offrons au sang ce que veulent les astres - Helaena

Attends moi ! Le cri de la petite fille se heurta au roulis de l'océan contre la berge. Son frère ne l'écoutait pas. Il avançait sans même regarder en arrière. On leur avait raconté qu'un dragon d'eau s'était échoué sur la plage et il voulait le voir de ses yeux trop plein de curiosité. Helaena boudait mais il ne la voyait pas et son air concis ne pris pas. Elle souffla avant de relever ses jupons. Son jumeau marchait trop vite. Elle releva le menton, agacée. Ses lèvres se parèrent pourtant d'un léger sourire et elle prit un raccourcis que Harrald, un garçon d'écurie amoureux d'elle, lui avait montré quelque jours plus tôt.

L'eau avait monté. Elle ne s'attendait pas à ça. Malgré tout, hors de question que son frère arrive avant elle. La jeune fille déchira le bas de sa jupe, trop gênant, avant de s'élancer. L'eau était froide sur ses chaussures. Elle grimaça mais continua à avancer. Si elle avait bien calculé, elle arrivera sur la berge alors que son frère serait encore en train de descendre les escaliers.

Calcule abandonné. Parce qu'elle n'avait pas prévu la marrée. Parce que dans ses poumons s'infiltrait déjà l'eau glacée. Parce qu'elle se débattait alors qu'elle voyait son dernier moment arrivée.

Elle ne se réveilla que bien des heures plus tard. Son frère pleurait, juste là, à ses côtés, une enorme marque rouge sur la joue. Il avait été puni pour ne pas l'avoir protégé, comme son rôle se devait de le faire. Elle savait elle, que ce n'était pourtant pas de sa faute. Elle inspira. Sa gorge lui faisait mal. Son corps entier lui faisait mal. Miraculée. Elle n'aurait pas dû s'en sortir. Ses cheveux d'argent, tout autour de son visage, lui offraient un linceul pur.

Son frère la prit dans ces bras, beaucoup trop fort. Perdre son âme jumelle avait un goût acide. Avait la fureur de bien des interdits.

Elle reprit pied lentement. Son corps était blessé et ses jambes refusaient de fonctionner correctement. Elle tombait, parfois, sans aucune raison. Sans même un signe d'intérêt. Elle haïssait ça. Elle haïssait la faiblesse, elle haïssait la trahison de son propre être.

Les années glissèrent. Estompèrent les affres de la douleur. Elle était pourtant là, parfois, insidieuse et cruelle. Presque autant que la garde que, maintenant, ne la quittait jamais. Parce que leur père avait cru perdre sa princesse ce jour là. Il avait cru ne jamais revoir sa petite poupée parfaite.

Poupée dont le caractère commençait à gronder à mesure qu'avançait l'adolescence. Elle refusait d'être une ombre parmi les autres. Ô Helaena était belle, personne ne pouvait en dire l'inverse. Mais elle trouvait qu'on la voyait pas assez. Même son frère ne la regardait pas assez. C'est à 14 ans qu'elle teinta pour la première fois ses cheveux d'ombre. Le père en fut horrifié. La mère choquée. Et le frère amusé. Parce que son jumeau l'entrainait souvent dans des choses qu'elle n'aurait dû faire. Lui était bien plus licencieux qu'elle. Lui courrait déjà les bordels de son petit air princier trop satisfait et trop orgueilleux. On leur passait tout. N'étaient-ils des Rogare ? Ne pouvaient-ils en profiter ?

C'est avec son frère qu'elle se parait des plus beaux affres de la prétention. Qu'elle se mit à jouer avec les êtres et surtout sur son plus beau cobaye. Son jumeau fut sa première victime, son premier soupir. Ils n'avaient pas le droit. Mais n'étaient-ils les maitres d'un monde qu'ils créeraient à leur image. Toxique, tant l'un que pour l'autre. Comme lorsqu'elle poussait cette jeune femme qui avait eu l'audace de s'offrir les faveurs du frère d'une fênetre. Comme lorsqu'il enfonça une lame dans la gorge de ce vas nu pied qui avait eu le malheur de regarder sa soeur.

Les jumeaux dangereux que le peuple commençait à les appeler. Ils avaient peur d'eux et les Rogare s'en gaussaient.

Car il valait mieux être craint que tout autre chose. Il fallait du respect. Et que son jumeau était cruel en se l'offrant. Qu'elle aimait le voir ainsi. Qu'elle l'idolâtrait d'être un Dieu parmi les hommes.

Jusqu'à ce jour étrange, d'été, où son père les pria de le rejoindre. Parce qu'ils avaient des invités de marque sur lesquels Helaena posa un regard surpris. L'un se démarquait des autres par ses iris violines, par ces traits presque trop durs pour un homme de son âge.

Et par les mots du père : Vous êtes amis. Soyez plus. Je compte sur vous Helaena. Vous avez été formée toute votre vie. Il est désormais tant de montrer ce que vous valez.