[FB] Les bons comptes font les bons amies [PV Roanne Arryn]

Roanne admira avec plaisir la dentelle que lui montrait la petite Valena. De ses pouces, elle effleura leur détail, les lacis parfaits dans leur complexité. La Arryn sourit à pleines dents à la bâtarde, l’une des filles de la matristère de Maris auxquelles elle avait appris à coudre. Une main frictionnant affectueusement son dos, elle lui rendit son ouvrage.

— C’est magnifique Valena, je suis sûre que Jasper sera ravi de te l’acheter.

Offrant sa main à la bâtarde, celle-ci se fit un plaisir de la prendre. Du haut de ses douze ans, elle était son élève la plus prometteuse. Elle avait la couture dans le sang, de l’or dans les doigts. Cette enfant irait loin. Roanne adressa un signe de main à son père un peu plus loin, lui indiquant qu’elle s’enfonçait à travers le large marché de Goëville. Lysandre ne s’inquiétait plus trop pour elle, à force. Il avait compris qu’elle avait beau être une femme, elle était grande et savait se frayer un chemin dans le dur milieu des affaires.

Un jour, elle porterait le nom et l’héritage des Arryn de Goëville. En cela, elle pouvait remercier ce petit con d’Artys d’être mort au combat. Le dernier espoir des Arryn ! Quelle tragédie. C’était ridicule.

Roanne et Valena s’arrêtèrent à l’étal de Jasper, un négociant d’étoffes diverses. A Goëville, c’était leur ressource locale la plus fructueuse, il fallait dire que leurs couturières étaient talentueuses. Et la Arryn pouvait se targuer d’avoir appris auprès des meilleures, et elle aimait partager ce savoir aux orphelines et bâtardes de la matristère. En un tour de main, Roanne put vendre l’ouvrage de Valena, bien plus cher que ce qu’elle valait réellement. Généreuse avec ses apprenties, elle déposa les quatre lunes d’argent dans la paume de Valena.

— Va donc t’acheter des friandises, lui dit-elle avec un regard complice.

Après l’avoir remerciée, la bâtarde partit en trottant vers les étals d’où émanaient des arômes de sucre et de miel. Roanne sourit avant de faire volte-face. Ses yeux se posèrent alors sur le port où un navire se distinguait. La coque pourpre ne faisait aucun doute, il y avait par ici un Braavien… La jeune femme se mit en quête de l’Essosi. Ce n’était pas bien dur : à Goëville, elle connaissait tout le monde, alors les étranger se distinguaient facilement pour elle.

Dans sa robe bleu céleste, épaisse et aux larges manches cousues de brocard argenté, Roanne criait son identité sans que ça ne gêne jamais personne ici. Elle plaignait ces petites nobles d’ailleurs qui vivaient emprisonnées dans leur château, elle ici, à Goëville, était libre : de faire ce qu’elle voulait et de faire étalage de son nom. Même si son père n’était jamais bien loin puisqu’ils habitaient un manoir en ville, elle n’avait pas besoin d’un chaperon qui lui colle aux bottes.

Dans la foule, elle aperçut enfin quelque chose d’inhabituel. Elle plissa les yeux pour en être sûre, mais reconnut bien les cheveux argentés d’une personne d’origine valyrienne. A moins qu’un Velaryon ou l’un des rares représentants de ces lignées anciennes ne se trouve ici, elle avait trouvé son Braavien. Ou plutôt sa Braavienne. Le pas assuré, la tête haute, Roanne s’avança franchement dans sa direction.

— Rytsas, ñuha riña. Ivestragī nyke māziare ao naejot Goëville.
« Bonjour, ma dame. Je vous souhaite la bienvenue à Goëville. »

Malgré un accent braavien encore imprécis, le sourire franc, Roanne exécuta une courbette noble. Si la Braavienne comptait faire affaires ici, qui de mieux que la fière valloise pour l’y aider ? Ce serait pour elle un moyen de plus de montrer à son père qu’il ne se trompait pas en l’acceptant comme héritière. Elle méritait sa place plus que quiconque.

La réponse de la braavienne ne se fit pas attendre. Roanne tarda quelque peu à lui répondre, laissant quelques instants de flottement pour réfléchir ses mots et être sûre de bien les comprendre. Quand elle eut analysé la phrase de son interlocutrice, se ressassant les leçons de langue dispensées par mestre Tygett et son propre père, elle acquiesça dans un sourire.

— Avec plaisir, ma dame. Vous ne trouverez pas meilleur guide sur ce marché.

De l’assurance dans la voix, Roanne était parfaitement consciente de ses capacités marchandes, mais aussi de sa connaissance sans faille des étals de Goëville. La femme de l’autre côté du Détroit se présenta, Antaryon, voilà un nom qui résonnait dans l’esprit de la Arryn. Et pour cause : n’était-ce pas la famille actuellement à la tête de Braavos ? Elle ne posa pas la question, gardant cette information dans un coin de son esprit.

— Lady Roanne Arryn, enchantée. Il y a effectivement bien des choses à dire sur nos marchandises.

D’un geste, elle invita Myria à la suivre tandis qu’elle s’enfonçait dans le marché avec confiance. Roanne sourit à quelques visages, esquiva quelques étals qui n’intéresseraient guère la braavienne. Tandis qu’elle avançait parmi les étals, elle regarda son interlocutrice par-dessus son épaule.

— Y a-t-il des choses que vous recherchez en particulier ? Vous savez sans doute que les couturières Goëvillaises sont réputées pour leur habilité. Mais nous avons aussi des fromages de qualité, et par notre commerce avec Blancport, vous trouverez des produits du Nord : anguilles, crabes – vous ne pouvez pas passer à côté de la potée des Trois Sœurs – du vin de pomme… Nous avons aussi de la bière noire de Blancport, délicieuse…. Dites-moi ce que vous voulez, je vous le trouverai.

Roanne était toujours pressée. Elle parlait vite, en détachant les mots avec tant de soin qu’elle en devenait abrupte, et le tout dans une rigueur militaire. Tout dire en quelques mots, balayer les éléments avec rapidité, traiter vite. Elle s’en excusa d’un sourire, barre crispée sur ses lèvres tant elle n’aimait pas avoir tort. Elle s’inclina. Son enthousiasme était parfois déconcertant pour qui ne la connaissait pas, elle qui avait tant lutté contre son sexe.

— Bien entendu, prenez le temps qu’il vous faudra, Riña Antaryon.

D’un geste, elle l’invita à lui emboîter encore le pas alors qu’elle sillonnait les étals avec une aisance particulière. A sa seule gestuelle, on devinait que Roanne foulait ce port depuis sa plus tendre enfance mais aussi qu’elle connaissait ce marché comme sa poche malgré son envergure.

Tout naturellement, elle voulut emmener la braavienne vers les couturières, songeant que peut-être Jasper aurait-il des étoffes qui lui plairaient. Après tout, Myria ne pouvait pas partir de Goëville sans acheter l’une de leurs complexes dentelles. Mais Roanne s’immobilisa quand celle qu’elle avait décidé de prendre sous son aile dans ce grand marché lui confia avoir faim.

— L’occasion de goûter à la potée des Trois Sœurs alors !, lança-t-elle avec un entrain qui convenait mal à une dame.

Elle lui fit encore signe de la suivre, la guidant à travers les rayons bondés. Elle arborait son emblème avec fierté, en plus d’être un visage connu ici, alors il n’était pas compliqué pour Roanne de se frayer un chemin : tous les visages qu’elle croisait, pleins de bonhommie ou de mépris à son égard, s’écartaient avec plaisir ou déplaisir de la route de Dame Harpie.

Comme toujours, tout était ou tout blanc, ou tout noir avec elle. Certains la haïssaient, d’autres l’adoraient – elle divisait beaucoup, pour une jeune fille.

— Vous aimez les fruits de mer, j’espère ? demanda-t-elle à Riña Antaryon par-dessus son épaule quand elles arrivèrent à l’orée du marché.

Comme pour appuyer ses propos, une odeur s’éleva devant elles, mêlant crème, légumes et surtout le parfum puissant des fruits de mer.