[PORT REAL] Une souris, un ours et une pinte de bière [Brynden]

La journée était presque terminée, depuis mon périple au marché je n’avais pas pris le temps de me remettre de mes émotions comme je le voulais vraiment. J’avais besoin de tourner la page de ma journée et de me détendre à ma façon. Encore une fois, Rick me supplia que l’on rentre auprès de dame Desmera, mais je voulais profiter à fond de ma sortie en solitaire à Port-Réal.


— Une journée dont je n’avais pas pleinement profité comme je le voulais. La nuit venait de tomber, et je savais que ce serait peut être pour moi ma dernière chance de profiter de la cité librement car voilà plusieurs longues semaines que Desmera et moi voyageons sur les routes de Bief. Après le procès, elle voudra sûrement tailler la route pour Treille, et bien que je n’ai vraiment aucune envie de retourner dans ce carrosse, je n’ai pas le choix, je devrais me plier à ses directives. Pour l’heure il me reste une soirée de liberté ! C’est pour cette raison que contre toute attente et malgré les avis contraires de mon garde du corps, je décide de me rendre dans un lieu que je ne fréquente jamais d’habitude, afin de découvrir le monde et ses coutumes, ailleurs que dans mes livres. Je fis le choix d’une taverne au cœur de Port réal. Le nom me mettait étrangement en confiance : “Le royal client”. Toujours muni de ma robe de roturière, de ma cape rouge et de ma dague dans ma botte, je décide de franchir le pas. Rick, mon garde du corps avait décidé de me devancer pour voir si je ne risquais pas de voir des choses qu’une lady ne doit pas voir, mais je n'attendis pas son autorisation, et rentra guère de temps après lui, avant la fin de sa ronde. Bien décidé à ne pas l’avoir dans les pattes toute la soirée, je m’avança jusqu’au tavernier afin de passer une commande.

“Je voudrais… pardonnez-moi… monsieur… s’il vous plaît ?”

Les hommes chantaient autour de moi, rigolade, et autre joyeuseté dont le vin et la bière relèvent. Je m’attarda sur un homme baraqué et barbu un cours instant, bien trop court pour que j’en apprenne plus sur lui, puis je détourne mon regard à nouveau sur le tavernier pour chercher à obtenir son attention. Je ne l'obtiens pas, il était débordé. Par contre, le bonhomme que j’avais fixé avait remarqué que la petite souris que je suis l’avais fixée. Il s’agissait d’un noble, Bryden Nerbosc. Totalement Inconnu de ma personne.

“Monsieur le tavernier, puis-je avoir votre attention… “ ma voie descendante ne parvenait pas jusqu’à ses oreilles alors je décida de passer entre certaines bonhommes pour me retrouver entre eux et devant celui à qui je voulais parler.

“Une pinte ! S’il vous plaît ? !” J’avais réussi à capter son attention mais aussi celle de quelques hommes du bar qui finirent par rire de ma façon de faire autour d'eux.

“Regardez ! Il y a une souris dans la taverne !” Dit l’un d’eux de façon joviale. Rien de bien méchant, je me contentai de lui sourire, et de faire à nouveau le tour de l’un d’eux pour finalement saisir ma bière. Ces hommes ne me voulaient aucun mal, par chance.

Je dépose quelques pièces convenues entre moi et le Tavernier afin de finir ma dernière transaction commerciale de la journée, et peut être de l’année, puis me saisit de ma bière, une brune, de toute évidence au vue de sa mousse. Il ne me restait plus qu' à trouver une place libre. Les gens ne me portaient pas plus d’attention que cela malgré que je sois passé entre eux, cela devait être monnaie courante dans un tel endroit. De mon point de vue, j’étais tombé dans une taverne des plus convenables. J'ai eu de la chance. Nick me cherchait et il finit par me voir en train de m'asseoir à une table libre avec ma pinte lourdement méritée. S’il venait à me rejoindre, il savait que je lui en voudrais alors il n’en fit rien et garda un regard protecteur sur moi malgré la foule à bonne distance.

Il ne me restait plus qu' à la boire tranquillement et à profiter de l’ambiance chaleureuse de ce lieu festif.

La musique entraînait la jovialité parmi le public et ce n’était pas les canards mais les ours que l’on entendait beugler. Une de celle que l’on entend par delà les terres du Conflans. Je ne la connaissais pas et pris plaisir à tendre mon oreille pour entendre ces vers.  

— La chanson parlait d’un géant qui rencontre un ours et le somme de rentrer chez lui dans les bois. Un guerrier de tout évidence car finalement la pauvre bête est appauvrie de son œil et de son oreille. Quant à la fin de l’histoire, je ne l’ai pas réellement saisi mais de ce que j’ai compris l’homme y perdit aussi un membre précieux avant que la bête ne rentre chez elle. Je reconnaissais les gens ivres à milles lieux, et la grande brute que j’avais croisé du regard, semblait le centre d'intérêt de ses camarades et au bord de tituber.

Quand ils scandèrent son nom la bouche en cœur, je saisis qu’il ne s’agissait pas que d’une chanson mais également d’une légende. La musique se déplaça vers un autre chanteur aussi rossignol que l’ours et son frère juste après.

Je me détends progressivement de ma journée, admiratrice et envieuse de ces gens qui profitent d’une vie simple. Peut être que je pourrais avoir moi aussi ces moments de bonheur à partager avec autrui. Pour une raison que j’ignore encore, je ne ressentais pas cela avec Desmera, je n’avais pas envie de sourire, chanter, danser et boire ces derniers temps en sa compagnie, j’étais plutôt mélancolique à son contact, et mon cœur battait comme il ne devrait pas, je me sentais malade et mal dans ma peau. Cette taverne me rendait le sourire.

Je crois bien que je n’avais pas vu la beauté de la vie depuis longtemps si ce n’est au contact de ces gens qui s’amusent. Certes je n’en profitais pas moi même directement mais au moins j’avais la chance de pouvoir dire : “je l’ai vue, cela fait du bien.”

Et puis je n'étais pas si invisible, je me permit d’offrir un sourire, et même un rire à un inconnue qui faisait le pitre, même si je suis seule ainsi attabler, je m’amusais même si je restais à ma façon en retrait de ce monde, qui paraissait si beau et si pur du haut de ma tour d’ivoire. L’herbe est toujours plus belle ailleurs, n’est ce pas ?

Je n’eus pas trop le temps d’en profiter toutefois que l’homme que j’avais zieuté plus tôt finit par me rejoindre. Le fameux ours des légendes. Aussi bourrin que sa chanson, il ne tourna pas autour du pot de miel que je suis des heures, avant de mettre sa patte dans ma vie.

Rick se rapprocha instinctivement de nous et je le fixa un instant tandis que mon interlocuteur affirmait que j’étais seul.

“Peut-être n’êtes vous juste pas un très fin observateur monsieur l’ours... Peut-être même que votre barbe troublent votre champ de vision.”

Lui dis-je en l’accablant d’un sourire des plus charmants et en relevant ma pinte pour boire une rasade mérité après ma journée en ville.  Ma pique était plus une boutade qu'une mesquine attaque gratuite. Je n'avais aucune envie de le vexer, alors je ne pouvais en rester là.

“Croyez vous vraiment qu’une jeune femme ne viendrait pas ici sans un chaperon ?”

Rick avait vu que je parlais et souriait au seigneur du trident alors il s’approcha lentement afin de pouvoir intervenir en cas de besoin mais aussi discrètement que possible, il avait ordre d’intervenir que si on m'attaque, et il ne devait pas se faire voir si je ne faisais que converser avec autrui.

Dans la masse de personnes de la taverne, son mouvement ne pouvait pas être détecté et cela m'amusait beaucoup de jouer ainsi à l’ours et à la souris avec cet inconnue tout en sachant que Nick nous surveille de près. J'affublai de ce fait mon interlocuteur d'une troisième et derniere question avant de lui laisser l'opportunité de répondre.

“Dois-je en conclure que c’est uniquement parce que vous me trouvez triste que vous venez me parler ?”

Je n’aimais guère que l’on me dérange dans mes travaux dans mon laboratoire, il est vrai. Le moindre faux mouvement et les catastrophes sur la préparation aurait pu être dramatique.

— Mais pour ce qui était de ce lieu, il n’y avait aucune contrainte à venir me parler. Bien au contraire, si j’étais ici, c'était justement dans le but de faire des rencontres, de pouvoir discuter avec des gens du peuples. Bon à regarder Brynden, il n’avait rien d’un homme normal. Il était grand baraqué et de toute évidence avait sur lui bien plus de bien que certains bouseux que j’avais croisé aujourd’hui, n'auraient jamais à leur disposition au cours d’une vie de labeur. En plus on chante ses louanges et ses combats vis à vis de cet ours brun.

“Mademoiselle !” Lui rétorquais- je avec hâte avant même qu’il ne finisse sa phrase d’un ton railleur.

Celui-ci n'avait pas répondu à ma question si ce n’est par une autre question. Une façon subtile d’éviter de tomber dans un piège de ma part. Petit malin me dis je alors à moi même.

A la place, il me demande si j’ai été offensé par sa première question. Je lui laisse quelques longues secondes de calvaire, puis lui répond avec douceur, histoire de ne pas trop le faire languir.

“Nullement mon bon seigneur, Nullement, Je me demande juste si vous abordez toutes les femmes qui vous paraissent tristes dans cette taverne, ou bien juste moi ?”

A vrai dire, j’en aurais été flatté qu’il s'intéresse à ma personne sans savoir qui je suis réellement. Il s’agissait bien sûr d’un jeu dangereux, et sûrement interdit dans le code de conduite de la parfaite Lady de Herbeval. Je m’en moquais pas mal à vrai dire, mon père faisait bien pire de ces soirées, à boire comme un trou. Si je suis la seule héritière de ma maison déjà ruinée par son seigneur, ce n’est pas une sortie et une bière qui achèveront ma vertue. En tous cas, il ne pouvait pas se douter que j’étais héritière d’une maison importante du Bief, et tant qu’il ne le saura pas, nous pourrons parler bien plus librement. la seule chose qui peut me trahir, ce sont mes cheveux entretenues avec soin que je garde secrètement sous ma cape. Tant que personne ne me l’enlèvera je devrais demeurer incognito.

Pour moi je ne faisais rien de mal ! Je profitais juste de la fête, tranquillement assise. Cet homme me plaisait par sa stature de géant et sa barbe mal taillée. J’avais l’impression de discuter avec un titan. Je suis alors persuadée qu’il doit être en mesure de broyer mon crâne d’une main et celui de Rick de l’autre mais je n’ai pas peur de lui, bien au contraire.

“J’imagine que vous voulez vous asseoir ? Voilà un moment que je vous vois tituber avec votre bière en main. si vous le souhaitez la chaise en face de la mienne est votre. Ainsi nous pourrons discuter, vu que ce lieu est fait dans ce but.”

J’étais totalement d’accord avec lui sur ces propos, boire chanter et discuter. J’espère juste qu’il n’allait pas me demander de chanter. Je suis capable de briser un verre et je ne crois pas connaître la moindre chanson, si ce n’est celle d' un ours...

Il est vrai que je l’avais regardé, est ce que cela signifié une invitation ? A ces dires, si je tourne le regard et que je scrute un instant chaque homme de l’assistance afin de me faire une idée de là ou je mets les pieds, ils auraient tous le droit de venir s’installer à mes côtés pour obtenir mon nom et une conversation. Voilà un drôle de raisonnement. Alors instinctivement, comme soumise à un mâle dominant, je baisse le regard de l’ours et m’applique juste à sourire, comme une femme est censé faire face à un homme à qui elle appartient.  

— Il se met alors à rire et observe son frère tandis que, toute sage comme une image, je me contente de fixer ma pinte pour éviter d’inviter aussi le reste de sa famille à la table de mon simple regard. Puis vient une question qui me fait sortir de mon attitude de servante dévouée; ce qu'après tout je ne suis clairement pas.

“Boire, chanter et discuter, ce sont vos mots Monsieur l’ours.” Voilà les paroles qu’il a sorties en ma présence pour décrire l'activité de ce lieu, plus tôt. Oh j’ai bien l’intention de lui répondre au sujet de mon nom mais pour l’heure, j’ai une autre idée qui germe dans mon esprit tourmenté en fixant cette chope de bière.

“Je n’ai pas encore eu la chance de chanter, Monsieur l’ours, et je crois qu’il faut rajouter le mot, se divertir à ces trois premiers mots que vous avez énoncé pour décrire ce lieu.”

Je pousse légèrement ma chope en sa direction, relève mon visage et le provoque par la force de mes yeux verts, la lueur de la bougie éclaire parfaitement mes formes fines et de simple soumise, je deviens alors une lionne. Rien qui ne soit méchant, ou tyrannique. J’exprime juste le plaisir d’un chat qui joue avec un animal plus grand que soi et qui ne veut de ce fait pas le manger mais juste poser sa patte sur son immensité pour communiquer sa joie de vivre.

“Je vous propose un défi, si vous réussissez, je chanterais un nouvel exploit de l’ours face à la petite souris, et vous donnerez en prime mon nom. Si vous échouez, c’est vous qui devez me donner le votre et vous n’obtiendrez pas mon nom. Vous serez dans l’obligation de continuer à m'appeler “petite souris” toute la soirée et garderez dans vos mémoires que vous avez échoué lourdement.”

Bien entendu, je ne pouvais le laisser gamberger ainsi à accepter ou refuser un défi dont il ne connaissait pas encore les termes. Ainsi je l’informe de ce que j’attends de lui.

“Finissez votre pinte, et sifflez la mienne également d’une traite, puis saisissez-vous d'une épée, la vôtre ou celle de vos amis. Posez la pointe à terre et posez votre front sur sa paume. Tournez vingt fois en cercle autour le plus rapidement possible. Enfin relevez-vous droit et fier. Si vous titubez mais que vous ne finissez pas au sol les quatre fers en l’air avant la fin des vingts tours, vous remportez le défis.”

Je décale alors la pinte entièrement vers sa personne, afin que Nick comprenne que c’est moi qui lui offre, je ne voudrais pas qu’il intervienne car celui-ci s’en saisisse.

“Alors quand dites vous monsieur l’ours ? Oserez-vous relever le défi afin d’obtenir de nouvelle louange à votre blason si déjà lourdement décoré ? Ou bien allez vous retourner hiberner dans votre grotte car vous êtes déjà bien trop saoul pour espérer l’emporter ?”

Tout se passait pour le mieux, une bonne bière, un bel endroit, des chansons dans les oreilles, une ambiance festive, un homme qui s'intéresse à moi sans être désagréable. Une promesse de fin de soirée des plus charmante à discuter de tout et de rien, et à s’amuser avec des jeux d’enfants.

— Du moins, c’est ce que j’espérais, car de toute évidence, mon défi ne sembla pas convenir à Bryn. Pourtant ma proposition l’a fait rire du fond de son cœur. Est ce sa réaction pour ne pas être colérique à une situation qui lui déplait ? En tout cas ses propos qui annoncent qu’il n’est pas le bon bouffon de la situation m’étrangle sur place et m’étripe le gosier. Je me sens alors mal à l’aise et balbutiante à demi-mot, presque de façon inaudible.

“Je… je ne voulais pas vous manquer de respect…Bryn”

J’étais choqué d’avoir vu son rire et sa bière sortir de sa bouche et de ses narines, je ne savais plus où me mettre, je l’avais vexé ? Tout me porte à le croire en tout cas car ce gentilhomme m’abandonne sans plus attendre en me laissant seule avec ma bière et une vanne amère. Celle de mes propres mots détournés en plaisanterie revancharde.

Le pire dans tout cela, c’est la fierté sur son visage, de m’abandonner de la sorte alors que je voulais juste passer une bonne soirée en sa compagnie. Peut-être même en faire un ami.
Qu’est ce que j’avais pu lui dire pour le vexer autant ? Je m’en voulais terriblement et repasse dans ma tête mes propos. Pourquoi croit-il que je le fais passer pour un bouffon… Je me serais plier moi-même à ce défi une fois qu’il l’aurait fait.Ce n’est qu’un jeu après tout, ce n'était pas comme jouer avec un couteau ou de devoir chanter une chanson paillarde qui entache son nom ou sa vertue.

En tous cas, il part avec son frère, en le traitant de petit con. Peut être que je me pose trop de question et qu' en réalité, c’est juste un imbécile qui ne veut pas plaisanter ni profiter de la vie autrement qu' en étant ivre. Je le trouvais pourtant charmant et agréable. Comme quoi, on ne connaît jamais suffisamment les gens avant de leur avoir parlé au moins une fois.

J’étais rancunière, il m’avait vexée, et je le fixais encore tandis qu’il s’en allait en m’abandonnant de la sorte. Il me faisait passer pour la vilaine fille dans cette histoire, et je n’aimais pas ce statut qu’il m’avait coller sur mon visage. Alors en guise de vengeance, avant que celui-ci ne soit trop éloigné, je lui lance une pique que je suis certain, il ne comprendra pas. Idiot que je crois qu’il est.

“Mes amis m’appellent Tel’ !”

Il venait à jamais de perdre ce droit en partant de la sorte, tant pis pour lui…