Liens de familles
Même s’il s’agissait de son second passage Meera avait une nette impression de nouveauté. Déjà l’ambiance divergeait.
Ce n’était plus juste après la bataille des bâtards où tous étaient épuisés, et préoccupés par la menace à venir.
A présent il régnait une atmosphère festive et prospère.
La cour portant encore des stigmates de l’assaut, avait laissé la place à un endroit paisible au sein duquel les délégations nordiennes s’agglutinaient tranquillement.
Seules les plus importantes se trouvaient déjà dans la grande salle y compris la maison Reed.
Parmi les nouveautés il fallait aussi mentionner la présence de Howland Reed.
C’était la première fois que sa fille le voyait sortir du Neck. A vrai dire elle croyait la chose impossible.
« A l’extérieur des marais nous perdons notre magie. », « En dessous de la Verfurque un paludier est comme un poisson hors de l’eau. »…
Voilà le genre d’adages que répétait continuellement son père. Autrefois il avait assisté au tournoi de Harrenhal et participé à la bataille de tour de la joie.
Un dernier adage expliquait ce paradoxe : toute règle a ses exceptions.
Une autre nouveauté concernait encore plus directement Meera : une robe.
En ce jour de couronnement il fallait bien faire les choses.
Cette tenue gênait quelque peu la paludière, qui était habituée à se mouvoir rapidement et sans encombre. Il paraissait que dans le sud, les robes étaient encore plus longues et encombrantes.
Comment les autres femmes faisaient-elles ?
Pourtant ce vêtement stupide ne vint pas à bout de sa bonne humeur. Car c’était un grand jour. Après tant de sacrifices et de souffrances, le Nord redevenait une véritable nation.
Puis une gêne finit tout de même par gâcher la fête. Cette robe avait été conçu pour les dames cour aux silhouettes de nymphe, non pour les pisteuses chevronnées ayant acquis une certaine musculature.
Bref Meera commençait à suffoquer. Ce n’était pas si grave. Elle n’allait pas jusqu’à s’évanouir. Simplement la cérémonie serait pénible dans une telle condition.
Seulement la paludière détestait subir sans rien faire. Il restait du temps avant le couronnement. Alors elle prévint son père, et s’éclipsa discrètement.
Sa camériste desserrerait alors discrètement le laçage de sa robe. Sauf que Meera ne disposait pas de servante.
C’est ainsi qu’elle se retrouva à errer dans les couloirs à se tortiller et tirer çà et là sur sa robe.
Puis elle croisa une délégation ou plutôt la délégation.
C’est ainsi que se produisit leur seconde rencontre, qui comme la première n’avait pas été voulu.
Toujours comme précédemment Meera n’était pas à son avantage. La pisteuse emmitouflée de fourrures et aux traits tirés par une longue marche, cédait à présent la place à une dame de cour visiblement incapable de tenir en place dans sa robe.
La reconstruction de Winterfell avançait à bon rythme même si la neige pouvait ralentir les travaux. Notre fief ancestral a vécu des batailles difficiles, et celle-ci fut sans aucun doute la plus difficile de toutes. La maison Stark devra s'assurer que cette bataille soit à jamais gravée dans les mémoires de notre lignée. La guerre est terminée, même si tous ne sont pas nécessairement satisfaits de leurs gains. Les tyrans sont morts, Cerseï, Ramsay, Joffrey, Petyr... Je tâcherai jusqu'à mes vieux jours, de rappeler aux ignorants à quel point ces Lannister étaient les dignes héritiers idéologiques du Roi Fou.
Aujourd'hui, le Nord couronne un nouveau souverain, un Stark, moi-même. J'ignore si Père et Mère peuvent nous voir depuis le monde des morts... sans doute sont-ils surpris que je sois la Stark qui reste à Winterfell.... Moi, la fille aînée destinée à prendre le nom de mon époux et son emblème de famille. Jon Snow est parti vivre au-delà du Mur... Bran est devenu Roi des couronnes restantes, Arya a disparu en mer à la recherche de terres à explorer... et nos frères restants sont morts... Maintenant, nous avons le temps de leur construire une belle sépulture.
Une servante m'informe de la liste des invités déjà présents dans la grande salle. De nombreux fils ont pris la place de leur père, la guerre forge une nouvelle génération de jeunes seigneurs. Ils ont tous fait le déplacement, jusqu'aux Reed. Quant à moi, j'étais prête à rencontrer mes invités, mes bannerets. Nous formons notre groupe pour rejoindre la grande salle, accompagnée de servantes et dames. Sur ce chemin entre les murs de Winterfell, nous croisons la route d'un visage que je reconnais, Meera Reed, celle qui accompagna Bran dans son voyage depuis notre séparation. Un sourire aimable se forme sur mon visage en l'observant dans sa robe, un changement de style plus que voyant. Elle a troqué ses vêtements de fourrures plus propices à la chasse et la vie en forêt, pour une robe de femme de la cour.
- "Meera Reed. Notre dernière rencontre remonte aux prémisses de la Grande Bataille de Winterfell si j'ai bonne mémoire. Comment allez-vous depuis ? Je crois que je dois vous remercier une fois de plus, d'avoir veillé sur Bran tout ce temps... À l'occasion... j'aimerais écouter votre récit de ses voyages... Il n'est plus aussi bavard qu'auparavant." - dis-je en observant mes conseillers.
Ce détail la détendit un peu, et l’empêcha de faire une salutation aussi maladroite qu’artificielle.
A la place elle s’exprima naturellement.
« Lady Stark. » Dit-elle en effectuant un salut de la tête de tête martial, pas vraiment conforme l’étiquette d’une cour royale. « Je suis assez occupée. Je seconde mon père dans la direction du Neck. »
Sa réponse à la première question lui fit réaliser que Sansa et elle étaient des héritières imprévues.
Toutefois une différence subsistait. Meera disposait encore de deux membres de sa famille. La pauvre Sansa devait se sentir seule parfois.
« Je n’étais pas seule à le protéger. » Précisa-t-elle ensuite à propos de l’expédition avec modestie.
Ne jamais oublier les morts. Ils constituent un lien irremplaçable avec notre passée et nos traditions.
Les adages de sa mère portaient leurs fruits.
« C’est vrai qu’il a changé. »
Bien que plutôt directe elle n’osa pas en dévoiler son véritable ressentit au sujet de Bran. De son point de vue ce garçon attachant et rêveur qu’elle avait tiré dans la neige à s’en détruire les genoux, n’était plus.
Mais ce genre de révélation était trop dure et surtout n’apporterait rien.
La demande de Sansa la gêna dans un premier temps. La quête la corneille à trois yeux était un peu comme un objet personnel pour la paludière. D’ailleurs ses parents n’avaient pas exigé de précision hormis sur la mort de Jojen.
Ils savaient que certains sujets devaient demeurer tabous.
Et puis tellement d’éléments de ce voyage n’étaient pas crédibles.
Toutefois Sansa lui inspirait confiance. De plus elle était en droit de savoir à la fois comme suzeraine et comme parente de Bran.
« Je vous raconterai tout. Dans des conditions plus… propices. »
Elle faisait clairement allusion aux conseillers. On aurait pu y voir un signe d’inimitié. D’ailleurs certains le prirent ainsi si on se fiait aux regards noirs, qu’ils lancèrent à la paludière.
Pour qui se prenait-elle cette bouffeuse de grenouille dans sa robe digne d’une servante !
D’une nature alerte Meera perçut ce ressentiment. Toutefois elle fit taire la guerrière au fond de son cœur. Elle n’allait pas créer de heurt en ce jour.
Même les bourbeux connaissaient les bases de la bienséance.
A la place elle répliqua par un petit air narquois. Ces courtisans pouvaient user de toutes les flatteries possibles, ils n’arriveraient jamais à égaler le lien unissant les maisons de Winterfell et de Fort-Griseaux.
Il est bon d'entendre que même les femmes du Nord sont capables de seconder leur père dans la direction d'un fief. Je ne doute pas que Meera saura s'aguerrir avec la pratique. La jeune femme face à moi semble bien modeste, alors même qu'elle a su garder Bran en vie tout ce temps, parmi les vivants... et les morts.
- "Vous n'étiez pas seule, c'est vrai, mais vous n'étiez pas nombreux non plus. Vous devriez prendre le temps d'écrire ce voyage, pendant qu'il est encore frais dans votre esprit. Il fera partie de l'histoire commune des Reed et des Stark, le genre de récit qui deviendra une légende... puis un mythe." - dis-je avec intérêt.
Cette histoire dont nous connaissons tous quelques morceaux pourrait sans doute paraître bien fantaisiste. Mais sommes nous vraiment encore prêts à douter ? Nous avons vu une armée de morts réanimés fondre sur Winterfell... Nous avons vu les tombes de la crypte menacer de s'ouvrir sous la magie des soldats de la Nuit. Danerys Targaryen nous a montré les derniers dragons de notre époque... et même Arya semble avoir appris quelques sournoiseries de l'autre côté du Détroit.
Je hoche de la tête avec un sourire en convenant que Meera devra me raconter ce voyage, mais dans des conditions plus propices. Ce n'est après tout ni le jour, ni vraiment le moment de s'installer pour plusieurs heures.
- "J'attends ce récit avec impatience, ne vous avisez pas de vous enfuir de Winterfell avant de m'avoir tout raconté dans les moindres détails." - dis-je avec une pointe d'humour.
J'observe discrètement les jeux de regards entre les dames m'accompagnant et Meera, une sorte de petite guerre silencieuse se déroule dans le plus grand des calmes.
- "Est-ce que votre père a déjà commencé à réfléchir à nommer son prochain successeur ? Souhaite-t-il vous faire cet honneur, ou a-t-il quelqu'un d'autre en tête ?" - dis-je avec une pointe d'humour.
Ce qu’elle avait vécu avec ses trois compagnons, ne serait pas compilé et rangé dans une bibliothèque. Aucun de ces mestres obtus n’accepterait ce récit comme tel.
Ce serait plutôt comme chevalier d'Aubier rieur, une histoire que les gens se raconteraient au coin du feu.
Cette image enchantait la paludière. Ainsi Jojen ne mourrait jamais.
Et puis Sansa ferait une oreille attentive et surtout compréhensive. Elle aussi avait dû voir des choses incroyables lors de la bataille de Winterfell.
C’était décidé. Elle raconterait tout à sa suzeraine. Et pas seulement parce qu’elle le lui demandait.
Suivi une question qui curieusement semblait contenir sa propre réponse.
Meera renvoya son sourire à son interlocutrice. Même au fin fond du Neck on savait que bien des prétendants avaient tenté leurs chances auprès de Sansa.
La paludière avait eu droit également à des propositions moindres. Car elle n’était pas la grande et belle Lady de Winterfell.
La seconde question fit réaliser à Meera, qu’elle n’avait pas saisit la première dans sa globalité.
Il n’était pas question de mariage mais de succession.
Sur ce point pour la paludière les choses avaient toujours coulé de source. Indissociable de son frère, elle devait codiriger Fort-Griseaux avec lui. Que Jojen porte le titre de seigneur ne constituait qu’un détail symbolique.
A présent la charge lui revenait dans son ensemble. Le futur époux ne servirait qu’à perpétuer la lignée. Car les reed ne pouvait pas disparaître. Ils faisaient partis du Neck autant que la tourbe, ou les sables mouvants.
« Il m’en fera l’honneur. » Répondit-elle en renvoyant son sourire à Sansa.
Elle commençait à éprouver une certaine affinité avec cette femme pourtant si différente d’elle.
Je suis satisfaite d'entendre que Meera prendra la succession de son père, avec l'appui d'une alliance avec le fils cadet d'une autre maison du Nord. Les Reed avaient prouvé leur loyauté au Stark et au Nord, il serait hors de question de voir la lignée disparaître de l'ordre de succession de leur domaine.
- "Nous allons devoir reprendre notre marche pour la cérémonie. Sachez que si vous avez besoin de mon aide pour quoique ce soit, Winterfell vous sera toujours ouvert. Si votre père a besoin que je l'aide à nouer une alliance maritale avantageuse pour vous, je vous aiderai de mon mieux, mais... profitez encore de votre tranquillité." - dis-je avec sincérité.
Un sourire orne mon visage avant que je me retourne un instant vers les dames qui m'accompagnent, leur faisant comprendre que la discussion touche à sa fin.
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