Les plumes du commerce ◈ Roanne Arryn

Les plumes du commerce

La Corneille Grincheuse, Port-Réal ◈ 305, lune 7, semaine 4, jour 6

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Voilà deux mois, jour pour jour, que l’auberge La Corneille Grincheuse a rouvert. Meryll a presque la larme à l’œil à cette pensée. Déjà deux mois de réouverture, et les affaires reprennent doucement. Le chiffre d’affaires n’est peut-être pas celui dont elle l’habitude, mais elle ne s’inquiète pas. L’auberge affiche complet pour les semaines à venir, et le tournoi qui s’annonce dans les prochains jours gonflera les rentrées d’argent sans l’ombre d’un doute. Les nobles affluent à tous les coins de rue, les bourses pleines à craquer d’or, sans parler de tous ces chevaliers en quête de gloire, ou de ces bourgeois qui veulent se faire remarquer. Les occasions de faire affaire ne manquent pas, et Meryll met un point d’orgue à offrir les meilleures prestations possibles.

Bien sûr, Meryll partage l’inquiétude de certains confrères ; plusieurs d’entre eux se plaignent de paiements malhonnêtes de la part de la Couronne au sujet des travaux de rénovation. L’affaire a remonté jusqu’aux oreilles de l’aubergerie, et elle ne sait trop qu’en penser. Tentative malhabile pour grappiller un peu plus d’argent de la part des artisans, ou véritable entourloupe de la Couronne ? Si une chose est sûr, Meryll se satisfait d’avoir pu financer intégralement la reconstruction de son auberge. Comme Brandwyn le lui a appris, elle a su se constituer des réserves importantes pour faire face aux coups durs - même si son mentor n’a sans doute jamais envisagé la destruction complète de son auberge par le souffle d’un dragon.

Après quelques mots à son chef cuisinier, Meryll délaisse les cuisines pour rejoindre la grande salle. Saule tient le comptoir, le nez affairé dans le livre des réservations pour suivre le fil, mais son œil aguerri surveille la salle pour s’assurer qu’aucun client ne manque de rien. Depuis que Meryll l’a recrutée, elle a trouvé un bras droit dont elle ne se séparerait pour rien au monde. Elles se soutiennent et s’entraident depuis plusieurs années à présent, et sans Saule, reconstruire La Corneille Grincheuse n’aurait pas été la même partie de plaisir.

Saule lui adresse d’ailleurs un petit signe de main ; calme plat, tout est en ordre. Aucun ravitaillement à faire en urgence, les clients sont satisfaits et n’exigent pas des services de dernière minute improbables. Aucun incident non plus n’est à signaler ; Tasnim fait mine de somnoler sur sa chaise non loin de l’entrée. Une affaire rondement menée, qui file sans anicroche ; chose essentielle lorsque les clients affluent. Pour l’heure, l’auberge affiche un moment de calme en cette matinée, mais Meryll sait que cette accalmie ne durera pas. Le cuisinier s’affaire déjà à la préparation des repas du midi pour ne pas être débordé pour le coup de feu.

Un client hèle Saule, qui délaisse le livre des réservations pour le rejoindre avec le sourire. Meryll prend alors sa place derrière le comptoir, prête à prendre le relai. Son initiative paie sans tarder alors qu’une cliente descend les escaliers qui mènent aux chambres. Elle reconnaît sans peine la rouquine arrivée la veille, une lady du Val venue assister au tournoi du Donjon Rouge - Roanne Arryn. Lorsqu’elle a reçu des semaines plus tôt cette lettre pour réserver des chambres au nom de la famille Arryn de Goëville, Meryll n’a pu s’empêcher de ressentir une bouffée de fierté. Elle n’a jamais caché son intention de faire de l’auberge un établissement de luxe, pas même à Brandwyn, et à présent, elle concrétise jour après jour son objectif. Peut-être même qu’un jour des familles suzeraines des Couronnes réserveront une chambre ?

Alors que la jeune femme s’approche du comptoir, Meryll lui offre un sourire avenant.

— Bien le bonjour, ma lady. J’espère que vous avez passé une bonne nuit, et s’il vous faut quoi que ce soit, n’hésitez pas.

Toujours le soin des mots, pour donner l’impression d’une attention toute particulière à chaque client, comme s’il était unique. Un petit bonus à l’ego souvent accompagné d’un pourboire fort apprécié, sans parler des éloges faites ensuite au sujet de La Corneille Grincheuse.

— Puis-je vous proposer un petit-déjeuner ? Nous avons du pain frais, des fruits, ou encore notre spécialité, du pain d’épices, avec aussi sa variante aux mûres et aux noix.

Le tout sorti du four le matin même par Watt le boulanger, ou, pour les fruits, achetés sur les étals du marché à l’aurore.

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Roanne Arryn & Meryll

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Lysandre était parti tôt ce matin-là, posant un baiser sur le front de Roanne, il était resté vague quant à ses affaires : il devait traiter avec La Treille, c’était tout ce qu’elle savait. Elle avait bien tenté de négocier avec lui, espérant se rendre en avance sur le terrain qui accueillerait le tournoi le lendemain, et surtout y croiser Andar. Les Royce étaient présents à Port-Réal, elle le savait, et rêvait à revoir l’héritier de Roche-aux-Runes. Elle ne l’avait plus vu depuis un moment, la dernière fois qu’elle avait pu le fréquenter sur une longue période, c’était il y a si longtemps… Puis le suicide, ou plutôt le meurtre, de Lysa Arryn avait tout changé.

Un peu boudeuse en début de matinée, Roanne trouva vite du réconfort auprès de Mansy. Elle était parvenue à obtenir de son père que l’orpheline Goëvillaise les accompagne. L’adolescente, à qui elle avait appris bien des choses, lui rendait bien cette générosité : elle la coiffa à la mode Port-Réalaise, de groupes tresses enroulées en un chignon complexe.

Roanne, qui gardait précieusement son âme de tendre demoiselle derrière son allure d’héritière, rougit et se ravit de son apparence. Elle ressemblait à une dame de la cour.

— Cela vous va à ravir, lady Roanne ! s’égosilla la jeune Mansy.
— Merci. Il faudra que tu m’apprennes à le faire seule.

Roanne regarda l’orpheline avec un immense sourire. Elle l’enlaça rapidement, la traitant avec autant d’égard que si elles avaient été du même rang. La roture méritait son attention au même titre que quiconque, et même si Roanne était née Arryn, elle était fière mais pas vraiment arrogante : fière de son nom, fière de son sang, mais elle savait faire preuve de simplicité.

— N’as-tu pas faim, toi ? demanda-t-elle soudain.

Mansy agita la tête. Alors Roanne la quitta et descendit lentement les marches de l’auberge. Il n’y avait pas grand-monde à cette heure, ce qui la rassura quelque peu. Port-Réal était réputée pour être un nid de serpent, un haut-lieu de complots, de vilenies et de duplicité. Elle ne voulait pas risquer de croiser quelqu’un de peu fréquentable, ou même malintentionné. Elle eut un sourire plus serein encore en découvrant son cousin Hugh, attablé plus loin.

Roanne approcha sereinement du comptoir. Elle n’était pas dure à remarquer : sa robe, bien que d’apparence modeste ce jour-ci, arborait les couleurs des Arryn de Goëville. Il n’y avait que les perles à son cou pour hurler sa richesse, et le port altier de sa tête. Elle sourit à pleines dents quand une femme l’accueillit au comptoir.

— Bonjour. Je vous remercie. Votre auberge est des plus confortables, j’avais grand besoin de repos après un tel trajet.

Elle posa ses doigts sur le comptoir, réfléchissant de longues secondes à la proposition de l’aubergiste. Puis elle lui adressa un nouveau sourire, plus grand encore – sa présence à la capitale la grisait, ainsi que l’idée de revoir Andar – plus qu’un petit jour…

— Tout a l’air délicieux… Que me conseillez-vous ? Après tout, c’est vous l’experte.

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La Corneille Grincheuse, Port-Réal ◈ 305, lune 7, semaine 4, jour 6

ft. @Roanne Arryn

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Douce et agréable, Meryll apprécie les clients qui n’outrepassent pas leur statut. Ceux qui conservent la politesse comme le sourire pour s’adresser au personnel de l’auberge. Meryll se plie peut-être en quatre pour satisfaire leurs exigences et ainsi leur offrir le meilleur service possible, mais le respect demeure nécessaire de la part de ses clients. Elle ne tolère guère les écarts de comportements, encore moins envers ses employés. Elle les accueille sous son aile, dans son auberge ; ce n’est pas pour laisser la clientèle les mépriser, en particulier parce qu’ils appartiennent à la roture. A ces clients-là, qui oublient que leurs besoins primaires sont les mêmes que pour n’importe quel autre humain, elle n’hésite pas à gonfler subtilement les prix demandés.

Alors face à la lady Arryn qui lui offre un sourire chaleureux comme des remerciements, Meryll se pare de la même aura bienveillante, comme si le reste de l’auberge n’existait pas. Elle est sa cliente, et la gérante de l’établissement se dévoue à toutes ses exigences. Un service personnalité, qui pousse à se sentir “spécial” et à revenir à La Corneille Grincheuse plutôt qu’à se hasarder dans une autre auberge.

— Je suis ravie d’apprendre que l’auberge vous plaît.

Si son séjour ne contient pas la moindre fausse note, il y a fort à parier que le reste de sa famille entendra parler de l’auberge comme d’un endroit de référence pour séjourner à Port-Réal. Puis, de fil en aiguille, le mot se propagera au sein des maisons du Val d’Arryn, voire gagnera les frontières des autres royaumes. Des curieux afflueront, d’autres se renseigneront puis tenteront l’expérience. Pour Meryll, c’est le début d’une nouvelle ère, celle où elle peut prétendre à de nouveaux cieux pour la renommée de son auberge.

Elle prend donc le temps de réfléchir pour proposer un petit-déjeuner aussi copieux que délicieux à la jeune femme, de quoi éveiller ses papilles et lui faire découvrir la qualité de la nourriture proposée au sein de l’établissement. Les choix ne manquent pas, mais Meryll opte pour un classique. Les spécialités de l’auberge sont toujours une valeur sûre, et ses plus grands succès. Plusieurs habitués des lieux mentionnent avant tout son pain d’épices comme son pâté en croûte.

— Je vous conseillerais notre pain d’épices, la spécialité de la maison. Sa variante aux mûres et aux noix apporte une note plus sucrée si vous craignez la force des épices. Et avec ceci, un jus de fruits frais ou encore un thé, selon ce que vous préférez.

C’est une formule que Meryll sert fréquemment ; des habitués viennent d’ailleurs spécialement pour le petit-déjeuner servi par l’auberge. Ses doigts pianotent un instant sur le comptoir, sans qu’elle ne se départisse de son sourire.

— Personnellement, le matin je mange quelques tranches de pain d’épice avec des fruits frais à côté, parfois des fruits rouges, parfois des pêches ou des prunes. Sans oublier un bon thé à la menthe. Elle se penche vers la lady Arryn, comme si elle s’apprête à lui confier un secret. Et lorsque je suis d’humeur gourmande, je me laisse tenter par un petit gâteau au citron. Ceux d’Alyn, notre cuisiner, sont particulièrement moelleux.

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Roanne Arryn & Meryll

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Les bonnes auberges étaient rares, Roanne le savait par expérience. Car même si elles présentaient bien de prime abord, en s’y penchant un peu plus en détail, tout n’était pas rose et même loin de là. D’une trace de moisissure qui s’insinuait dans les nervures du bois, d’une vague odeur rance qui émanait parfois d’une cuisine. Ici, l’établissement oscillait entre luxe et simplicité. Quelque chose de familial flottait dans l’air, ou peut-être Roanne se laissait-elle aller à quelques rêveries.

L’endroit, la Corneille Grincheuse de son nom, lui rappelait d’une certaine façon sa maison. Car elle n’était pas née dans un château et y avait vécu moins encore.

Alors, Roanne sourit à l’aubergiste, un de ces sourires trop chaleureux et pas assez nobles. Au diable la retenue, Roanne se pensait chanceuse de vivre quand les hommes de sa famille, apparemment touchés par une quelconque malédiction, mouraient tous.

Elle n’y croyait pas, rabrouait sans cesse son père. Jusqu’à la mort d’Artys, du moins, où elle avait moins fait la fière. Mais elle était leur héritière désormais. Elle n’avait pas le temps de se perdre dans des réflexions sur un mal mystérieux qui frappait sa famille – elle avait le monde à apprendre.

Comme si les mots de la Corneille avaient pleinement éveillé son appétit, l’odeur de son pain d’épices lui parvint aux narines et Roanne sourit de plus belle.

— Hé bien je vous fais pleinement confiance alors ! Je prendrai le même petit-déjeuner que vous. La jeune Arryn se pencha légèrement, imitant l’aubergiste dans ses airs de secret. Avec le petit gâteau au citron, s'il vous plaît.

Elle était particulièrement joviale : si sa première sortie de Goëville comme héritière avait eu lieu à l’occasion du Grand Concile deux ans plus tôt, c’était cette fois-ci le premier événement où elle tiendrait cette place. Elle ne serait pas passivement assise dans un siège à attendre qu’un roi soit choisi, cette fois, elle allait converser avec d’autres personnes, faire des rencontres, et peut-être même dénicher des partenariats commerciaux intéressants pour son père ?

Il serait si fier d’elle, plus que jamais, peut-être même au point d’oublier qu’elle était une femme ? Puis, il y aurait Andar – une raison de plus de faire chavirer le cœur de la demoiselle.

Le temps que son déjeuner soit prêt, elle laissa ses yeux divaguer autour d’elle, appréciant l’atmosphère des lieux tout en s’y intéressant :

— Depuis combien de temps l’auberge est-elle ouverte ?

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La lady Arryn, avec son sourire chaleureux, a quelque chose de touchant. D’authentique, même. Une attitude sincère qui plaît à Meryll et qu’elle apprécie retrouver dans l’enceinte de son auberge. Même si elle cherche à attirer le gratin de la noblesse pour la notoriété de son auberge, les langues de bois et les complots politiques la débectent. Ces nobles qui se pressent en grand nombre au Donjon Rouge à l’occasion du tournoi brûleraient le royaume entier s’ils parvenaient à régner sur les cendres après coup. Ils ne se soucient pas du petit peuple, considèrent comme acquis leur travail, et n’ont même aucun remord à écraser leurs concurrents directs.

Peut-être que la lady Arryn cache des vices similaires derrière ses beaux sourires, mais pour l’heure, elle se montre sincère envers l’aubergiste, et Meryll le lui rend bien. Elle n’est pas là pour lui faire subir un interrogatoire afin de déterminer ses motivations. Elle sait faire la part des choses entre ses convictions personnelles et le bien de l’auberge.

— Vous ne regretterez pas votre choix. Se redressant, elle cherche Saule du regard mais aperçoit son apprenti Joss. Elle lui fait signe de la rejoindre. Tu peux me préparer des tranches de pain d’épices avec les fruits frais du moment ? Avec un thé vert à la menthe et un petit gâteau au citron. Celui d’Alyn.

Joss hoche la tête, adresse un sourire poli mais chaleureux à la cliente puis disparaît en cuisine pour s’acquitter de sa mission. Il ne rechigne pas à la tâche, toujours volontaire pour apprendre, peu importe la difficulté qui se présente devant lui.

— Joss ne travaille pas ici depuis longtemps, mais il apprend vite. Il vous prépare votre petit-déjeuner en un rien de temps.

Meryll a beau diriger cette auberge depuis plusieurs années à présent, elle ne néglige pas pour autant le travail fourni par ses employés, encore moins auprès de ses clients. Elle salue leur travail, s’assure que leurs hôtes sachent qui remercier lorsqu’ils quittent les lieux. Sans Alyn, les repas de l’auberge perdraient toute saveur. Sans Saule, Meryll ne saurait plus où donner de la tête pour gérer la clientèle. Sans Jeyne, l’auberge se séparerait d’une part importante de ses prestations. Et sans Joss, elle ne rendrait pas hommage à son mentor, et de la chance qu’il lui a offerte. Prendre à son tour un apprenti sous son aile, c’est une façon de le remercier, même après sa mort.

La question de la lady Arryn réveille d’ailleurs toute la bouffée de fierté qu’elle ressent depuis ce matin.

— Voilà deux mois que nous avons rouvert, jour pour jour. Elle marque une brève pause, tandis que son regard embrasse la salle principale. L’auberge a elle aussi souffert de la destruction de Port-Réal.

Il n’en restait plus que des ruines. Des pierres fumantes, sans personne pour dire qu’une auberge se tenait là auparavant. La ruine de toute une vie, aussi. A dire vrai, Meryll ne sait pas ce qu’elle aurait fait sans Alyn et Saule à ses côtés, qui l’ont épaulée et soutenue pour tout reconstruire.

— Mais l’auberge appartenait autrefois à mon mentor. La Corneille Grincheuse existe depuis plus de vingt ans, et je l’ai reprise il y a quatre ans.

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