[PORT-REAL] À peine arrivée…

Un procès. Quelle connerie. On lui collait un foutu procès au cul, et pourquoi ? Parce qu’il avait empêché les pleureuses de Hightower de lui filer entre les doigts. Bronn ne croyait ni en leurs supposées larmes, ni en la moindre probabilité de réussite pour eux. Tout ça n’était qu’un moyen de plus de le faire chier, car telle était visiblement la raison d’être des connards de Villevieille : lui casser les burnes.

Si Baelor avait accepté sa proposition, deux ans plus tôt, ils n’en seraient pas là.

Ce n’était pas compliqué, pourtant : il voulait doublement lier Hightower et La Néra. Se lier aux branches féminines et masculines afin d’appuyer sa position sur eux. Baelor ne lui avait permis qu’une seule union, et le coup de bluff de Bronn avait foiré : il se trouvait sans aucune alliance. Et si ses récents rapprochements avec des membres de la famille Cendregué pouvaient donner l’impression d’une ébauche de réunification du Bief sous sa bannière, rien ne pouvait valoir l’appui des Hightower. Le seigneur de Grand-Tour était un atout qu’il ne pouvait négliger. Et il l’avait perdu, deux ans plus tôt. Enterrant tout espoir de le gagner.

Était venu le temps de la guerre froide, alors. Et tout démarrait par ce procès.

Lorsque Bronn avait entendu parler de l’arrivée de la délégation Bieffoise, il sut qu’il y trouverait la représentante de La Treille. Parfait – il devait s’enquérir de l’avancée des travaux et, s’ils n’avaient pas démarré, de pourquoi elle tardait tant. Flanqué de Bennar, ce fidèle chien fou qu’il avait fait Romberd, il alla toquer lui-même aux appartements de Desmera. Lorsqu’on le fit entrer, il laissa Bennar devant la porte, se montrant de plus en plus prudent à l’approche de son procès, peu inquiet mais pas inconscient, Bronn ne prenait plus de risques quant à sa sécurité.

C’est l’épée-lige de la dame qui lui ouvrit, et il le salua d’un hochement de tête, ne s’offusquant pas de l’éternel mépris qu’il semblait lui porter. Bronn parvint auprès de Desmera, installée dans un salon de ses appartements. Il inclina le buste en se parant de son plus beau sourire, se heurtant à l’hypocrisie qu’il devinait chez elle. Il savait qu’il y avait peu de vassaux pour l’apprécier dans le Bief, et n’était pas bête au point d’ignorer qu’hormis les Cendregué, aucun vassal d’importance ne se tenait à son côté – et il doutait même de la sincère loyauté de sa pupille.

— Dame Desmera, fort bien, et vous ? Le trajet ne fut-il pas trop éprouvant ?

Il leva un sourcil amusé, toujours paré de son sourire en dague.

— Il se dit qu’un procès se prépare… Alors, de quel côté serez-vous ?

Il inclina légèrement la tête, une lueur un poil provocatrice dans les yeux.

À l’invitation de la dame, Bronn s’installa sur l’un des fauteuils. Il sourit légèrement à ses mots, haussant les épaules dans un air faussement embarrassé. La pauvre dame, contrainte de faire de la route… Elle n’aurait pas survécu une seconde à son mode de vie à lui.

— Et croyez bien que j’en suis navré, je n’avais nullement l’envie de vous importuner avec de tels trajets. Mais puisque nous sommes là… Comment se porte votre beau projet, à Solfoyer ?

La réponse de Desmera ne le satisfit pas : elle se foutait clairement de sa gueule. Les Hightower, au-delà d’être ses voisins directs, étaient surtout ses principaux détracteurs. Et ils commençaient sincèrement à l’emmerder. Pourtant, Bronn tâcha de ne rien montrer de sa rancœur, offrant un sourire de complaisance à la dame de La Treille.

— Inquiet, oui, c’est le mot, soupira-t-il. Mais bon, comme on dit, quand on est dans la merde, c’est pas une raison pour la remuer – je vais me tenir tranquille.

Il appuya ses mots d’un sourire grossier. Il allait se tenir tranquille, il n’avait plus le choix cette fois-ci. Il ne pouvait que compter sur l’appui de Tyrion… Et il espérait que leur amitié décide celui-ci à lui sauver le cul, encore une fois. Il commençait à avoir une sacré dette envers lui, mais ayant lui-même sauvé le nain plus d’une fois, ils avaient cessé de compter depuis longtemps.

Bronn observa le plateau, et bien que tenté, ne se servit pas tout de suite. Rendu de plus en plus prudent à mesure que ses vassaux faisaient, de plus en plus, bloc contre lui, il ne toucherait pas une miette des gourmandises sans que la dame ne l’ait fait avant.

La dame jouait l’idiote mais elle n’avait pas les talents d’une Aelinor en tant qu’actrice. Pour autant, Bronn se méfiait d’elle autant qu’il se méfiait des Hightower. Et d’à peu près tous ses vassaux, à dire vrai. Pour dire, il se défiait même d’Ombeline, qu’il avait pourtant prise comme pupille. Il ne put s’empêcher de sourire lorsque la dame fit mention de soutenir son allié. Il n’allait pas gober ça comme ça, pas si facilement.

Les actes prévalaient sur les mots. Le comportement de Desmera au procès pourrait indiquer à Bronn si elle était, réellement ou non, son alliée. Et encore.

Il écouta attentivement ce qu’elle avait à dire et arqua un sourcil amusé lorsqu’elle évoqua l’absence de trésors. Pensait-elle qu’il n’avait jamais fait fouiller l’endroit ? Les biens des Cuy se trouvaient au chaud à Hautjardin, il les avait saisis comme il avait saisi leur fief. Et à moins qu’elle ne soit une sorte de truande au beau sourire, Desmera n’avait aucune prétention là-dessus. Alors Bronn se contenta de hausser les épaules, un rictus mordant ses lèvres.

— Oui, les bijoux de feu dame Cuy… Ils se trouvent à Hautjardin, lui apprit-il.

Pas pour la narguer – mais pare pure transparence cette fois-ci. Il se savait marcher sur des œufs et comptait bien lui en cacher le moins possible.

— Une fois les dépenses estimées, faites-le moi savoir et je les prendrai en charge, comme promis. Aussi, si vous avez besoin de bâtisseurs supplémentaires, j’en ferai parvenir de Hautjardin. Mais il est bon de voir que ce projet vous tient à cœur et que vous preniez en charge tout le travail qu’il y a autour : bien d’autres personnes de votre rang auraient envoyé des émissaires sur place tandis que vous y allez en personne, c’est louable.

Il inclina la tête en guise de respect, sincèrement pour une fois. Il réprima un rire lorsqu’elle dit avoir foi en lui. Foi ? Vraiment ? Il n’y croyait pas un seul instant. Pourtant, il la remercia d’un autre hochement de tête. Puis il saisit à son tour un biscuit, rassuré qu’elle-même en ait mangé. Il croqua dedans avant de lui répondre.

— Pardonnez mon impolitesse, j’étais si pris par notre conversation que je ne pensais pas à manger. Délicieux, ces biscuits.

Au fond d’une poche quelconque, non, au fond des siennes, oui ! Bronn se para d’un grand sourire, tout en écoutant avec attention les nouvelles de Solfoyer. Les préparatifs du chantier avançaient doucement, mais ils avançaient. Bien. Le suzerain du Bief inclina la tête.

— Parfait, alors j’attendrai la douzième lune pour vous faire parvenir le nécessaire pour le bon déroulement des travaux, alors. Je songe à me rendre prochainement dans le Bief, lui apprit-il soudain. À dire vrai, ça me trotte dans la tête depuis quelques temps mais ayant quelques démêlés avec la justice…

Il soupira, sans pour autant se départir de son rictus, et haussa les épaules.

— Je pensais en profiter pour faire un passage par vos terres, d’ailleurs, afin de voir de mes yeux toutes vos avancées. Je songeais à démarrer par Hautjardin, puis Corcolline, Hautesterres, Solfoyer, La Treille, Noircouronne, Villevieille, Hautjardin de nouveau, Cidre, Cendregué, Longuetable et Pont-l’Amer avant de revenir à Port-Réal. Il se pencha un peu vers l’avant dans un air de confidence, comme voulant créer du lien avec sa vassale. Hélas, je ne pourrai rester bien longtemps à chaque place… Deux jours tout au plus, je pense, puisque les affaires de la Couronne et du Conseil Restreint requerront vite ma présence à la cour… Mais cela sera probablement une bonne nouvelle pour mes vassaux de savoir que leur suzerain veille, n’est-ce pas ?

Il se redressa, servant à la dame un sourire aimable.

— Qu’en pensez-vous ?

Après qu’il ait mordu dans le biscuit et en ait complimenté la saveur, il hocha la tête aux mots de Desmera.

— Vous êtes une femme de goût, la complimenta-t-il. Mais pour revenir à ces bijoux… Peut-être les voudriez-vous ? Personnellement, je n’en ai pas l’utilité. Je ne suis pas assez coquette.

Bronn esquissa un rire franc à ses mots. Peut-être les Bieffois ne le trouvaient-ils pas drôle, lui se suffisait en ce point. Et son cher ami le nabot lui-même le trouvait amusant, donc qu’en avait-il à faire de l’avis de ses vassaux en ce point ? Taisant presque aussitôt son rire, il darda un regard curieux sur la dame de La Treille, qui peut-être se dériderait un peu. Pour une fois, il n’était pas venu en ennemi, il avait sincèrement fait un pas vers elle.

Dans une politesse qui seyait mal au personnage, Bronn concentra son regard sur les yeux de son interlocutrice. Il avait appris, au contact de Lollys Castelfoyer, que les nobles dames n’aimaient pas être reluquées. Lui qui était plus habitué des putains que des ladies, apprit vite la leçon. Si lui était un loup encore sauvage, les nobles étaient tels de bons chiens muselés. Alors il se muselait. Un peu – un tout petit peu, car le naturel était quelque chose qui lui tenait à cœur. Il ne détestait pas ses vassaux. Il détestait leurs manières.

— Au moins, oui, je pense, affirma-t-il. Je dois d’abord m’enquérir auprès du Conseil Restreint de la possibilité d’un tel éloignement avec la cour pour une si longue durée… Mais je suppose qu’ils comprendront. Le Bief a besoin de son suzerain, j’ai été longtemps absent, et je ne peux renier plus longtemps mes responsabilités.

Il accompagna ses mots d’un sourire franc. Il ne mentait plus et ne jouait plus sur les mots, il était plus que temps de montrer patte blanche.

— Peut-être me prendrai-je de passion pour les fleurs, qui sait, dit-il dans un rire. Auriez-vous un ouvrage qui les recense à me recommander ?

Il lança un regard sérieux à la dame de La Treille. S’il se fichait en réalité des fleurs, il avait tout de même décidé de faire un pas vers ses vassaux. Et s’il fallait pour cela qu’il s’intéresse à des foutues plantes, il le ferait, tout pénible l’exercice soit-il.

À sa grande surprise, la dame rit. Bronn se figea un instant. Était-ce sincère ? Elle répondit même par une plaisanterie. Il réagit à retardement, affichant un sourire franc mais toutefois un peu confus. Desmera s’était toujours montrée courtoise avec lui, une bienséance qu’il sentait tendue et contrainte. Cette fois, il la trouva plus honnête et s’en félicita mentalement : moins de rudesse payait, visiblement. Il rit sincèrement à sa plaisanterie.

— Je ne suis pas sûr pour le ruban, dit-il dans un sourire goguenard – il n’allait pas non plus se ridiculiser pour ses beaux yeux, il avait un minimum d’honneur à préserver.

Elle refusa les bijoux et il haussa brièvement les épaules.

— Fort bien, si vous n’en voulez vraiment pas, je pourrai les offrir en présent à d’autres, alors… Mais je penserai à vous les faire parvenir pour des croquis.

Une jeune femme entra dans la pièce, il répondit à sa révérence par un hochement de tête tandis qu’elle donnait une coupe à Desmera. Bronn esquissa un geste, prêt à se lever.

— Souhaitez-vous que je vous laisse vous reposer ? Rien ne nous empêche de remettre cet entretien à plus tard.

Conciliant. Il devait être conciliant. Conciliant et agréable.

Il sourit, un peu amer, aux mots de Desmera. Il entendait comme un reproche dans ses mots. Le Grand Argentier, quelle merde, oui. Au début, Bronn avait profité – l’or, les filles, le pouvoir, la puissance. Mais son manque cruel d’expérience s’était vite fait ressentir, et il n’en pouvait plus de se faire taper sur les doigts. Concernant l’argenterie du royaume, il avait eu la chance de se trouver un associé en la personne d’Edward et celui-ci lui était bien utile.

Mais pour le Bief, il était contraint de se débrouiller seul, et de la merde, il en avait jusqu’au cou. Ses dernières méthodes n’avaient pas marché et l’appui de la Couronne ne serait pas éternel, du moins, elle ne lui sauverait pas toujours le cul.

— Hé bien, merci pour vos informations, je tâcherai de lire quelques bouquins qui parlent de tout ça… Puis peut-être même que ça m’inspirera pour faire refaire les jardins du Donjon Rouge.

Il émit un bref rire. Il n’en avait pas grand-chose à faire, mais soit, faire plaisir aux Bieffois était maintenant sa priorité. Ils voulaient de l’honneur, des fleurs, du respect. Il allait tout leur donner, en espérant calmer une bonne fois pour toutes les tensions inhérentes à sa région.

Bronn sourit simplement quant à l’évocation de son épée-lige, il portait des rubans dans les cheveux, vraiment ? Il l’observa du coin de l’œil, voyant les cicatrices qui remontaient jusqu’à son cou, et acquiesça dans le vent – si même avec un ruban, il savait se battre, c’était sans doute le plus important dans cette histoire.

Il hocha la tête aux mots de la dame et chercha un peu les siens – que dire qui n’avait pas été dit ? Il avait évoqué le procès, Solfoyer et son voyage à venir, bien… Il se contenta de banalités de suzerain à seigneur, il préférait ne pas s’aventurer sur des terrains trop scabreux avant le procès.

— Et donc, vous avez vu Solfoyer… Les terres vous plaisent-elles ? Et qu’en est-il de La Treille, l’île la plus prolifique du Bief se porte-t-elle bien ?

Bronn eut un reniflement moqueur à la remarque de Desmera sur les jardins du Donjon Rouge. Tout neufs, ça c’était sûr, après avoir flambé sous le feu du dragon de Daenerys. Une fois de plus, l’ancien mercenaire se fit la réflexion qu’il avait bien eu raison de ne pas se mêler à tout ce bordel. Il se savait fine lame, mais au point de vaincre un dragon ? Certainement pas. Cersei en avait été la preuve : même à l’abri de ses murailles et de sa cité, elle n’avait pu échapper à l’enfer des flammes. Et dans la destruction du Donjon Rouge, c’était son propre pouvoir qui lui était tombé dessus. Quel gâchis que tout cela.

Si Bronn était d’une nature intrépide, il n’était pas totalement inconscient et savait reconnaître une défaite quand celle-ci se présentait à lui : ainsi, il n’avait pas non plus combattu La Montagne lors du duel judiciaire de Tyrion. Il avait bien eu raison, se rappelant parfaitement au crâne explosé d’Oberyn Martell sur le sol. Ça aussi, c’était du gâchis. Le prince était un homme amusant – bien plus que l’actuel, c’était certain.

Il remarqua qu’à sa question sur Solfoyer, Desmera fit tourner son bracelet autour de son poignet. Une étrange manie, de la nervosité ? Il ne dit rien et l’écouta avec attention. Tandis qu’elle parlait de La Treille, le visage de la dame s’illuminait.

— Si jamais vous aviez besoin de renforts face aux Fer-Nés, Hautjardin se tiendra prêt, sachez-le, ma dame.

Il lui offrit un hochement de tête assez solennel, très sérieux : il ne devait plus fauter et il était temps qu’il dirige la majeure partie de son attention sur le Bief, quitte à lâcher un peu de leste au niveau de son poste au Conseil. Il devrait retrouver Alaric, bientôt, pour lui donner de nouvelles indications. Il aurait bientôt besoin de son aide.

— Sans en boire une gorgée ? se surprit-il à l’évocation du vin de La Treille.

Bronn devait l’admettre, il avait de nombreuses lacunes et le savait parfaitement. Le vin en faisait partie. Oh, il savait le boire et en profiter ! Mais le reconnaître sans en boire une gorgée… Au nez, il pouvait évidemment différencier un dornien d’un vin de miel, par exemple, ou un rouge d’un blanc, mais ses connaissances s’arrêtaient à ces évidences. Il croisa les mains et écouta attentivement Desmera qui racontait son apprentissage de l’œnologie.

— Hé bien, ce serait avec grand plaisir, ma dame ! J’aime le bon vin, c’est un fait, mais j’admets m’y connaître assez peu quant à cet art. Vous pourriez m’apprendre un peu, si le cœur vous en disait.

Il ponctua sa phrase d’un sourire, toujours franc mais sincèrement chaleureux. Il préférait amplement ce genre de discussion, même si ce n’était que de la parlotte au final, à des échanges houleux qu’on ponctuait d’une hypocrisie crasse.