The Old, the New, the Next ♛ pv Alcéaerys

À peine plus tôt dans la journée, alors que Megalis venait de fouler le sol du Donjon Rouge où elle avait désormais définitivement ses quartiers, un émissaire portant l’hippocampe de Lamarck était venu, porteur d’une missive des plus agréables. Lady Alcéaerys, avec laquelle elle avait eu l’occasion de sympathiser, lui transmettait ses félicitations pour son mariage et ses pensées pour Willos. La jeune femme, lisant à travers les lignes de la Velaryon une invitation à se retrouver au plus vite, s’en ravit. Elle transmit à l’émissaire sa réponse : elle invitait la dame de Marée-Haute à déjeuner dans les jardins pour profiter de la douceur de ce jour. Le temps était si clément, un soleil bien peu agressif baignant la cour d’une tiédeur agréable. Si elle ne se l’admettait que peu, orgueilleuse qu’elle était, Megalis avait perdu l’habitude des températures de Belle-Île. Le climat de son île natale, plus chaud que le reste de l’Ouest, pouvait facilement se faire fardeau.

Tandis qu’Ulwyck reprenait ses occupations de Maître des Lois, devant délaisser parfois sa jeune épouse, celle-ci ne s’en formalisait pas : depuis des lunes qu’ils se fréquentaient secrètement, elle s’était habituée à ce qu’il travaille beaucoup, puis ils avaient su trouver leur rythme depuis longtemps. Puis, elle-même avait à faire de son côté. Maintenant que la cour était sa demeure, elle comptait bien en profiter pour placer quelques pions.

Ainsi, ce matin-là, Megalis avait emprunté le bureau d’Ulwyck dans leurs appartements, en attendant qu’un autre lui soit livré. Bien décidée à ne pas simplement se prélasser tandis que son époux travaillait, elle n’était pas d’une nature oisive et tenait à continuer en ce sens. Elle avait disposé des cartes et quelques parchemins autour d’elle et avait passé la matinée à consulter tout cela. Des distances, des trajets, d’autres évaluations quelconques… Quand midi arriva, elle se devina en retard et prit avec elle un parchemin déjà prêt sur lequel elle avait pris des notes pour les présenter à Alcéaerys.

Car celle-ci voulait faire affaire, et Megalis en était sûre, elle avait eu une bonne idée. Si la dame de Lamarck acceptait le marché qu’elle souhaitait lui proposer, les Farman auraient beaucoup à y gagner. Et les Velaryon aussi, assurément. Une porte s’ouvrirait pour eux à Port-Réal, et avec l’aide de Lamarck, les trajets vers les plus septentrionales des cités libres.

Avant de quitter ses quartiers, Megalis réajusta rapidement ses cheveux, dénouant son chignon négligé pour que ses boucles d’or pâle retombent en une cascade naturelle. Vêtue des couleurs de sa nouvelle maisonnée, l’ouestienne les avait vite adoptées : l’or et le rouge lui seyaient bien, même si elles déplaisaient à Eddara qui les comparait à celles des Lannister – mais la vieille n’était plus là pour diriger sa vie désormais. Ainsi, la robe fluide, carmine, découvrait ses épaules et le décolleté en cœur flattait sa poitrine, soulignée d’un faux corset doré. Avant de sortir, sur ses épaules, elle revêtit un léger châle brodé d’or et qui se terminait en longue traîne. Puis elle quitta ses appartements de son air altier, suivie comme toujours de son oncle Yoren.

Sur le chemin jusqu’aux jardins, elle croisa quelques visages connus. Lady Uller, l’appela-t-on, la faisant tressaillir. Oh, elle avait bien adopté les couleurs de son époux et n’était que trop heureuse de lui être liée – regrettant d’ailleurs d’avoir dû écourter leur séjour à Belle-Île à cause des frasques de La Néra – mais lady Uller… Elle peinait à s’y faire. Tentant de faire fi de cela, elle rejoignit les jardins, où elle reconnut de loin Alcéaerys à ses cheveux. Loin de la froideur de leur première rencontre, Megalis se para d’un sourire solaire.

— Lady Velaryon, la salua-t-elle chaleureusement.

Elle inclina la tête avec politesse avant de lui désigner d’une main la table qu’elle avait fait préparer – la même qu’à leur dernière entrevue, toujours avec cette vue sur la mer. Megalis darda un regard scrutateur sur la baie de la Néra, espérant y voir son navire. Il n’était pas encore arrivé. Mais maintenant qu’elle vivait ici, elle comptait bien faire venir au moins la Danseuse des Mers. La Noble Truitesse devait pour l’heure rester à Belle-Île, loin des éventuels regards curieux. Son alliance avec les Fer-Nés devait rester un secret entre insulaires – pour l’instant. Elle reposa ses yeux de glace sur la dame de Lamarck et elle-même s’installa paisiblement.

— Avant tout, je tiens à vous remercier pour votre missive. Cet fut une attention des plus délicates.

Tout en regardant la Velaryon, elle se demanda jusqu’où pourrait aller leur entente… était-elle, ou n’était-elle pas totalement de confiance ? Cela resterait à voir…

L’ouestienne rendit son sourire à la dame de Lamarck, tandis qu’elle lui pressait les mains chaleureusement. Farman ou Uller… La question lui arracha un rire embarrassé et elle agita légèrement la tête. Elle-même ne savait pas. Les mœurs de Westeros voulaient qu’on la nomme lady Uller, puisqu’elle était mariée. Mais vu la puissance de sa maisonnée, équivalente à celle de son époux, lady Farman fonctionnait tout aussi bien… Et voulait-elle renier sa naissance ? Elle eut une mine un peu désolée.

— Lady Megalis, répondit-elle dans un sourire mutin.

Parce que pourquoi pas ? Pourquoi se lier, au final, si fort à une maison – à un père, à un époux. Pourquoi les femmes n’existaient-elles au final que par le biais d’un homme ? Elle était Megalis avant d’être Farman, Uller, Reyne, peu importait au final. Elle balaya la question d’un cillement. Ses yeux se teintèrent un peu de peine, une compassion bien futile, quand Alcéaerys évoqua son propre mariage. Sans en avoir tous les détails, Megalis ne pouvait qu’imaginer une union triste, peut-être même sans amour – c’était chose courante, cela. Alors pour qu’elle en parle ainsi, il ne s’agissait probablement pas que d’un mariage froid. Ce devait être pire.

Ou parlait-elle de son veuvage ? Elle en doutait. Parce que quand elles avaient échangé à propos de leurs peines, la dame de Lamarck paraissait plus pleurer son frère que son époux. Megalis n’osa pas la questionner plus à ce sujet, peu désireuse de se montrer totalement intrusive.

— Je vous remercie sincèrement, ma dame.

Elle aurait eu grand plaisir à la compter parmi ses convives à Belle-Île, mais ç’aurait été trop risqué. Si les deux femmes s’entendaient bien, dans ce qui semblait même être un début d’amitié, Megalis n’avait osé prendre ce risque. Les invités avaient été rares, parce qu’il était hors-de-question de mettre en danger les siens. Le secret de la subsistance des Reyne devait rester un secret. Les drapeaux au lion rouge ne battaient que dans la grand-salle des Farman, pour l’heure, mais ils avaient l’espoir qu’ils battent au vent au-dessus de leur fief, un jour. Bientôt. Pour l’heure, les secrets devaient être tus. Précieusement gardés dans leur forteresse aux portes résolument closes.

Elles s’installèrent sur cette table, face à la mer, et Megalis imita Alcéaerys en portant sa coupe à ses lèvres. Son sourire s’amincit à l’évocation de Willos. Elle eut une voix pâle, comme à chaque fois qu’elle parlait de lui.

— Merci pour votre sollicitude. Il nous a fait peur à tous. Il se porte bien, il a juste… Son regard vacilla un instant. Il a perdu la mémoire.

L’admettre était toujours aussi douloureux. Un rictus, teinté d’amertume, creusa ses lèvres. Parce qu’il ne le méritait pas. Parce que son jumeau était l’être le plus pur au monde à ses yeux. Oh, elle était consciente de ses nombreux défauts, et pourtant, elle pardonnait tout. Pour lui, son âme si douce, son cœur qu’ils partageaient, elle pardonnait absolument tout. Mais Megalis balaya la douleur pour faire place aux affaires : elle reprit son aplomb, se redressa un peu et effaça l’amertume dans ses yeux.

— Lorsque j’ai vu que vous souhaitiez parler d’affaires, je me suis doutée qu’il s’agirait de commerce. J’ai l’espoir que Belle-Île devienne un important port de commerce. Je me suis permise de faire quelques estimations grâce à des cartes… Dans un sourire, Megalis prit le parchemin où se trouvaient ses notes, elle les relut. Je pense qu’établir une voie commerciale entre Belle-Île et Lamarck nous permettrait de commercer avec les Cités Libres du nord, soit Pentos, Braavos et Lorath. Les marchandises passeraient par Castral-Roc et Port-Réal entre nos deux fiefs, mais entre les minerais de l’Ouest et les nombreuses denrées de la Couronne, notre alliance pourrait être des plus prolifiques.

Un sourire et un regard, Megalis attendait l’avis d’Alcéaerys avant de s’avancer plus : peut-être cette entente dépasserait-elle le simple intérêt commercial ? Elle gardait cette idée au creux de son esprit, une possibilité à écarter ou valider. Une chose était sûre : la guerre à leurs portes, il lui fallait plus d’alliances.