[Près de Vieilles-Pierres][FB] La bonne brute et les truands (pv. Aenar)

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D’une main, Brynden tenait les rênes de son cheval. Son imposante monture avançait d’un pas tranquille à travers la campagne du Trident, longeant la Bleufurque. Le chevalier hasardait son regard autour de lui, l’air paisible alors qu’au fond de lui, il ne pouvait s’empêcher d’être songeur : il était parti depuis un peu plus de deux ans maintenant et revenait enfin dans le Conflans. Son voyage touchait à sa fin, et il savait que bientôt, il se heurterait de nouveau à la colère de son père. Tytos lui hurlerait encore mille injures tout en lui faisant part de sa profonde déception à son égard. L’héritier de Corneilla savait parfaitement qu’il désappointerait encore son père, comme il l’avait toujours fait. Et il savait aussi que cette fugue n’était pas la première, mais pas non plus la dernière. Chassez le naturel et il revient au galop, disait-on – ce n’était que trop vrai dans son cas, car chaque fois qu’il tentait de réprimer ses désirs vagabonds, il y revenait incessamment.

C’était chez lui inné, son désir de liberté ne connaissait aucune limite. Il avait à peine douze ans, la première fois qu’il était parti. Pas de peurs ni de regrets, Brynden savait qu’il n’avait pas d’autre choix. C’était sa nature qu’il poursuivait inlassablement.

Levant un peu le nez, il aperçut la colline boisée où se dressait Vieilles-Pierres. La forteresse, en ruines, se couvrait de ronces et de fougères. La moitié des murs, effondrée, s’était vue dérober une partie de ses pierres. Les Riverains n’étaient pas fous : les matériaux de construction coûtaient cher et mieux valait voler ce qu’il restait de cette ruine. La chanson de Jenny parvint à Brynden comme un vieux souvenir, les légendes du Conflans dont on l’abreuvait quand il était enfant et qu’il s’attachait à transmettre à Taela, les rares fois où il tenait son rôle de père.

Dans les salles des rois défunts, Jenny, Tout là-haut là-haut, dansait avec ses fantômes – il fredonnait cet air triste, un mince sourire aux lèvres. Il songea qu’il n’avait jamais pris le temps de relater cette légende-ci à Taela, et puisqu’il s’apprêtait à la retrouver, se promit de le faire. C’était une jolie histoire, elle l’apprécierait certainement. Il faisait frais, même sous l’épaisse fourrure qui couvrait ses épaules, trahissant l’hiver qu’on avait annoncé en début de cette année. Et une mince pluie neigeuse commença à tomber du ciel grisâtre. Alors que son esprit se baladait dans ses mémoires comme son regard sur le panorama, des bruits confus trompèrent le doux silence ambiant. Brynden arrêta sa monture pour balayer les horizons de ses yeux noisette.

— Qui va là ? appela-t-il.

Un étrange cliquetis, semblable à deux armes s’entrechoquant, lui parvint. L’Ours, peu impressionnable, se laissa glisser sur le flanc de son cheval pour retomber sur ses pieds. Par méfiance, il tira son lourd espadon. La Canine, comme il avait appelé son arme par pure moquerie, suffisait en général à éloigner les imprudents. Il darda un regard acéré autour de lui.

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Quittant le sentier, Brynden laissa sans crainte sa monture traîner. Il l’avait payée une bouchée de pain à un fermier proche de Salvemer, si le cheval paraissait à première vue plutôt placide, c’était une autre paire de manches lorsqu’il s’agissait de le monter. Les juments étaient souvent plus vives que les mâles, mais celle-ci était une véritable carne. Il y avait peu de chances qu’on se risque à lui voler à moins de se manger une belle ruade de cette catin. La Canine entre ses mains, le pas prudent, l’Ours s’enfonça dans les herbes hautes, la végétation dense ralentissant ses gestes.

Il avançait vers le tintement de l’acier, les yeux plissés, et alors qu’il sillonnait les rochers environnants, un homme le percuta. L’Ours se redressa vivement et le repoussa d’une main brusque, les sourcils froncés.

— Oh, gronda-t-il.

Celui qui l’avait bousculé était imposant, pas autant que lui, donc il ne s’en inquiéta pas. Mais en levant les yeux, Brynden aperçut un homme qui s’avançait vers eux, et dont la taille, sans égaler celle de La Montagne, s’en approchait. Le Riverain expira, impressionné. Ah, ça, il n’avait vu que peu de gaillards de cette taille. Bombant à peine le torse, les mains accrochées à sa garde, l’espadon menaçant, il ronfla :

— Qu’est-ce que c’est qu’ce bordel ?

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Celui qui l’avait bousculé dit à Brynden que l’autre colosse avait insulté sa grand-mère. L’Ours haussa un sourcil, pas certain de ce qu’il affirmait. Déjà parce qu’il ne connaissait pas l’espèce d’imitation de La Montagne, et que la réciproque était sans doute vraie, et ensuite parce que de ce qu’il savait, sa grand-mère était une femme respectable. Mais le plus petit des deux poussa Brynden vers le colosse. Dans un bref soupir, le Riverain resta en garde.

— Fais pas de connerie, toi, prévint-il le Boucher.

Mais celui-ci ne l’écouta pas, fondant sur lui. L’Ours ne prit pas peur : il connaissait les hommes de ce genre. Grands, et lents. Lui-même l’était. Il ne fut pas bien dur de prévoir ses gestes. Brynden recula d’un pas, se décala à peine de la trajectoire du Boucher, et le laissant se faire emporter par son propre poids et sa vitesse, il n’eut qu’à le fendre de son espadon pour lui ouvrir le ventre. L’autre colosse beugla et tomba vers l’avant, blessé et entraîné par ses gestes trop rapides pour sa taille. Brynden s’approcha de lui.

— J’avais dit : pas de connerie, ronfla-t-il.

Sans lui laisser plus de temps, comprenant que cet homme était de toute manière un danger public qui ne manquerait à personne, il l’acheva en plantant sa lame dans son dos. Il soupira longuement. Si le vieux Walder Frey apprenait que Brynden avait rendu un semblant de justice sur ses terres, il n’allait pas être bien content. Ou alors le Tardif était-il enfin mort ? Absent depuis trop longtemps, le Nerbosc n’en avait aucune idée. Mais une chose était sûre : une fois rentré à Corneilla, si Tytos apprenait ça, il allait se prendre une paire de baffes. Un autre soupir, et l’Ours tourna la tête vers celui dont il venait peut-être de sauver le cul.

— J’espère que t’as au moins une bière pour payer ça.

Un bref sourire au coin des lèvres, Brynden essuya lentement son espadon sur les vêtements du cadavre avant de l’enjamber, regardant au loin. Deux groupes se battaient, il haussa les épaules. Il remercia les Anciens dieux que cela ne se passe pas sur ses terres : il n’avait aucune foutue raison de leur filer un coup de main dans ce massacre.

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Brynden lança un regard de biais à celui qui l’avait poussé au combat, sans pour autant se départir de son bref sourire. Il haussa les épaules.

— Il était con, répondit-il sans trop se soucier de qui il avait pu tuer – il ne le pleurerait pas, c’était certain.

Puis son rictus s’élargit à l’idée d’allonger son espérance de vie, car avec tout ce qu’il buvait et tout ce qu’il baisait, il en aurait bien besoin. Son père tentait bien de le raisonner en lui rappelant que se conduire comme un sac à vin de la pire espèce le mènerait à une dégradation évidente de son corps s’il n’était pas d’abord rongé par la vérole… Brynden n’écoutait rien ni personne. Pas même par fierté mais par ennui : déjà gamin, il était trop turbulent.

Il darda sur les hommes qui revenaient vers eux un regard intéressé, à quoi venait-il d’assister ? Un règlement de comptes entre brigands, une bataille pour un territoire ? Dur à dire, mais les hommes sous l’autorité du blond ressortaient du combat poisseux de sang. Au moins étaient-ils en vie, c’était déjà ça. L’autre lui tendit une main en se présentant, Brynden la serra fermement.

Puis il hocha la tête à la proposition d’Aenar. Il le regarda se hisser sur un rocher pour haranguer ses hommes et l’Ours retint un rire rauque tandis que le Serpent citait les Nerbosc. Pas même moqueur, ce rire, d’ailleurs, mais un poil navré. Brynden se souciait de son peuple plus que ne le faisait son père. Tytos était un bon seigneur et il inspirait crainte et respect aux siens, mais il avait une chose dont son fils était dénué : un noble sens de l’honneur profond qui dictait le moindre de ses faits et gestes. Brynden, lui, était plus animé par un esprit de justice. La noblesse, l’honneur, il n’en avait rien à foutre. Mais que les choses soient justes, ça, ça lui importait.

La preuve étant que le colosse, il l’avait prévenu avant de le tuer.

Les bras croisés, il hocha pensivement la tête aux mots que scandait Aenar, songeant que s’ils défendaient vraiment la veuve et l’orphelin, lui aurait pu se complaire dans une vie similaire. Parce qu’hériter de Corneilla ne lui disait rien, mais que filer quelques coups d’épée et picoler dans un esprit de franche camaraderie, c’était tout de suite plus intéressant.

Le Serpent revint vers lui et proposa de les accompagner. Brynden hocha la tête et reprit sa monture. Il se hissa en selle et darda un regard distrait sur les alentours. Un court sourire flotta à ses lèvres à la question d’Aenar quant à son identité.

— Brynden, répondit-il seulement, ne s’embarrassant que rarement de son patronyme qui l’emmerdait plus qu’autre chose. Et vous êtes quoi, au juste ? Des sortes de justiciers du peuple ?

Au fond de sa voix, il avait une pointe de moquerie mais sans causticité : l’idée était plutôt noble, en soi, juste un peu irréaliste. Mais de ça comme d’à peu près tout, Brynden ne s’en souciait que trop peu. Puis surtout, une bonne bière l’attendait.

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Le Corniaud, Brynden haussa les sourcils, un peu surpris. Il avait plutôt l’habitude qu’on le qualifie d’Ours, pour sa stature de colosse. Rien qui n’égale pourtant celle de la Montagne. Ce gars-là, il l’avait aperçu une ou deux fois sur le champ de bataille – et ne voulait certainement pas s’y frotter. Car l’héritier de Corneilla avait pour lui une stature impressionnante, mais que La Montagne… Lui, c’était un véritable monstre. Et pour tuer la Vipère Rouge de Dorne, qu’on qualifiait de guerrier émérite, il fallait y aller. Lui-même, malgré sa force, se serait sans aucun doute fait avoir par la rapidité et l’agilité d’Oberyn Martell. Quoique son arrogance l’avait tué, apparemment. Son arrogance et les gros doigts de Gregor Clegane.

Il écouta d’une oreille distraite les mots du chevalier, qui en avait apparemment le titre mais pas l’apparence. Et comme il le dit lui-même, lui et sa bande étaient des résidus de la société. Rien de pire qu’une guerre, entendit-il en répondant d’un sourire. Evidemment, la guerre prenait beaucoup, même, elle prenait tout. Les hommes se rassemblaient et Aenar les présentait vaguement, des vétérans, des aventuriers, ah, et des bandits. Bien.

Brynden se rassura à sa bourse vide : il voyageait toujours léger, et son seul bien de valeur était son épée. La Canine n’avait pourtant qu’une maigre valeur pécuniaire, elle valait de l’argent, bien sûr, mais pas plus qu’une quelconque épée en acier château. L’arme des Nerbsoc, en dehors de sa valeur sentimentale, n’était pas une lame en acier valyrien, rien qu’une grosse épée. Et c’était tout.

Il ne se sentit pas menacé par les mots d’Aenar : lui disait se méfier des étrangers, or l’Ours n’en était pas un. Il était un bon riverain, bien d’ici, et mieux encore selon certains, né noble et héritier. Chose qu’il tut tout de même par prudence.

— C’est louable, répondit-il seulement. Faudrait qu’les seigneurs se sortent les doigts du cul.

Il était sincère dans ses mots, quand bien même il visait son propre père. Lord Tytos pouvait bien être un bon soldat, un bon seigneur, il négligeait quand même ses gens. Les petits, ils étaient bons pour le nourrir, lui donner le grain et les impôts. Du reste… Tant qu’ils ne faisaient pas de vagues, ils s’entouraient d’une forme de protection.

Brynden, parce qu’il n’avait pas grand-chose d’autre à faire et qu’on lui avait promis une bière, suivit tranquillement la bande de mercenaires. Ils arrivèrent à une clairière où étaient montées quelques tentes. Puisqu’un homme se faisait chasser près d’un feu, laissant une place à l’Ours, celui-ci s’installa sans demander. Il sourit à Aenar qui demanda ce qu’il était.

— Un chevalier errant, ouais, répondit-il le ton badin – c’était ce qui se rapprochait le plus de sa condition au final – avant de rire franchement. Hé bah, toi, t’as jamais vu La Montagne. Le Clegane il déconne pas, j’imagine pas le gourdin qu’il planque dans ses braies ce gars-là.

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Brynden se trouva bientôt un godet à la main, et trinquant avec ses nouveaux amis, il but le sien cul-sec. Il eut quelques rires au détour des discours de son hôte, le genre d’homme qu’il aurait pu devenir s’il n’était pas né noble sans doute. Il hocha la tête quand Aenar s’éloigna pour féliciter ses hommes un à un, serrer des mains et festoyer avec eux. L’Ours nota que c’était là une bonne technique que de s’assurer leur pleine loyauté en les traitant en frères plutôt qu’en esclaves.

Son père aurait peut-être dû prendre exemple sur eux. Peut-être que Brynden se serait alors prêté au jeu de l’héritier plutôt que de fuir dès que le paternel avait le dos tourné.

Les chants résonnèrent bientôt, et Brynden s’y joignit avec plaisir, buvant autant de bières qu’on lui servait et goûtant la viande que les hommes faisaient tourner.

Aenar revint vers lui, et lui passa le bras autour des épaules. L’Ours sourit à ses mots, l’air rieur face à la proposition. Il le voulait dans ses rangs… Ah, comme ç’aurait été tentant. Rejoindre une bande de mercenaires, vivre toujours sur les routes, une vie d’aventure… Il tourna un regard un peu penaud vers le Serpent, son sourire toujours badin aux lèvres.

— Je le fais pas pour l’argent.

Pas besoin, quand on était né Nerbosc. C’était vrai : à chacun de ses voyages, quand il avait les poches vides, il rentrait à Corneilla, récupérait un peu d’argent, puis quand le vent lui paraissait inspirant… Il repartait. Mais là, cela faisait deux ans qu’il était parti. Il devait rentrer, maintenant. Tout d’abord parce qu’il était pauvre, et aussi parce que plus il tardait à revenir à Corneilla, plus la mandale qu’il prendrait en rentrant serait violente.

— Ma route s’arrêtera bientôt, mais ça aurait été avec plaisir autrement. C’est la belle vie tout ça. Mais pas pour moi.

Non, lui devait rentrer dans ce château où il se sentait à l’étroit, avec un père casse-burnes et un héritage qui lui collait aux semelles.

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Une longue goulée de vin et Brynden leva un sourcil vers le mercenaire. Il ne le croyait pas. Bien sûr, qui y avait-il dans ce monde pour ne pas poursuivre l’or, hein ? Celui qui était né une cuillère en argent dans la bouche, certainement. Comme l’herbe était toujours plus verte chez le voisin, on était toujours tenté d’en franchir la clôture. C’était exactement le cas de l’Ours : né chez les nobles, éduqué comme un noble, en vue de devenir un lord bilieux parmi les nobles. Une vie peu enviable pour celui qui n’avait jamais vu en son père que la rigueur et l’aigreur.

Très peu pour lui que cette vie-là.

Alors tant qu’il n’était que l’héritier, tant qu’il n’était pas le seigneur, tant qu’il n’avait pas à supporter le poids de ses titres futiles, Brynden comptait bien courir – la gueuse et les chemins.

Un sourire gaillard, un rire sonore, et il donna une grande tape dans le dos d’Aenar.

— J’erre seulement parce que c’est comme ça que je suis libre, corniaud, lâcha-t-il avec autant de camaraderie narquoise que son interlocuteur.

Avouer son identité au milieu d’une bande de mercenaires dont il ignorait les réelles ambitions, autres que l’or du moins, lui paraissait peu judicieux. Puis c’était son mode de fonctionnement chaque fois qu’il quittait Corneilla : il ne donnait plus son nom à quiconque et disait n’être que Brynden.

Il ne comptait pas faire d’exception ici. Parce que Brynden Nerbosc de Corneilla était resté à Corneilla, l’y attendait sagement là-bas. Alors c’est juste Brynden qui sourit au Serpent.

— L’honneur, ça m’importe pas. Ni l’or. C’est comme ça, reprit-il plus doucement.

Dur à avaler pour quelqu’un qui avait dû se bâtir tout entier, tout seul. Ce n’était pas le cas de l’Ours, et c’était éventuellement ce qui pouvait le trahir.