Roanne Arryn ✴︎ D'or ailée, de gloire couverte

La première chose à savoir concernant Roanne est qu’elle ne démérite pas totalement ses surnoms. Depuis toujours d’un tempérament difficile et qui plus est pourrie-gâtée, elle peut aisément se montrer capricieuse et médisante. Mais ne vous attendez pas à une personne glaciale et colérique, non : elle sera généralement souriante, choisira ses mots avec soin et tâchera de ne jamais dépasser les limites.

Il serait plutôt juste de dire d’elle qu’elle est aigrie, après avoir vu mourir beaucoup des siens et se heurtant à l’incompréhension des hommes autour d’elle : bien sûr, une femme à leur tête un jour, les Sept les gardent ! Il est une chose qui l’agace plus que tout : si de toutes les branches mineures de la maison Arryn, celle à laquelle elle appartient est la plus riche, leur condition de marchands les fait passer pour de simples roturiers aux yeux de la noblesse. Et elle, si fière qu’elle est de son rang et de son nom, ne peut le supporter.

Peut-être ambitieuse à l’excès, elle s’agace qu’un Hardyng soit en première ligne pour l’héritage du Val et désire réparer cette injustice. Elle, porte le sang des Arryn et leur nom – alors pourquoi diable ce petit con d’Harrold ?

Plus peste que foncièrement mauvaise, Roanne use et abuse de sarcasmes quand elle est frustrée. Elle se stresse facilement mais sait garder la face même face à la peur. En revanche, elle cède facilement à ses colères et, têtue au possible, refuse d’avoir tort.

Mais ne vous arrêtez pas non plus à ces seules facettes de Roanne, elle n’est pas seulement la garce qu’on décrit : elle sait se montrer altruiste et a un sens aiguisé des affaires, en plus d’être loyale. Femme mais aussi héritière de sa maison, si tant est que celle-ci ait une quelconque valeur, elle a tenu à pratiquer certaines activités pourtant réservées aux hommes. Si elle a vite délaissé l’idée d’être épéiste, elle est une excellente cavalière et se débrouille relativement, un arc à la main.

De plus, elle apprécie les banquets, les tournois et la fauconnerie : elle peut se montrer très joviale et romantique, elle aime danser, et se pâme devant les chevaliers.

︎ Roanne a cultivé certaines des qualités qu’on pourrait qualifier de masculines : tout d’abord, la comptabilité, essentielle pour la pérennité des affaires familiales, mais aussi la chasse au faucon – d’un part par passion, mais aussi pour prouver à ses messieurs que ce n’est pas une paire de couilles qui lui permettrait d’y prendre part. Elle a bien tenté de manier l’épée, hélas de faible carrure, Roanne a vite préféré manier l’arc. Dans cette discipline, elle n’est pas trop mauvaise, sans être bonne. Elle est tout de même une excellente cavalière.

︎ En parallèle, elle a bien sûr cultivé les qualités qu’on attend d’une femme : elle brode fort bien, danse, et chante d’une voix surprenamment rauque mais juste. Toutefois, elle n’a pas la patience pour l’apprentissage d’un instrument.

︎ Adepte de la chasse depuis ses onze ans seulement, son père lui a offert un magnifique faucon pour ses dix-sept ans, nommé Aile d'Azur.

︎ En dépit du maigre statut de sa famille, leur richesse permet à Roanne de s’offrir des parures des plus somptueuses, dont certaines qu’elle confectionne elle-même : elle a appris cet art auprès des très fameuses couturières de Goëville.

︎ Pendant plusieurs années, Roanne s’est rendue elle-même à la matristère de Maris pour y assister les septas dans leurs enseignements aux orphelines et aux bâtardes.

︎ Bien que d’un caractère au fond désillusionné, Roanne reste une fervente croyante des Sept.

︎ Ayant reçu une bonne éducation, Roanne a de brèves notions élémentaires de Haut-Valyrien et sait tenir une conversation basique en Braavien et en Pentoshi. Elle est, pour finir, une experte de la Langue du commerce, qu’elle juge essentielle pour les affaires.

Robin Arryn, son arrière-petit-cousin au deuxième degré
Harrold Hardyng, un cousin plus lointain encore


✟ Vaemond Arryn (207-283), son grand-père & ✟ Alyce Arryn (227-269) (née Veneur), sa grand-mère

Lysandre Arryn (263-), son père & Talya Arryn (268-) (née Grafton), sa mère

Ses frères : ✟ Ryman (280-281), ✟ Trystan (282-282), ✟ Vardis (285-288), ✟ Harlan (287-287), ✟ Baelor (290-295), ✟ Marq (297-297)
Ses sœurs : Rhea (288-), Serena (291-), Alys (292-), Ryella et Teora (294-)

Son oncle, ✟ Willem Arryn (264-302) & son épouse Alayne Arryn (265-) (née Egen)
Leurs enfants : ✟ Artys (282-302), Cyrella (285-), Darla (289-)

Ses tantes : Roslin (262-), Shella (266-), Tessa (269-), veuves ou mariées ; Elles ont des filles aussi, mais aucun fils

— Avant la naissance de Roanne

262 : Naissance de Roslin Arryn.
263 : Après des années à peiner à mettre au monde un fils, ayant perdu de nombreux enfants en couche, Vaemond et sa seconde épouse Alyce accueillent Lysandre.
264 : Naissance d’un second fils, Willem.
266 : Naissance de Shella Arryn.
269 : Naissance de Tessa Arryn, Alyce meurt lors de l’accouchement.

274 : Fiançailles de Lysandre Arryn et Talya Grafton alors qu’ils sont tous deux très jeunes. Fiançailles de Willem Arryn et de Alayne Egen.
279 : Talya à peine menstruée, le mariage est célébré avec Lysandre. Vaemond presse Lysandre de produire rapidement un héritier mâle. Talya tombe bientôt enceinte.

280 : Talya accouche difficilement d’un fils, Ryman.
281 : Talya retombe enceinte. Ryman meurt, emporté par une fièvre soudaine.
282 : Naissance de Trystan, encore un accouchement difficile. Il meurt dans la nuit suivant sa mise au monde. Naissance d’Artys, fils de Willem.
283 : Mort de Vaemond.

— Après la naissance de Roanne

284 : Talya donne naissance à des jumeaux, Roanne et Harlan. Si la fille survit, le fils est mort-né.
285 : Talya met au monde un fils, Vardis. Il survit à ses premières années mais semble de faible constitution. Naissance de Cyrella, fille de Willem.

288 : Mort de Vardis, d’une fièvre foudroyante. Naissance de Rhea.
289 : Naissance de Darla, fille de Willem.
290 : Naissance de Baelor, encore un enfant fragile.
291 : Naissance de Serena.
292 : Naissance d’Alys.
294 : Naissance de Ryella et Teora.
295 : Baelor meurt de la petite vérole. Ryella, touchée aussi, survit – elle en gardera toutefois de légères traces visibles sur le visage. Par précaution vu le malheur qui frappe leur famille, Lysandre commence à regret à éduquer sa fille aînée, Roanne, aux affaires – elle est de ce fait éduquée aux côtés de son cousin Artys.

297 : Talya, dont les accouchements deviennent de plus en plus compliqués, accouche d’un enfant prématuré qui sera nommé Marq. Il vivra miraculeusement quelques jours, mais mourra comme tous les fils du couple. Le mestre de la maisonnée, Tygett, préconise au couple de ne plus tenter le moindre accouchement : Talya ayant commencé à enfanter trop tôt, les grossesses deviennent trop dangereuses pour sa santé physique mais aussi mentale.

298 : Après une période de réflexion, Lysandre se refuse à répudier son épouse et se rassure au fait que son neveu Artys pourra hériter de leur maison. Les Arryn de Goëville, présents au tournoi donné pour l’anniversaire du prince Joffrey, parlementent avec les Royce de Roche-aux-Runes. Roanne est envoyée comme pupille de lord Yohn. Elle s’entichera brièvement de son fils, Andar.

300 : Suite au suicide de Lysa Arryn, Roanne est renvoyée à Goëville, Yohn Royce devant prendre en charge l’éducation de Robin Arryn. Roanne est scandalisée de voir quel gamin malingre va prendre la tête du Val d’Arryn. Elle reprend chez elle ses enseignements mais en tant que femme, est tenue loin des affaires d’hommes que sont les guerres.
La guerre faisant nombre d’orphelins, ou d’orphelines, Roanne se rend souvent à la matristère de Maris qui se trouve à Goëville et elle apprend aux orphelines et aux bâtardes à lire, à écrire et à broder.

302 : Les Arryn de Goëville répondent à l’appel au secours du Nord et les hommes de la famille partent combattre lors de la Bataille des Bâtards. Willem et Artys y trouvent la mort. Lysandre rentre à Goëville et annonce la nouvelle à toutes les femmes de la famille : Roanne est désormais son héritière.

303 : Lysandre, en tant qu’un des seigneurs du Val, fait partie de la délégation valloise partant pour le Grand Concile. Roanne insiste pour l’y accompagner, désirant prouver à tous qu’elle n’est pas qu’une faible femme, elle monte à cheval comme tous les hommes.
Lorsqu’ils sont de retour à Goëville, Roanne force son père à lui apprendre tout ce qu’elle a à savoir – il est quelque peu réticent, considérant que ce ne sont pas des affaires de femme, mais y est au final contraint. Il découvre en Roanne une élève sérieuse et dotée de beaucoup de cran, elle apprend notamment la Langue du Commerce sans difficulté.

304 : Roanne accompagne son père dans des voyages commerciaux vers les Cités libres. Elle voit Pentos, Braavos et Myr. Elle travaille sa pratique des langues avec une assiduité particulière, et son père lui confie bientôt des travaux de gestion et de comptabilité pour l’assister.

305 : Les Arryn de Goëville font partie des vallois présents pour le Tournoi du Donjon Rouge, toujours désireux de se montrer et de nouer des alliances. A cette occasion, Lysandre rencontre la dame de La Treille, Desmera Redwyne, avec qui il souhaite faire affaires.

306 : En échange d’un pacte commercial arrangeant pour La Treille, Desmera Redwyne consent à prendre Roanne comme dame de compagnie – pour ne point dire apprentie, afin de tout lui apprendre de la gestion d’un fief à celle d’une compagnie commerciale, mais aussi pour lui faire rencontrer du beau monde et surtout un bon parti.

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295 ; Goëville

Un hurlement strident résonna dans toute la demeure. Roanne sursauta légèrement, et dans son geste, elle se piqua le doigt de son aiguille. D’un soupir, court, exaspéré, elle posa son ouvrage en cours. Elle fabriquait une écharpe, tissée du faucon doré de leur famille, pour son petit frère. De tous les fils auxquels sa mère avait donné naissance, il était le seul à avoir survécu plus de trois ans. Cinq années, maintenant, que les Arryn de Goëville se targuaient d’avoir un héritier. Et s’il était de constitution fragile, au moins était-il en vie.

Mais Roanne savait ce que signifiait ce cri. A seulement onze ans, elle avait perdu déjà deux frères – son jumeau, mort-né, et Vardis, emporté par une fièvre trois ans après sa naissance. Alors ce cri, celui d’un fils perdu, elle le connaissait.

Elle grimpa au premier étage du manoir familial, où se trouvait la nursery d’où provenait ce hurlement. Roanne s’agrippa à l’encadrure de la porte ouverte et regarda à l’intérieur. Mestre Tygett se tenait devant les lits, et Talya s’était écroulée. Et le regard lointain, perdu dans un océan de noirceur, Lysandre.

— Ne reste pas là, Roanne.

Son oncle Willem la tira vers l’arrière et Roanne pesta en se débattant. Elle voulait voir, elle voulait savoir. Ce que son père avait nommé le Mal des Arryn avait-il encore frappé ? Avait-il encore perdu un fils tandis que sa femme pondait des filles bien portantes ? Willem porta Roanne sur l’épaule jusqu’à sa chambre il la contraignit à y rester.

Elle resta donc assise sur son lit, exprimant haut et fort son exaspération par de puissants soupirs. La porte ouverte devant elle, elle voyait défiler les visages atterrés des serviteurs, lui confirmant ce qu’elle pensait déjà savoir : Baelor était mort.

Il restait bien un héritier à leur branche, en la personne de son cousin Artys – lequel passait justement sa tête de petit con dans la pièce. Il avait le sourire victorieux et les yeux brillants.

— Il se dit qu’on change encore d’héritier, lança-t-il.
— Tu es vraiment dégueulasse Artys, cracha Roanne en lui lançant un coussin – elle traînait trop au port et en avait appris le langage.

A treize ans, il était déjà bouffi d’orgueil et était doté d’une morale douteuse. De fait, Roanne et lui se chamaillaient beaucoup, d’autant qu’elle prétendait être devant lui dans la lignée de succession – c’était faux selon le droit du sexe, et s’ils avaient été à Dorne, la question n’aurait pas à eu à se poser. Hélas ils n’étaient pas à Dorne.

— Surveille ton langage Dame Harpie ! Tu auras déjà du mal à trouver un époux rien qu’avec ta sale f…

Roanne s’était levée et avait frappé Artys. Il lui tira les cheveux et tous deux roulèrent bientôt à terre, échangeant coups et insultes. C’est Lysandre qui les sépara : il les prit chacun par le col et les souleva à la manière de deux chiots.

— Ça suffit, vous deux. Roanne, viens avec moi.

La jeune fille jeta un regard mauvais vers son cousin avant d’emboîter le pas à son père. Il la mena vers son bureau, une pièce qu’elle adorait mais à laquelle elle n’avait que trop peu accès : elle n’était qu’une fille après tout. Sur l’ordre de son père, elle s’installa et l’écouta attentivement. Il avait la face blême comme jamais et les yeux ternis par l’inquiétude.

— La petite vérole a emporté ton frère. Ryella l’a attrapée aussi, mais d’après Tygett, elle survivra. Maintenant, reste le problème de l’héritage…
— Artys est un garçon, siffla Roanne, très claire dans son amertume.
— Mais tu sais quel mal frappe tous les fils de notre famille.

Roanne roula des yeux :

— C’est juste de la malchance, père. Il n’est pas question d’une quelconque malédiction.
— Tu ignores tout de cela, rétorqua lord Lysandre. Déjà avant ma naissance, notre famille a été touché par ce mal : mon père lui-même a pris plus de trente ans à mettre au monde un fils qui ne soit pas mort-né. En revanche, il a eu facilement des filles. Et maintenant… Maintenant, ça se poursuit. Alors si Artys venait à mourir…

La jeune fille éclata d’un bref rire plein d’animosité :

— Artys est une vraie teigne, il n’risque pas de mourir.
— Ton langage, Roanne ! gronda Lysandre. Au cas-où les choses devaient mal tourner, ton éducation va changer. Moins de couture, plus de leçons de langue. Moins de musique, plus de comptabilité et de gestion. Tu comprends, Roanne ? Il faut te préparer au cas-où. Au cas-où le mal nous frappe à nouveau…

Roanne leva un sourcil, peu convaincue par les arguments de son père. Mais un sourire effila ses lèvres et elle acquiesça en silence. L’idée lui plaisait. Elle ne se satisfaisait pas de coudre, danser, jouer des instruments, elle, elle voulait apprendre plus. Alors elle acceptait, et presque avec plaisir.

297 ; Goëville

Cela faisait bien trois jours que les hurlements de Talya résonnaient à travers le manoir. Trois jours que Lysandre n’avait pas prononcé un mot, que personne ne dormait ici. Il fallait dire qu’un bébé naissant après à peine huit mois de grossesse, ce n’était pas quelque chose de rassurant. Roanne avait installé une chaise dans le couloir attenant à la chambre seigneuriale, où sa mère tentait d’expulser un enfant qui ne voulait pas sortir. Elle voulait être là pour sa famille. Leur prouver qu’elle pouvait endurer sa mère qui rugissait de douleur et de peine. Alors elle restait là, assise, jour et nuit, à attendre. La mine fermée et le regard droit, elle comptait les nervures du bois des murs pour ne pas céder à une quelconque émotivité.

Les cris se répercutèrent encore pendant de longues minutes, et plus rien. Et enfin, un bref cri de nourrisson. Roanne se leva et poussa la porte. Entre les mains de Mestre Tygett se trouvait le nouvel héritier de leur famille. La jeune fille s’avança doucement.

Les draps comme Talya étaient poisseux de sang. Sa mère, sa si douce mère, était au cœur du lit, trempée de sueur et mal en point. Mais miraculeusement, en vie.

La peine et l’inquiétude quittèrent les visages, ils se lissèrent pour afficher des sourires. Un fils, enfin, après sept ans de filles seulement. Le mestre leur annonça qu’il était a priori bien portant malgré sa naissance précoce, et Roanne put enfin tenir un frère dans ses bras. Elle sourit en le regardant. Si beau et si petit.

Puis il toussa une fois, deux fois, encore et encore, cracha. Il n’était pas bien portant.

Le petit Marq mourut dans la semaine.


Les Sœurs du Silence veillaient le corps tout juste fini de préparer – il était ridicule sur sa couche de pierre, enroulé d’un tout petit linceul. Roanne les observait, muette, le cœur brisé de n’avoir pu garder ce frère. Elle aimait chacune de ses sœurs, ses cousines aussi, Artys moins, mais elle avait toujours voulu un frère. Alors cillant pour chasser ses larmes, elle fit volte-face et quitta le septuaire. Dehors, Goëville s’animait comme toujours de vie. Sur le port résonnaient carillons et clameurs des marins, le bois des coques craquait sur l’eau froide et mouvante.

Elle eut un pâle sourire, se réconfortant un peu à cette vision : la vie des Arryn avait encore été bouleversée, mais au moins Goëville restait Goëville.

Dans sa robe de deuil, Roanne se sentait comme un point noir dans l’atmosphère si chaleureuse de la ville. Ses pieds chahutaient les cailloux du sentier tandis qu’elle rejoignait le manoir familial. Elle en poussa la porte et rejoignit aussitôt la salle principale, où elle trouva ses parents. Talya était droite comme un cierge tout en en ayant la couleur, ses yeux rouges et bouffis trahissant ses nombreux pleurs. Au fil des années, à mesure qu’elle perdait ses fils, elle se fanait. Lysandre, lui, se massait le visage.

Devant eux, mestre Tygett avait l’air très sérieux.

— Je vous conseille vivement d’arrêter. Vos accouchements, lady Talya, deviennent bien trop dangereux. Votre corps comme votre esprit vous supplient d’y mettre fin. Je crains que vous ne surviviez pas au suivant.

Roanne, cachée derrière le cadre de la porte, eut une moue. Elle écrasa la larme qui roulait sur sa joue : elle n’aurait jamais de frère.

298 ; Port-Réal

A l’instant où ser Jaime tomba de cheval, un hoquet de surprise gagna la foule. Roanne porta la main à son cœur, un demi-sourire aux lèvres, et rougit en voyant Loras Tyrell, victorieux, retirer son heaume. Il était si charmant ! Elle frémit lorsqu’il trotta le long des hourds, une rose à la main, et afficha une mine boudeuse quand il l’offrit à une autre demoiselle. Au diable le chevalier des fleurs !

Elle se leva, furieuse, et quitta les tribunes avec le reste du public. Le tournoi du prince Joffrey était terminé et les réjouissances pouvaient maintenant débuter. Un peu gourmande, appréciant de tremper ses lèvres dans le vin et aimant surtout danser, Roanne appréciait ce genre de fêtes.

Alors elle dansa, avec ses sœurs, avec son père qui avait un regard étrange, puis avec Andar Royce. Elle ne put s’empêcher de rosir lorsqu’il lui proposa, d’une main charmante, de l’accompagner. Il la vit virevolter et elle sentit son cœur éclater de joie.

— Il paraît que nous nous verrons souvent à l’avenir, dit-il.

Roanne se sentit imploser : allait-elle l’épouser ? Devenir la dame de Roche-aux-Runes ? Peu après, la révélation tomba et la déçut quelque peu : elle partirait comme pupille, et non comme épouse. Elle grimaça : plus de fauconnerie, sans doute, puisque lord Yohn devait considérer cela réservé aux hommes. Elle le regretta amèrement, sans se douter qu’elle apprendrait beaucoup auprès du seigneur de Roche-aux-Runes.


300 ; Les Eyrié

Quand on lui apprit qu’elle devait partir, Roanne ne put s’empêcher de protester. Son père le lui avait dit maintes fois, et lord Yohn Royce en avait fait de même : elle ne savait se taire et rester à sa place. Mais elle qu’on avait élevée comme si elle pouvait hériter un jour, devait-elle maintenant courber sagement l’échine et se laisser faire ? Au moins avait-elle appris à ne plus jurer comme un charretier. Elle ne put protester plus longtemps, la décision était prise : suite à la mort de lady Lysa Arryn, Yohn devrait prendre en charge le petit Robin.

Et il n’avait donc plus de temps à lui consacrer à elle. Un peu jalouse et désabusée, Roanne paqueta ses affaires et repartit pour Goëville dans les jours qui suivirent le décès de sa suzeraine.

Mais si son apprentissage n’avait pas duré autant de temps que prévu, Lysandre se rassura de voir sa fille grandie et le caractère plus affirmé que jamais. Et même si elle restait la gosse de riche capricieuse qu’elle avait toujours été, au moins avait-elle touché du bout des doigts à des conversations politiques qui l’avaient faite évoluer un tant soit peu.

Roanne n’avait pas fini son apprentissage mais on lui avait enseigné une chose essentielle : le monde ne faisait pas de cadeaux, aux femmes moins encore.

301 ; Goëville

Lorsqu’elle entra dans la matristère, les gamines se jetèrent sur elle. Roanne se pencha vers elles, accroupie à leur hauteur et leur sourit à toutes. Elle prit de leurs nouvelles, les complimenta sur les tenues que certaines s’étaient confectionnées ou sur les tresses qu’elles arboraient. Roanne caressa leurs cheveux et embrassa leurs fronts avec douceur puis les entraîna vers une grande table au cœur de la pièce – c’était ici que les septas dispensaient leurs leçons et Roanne les siennes.

Au départ, elle venait aider à la matristère par ennui, pour tromper les jours qui s’écoulaient trop lentement. Malgré sa position au sein de la famille, bien qu’elle ait été éduquée en potentielle héritière de sa branche, Roanne était tenue éloignée des affaires trop masculines, à commencer par la guerre. Elle avait bien tenté de donner son avis à son père, de lui conseiller de se méfier de Baelish et du gosse Arryn – elle voyait dans ses yeux qu’il entendait ce qu’elle disait et qu’il croyait en son instinct, mais il ne pouvait l’inclure dans de telles conversations.

Alors Roanne avait trouvé sa place ici. Elle enseignait aux petites orphelines et aux bâtardes de nobles à écrire, lire et broder. Elle désigna justement un mot dans le livre qu’elle leur faisait passer.

— Val d’Arryn, apprit-elle.

Les plus jeunes enfants répétèrent avec hésitation. Les plus âgées, qu’elle avait prises sous son aile depuis déjà une année, le firent d’une traite. Roanne sourit aux jeunes filles, fière de ce qu’elles accomplissaient au quotidien. Elle leur rendait visite de plus en plus souvent.

A ses débuts, ce n’était qu’une fois de temps en temps. Puis elle avait pris goût à tout cela, et était venue deux fois par semaines, puis trois, et maintenant, c’était quatre à cinq fois par semaine. Elle aimait enseigner ce qu’elle savait à des filles rebutes de la société, qui n’avaient pas sa chance. Et en secret, Roanne songeait que si elle n’avait pas été Arryn, elle aurait rejoint le matristère comme septa. Cette vie aurait pu lui plaire, elle qui était si pieuse et aimait tant ces enfants.

Mais elle était Arryn, même si seulement de Goëville – d’or ailée et de gloire couverte.

302 ; Goëville

Roanne tissait une jolie robe, moins riche que celles qu’elle portait elle-même mais de bonne facture tout de même. Elle l’avait presque finie, l’ayant débutée au départ des hommes de la famille pour rallier les chevaliers du Val au Nord. Elle avait décidé de la confectionner pour la jeune Brella Stone, une bâtarde ayant grandi au matristère qui prenait maintenant soin des plus petites aux côtés des septas. Roanne s’était liée à elle comme à une sœur d’un autre ventre et lui racontait tout – ses rêves et espoirs, ses amours qui ne s’étaient jamais concrétisés.

Elle coupa son dernier fil et observa la robe. Et à cet instant précis, comme un miracle, la porte du manoir s’ouvrit à la volée. Persuadée de voir rentrer son père et son oncle Willem, ainsi qu’Artys, Roanne se leva. Elle ne vit alors qu’un émissaire, porteur de leurs couleurs mais le visage sans fierté. Le visage de Roanne se ferma aussitôt.

— Que s’est-il passé ?
— Votre père va bien, lady Roanne. Mais votre oncle et votre cousin… Tués à Winterfell.

Roanne se figea. Dans la descente d’escaliers, elle aperçut sa mère, les traits aussi tirés qu’elle. Elles échangèrent un regard peiné, mais dans les yeux de Roanne se mit à luire quelque chose : désormais, elle était l’héritière de leur maison.

C’était elle qui devrait perpétuer leur nom et leurs affaires. Et ce, qu’importe qu’elle soit femme.

303 ; Terres de la Couronne

Roanne avait délaissé la monte en amazone. Désormais, c’était bien à califourchon qu’elle se tenait sur une imposante monture. Comme un homme. Sa première sortie de Goëville en tant qu’héritière Arryn se ferait à l’occasion du Grand Concile. Malgré les réticences et hésitations de son père, elle avait vivement insisté : il ne pourrait avoir d’autres enfants que des bâtards et devrait se contenter d’elle comme héritier. Il n’avait plus le choix, maintenant, que de l’assumer.

Alors Lysandre avait souri, posé un baiser sur le front de sa fille aînée et avait dit combien il en était fier – parce qu’on se riait d’elle, et d’eux aussi, mais qu’elle tâchait de rester digne.

Comme tous les membres de la délégation, hormis Yohn et Robin Arryn, Roanne resta en retrait du Concile. Elle n’était pas suzeraine et n’y avait donc pas sa place. Mais quand elle en apprit le résultat, elle se sentit flouée, elle – et le Val entier.

Les Stark avaient donc pris tout le contrôle des Sept Couronnes ? La Stark de Winterfell et l’autre de Port-Réal, comme c’était bien joué. A l’issue du jeu des trônes, ils avaient bien raflé toute la mise.

Si elle trouvait cela écœurant, tout comme la situation du Val, elle ne fit part de ses doutes qu’à son père, lequel les partageait. Mais que pouvaient-ils faire quand leur place au sein du Val n’était que de petits nobles sans prestige ? La rage de Roanne s’éveilla ainsi : bon sang, ils étaient des Arryn ! Et elle s’affairerait à réparer cette injustice qui les frappait depuis trop longtemps maintenant.

304 ; Pentos

Les bras joints dans le dos, l’allure digne et le pas assuré, Roanne regardait autour d’elle avec plaisir. Elle aimait les couleurs de Pentos, qu’elle découvrait avec joie. Ici, les gens portaient des tenues bigarrées et les hommes arboraient des barbes fourchues et teintes qu’elle trouvait tout à fait charmantes. Cela la changeait de Westeros qui paraissait tout à coup bien terne.

Roanne suivit son père jusqu’aux plus luxueuses demeures de la cité libre, où ils devaient tracter avec un magistrat directement. Elle était enchantée : la confiance que Lysandre lui vouait se renforçait au fil des semaines et des mois et il l’avait pleinement acceptée comme son héritière, quand bien même cela lui avait été difficile au départ. Maintenant, elle était LA Arryn de Goëville, celle qui perpétuerait son nom et devrait faire grandir leur famille.

Et elle ne laisserait plus personne se mettre en travers de son chemin.

306 ; La Treille

Maintenant que Lysandre l’avait acceptée, le plus dur semblait derrière elle. Mais au final, pas du tout. Malgré un caractère bien affirmé, Roanne restait une pauvre femme aux yeux du monde, toute héritière soit-elle. Et ça, Lysandre ne pouvait ni le changer, ni le comprendre : lui n’avait pas de paire de seins, après tout. Il avait réfléchi encore, encore, et s’était rappelé à une rencontre intéressante et qui pourrait lui offrir sa solution.

Il n’avait échangé que quelques missives avec La Treille et les bagages de Roanne avaient été empaquetées. Un peu agacée au départ, elle qui aimait tant son Val natal et Goëville, la demoiselle avait dû se rendre à l’évidence. Il n’y avait qu’une femme pour lui apprendre comment être une femme.

Alors désormais, ses espoirs se plaçaient en Desmera Redwyne. Elle posa le pied sur les pontons du port et dévisagea sa maîtresse qui l’attendait sur le port. Roanne pinça les lèvres, afficha un sourire et s’avança. Il était temps qu’on lui enseigne son ultime leçon : comment, dans un monde fait par et pour les hommes, une femme pouvait-elle prétendre à la grandeur ?

Et elle était prête, à cet enseignement et à redorer le blason familial. Que les gens se rappellent que les Arryn de Goëville n’étaient pas de simples négociants, mais bien des Arryn, des vallois.