient en la regardant. Jansen lui donna un coup de coude dans les côtes pour interrompre sa rêverie. « Si tu ne vas pas lui parler, c'est moi qui le fais. » Son frère en avait peut-être assez de l'entendre vanter les mille et unes vertus de la demoiselle ... Mais il ne pouvait le laisser faire. Si Jansen parlait, Duncan ne pourrait plus la regarder sans voir de jugement dans ses yeux. Tant qu'elle ignorait sa présence ou du moins son intérêt pour elle, il ne risquait rien. Qu'arriverait-il si elle le rejetait ? Ce serait pire que ce qu'il vivait actuellement. Mais il ne pouvait pas non plus laisser son frère lui ravir la dame.  

Marmonnant une réponse peu aimable, Duncan repoussa son frère, vida son verre d'un trait et lui fourra dans la main. Il entendit Jansen rire et son visage se ferma, rouge de honte et de colère. Puis il s'avança d'un pas décidé, qui ralentit et devenait plus hésitant à mesure qu'il s'approchait de la demoiselle. Qu'allait-il bien pouvoir lui dire ? Il n'en avait pas la moindre idée. Il se sentait grand et encombrant, balourd maladroit. Il n'avait jamais appris à charmer les demoiselles, cela n'avait pas fait partie de son éducation. Il serait chevalier lige de la famille Cendregué, et c'était tout ce qu'il désirait... Avant de rencontrer la belle dame. Maintenant, il se plaisait à s'imaginer portant le nom de Cendregué,... Oui, là il oserait aller lui parler. Il finit par s'approcher, mais avant d'être suffisamment près pour lui parler, il vira de bord et se mit à contempler un des buissons de buis taillé pour ressembler à un chevalier. Oui, c'était du bel ouvrage, pas une brindille ne dépassait. Les musiciens terminèrent leur chanson, et après quelques applaudissements, se mirent à ramasser leurs instruments pour aller jouer plus loin.

La demoiselle quittait le spectacle, et avait déjà disparu au coin d'une haie, quand il nota qu'elle avait perdu son mouchoir, une petite chose de tissu brodé. Duncan s'empressa de le ramasser avant que quelqu'un ne marche dessus, ou pire, le ramasse à sa place. Il tenait son ouverture !  Il accéléra son pas et s'approcha de la dame, s'adressant à elle d'une voix peu sûre,  « Ma Dame, vous avez laissé tomber votre mouchoir. » Et il le lui tendit d'un geste qui se voulait délicat, accompagnant le mouvement d'une petite courbette. Il se redressa et jeta un œil aux alentours. A part Jansen qui savait se faire discret, mais semblait près à s'étouffer d'un rire retenu, il n'y avait personne.

Ne sachant quoi ajouter, il continua, « Euh... Le spectacle était ravissant, Messire Tyrell  a beaucoup de goût... »  Par les Dieux, qu'il était stupide !

Elle connaissait son prénom ! Il en rosit de plaisir... et de honte. Sa mise était assez simple, ses habits taillés dans de la bonne étoffe de lin vert pâle, mais sans prétention. Jansen avait été habillé de neuf, lui ; et aux couleurs des Cendregué, normal, puisqu'il fallait faire bonne impression auprès du sire des lieux. Ducan, quant à lui préférait rester discret.. Enfin, jusqu'à ce moment. « Ah. Euh... Duncan suffira ma Dame... Je ne suis pas noble, ni encore chevalier. » Et il ne l'avait jamais autant regretté... «  Je suis l'écuyer de Messire Cendregué, mon père. Et tout le plaisir est pour moi » répondit-il à ses remerciements. Avait-elle fait tomber son mouchoir à dessein ? Il se prenait à le rêver. Elle le connaissait ! Il aurait pu danser, si cette occupation n'avait pas été si étrangère pour lui. Il avait toujours été plus chevalier que courtisan, et sa grande carcasse ne lui donnait guère l'air élégant. Mais qu'importe, pour elle, il aurait pu. Il ne pouvait s'empêcher de lui sourire doucement.

Il enchaîna sur le spectacle offert par le sire de Hautjardin, ne sachant pas trop comment entamer une conversation. Elle le félicita pour son amour des arts... alors qu'il n'y connaissait rien et n'avait dit cela que pour tenter de l'impressionner. Comment allait-il pouvoir continuer la conversation si elle poussait le sujet plus avant ? Il n'en avait aucune idée, « Hautjardin est certes le haut lieux des belles choses, Ma Dame. » dit-il en la regardant avec admiration. Le soleil faisait briller ses cheveux de mille feux, lui conférant un halo digne de La Jouvencelle en personne. Elle était la plus belle de ces choses ornant les jardins du seigneur des lieux. « Mon frère va devenir écuyer de Messire Tyrell, toute la famille l'a accompagné pour lui dire au revoir. » Mais elle pourquoi était-elle là? Le domaine de La Treille restait assez isolé, tout de même et le voyage avait du être long.

Il hésita un bref instant quand elle lui proposa un tour dans le jardin. Il en mourrait d'envie, mais ne pouvait s'empêcher d'imaginer les regards réprobateurs de certains bien-nés, ou encore de Morren. Si cela n'avait été que de lui, Duncan serait resté caché à Cendregué. « Ce serait avec plaisir. Mais ne craignez-vous pas le qu'en-dira-t-on ? » Il restait à distance respectable de la demoiselle, de peur qu'on puisse croire à quelque manœuvre malhonnête ou déplacée de sa part. « Et vous, puis-je vous demander les raisons de votre venue, si ce n'est pas indiscret ? » Sa vie était tellement moins intéressante que celle de Desmera !

Il sourit un peu bêtement à la remarque de Desmera. Il était ravi. Ses frères avaient parlé de lui en termes élogieux ? Peut-être devrait-il arranger une passe d'armes avec eux, et Desmera viendrait y assister... Mais que se passerait-il s'il mettait un de ses frères au sol... Ou si lesdits frères lui mettaient une raclée ? Non... Finalement ce n'était pas une bonne idée !

« J'ai encore beaucoup à apprendre avant d'égaler Père, mais j'aime m'entraîner. » C'était un moment où il ne devait pas réfléchir, où il se sentait à sa place, pas du tout comme ici.

« Oui, mon frère aura droit à la meilleure éducation qu'on puisse désirer. Je suis heureux pour lui. » En plus de pouvoir nouer des contacts avec d'autres grands seigneurs ou des fils de seigneurs. Peut-être même des gens d'autres régions. Et il aurait droit à participer aux fêtes et réceptions organisées à Hautjardin. Duncan ne savait s'il devait l'envier ou le plaindre.

Quand il lui demanda si leur promenade ne serait pas déplacée, il ne s'attendait pas à cette réponse... Main en avant, il recula d'un pas.  « Ma Dame ! Je n'oserais jamais !  » Ne manquerait plus qu'elle aille clamer qu'il était trop entreprenant. Pensait-elle que lui allait être inconvenant ?! Mais elle le remit rapidement à sa place. Oui, il n'était qu'écuyer. Mais un jour, il serait chevalier, le meilleur du Bief.

Ainsi, elle était parente avec les seigneurs Tyrell. De quoi le rendre encore plus intimidé, et inquiet quant à leur discussion.

« Et vous, que préférez-vous ? Les jardins de Hautjardin ou de La Treille ? » Il espérait qu'elle les lui décrirait. Cela lui permettrait de mieux la connaître, de savoir ce qui lui plaisait.

Ils marchaient le long d'une haie de rosiers grimpants, et les fleurs d'un blanc immaculé. La rose Tyrell. Une d'entre elles serait si belle dans ses cheveux...

Il était en train de se l'imaginer, quand une masse dorée fonça dans leur direction dans un grondement strident. Une troupe de gentilshommes la poursuivaient en hurlant. Surpris, Duncan eu tout juste le temps de se placer devant Desmera avant que la bête ne vienne buter contre ses tibias. Il tenta de l'attraper, se jetant au sol dessus, mais elle lui glissa entre les mains. Le cochon, un animal d'une cinquantaine de livres, avait été graissé. Il portait un ruban de soie en collier, avec une gemme cousue dessus. Duncan eut juste le temps de le voir détaler dans l'allée à la recherche d'un endroit calme. Il l'avait raté, mais au moins Dame Desmera n'était pas blessée ; et c'était tout ce qui importait. Les joueurs, un groupe d'une dizaine de personne continua sa course sans leur prêter attention, attention focalisée sur le pauvre porc.

Quand il eut repris son souffle, Duncan lui demanda en se relevant et en époussetant ses vêtements,  « Vous n'êtes pas blessée ? »

Elle semblait apprécier particulièrement ses frères, et les admirer aussi. Il le nota dans un coin de son esprit. Et les frères Redwyne paraissaient l'apprécier. Tant mieux, lui n'avait jusque-là pas agi différemment avec eux qu'avec les écuyers des autres seigneurs. Mais il pourrait certainement essayer de s'en rapprocher, afin d'obtenir des informations sur la demoiselle.

 « Vos frères vous ont parlé de moi ? » Il était curieux de savoir ce qu'ils avaient dit sur son compte. Il ne leur avait jamais parlé franchement de son intérêt pour leur soeur, ce qui était sans doute heureux.

Bon coeur ? Il n'en savait rien. C'était ainsi qu'allaient les choses, c'était tout. Sa place n'était pas sur un trône, mais à servir. Et voir les gens du commun heureux et fiers de leur seigneur était une récompense suffisante. Il aurait peut-être pu essayer de manigancer pour prendre la place de Jansen, mais cela ne pouvait que mal finir, pour lui, certainement, et pour tout Cendregué.  Il heureux à sa place, et n'avait pas besoin de plus.

 « Merci, Ma Dame. » Ses mots lui allaient droit au coeur.

Il lui demanda si elle préférait les jardins de chez elles ou ceux d'ici. Il ne s'attendait pas à ce que la question la passionne autant, mais était satisfait d'avoir fait mouche. C'est bien qu'elle ait une vie heureuse, à La Treille. Il nota par ailleurs qu'elle appréciait les hortensias... Il saurait s'en souvenir.

 « Cendregué n'a pas de jardin comparable à ceux d'ici, ni certainement à ceux de chez vous. Mais la vue du haut des murailles est fantastique. Le village et ses maisons aux murs blanc et aux toits dorés, la rivière qui scintille, la vallée vert tendre, les forêts plus sombres, tout cela forme une tapisserie de couleurs fort jolie à admirer. » Pour lui, Cendregué était un des plus beaux endroits du Bief.

Le porc déboula dans les jardins et auraient percuté Desmera si Duncan n'avait pas sauté dessus pour lui faire changer de direction. Encore un peu secoué, il releva la tête vers elle. Elle était sauve, et c'était le plus important. Il se redressa en époussetant ses vêtements.  Duncan aurait bien repris la poursuite pour pouvoir offrir le bijou à Desmera ; mais elle avait qualifié le jeu de cruel et stupide, et dès lors, il se voyait mal y participer. A vrai dire, le jeu semblait amusant, il était bien plus à l'aise à courir qu'à faire la discussion.

 « Je n'ai rien. J'ai connu pire en bouchonnant le destrier de Père. » L'animal l'avait mordu. Plus un pincement qu'une réelle morsure, mais s'il avait été plus âgé... La chasse au sanglier était un des sports les plus dangereux, et même les petits avaient déjà des dents pointues. La peau de son doigt était déchirée et il aurait certainement un ongle qui allait virer au noir rapidement, mais le sang ne coulait pas. Une excellente chose pour les lavandières qui auraient déjà à ôter la graisse de sa tunique.Duncan ramassa un peu d'herbe pour se frotter les mains sans avoir à les essuyer sur ses vêtements.

 « Étrange endroit pour lancer ce genre de jeu... » Les dames risquaient de se faire bousculer, c'était dangereux.  « Peut-être a t-il défoncé la barrière de son enclos ? » Les participants étaient trop loin pour qu'il leur pose la question.

« Nous devrions peut-être aller avertir le maître des jardins avant qu'il ne sème la pagaille partout ? » Ou le porcher en chef... ou n'importe quel autre responsable.

Le sourire timide de Desmera charmait Duncan. Elle était vraiment ravissante quand elle était gênée, quitte à ce que cela soit à ses dépens. Il se demanda ce que les frères de la dame avaient bien pu lui raconter et espérait que ce ne soit pas trop fâcheux. Il changea de sujet pour passer aux jardins, un sujet de conversation bien moins dangereux pour sa réputation.

« Si un jour vous vous rendez à Port-Réal par la route, peut-être pourrez-vous faire escale à Cendregué. » Il aimerait lui montrer les paysages de la région, la plus belle à ses yeux. Mais la mer... Il n'avait jamais vu la mer. « Ce n'est pas trop dangereux, la mer ? » Il avait du mal à s'imaginer un endroit où une barque pouvait vous mener bien plus loin que les sabots d'un coursier, et se préférait les deux pieds sur le sol. « Mais les couchers de soleil doivent être magnifiques. » C'était ce qu'il avait entendu, du moins.

Le cochon coupa court à la conversation. Heureusement, plus de peur que de mal... Sauf pour les massifs de fleurs ; c'était assuré. Dame Desmera n'appréciait pas la chasse, et encore moins celle qui se déroulait dans les jardins. Duncan avait un peu de mal à comprendre, les porcs étaient faits pour être mangés après tout ; ce n'étaient que des bêtes. Elle plaignait celui-là... parce qu'il était encore jeune ?

Mais la poursuite n'était pas terminée, et il vint à Duncan que sans doute valait-il mieux avertir quelque responsable avant qu'il n'y ait véritablement de blessé. Il la suivit alors qu'elle partait à la recherche du maître des jardins, ajustant son pas à celui de la demoiselle, l'oreille aux aguets. Si l'animal revenait vers eux, il saurait s'interposer à nouveau ! Il sentait le sang qui battait dans son doigt, sous l'ongle noirci par le sang, mais n'y prêtait guère attention. Point de maître es jardins, mais un garde. Duncan s'assura de mémoriser le visage du soldat, afin de pouvoir en référer si le porcelet continuait à faire des ravages. Ce n'était pas sa place de demander le nom du garde, il n'était qu'un invité ici, mais il pouvait au moins regarder. Ils s'éloignèrent une fois le message passé, et au soulagement du jeune écuyer, les cris de surprise et les grognements s'éloignaient.

La marche rapide avait donné des couleurs au visage de sa compère, et quelques mèches s'étaient échappées de sa coiffe élaborée. Il rêvait de glisser ses doigts dans sa belle chevelure rousse, certain qu'elle serait plus douce que la soie sous ses doigts. Oserait-il ?

« Oui, j'ai déjà chassé. A vrai dire, j'aime ça. Courir le gibier est grisant. Un jour, je me suis suffisamment approché pour pouvoir poser une main sur le dos d'un jeune cerf... J'ai eu de la chance, mon cheval n'a pas bronché, et le cerf ne nous a pas foncé dedans. Je l'ai coursé pendant près d'une demi-lieue. C'était... magnifique. » Il avait du mal à le décrire avec des mots. Il se souvenait de la course, de son cheval, souple et puissant, slalomant entre les arbres, de la rudesse du poil du cerf sous ses doigts. Il aurait pu sortir sa dague et la lui planter dans le cou, mais ne l'avait pas fait. Duncan affichait un sourire rêveur à cette mémoire. Ce moment avait été parfait. Et ce souvenir lui donna le courage de demander,

« Ma Dame, votre coiffure... Me permettez-vous... ? » Il ne savait trop comment demander. Les mèches rebelles lui donnaient un air sauvage qui était charmant, mais si d'aucun les voyaient ils penseraient peut-être qu'ils avaient fait plus que discuter. Il leva délicatement une main en direction du visage de Desmera, prêt à l'aider à tout remettre en place, si elle y consentait.