Some places wild ▾ Desmond Nerbosc

La porte claqua un peu précipitamment, suivit de la silhouette encapuchonnée de Naseem qui la referma aussi vite qu'elle l'avait ouverte. Trempée, dégoulinante, elle s'appuya contre le bois un peu moisi qui lui servait maintenant de seul rempart entre la tempête extérieure et la chaleur de la taverne, et elle laissa échapper un long soupire. Le temps fila quelques secondes le temps de se remettre de ses émotions, puis elle repoussa sa capuche de ses longs cheveux bouclés en se dirigeant vers le comptoir derrière lequel se tenait le tavernier. Un petit sourire moqueur flottait sur ses lèvres qu'il ne tentait même pas de dissimuler. "J'ai pas touché ta piaule." « Ca te fait rire ? » "Un peu, ouais. Pourquoi t'es encore là ?" Défaisant difficilement de ses doigts froids les nœuds qui retenaient sa cape fermée, la jeune femme tentait tant bien que mal de ne pas tout arracher par frustration. « Parce que cet enfoiré de trappeur a voulu s'ajouter un bonus au prix de base et que quand je l'ai envoyé se faire foutre il a tout annulé. » "Un bonus ? J'croyais que t'avais les moyens ?" « Non mais. Randall. Un BONUS. » D'une main elle passa de haut en bas de son corps dans une expression de dégoût évident. "Ah. Bon. T'as qu'à rester là, j't'ai dis que j'te gardais une place." « J'ai une tronche à faire le service dans une taverne jusqu'à ma mort ? Non, je vais trouver quelqu'un, ou quelque chose. » Elle se tourna, s'accoudant au comptoir en balayant la salle du regard. Les mêmes ivrognes que d'habitude, à peu de choses près. « Je peux laisser une annonce ? » "Ces trouducs savent pas lire." Nouveau soupire, puis elle posa sa cape sur le comptoir avant de la suivre sous les yeux ronds du tavernier. "Mais qu'est-ce'tu fous ?!" « Je m'impatiente. » Elle se redressa, contemplant toute la salle de sa hauteur, puis haussa la voix pour se faire entendre et remarquer, ce qui n'était pas difficile du haut de son perchoir. « Messieurs, votre attention. Je cherche quelqu'un pour m'escorter jusqu'à un port de la côte est, n'importe lequel. » Elle glissa une main dans la poche de son pantalon pour en tirer quelques pièces. « Deux pièces pour le voyage. » Elle voyait déjà quelques regards briller d'intérêt dans la salle, qu'elle savait qu'elle allait éteindre rapidement par ses exigences. « Il faut connaître la région et éviter les grosses routes. » Quelques grommellements, des regards désintéressés qui se reposaient sur leurs boissons. La moitié de la salle avait repris ses conversations. « Je monte à quatre pièces pour qui sait tenir une arme, n'importe laquelle, hache, couteau de cuisine, arc, même un bâton, je m'en fous. » Le reste sembla se désintéresser d'elle à son tour, quelques rires se firent entendre et Naseem eut l'air dépité. « Parasites... » marmonna-t-elle en même temps qu'elle descendait du comptoir. "C'était bien tenté." « J'vais me coucher, j'en ai marre. J'irai toute seule si c'est comme ça. » "Tu vas t'faire dépecer sur la route." Elle attrapa sa cape et traversa la pièce vers le couloir qui menait aux chambres, le visage fermé, le regard noir de colère. Elle aurait bien pris un bain pour se détendre mais ces pégus ne connaissaient que l'eau des marais.

« Le port le plus proche est à Salvemer. Si vous comptez embarquer c'est là bas qu'il faut être.  » La main posée sur la porte qui menait aux couloirs et qu'elle n'avait pas commencé à pousser, elle tourna la tête. Son regard s'arrêta sur un jeune homme dont l'âge devait être proche du sien, descendit sur des vêtements dont elle n'arriva pas à deviner la provenance et se heurta à la chevalière qui ornait son index. Pendant quelques secondes qui lui parurent interminables tant ses souvenirs avaient du mal à se remettre en place, elle chercha à retrouver à qui pouvait bien appartenir ce foutu blason. Le trou noir absolu. Impossible de se souvenir de ses cours. En même temps, le Conflans n'avait jamais été la région qui la passionnait le plus. Repasser par Salvemer n'était pas dans son plan, plus par soucis de ne jamais retourner deux fois au même endroit que par réelle envie de voyager. Si elle pouvait éviter de rallonger son trajet sur les routes et accroitre ses chances de rencontrer des bandits et autres tarés, elle ne disait pas non, mais il ne fallait pas non plus que ce soit une chance pour sa famille de lui mettre la main dessus. Seulement voilà, elle avait beaucoup de mal à trouver quelqu'un prête à la conduire à l'Est et le peu qui avait accepté avait été congédié aussi vite que leurs esprits scabreux. Sa main retomba de la porte tandis qu'elle se tournait franchement vers lui. Elle posa un regard interrogateur sur l'aubergiste qui hocha légèrement de la tête. Feu vert, elle rejoignit l'inconnu au comptoir.

« Celle-ci est pour moi. » dit-elle en glissant une pièce à son ami derrière le comptoir pour la bière de l'inconnu. Une façon simple d'espérer retenir son attention. « Je suis déjà passée par Salvemer et je ne comptais pas y retourner. Y a-t-il un autre port que je pourrais rejoindre sans trop de complications ou est-ce que je n'ai pas le choix ? » Son regard le détailla encore une fois, rapidement, mû par l'espoir de, peut-être, trouver enfin quelqu'un qui accepterait de l'accompagner. « Seriez vous prêt à m'accompagner ? »

L'avantage dans ce pays foutrement grand au gouffre si grand entre les nobles et les roturiers, c'était que les gens pouvaient imaginer tout et n'importe quoi mais jamais la réalité. Sans aucun apparat et signe de fortune personne ne pouvait deviner d'où elle venait précisément et elle n'avait nullement besoin de faire des pieds et des mains pour se planquer. Personne ne faisait attention à elle, personne n'était même au courant de son existence, surtout dans cette zone, et le meilleur moyen de rester invisible était encore de ne pas paraître louche en cherchant à tout prix à rester dans l'ombre. Son langage et ses capacités de lecture et d'écriture trahissaient au pire une petite-bourgeoisie perdue et au mieux une marchande en vadrouille. « C'est spécifiquement pour ça qu'elles m'intéressent. » Retourner à Salvemer n'était pas si dangereux, ses dernières visions n'avaient montré aucun signe des Qorgyle sur les lieux mais ça ne voulait pas dire qu'ils n'y étaient pas pour autant. Un peu de prudence en plus du coup de pouce mystique qu'elle avait n'était pas de trop. Le plus gros problème pour l'instant, c'était qu'elle ne visualisait absolument pas de quoi il parlait. Alors elle se contenta de hausser un sourcil avec la tête de celle qui n'avait pas du tout l'air de savoir de quoi il parlait. Et pour ne rien gâcher, le tavernier était parti s'occuper d'autres clients et n'était pas là pour affirmer ou infirmer ce que l'inconnu allait lui dire. « Ca doit se voir mais je ne suis pas de la région. J'ai une vague idée des emplacements des villes les plus fréquentées mais... Si vous me dites Viergétang, alors ce sera Viergétang. » Quel autre choix avait-elle ? Elle pouvait aussi demander sa direction régulièrement en suivant les routes mais le risque était plus élevé de tomber sur des personnes mal intentionnées. Et ce garçon, là, avait l'air tout sauf mal intentionné. Un coup de poker qu'elle était prête à jouer. « Oui, mais je suis à pieds. Demain matin, au levé du soleil ? Deux pièces, c'est bon pour vous ? » En croisant les doigts pour qu'il ne lui fasse pas le même coup que le trappeur. Elle tendit la main, prête à sceller le premier accord tangible qu'elle avait depuis des lustres.

Il lui aurait proposé de l'emmener à dos d'âne qu'elle aurait accepté du moment qu'elle bougeait de ce patelin qu'elle ne pouvait plus voir en peinture. Plus elle trainait, plus elle laissait de temps à sa famille de retrouver sa trace et de lui mettre la main dessus. Elle aurait même volontiers payé la moitié avant le voyage, quitte à se faire plumer, tant elle voulait y croire. Mais elle était tombée sur quelqu'un avec des principes et ce coup de chance commençait à lui faire peur tant il était grand. Sa main retomba dans le vide en voyant qu'elle se prenait le vent du siècle, mais elle préféra se concentrer sur l'accord oral qu'il lui avait fait. C'était mieux que rien et si demain matin il n'était pas au rendez-vous au moins n'aurait-elle rien perdu si ce n'était qu'un peu plus d'espoir. Elle le suivit du regard, le regardant un instant boire et jouer avec ceux qui semblaient être des comparses, essayant d'aiguiser un peu plus son avis sur cet inconnu mais tout ce qu'elle réussit à faire c'était d'imaginer le pire. Alors elle retourna dans sa chambre pour se reposer.

Lorsqu'elle sortit de l'auberge au petit matin, Naseem avait l'air aussi fatigué que son chevalier servant. Elle avait veillé une bonne partie de la nuit, anxieuse, et avait fini par s'endormir d'épuisement. Le réveil avait été tout aussi désagréable puisqu'en sursaut aux premières lueurs de l'aube. Heureusement, elle n'était pas en retard, mais elle s'en serait mordu les doigts si elle avait posé un lapin à son escorte. Elle n'avait pas pris autant de précautions que d'habitude dans son déguisement masculin mais elle avait tout de même pris la peine d'attacher ses cheveux, qu'elle cachait sous un chapeau à visière qui ne demandait qu'à prendre sa retraite. Sa tunique laissait voir la forme de sa poitrine et, rentrée en partie dans son pantalon comme elle l'était, on voyait la démarcation de sa taille et la forme de ses hanches. Elle eut un moment d'hésitation en voyant le cheval qui attendait près de l'inconnu qui avait accepté de lui rendre service mais finit par s'en approcher en comprenant qu'elle ne rêvait pas, c'était bien pour le chemin. « Comment avez-vous trouvé un cheval en une nuit ? » Elle accrocha son sac à la selle, mit le pied à l'étrier et se hissa sur l'animal avec l'habileté de celle qui savait ce qu'elle faisait. Elle pouvait remercier Arron pour ça parce que son père n'avait jamais daigné lui accorder les cours d'équitation qu'elle avait demandés. Elle prit les rênes qu'elle ajusta dans ses mains, le dos droit, et tourna la tête vers son compagnon de voyage dont elle s'approcha légèrement. « Comment vous appelez-vous ? »