Les liens du sang ♛ pv Aloyse

La ligne d’horizon se perçait de voiles aux couleurs de Kayce. Sur leur damier orange et noir, les soleils des Kenning lui apparurent de plus en plus clairement à mesure que Megalis descendait vers le port. Comme toujours flanquée de son oncle Yoren, le frère de celui-ci venait cette fois-ci renforcer sa garde, et une troupe de serviteurs les suivait pour aider à porter les bagages des Kenning. Fort occupé, Luthor ne pouvait les accompagner, resté à Belcastel tandis que sa sœur partait représenter leur famille auprès de leurs cousins continentaux, il les accueillerait directement au château. La jeune femme, qui voyait le jour de son mariage approcher, sentait nervosité et impatience grimper en elle dans un concert tonitruant. Dans deux jours, elle serait mariée. Dans deux jours, les Fer-Nés poseraient le pied sur Belle-Île, une première depuis des siècles. Elle avait l’estomac noué et ne se nourrissait que trop peu à mesure que l’angoisse creusait son nid au fond de son ventre. Très bientôt, elle l’espérait – et le craignait, aussi – ce serait un enfant qui la remplacerait à cette place.

Parvenue au port, elle descendit de cheval sans attendre l’aide de ses oncles Clifton, s’avançant presque aussitôt vers les pontons d’un pas décidé. Le navire avait amarré et elle pouvait déjà voir les premiers marins en descendre. Elle fouilla parmi les visages et surtout les cheveux jusqu’à apercevoir des mèches rousses caractéristiques. Un grand sourire prit place sur ses lèvres.

Leurs deux maisonnées, en plus de leur lien de famille, s’allieraient bientôt dans un objectif commun : Megalis prendrait à son service sa cousine Aloyse et les Kenning se joindraient à la révolte initiée par les Farman. La jeune femme regarda son oncle, son épouse et leurs enfants qui descendaient sur le pont, et les rejoignit le pas leste. Parvenue à leur hauteur, se parant de toute sa grâce comme pour affirmer qu’ils avaient eu raison de se fier à leurs cousins Belle-Islois, Megalis s’inclina devant eux dans une révérence parfaite.

— Mon oncle, ma tante, leur sourit-elle avant de se tourner vers Aloyse. La pauvre avait perdu la vue, et Megalis ne l’avait appris que tardivement : lors de ses années de détention à la cour Port-Réalaise, on ne lui avait permis d’entretenir aucun lien avec sa famille proche – alors les cousins n’y avaient pas dérogé. Ce n’était qu’à son retour, après bien cinq années au service de Cersei Lannister, qu’elle avait appris l’accident d’Aloyse. Pour autant, celle-ci demeurait une très belle jeune femme, elle avait fleuri jusqu’à s’épanouir en rose somptueuse. Elle n’avait, décidément, rien à envier aux soleils de son blason. Dans une pensée un peu vicieuse, Megalis songea que si elle n’avait pas été aveugle, elle aurait peut-être pu lui faire de l’ombre… Aloyse ? se surprit-elle sincèrement. Tu es devenue si belle !

Elle s’approcha plus franchement de sa cousine et lui prit les mains d’un geste doux. Si elle ne pouvait voir son sourire ravi, elle pouvait au moins l’entendre dans sa voix.

— Lord Terrence, le salua Gareth Clifton dans son dos. Avez-vous fait bon voyage ?

La remarque de son oncle par alliance lui fit se mordre l’intérieur des joues. Entre la nervosité de ces jours et le plaisir de retrouver Aloyse après tant de temps, elle en avait oublié l’étiquette.

— Pardonnez-moi, j’en oublie mes manières.

Elle inclina brièvement la tête et attendit seulement leur réponse pour se remettre en route vers le château. Mellara, qui avait toujours été très proche de sa famille, devait avoir hâte de revoir son frère Terrence. Et surtout, d’enfin pouvoir lui livrer le secret si bien gardé des Farman.

— Hélas, lady Brealla, vous devrez vous en accommoder : Belle-Île sent la mer puisqu’il s’agit d’une île.

Megalis ponctua sa phrase d’un sourire aussi charmant qu’il était acéré. Elle acheva de saluer ses cousins, son oncle et sa tante, assez rapidement pour ne pas agacer plus la petite pimbêche qui osait critiquer les senteurs du port. Car si la vie à venir de la future mariée se ferait à la capitale, elle était née insulaire et la mer était son premier amour. La suite qui les avait accompagnés, elle et l’escorte de ses oncles, avait notamment prévu une calèche pour éviter une marche un peu trop longue aux Kenning. Après tout, ils devaient être accueillis au mieux, et en cela, tout le confort possible avait été déployé. Les serviteurs aidèrent les nobles à grimper dans deux calèches, trop nombreux pour tenir dans une seule, et Megalis prit soin de mettre la jeune Brealla et sa mère dans une autre que celle où elle se trouverait avec Aloyse, Terrence et l’héritier de celui-ci.

Elle se doutait déjà des tensions qui régneraient lors de son mariage – elle ne voulait pas en rajouter avec les deux jours qui le précéderaient.

Des rares invités, les Kenning étaient les premiers à arriver. Ils avaient été les seuls à être autorisés à venir en avance, à dire vrai, de par leur lien de sang. Puis une longue discussion s’annonçait : dès lors qu’ils pénétreraient dans la grand-salle de Belcastel, ils découvriraient les bannières Reyne se mêlant à celles des Farman. Megalis laisserait le soin à Luthor de tout leur expliquer, après tout, son frère était le seigneur des lieux… Elle s’embarrassait déjà de dures négociations en leur nom, elle pouvait bien lui laisser le soin d’expliquer ce pan là de leur histoire.

Dans la calèche, il faisait chaud, un radieux soleil venu bénir ces jours sur Belle-Île. Si les dames le souhaitaient, des éventails avaient été laissés dans les voitures pour qu’elles puissent se rafraîchir. Megalis en prit un et s’éventa tandis que la calèche s’activait sur le chemin grimpant vers Belcastel.

— Je suis ravie de vous revoir après tant de temps. Quelle tristesse que les années et la guerre nous aient arraché tant de temps en famille.

Elle sourit, plus sincère qu’elle ne voulait l’admettre, mais réprima la nostalgie qui voulait percer sa voix. Sans cette guerre, son père Sebaston serait toujours là. Mais Terrence se fichait probablement du sort de celui qui n’était, au final, que son beau-frère. Se départant de sa douleur, Megalis reprit, du soleil plein la voix.

— Qu’avez-vous donc à raconter, depuis toutes ces années ? Comment se porte Kayce ? Je serais ravie d’y revenir prochainement, je me souviens y avoir passé de beaux moments dans l’enfance.

Tandis qu’eux n’avaient jamais mis le pied à Belle-Île, comme c’était ironique. Ils sauraient bientôt pourquoi, de toute manière, le secret bien gardé des Farman n’en serait bientôt plus un.

Le sourire de Terrence, froid comme les neiges d’au-delà du Mur, n’impressionna nullement Megalis. Car elle était habituée à sa grand-mère et plus encore à son frère aîné. Qu’il s’agisse d’Eddara ou de Luthor, tous deux avaient l’incroyable capacité de changer le feu en glace. Alors la demoiselle resta lumineuse et souriante – offrant à son oncle un sourire qui se fit carnassier à sa remarque. Pauvre homme, la guerre leur avait beaucoup volé, hein ? À lui et sa famille bien complète, tandis qu’elle n’avait même pas pu pleurer son père ?

Elle s’apprêtait à lui servir une remarque acerbe, dénotant avec le soleil à son visage, lorsqu’elle vit le regard que posa Terrence sur sa fille. Infirme ou non, Aloyse restait une Kenning. Son sang. Et Megalis ne tolérait pas qu’on s’en prenne aux siens. Elle entrouvrit la bouche, un peu trop tard hélas, quand Aloyse reprit la parole.

Heureusement, sa cousine était bien plus agréable que son père.

— Ce serait un réel bonheur de revenir à Kayce. Si mon cher oncle me le permet, souffla-t-elle.

Elle crispa légèrement son sourire dans un air feignant la gêne quand vint la question de son état à elle. Pas qu’elle ait besoin de mentir à la jolie rousse, mais elle préférait laisser croire à Terrence qu’elle n’était au final qu’une stupide femme tout juste bonne à marier, le temps de tâter le terrain du moins. Megalis haussa les épaules.

— Hé bien, voilà presque trois ans que j’ai recouvré ma liberté. Les premiers temps ont été difficiles, Belle-Île était comme un lieu inconnu… J’ai mis bien du temps à me faire à tout ça, ce renouveau. Heureusement, il y a eu Willos. Tu te souviens de Willos, j’espère ? Mon jumeau. Il a été mon repère…

Et désormais je suis le sien, songea-t-elle en repensant à son accident – elle pria encore une fois les dieux auxquels elle ne croyait pas qu’ils lui rendent sa mémoire, hélas sans grand espoir. Elle balaya ses mots d’un geste.

— Et qui aurait cru que j’épouserais un jour un dornien ? Maître des Lois, qui plus est… Je suis ravie d’avoir pu trouver un si bon parti.

Elle sourit, sincèrement heureuse, taisant pourtant les sentiments qu’elle avait à l’égard d’Ulwyck. Elle-même ne se rendait pas compte qu’elle éprouvait pour lui un amour profond et sincère. Elle ne parvenait pas à se l’admettre, ne l’imaginait même pas – Eddara avait tant travaillé à la couper de toute émotion… Elle découvrait celles-ci au jour le jour.

— Mais toi, Aloyse – tu as toujours été une musicienne en herbe, une couturière de talent… Il est si surprenant qu’un si bon parti soit encore sur le marché… Une négligence, peut-être ? demanda-t-elle dans un rire, un reproche tout dirigé vers Terrence. Mais nous allons corriger cela.

Megalis se pencha et prit doucement les mains d’Aloyse dans les siennes, captant son regard aveugle avec une douceur sororale.

— Une fois mon mariage passé, nous aurons tout le temps de nous concentrer sur le tien… Et je suis certaine que nous trouverons le meilleur parti possible.

Elle lui offrit un sourire complice qu’elle ne vit peut-être pas, mais qui put s’entendre dans sa voix. Alors elle releva les yeux vers la petite fenêtre de la calèche. Celle-ci cahotait un peu plus brusquement, annonçant leur arrivée au château de Belcastel. Le temps de la vérité approchait, bientôt, les badinages feraient place à des discussions bien plus sérieuses…

Megalis sourit tendrement à ce souvenir que Kenning et Farman partageaient : la façon dont Zakar regardait Willos, à une lointaine époque. Il n’avait plus aucune admiration à avoir pour son jumeau, désormais, puisque celui-ci n’était plus. Du moins, plus complètement. La jeune femme ne laissa pas sa peine entacher son visage ni son sourire, gelant ses émotions comme elle le faisait si souvent alors qu’elle revoyait trop clairement l’accident de Willos. Oh, comme elle avait eu peur de le perdre, comme elle avait cru qu’on lui arrachait un morceau d’elle-même. Sans lui, elle n’était rien. Elle ne pouvait perdre sa moitié d’âme. Il était ce qu’elle avait d’humanité, la seule parcelle de celle-ci qu’Eddara n’avait su lui arracher.

— Willos a un peu changé, avoua-t-elle avec un court sourire. Il a eu un accident lors du tournoi du Donjon Rouge. Il… a perdu la mémoire, mais autrement, il est en vie et c’est ce qui importe.

Sa voix s’était faite plus douce, tentant d’étouffer la peine qui lui nouait la gorge chaque fois qu’elle évoquait ce jour terrible. Le jour du réveil de son frère avait peut-être été pire encore, entouré de sa fratrie, Megalis lui avait sauté au cou. Il l’avait repoussée. Qui êtes-vous ? Les mots se découpaient encore dans sa mémoire, lui infligeant comme des centaines de coups de poignard. Ils avaient depuis retrouvé un semblant de complicité, Willos avait compris que l’amour qui les liait était réel. Mais quelque chose avait changé, car au fond, ils étaient devenus des étrangers.

La voix d’Aloyse ramena Megalis à la réalité de l’instant. Dans cette calèche, sous la chaleur étouffante, avec sa famille. Elle sourit sincèrement aux mots de sa cousine. Bien sûr, qu’elle ferait un excellent mariage. On l’y avait promise dès l’enfance. Un prénom de reine, avait dit Sebaston en la nommant. Et peut-être Megalis idéalisait-elle feu son père, elle savait qu’il avait raison et qu’elle devait honorer sa mémoire. Elle se rappela à ses dires ; les plus beaux bijoux ne pouvaient s’accommoder de piteux écrins. Elle, méritait tout. Le monde, avait-elle réclamé à Ulwyck. Elle voulait le monde. Et pourtant, un sentiment étrange à l’égard de son fiancé lui faisait revoir ses ambitions à la baisse… Comme si seul lui pouvait la contenter, au final.

Elle cilla pour chasser ces pensées stupides. Le pouvoir. Non, c’était le pouvoir qu’elle voulait.

— Je te remercie, Aloyse.

Elle sourit de toutes ses dents, feignant une trop grande modestie. La remarque de Megalis sur la négligence par rapport à l’union de sa cousine fit réagir Terrence : un léger rire méprisant auquel la jeune femme répondit d’un rictus trop bienveillant. Tout soleil soit-il, brûlant et haut, il ne saurait se frotter aux lions qui se terraient à Belcastel. De lui, ils ne feraient qu’une bouchée.

Face à la modestie, trop réelle cette fois-ci, d’Aloyse, Megalis fronça les sourcils. Sa cousine semblait se penser incapable de conclure un bon mariage. Mais elle était de son sang, alors elle n’aurait droit qu’au meilleur. Bientôt, ils régneraient sur l’Ouest. Bientôt, ils seraient tout-puissants. Megalis ne permettrait pas qu’Aloyse se contente d’un bouseux ou de la servir toute sa vie sous le seul prétexte qu’elle était infirme. Mais voyant sa tentative de changer de sujet, elle n’insista pas tandis que la calèche s’arrêtait. Ils étaient arrivés.

— J’ai hâte d’entendre tout ça. Et j’espère que tu m’apprendras, je me sais bonne harpiste, mais pour le reste…

Elle offrit à Aloyse un sourire complice, et si celle-ci ne le vit pas, la jeune femme espéra qu’elle put au moins l’entendre dans sa voix. Puis la porte de la calèche s’ouvrit sur un serviteur. Megalis quitta l’habitacle et, après s’être assurée que les Kenning lui emboîtent le pas, elle s’avança un peu dans la cour de Belcastel. Ses yeux observèrent avec passion le château de son enfance, ravie de le retrouver, même si c’était malheureusement pour peu de temps : le procès de Bronn La Néra réclamait la présence d’Ulwyck à la cour, très bientôt. Et en bonne épouse, elle l’y suivrait. Alors que Megalis se paraît d’un sourire charmant, Luthor arriva, comme toujours froid comme un vent d’hiver. Le sire de Belle-Île ne posa pas un regard sur ses cousins ni même sur sa sœur cadette, il s’approcha de lord Terrence et lui offrit un hochement de tête en guise de salut.

— Lord Terrence, sachez que c’est un plaisir pour nous de vous accueillir à Belcastel pour un si heureux événement.

Megalis leva un sourcil en observant son frère. Comme toujours marmoréen, comme imperméable à toute émotion, Luthor n’avait pas de glace que les yeux. Tout son être l’était. D’un geste, il invita tout le monde à le suivre – tandis que Kenning et Farman entreraient dans la grand-salle, les serviteurs se chargeraient des affaires.

— Je nous ai fait préparer un déjeuner afin que nous puissions passer un peu de temps en famille, prononça Luthor de son constant ton froid.
— Et je suis certaine que notre mère brûle d’impatience de vous revoir, mon oncle.

Ponctuant sa phrase d’un sourire, Megalis voulut réchauffer un peu l’atmosphère que son frère avait jeté sur eux. Il lui lança un regard, en apparence vide, mais qu’elle lut sans peine : toujours des reproches. Ils passèrent les portes et parvinrent rapidement à la grand-salle. Parmi les bannières Farman, le lion rouge de Castamere se dressait, dévoilant aux yeux de leurs invités le secret le mieux gardé de l'Ouest. Dans la salle attendaient, l’une à côté de l’autre, Eddara et Mellara. Elles s’ignoraient royalement, ne s’étant jamais appréciées. Tandis que l’aïeule, vieille lionne, attendait au fond de sa tanière, Mellara s’avança vers Terrence. Un sourire aux lèvres, elle paraissait ravie de revoir son frère aîné.

— Terrence, quel plaisir de te revoir. Cela fait tant d’années.

Megalis les laissa à leurs retrouvailles pour s’approcher d’Aloyse. Elle se pencha légèrement vers elle et lui murmura à elle seule :

— Ne t’attends pas à plus de chaleur ici que chez toi, la prévint-elle. Mais si cela peut te rassurer, nous partirons bientôt pour Port-Réal et tout ira mieux.

Elle se para d’un sourire doux et pressa doucement la main de sa cousine, dans un désir de la rassurer : elle n’oubliait pas leur complicité d’enfance et comptait bien la remettre au goût du jour. Toutefois, elle vit à la mâchoire contractée de Luthor que ses inquiétudes à lui se trouvaient ailleurs... Descendants des Reyne, qu'en penseraient les Kenning ? Mellara n'avait jamais trahi leur secret, et ce jour était enfin venu.

Son sourire se raccourcit encore, jusqu’à ne plus être qu’un bref voile sur ses lèvres. Megalis, habituellement grande comédienne, perdait en talent quand il s’agissait de son frère. Willos était plus que son simple jumeau. Si elle n’avait aucun souvenir de leur naissance, elle était certaine d’une chose : les minutes qu’elle avait passées sans lui, avant qu’il ne vienne au monde à son tour, avaient été plus terribles que les enfers. Elle le sentait au fond de ses tripes, qu’il n’existait nulle sérénité ni bonheur, sans lui. Une moitié de cœur, une moitié d’âme, voilà ce qu’il représentait pour elle. Le sujet était encore sensible. Le serait toujours.

Alors elle ne creusa pas plus, désirant s’éloigner au maximum de ces pensées sombres. De cette noirceur qui s’était emparée d’elle quand Willos était tombé. Son souffle s’était coupé, elle s’en souvenait bien, avant qu’un cri terrible ne franchisse ses lèvres. Eddara l’en avait sévèrement punie. Sebaston, s’il avait été toujours là… Lui aurait compris.

L’atmosphère très relativement chaleureuse de la calèche fit bientôt place à celle, glaciale, de Belcastel. Les retrouvailles entre Mellara et Terrence ne s’éternisèrent pas : la dame douairière se raccrocha à la main de son frère comme en espérant que le sire de Kayce ne fuie pas. La vieille lionne, jusqu’ici figée au fond de la salle, s’avança lentement. Comme un signe supplémentaire de leur appartenance à la maison Reyne, comme si ç’avait été nécessaire, Eddara revêtait les couleurs de sa famille natale. Sa robe or et rouge se paraît du lion de Castamere.

— Lord Terrence, salua-t-elle de sa voix glaciale. Je gage que nous avons bien des choses à nous dire.

Ignorant sa grand-mère qui paraissait expliquer à Terrence quel secret entourait Belle-Île et quel lion ils cachaient, Megalis eut un sourire furtif aux mots d’Aloyse et se pencha vers elle.

— Oh, hélas, je crains que l’amour et la tendresse ne soient pas les principes fondamentaux de notre famille.

Elle releva un peu la tête pour voir Eddara qui, malgré l’âge, brillait d’une prestance inquiétante. Elle avait été belle, autrefois – avant les rides, les plis, et la haine. Et si l’âge l’avait rendue terrifiante, elle écrasait toujours la belle Mellara qui se faisait soudain petite. Megalis leva les yeux au ciel, déjà lassée de cette famille qui l’emprisonnait dans la glace. Depuis quelques temps, elle découvrait des choses bien plus intéressantes aux côtés d’Ulwyck. Elle serra de nouveau la main de sa cousine en leur adressant un sourire, à Zakar et à elle.

— Si tu le souhaites, nous pouvons tenter de nous défiler avec tes frères, et retrouver Willos ? Il serait d’une plus charmante compagnie.

Elle leva un sourcil moqueur. Il avait certes perdu la mémoire, Willos restait le plus chaleureux de tous. Il y avait au moins des choses qui ne changeaient pas.

Pouvaient-ils le faire ? Fuir seulement la froideur de leur famille, tourner les talons et trouver la chaleur bien plus agréable de Willos ? Bien sûr. En avaient-ils réellement le droit ? Peut-être pas. Mais tant pis. Megalis fit signe à ses cousins de la suivre, elle jeta un regard à Luthor, toujours aussi rigide et fier. Ils échangèrent une œillade glaciale, son cher frère sachant très bien qu’elle souhaitait se défiler. Elle posa une main sur son avant-bras et se pencha un peu vers lui.

— J’aimerais passer un peu de temps avec nos cousins pendant que vous parlez de sujets d’hommes, dit-elle avec un sourire.

Pour toute réponse, Luthor la dévisagea puis lui fit signe de filer. C’était surtout d’Eddara qu’il fallait se méfier, mais osant un regard vers sa grand-mère, Megalis se rassura de la voir en grande discussion avec Terrence. Bien, elle était trop occupée pour faire attention à elle. Alors elle entraîna ses cousins dans les couloirs de Belcastel.

Les serviteurs étaient particulièrement actifs : il fallait préparer les appartements des invités, la grand-salle, les repas… Megalis les mena jusqu’aux jardins qui se trouvaient de l’autre côté du château, dans un petit patio, où elle aperçut enfin son frère jumeau.

— Willos, l’appela-t-elle.

Il les rejoignit, un sourire chaleureux aux lèvres mais le regard un peu perdu.

— Ma lady, messires, dit-il.
— Ce sont nos cousins, souffla Megalis avec un tendre sourire.

Willos se confondit en excuses et elle les présenta. Puis hélant une servante qui passait, elle demanda à ce qu’une table soit préparée dans le jardin.

— Vous préféreriez plutôt du vin, ou du thé ? demanda-t-elle à ses cousins.

Ils avaient bien du temps à rattraper.

Parvenus aux jardins, l’ambiance se détendit un peu. Tout était toujours plus simple loin du regard inquisiteur de Luthor. Megalis se demanda comment son aîné était devenu ainsi. Il avait toujours été assez dur, mais elle se souvenait encore l’époque où ils avaient pu s’aimer en frère et sœur, sans cette constante amertume dans leurs mots et leurs rares sourires. Elle se rappelait clairement l’avoir vu, au soir de la bataille de La Néra – ce fut bref, mais elle se souvint y avoir vu un frère et non cet étranger glacial qu’il était devenu. Sans doute était-ce la perte de leur père qui l’avait tant changé ? Après tout, Luthor avait vu Sebaston brûler, sous ses yeux. Megalis cilla pour chasser cette idée et adressa un sourire à ses cousins en attrapant doucement le bras de Willos.

— Très bien, du thé, alors.

Elle remercia d’un regard les serviteurs partis en chercher et s’installa déjà à la table que d’autres commençaient déjà à dresser. Elle se surprit quelque peu de la réflexion concernant l’âge de Cyrus, qui avait déjà quinze ans si elle se souvenait bien – il avait tout à fait l’âge du vin, mais soit. Le thé était tout aussi bien.

Willos s’installa aussi tout en répondant à Aloyse, émettant un léger rire à sa blague – s’il était le plus chaleureux des Farman, il était aussi le plus rieur.

— Je vais bien, dit-il, du moins il me semble. Effectivement, je ne me rappelle pas la dernière fois que nous nous sommes vus ! Et vous, chère cousine ?

Megalis rit légèrement à sa plaisanterie, prononcée sur le même ton que celle d’Aloyse. Le thé arriva bientôt, servi chaud sur la table. Elle prit doucement sa tasse et souffla, sur un ton moqueur.

— Willos, tu ne te souviens sans doute pas de notre oncle, Terrence. Imagine Luthor en plus âgé et en roux, et je pense l’image plutôt bien choisie. Qu’en penses-tu Aloyse ?