[PORT-REAL] À peine arrivée…

— Des égarements ? se surprit un instant Bronn.

Ah oui, les fameux égarements – lui-même en avait entendu parler. Les Fer-Nés avaient occupé les discussions du Conseil Restreint pendant de trop longues heures. Et effectivement, la suzeraine des Îles de Fer avait prétexté les égarements de ses vassaux. Bronn eut un sourire amer en y repensant. Mais hocha finalement la tête, il était au courant des directives de la Couronne mais préférait y ajouter l’appui de Hautjardin en cas de nouvelle attaque des Fer-Nés.

Desmera demanda à son épée-lige de ramener du vin, ce qu’il fit. Bronn écouta attentivement ce que lui apprenait la dame de La Treille, s’il y avait bien une personne pour lui apprendre l’art de l’œnologie, ce devait être elle. Puis s’il était de nature peu assidu dans toutes ses leçons, puisqu’on lui donnait une éducation noble tardive, celle-ci lui plaisait bien plus. Apprendre l’histoire du royaume, à écrire, la comptabilité… Tout cela était d’un chiant. Mais l’art du vin !

Bronn nota son sérieux tandis qu’elle lui expliquait ce qu’il y avait à savoir, et son enthousiasme sur la question lui plut : il était ravi de voir qu’une de ses vassales les plus importantes avait tant à cœur de bien faire les choses, il appréciait sincèrement la passion qu’elle mettait dans ses mots et tentait de lui transmettre. Ainsi, il la regarda faire sa démonstration et l’imita.

Après avoir pris le verre tendu par Desmera et l’avoir remerciée d’un sourire, il huma d’abord la coupe. Puis faisant comme elle le lui avait montré, observa son contenu au soleil. Puis il prit un peu de vin en bouche. Rien qu’à l’odeur, il avait bien sûr deviné un dornien. Un parfum aigre, agressif au nez… Ce n’était un secret pour personne. Bronn laissa le vin couler contre sa langue quelques instants, le goûta avec autant de précision que possible… Il n’avait sans doute pas le palais de la dame, mais pouvait bien se prêter au jeu.

Il recracha dans le bol.

— Il est aigre, ça c’est certain… On sent bien les olives… Et, hum, l’épice ?

Il sourit avec sincérité.

— Le dornien est l’un des plus simples à reconnaître mais je suis certain que vous aurez beaucoup de choses à m’apprendre à ce sujet !

Dans sa voix chaleureuse, il y eut un élan passionné, appréciant sincèrement de se prêter à cet exercice. Puis au moins, quand Desmera et lui parlaient de vin, ils semblaient plutôt bien s’entendre.

Bronn leva les yeux au ciel à l’évocation de la Greyjoy. Puis il pesta, dans un rire cynique, tentant de détendre un peu l’atmosphère :

— Elle est un sérieuse concurrente au titre de pire suzerain, dites-moi.

Puis adressa un sourire plus doux à la dame, se voulant rassurant. Il l’avait dit et se l’était promis, il allait revoir ses méthodes. Il se permettait de plaisanter sur ses erreurs passées, mais comme dit, celles-ci étaient passées. Il tentait seulement de dédramatiser tout cela, la colère et la rancœur n’amenaient, après tout, que colère et rancœur. Un foutu cercle vicieux dont il espérait s’extraire.

Il écouta sa leçon quant au vin dornien et hocha lentement la tête, attentif à ce qu’elle lui apprenait concernant les vins dorniens. À sa remarque sur les cuites au vin dornien, Bronn haussa les épaules en laissant échapper un rire clair :

— Croyez bien que j’ai déjà essayé. Je ne recommande pas.

Il avait bien fallu égayer un peu le peu de temps passé à Dorne, surtout que ce con de Jaime Lannister n’avait rien de drôle. Bronn n’avait pas eu le loisir de le connaître réellement avant que, soudainement frappé d’un éclair chevaleresque, le Régicide n’entame un virage de rédemption. D’après Tyrion, et ce même s’il aimait son frère aîné, Jaime fut durant un bon moment un fin connard. Et de ce qu’avait observé Bronn à cette époque, c’était plus que vrai. Puis Jaime avait un jour découvert Brienne de Torth, et l’honneur, et toutes ces conneries. Donc, il avait dû trouver un moyen de s’amuser à Dorne – autrement qu’avec la jolie Aspic, du moins.

Tous deux passèrent à la seconde dégustation… Plus complexe, celle-ci. Après avoir observé la robe du vin, un ambré visiblement, La Néra le huma. Fruité, sucré. Il prit une gorgée, le garda en bouche le temps de l’identifier… Trente secondes, une minute, une minute et demi… Il hésita en recrachant et leva un regard interrogateur vers Desmera.

— Plus technique, celui-là…, admit-il. Mmmh… Un vin d’Été ? Mh, non, il serait moins fruité je pense… Alors, disons, Volantis ?

Sa perplexité lisible sur ses traits, Bronn sourit à la Redwyne en attendant le verdict.

Hormis un sourire, elle ne releva pas sa remarque sur le pire suzerain, soit, il aurait essayé au moins. Le sujet était sans doute trop sensible. Il eut un sourire à sa réflexion sur les cuites au vin et haussa les sourcils tout en acquiesçant vivement. Ah ça, il déconseillait fortement – mais ce n’était pas jouer les poivrots qui lui sauverait le cul face au procès, alors il ne rajouta rien et se contenta de leur dégustation – c’était déjà un premier pas vers une, peut-être, future entente.

Bronn accueillit sa défaite d’un grand sourire, ah, il n’avait pas le palais de la bieffoise. Il écouta attentivement ses leçons en hochant la tête, prit un peu d’eau en bouche pour la rincer, et passa au vin suivant. Regardant la façon de faire de Desmera, il l’imita : il huma sa coupe, l’observa à la lumière, bien… Sentit encore une fois et goûta.

Le goût était puissant, il paraissait racler le palais, comme c’était original. Bronn garda longuement le vin en bouche avant de cracher, et il garda une mine songeuse pendant de longues secondes.

— Je m’avoue vaincu, admit-il. Lequel était-ce ?

Il sourit toutefois.

— Oui, je sens la différence, mais impossible de deviner lequel c’est.

Il hocha la tête, ah, un vin du Val. Oh, il y était bien passé quelques fois dans sa jeunesse, mais n’avait jamais pu goûter leur vin auparavant : à l’époque, il n’était qu’un petit mercenaire aux poches bien vides. C’était le temps où il se nourrissait de brun et ne buvait que de la mauvaise bière. Il découvrait les crus plus nobles depuis peu, au final, depuis sa rencontre totalement hasardeuse avec Tyrion. Alors il se rinça la bouche et goûta le dernier vin.

Fruité, le bouquet profond, sucré… Oh, Bronn n’avait aucun doute sur la provenance d’un tel vin. Il en avait entendu parler depuis bien longtemps, mais n’avait pu y goûter qu’une fois devenu proche de Tyrion. Ses clients précédents étaient ou trop méprisants, ou trop mauvais payeurs. Le nain lui avait offert la richesse, l’accès aux hautes sphères du monde et au luxe. Il cracha, se rinça la bouche.

— Je reconnaîtrais entre mille le meilleur vin du monde… Un vin d’été !

Puis il offrit un grand sourire à Desmera.

— Je plaisante, évidemment : c’est l’un des vôtres.

Bronn écouta avec attention les nouveaux enseignements de Desmera, hochant la tête avec intérêt. Ce n’était pas seulement parce qu’ils parlaient de vin qu’il s’y intéressait, d’ailleurs, mais bien parce qu’il trouvait l’instant plutôt agréable. Et c’était diablement rare quand il se trouvait en la présence d’un vassal bieffois : il s’était plutôt habitué à leurs sourires crispés d’hypocrisie, leurs demi-rires étranglés ou encore leurs regards noirs.

— C’est rare, des crus aussi anciens. Si je ne me trompe pas, les viniculteurs qui pratiquent la maturation du vin sont assez peu communs. Mais ce cru, Prospérité, est délicieux.

C’était sans doute cette technique de maturation qui donnait aux vins de La Treille leur saveur si courue dans le monde : la plupart des producteurs de vin vendaient des crus jeunes et donc moins savoureux, moins prestigieux par la même occasion. Il reprit alors.

— Je serais ravi de goûter vos meilleurs crus, ma dame, pour les servir lors d’une occasion très spéciale. Et votre prix sera le mien.

Un sourire affable, et Bronn tut la réalité de ladite occasion. Si Ombeline et lui, tous deux grands amateurs de vin, devaient se marier, autant qu’ils le fassent dans de bonnes conditions. Et à leur table, ce ne serait pas de la piquette qu’on servirait.

Il leva la tête vers Desmera quand elle revint au voyage qu’il prévoyait dans le Bief, et il haussa les sourcils à sa proposition. Deux semaines ? En soi, deux semaines de vacances dans un domaine viticole réputé pour être beau, charmant, et vendu comme un vrai bout de paradis par sa propriétaire, c’était tentant. Mais le pouvait-il seulement ?

— Hé bien la proposition est alléchante je dois l’avouer. Mais il faudra que j’en discute avant tout avec les autres membres du Conseil restreint. J’imaginais ne passer que deux jours dans chaque fief parce que rien que ce voyage me prendrait au moins trois lunes… Je ne suis pas certain de pouvoir l’allonger plus encore, même si je serais tenté de vous dire oui.

Il haussa les épaules et eut un air concerné : il était particulièrement intéressé par La Treille, la position de l’île pourrait être un atout majeur dans l’économie du monde si on y travaillait un peu. S’il voyait les lieux de ses yeux et en découvrait tout l’intérêt, Bronn songeait qu’il pourrait en faire un port de commerce presque central… Il suffisait d’investir dedans, ce qu’il pourrait bien faire. Mais le pourrait-il ?

— Je ne crains de ne pouvoir vous donner de réponse tout de suite. J’ai d’abord ce procès à gérer, il aura probablement quelques retombées sur le Bief ou moi-même… Mais je vous remercie de cette proposition, je promets d’y réfléchir.

Bronn eut un reniflement amusé à la comparaison entre le vin et un cheval. Ça c’était original, mais elle était visiblement une spécialiste dans son domaine, alors il ne se permit pas de la contredire et crut même Desmera sur parole. Après tout, lui n’était bon qu’à boire du vin. Elle, savait le concevoir, le conserver, l’assaisonner, et puis aussi le vendre, c’était certain. La preuve étant que son intérêt pour les crus de la dame s’était accru au fil de la conversation. Tous ne pouvaient pas se targuer de parvenir à faire apprécier le moindre enseignement à Bronn : par exemple, l’apprentissage des lettres était un véritable calvaire. Bronn faisait encore de nombreuses erreurs, lisait lentement et écrivait atrocement mal, alors que cela faisait un peu plus de cinq ans qu’il avait droit à des leçons privées. Ou il était trop vieux pour ces conneries, ou il était juste lent à l’apprentissage.

En tout cas, l’enseignement sur l’art du vin lui plaisait bien plus.

Il gratifia la dame d’un grand sourire.

— Hé bien soyez heureuse, vous m’avez convaincu, je sais déjà avec certitude que je passerai commande chez vous. Il est hors-de-question que je célèbre la moindre chose sans un de vos crus, désormais. Je vous enverrai ma commande lorsque le moment sera venu.

Il la remarqua pâlir à l’évocation du procès, et elle se surprit d’ailleurs ouvertement du calme apparent du seigneur La Néra. Il haussa les épaules avec désinvolture :

— Je suis dans une sale posture, c’est certain. Mais je crois pouvoir dire que j’ai connu pire. La famine, le froid, ça n’a rien à voir. Mais je compte bien passer rapidement sur ce procès. Il est temps que tout revienne à la normale. Et vous pourrez rentrer sereinement chez vous, et nous fournir le meilleur vin de tout ce foutu pays.

Il afficha son sourire de loup, confiant et chaleureux, un peu cynique aussi. Il ne se faisait aucune illusion quant à ce procès qui approchait : ce ne serait sans doute qu’un simulacre de justice visant à l’accuser d’être un vilain plouc, un pou à éradiquer de la sainte chevelure des Hightower. Mais il savait très bien ce qu’il allait dire, et il n’allait certainement pas rentrer dans leur jeu de tartuffes. Il tapota une main sur sa cuisse en lançant un regard avenant vers Desmera.

— Mais je ne veux pas vous déranger plus longtemps, j’ai suffisamment usé de votre temps.