[Port-Réal] Les Griefs du Bief | Ft Aelinor Hightower

Aelinor aimait lire, mais pas ce que la majorité des jouvencelles de son âge appréciaient. Elle aimait les textes historiques, les notes des mestres et des divers membres du conseil restreint. Elle aimait les faits et ce qu'ils disaient de la personne qui les avaient compilés, de la culture et du poul de la société. Elle avait passé une bonne partie de son temps dans les archives et la bibliothèque du Donjon rouge depuis son arrivée. Et avant cela elle avait cherché dans les documents de la citadelle et de Grand Tour avec l'aide du Mestre de Villevieille.


Pourquoi ? Lire des romans à l'eau de rose et se divertir avec des histoires de chevalier et de princesse ? Bien sûr que non. Perdre son temps en futilités n'était pas dans ses habitudes. Non. Elle fouillait, depuis des jours, les écrits, notamment des prédécesseurs d'Ullwick à la recherche du détail qui pourrait tout changer. Sa chambre et son bureau où s'entassaient décrets royaux, livres religieux et parchemins d'archives étaient un véritable capharnaüm.


En se préparant pour son entrevue avec Lord Uller, le maître des lois, elle se demanda comment transporter tout ça. Elle enfila une robe de coton satiné finement damassé dotée d'un généreux décolleté carré et de manches ajustées. Le haut de la robe était légèrement rigide ce qui, une fois lacé, faisait l'effet d’un corset tout en étant plus confortable, sa taille était ceinte d'une ceinture de bronze et de grenat. Elle envoya un des soldats qui veillaient sur elle chercher un chariot de service aux cuisines pendant que sa suivante la coiffait de quatre tresses qui s'enroulaient autour d'un chignon bas. Il lui fallait traverser tout le Donjon rouge, monter et descendre un certain nombre d'escaliers pour se rendre de ses humbles appartements dans l'hostellerie au bureau du maître des lois et sa solution n'était pas idéale. Mais c'était toujours mieux que de faire porter des kilos de papier à ses hommes.


Une fois prête, elle quitta sa chambre, un soldat poussait le chariot et son épée lige l'aidait à le porter quand ils croisaient un escalier. Aelinor quand à elle donnait ses ordres et redoublait de vigilance pour qu'aucun de ses précieux ouvrage ne tombe ou ne s'abîme. Elle prenait grand soin des livres, plus peut être que d'elle-même et certainement bien plus que de n'importe qui d'autre.


Dans le couloir des bureaux des membres du conseil restreint, les roues du charriot, trop chargé, se mirent à grincer. La porte ouverte, Aelinor entendit malgré tout Ulwick pester contre Bronn et esquissa un sourire carnassier. Elle hésita un instant à entrer parce que l'absence de gardes et de Hérault la déstabilisa quelque peu. Elle congédia ses gardes et salua le Maître des lois avec une petite révérence.

__ Bonjour lord Uller. Aelinor de la maison Hightower. Vous aviez accepté de me recevoir concernant Noircouronne et Tournesol. Puis-je ?


Elle attendit qu'il l'autorise à entrer pour s'introduire en marche arrière avec le chariot. Le maniant avec peine, tirant dessus de toutes ses forces pour le mettre en branle et l'approchant du bureau sans grande précision si bien qu'elle dût forcer pour éviter qu'il n'entre en collision avec le bois. Suite à tous ses efforts, elle s'assit le plus gracieusement possible dans le confortable fauteuil prévu pour son noble séant. Elle émit alors un profond soupir qui souleva sa poitrine, serrée dans le corsage vert, plus qu'à l'accoutumée.

__ Comme vous pouvez le voir, j'ai compilé tous les documents que j'ai pu trouver sur des affaires similaires. Ainsi, j'espère que nous gagnerons du temps et irons vers une résolution rapide de cette affaire.


Regardant le plat de gourmandises qui s'offraient à elle, la brune aux yeux céruléens chercha ce qui lui plairait à grignoter. Elle hocha la tête et dit avec déception :

__ Il n'y a pas de dattes ?

__ Je vous remercie.


Bien évidemment que si elle avait trouvé plusieurs type de décisions elle n’aurait pris que celles qui favorisaient sa famille, c’était de bonne guerre quand on attaque le Grand Argentier tout puissant couvert par un conseil Restreint baignant dans le stupre. Mais à dire vrai elle n’avait pas trouvé grand chose, un seul cas exploitable avec des similitudes flagrantes mais aussi des détails qui différaient. Ainsi sur le chariot, il y avait également des livres religieux et quelques textes datant d’avant la conquête conservés à Grand Tour, des arbres généalogiques, des actes de propriété et des registres de baptêmes, d’anciens plans cadastraux.

__ Je sais combien les membres du Conseil Restreint sont pris et je me suis dit qu’un petit coup de main ne serait pas inutile.


La couronne ne dotait pas toujours ses représentants en assistants de qualité en quantité suffisante, c’était notoire et engendrait parfois un traitement des affaires dans l’urgence et sans étude approfondie du dossier. La brune aux yeux azur ne tolèrerait pas cela pour elle. Mais surtout, elle était curieuse, cette chasse au trésor, malgré un résultat très mitigé, avait été tellement excitante qu’elle pourrait recommencer mille fois ce travail de fourmi à lire des tas de documents. La frustration de ne rien trouver, la joie la plus absolue en lisant un document pouvant servir avant la déception de se rendre compte qu’il serait inutile. Ce qu’elle avait pu apprendre au fil de ses recherches, bien que n’ayant aucun rapport avec son problème n’en était pas moins intéressant et elle s’était beaucoup amusée.


Ulwick sembla mal prendre sa remarque au sujet des dattes, elle en fut attristée, mais tâcha de crever l'abcès en s’expliquant promptement sur sa question.

__ Non, ce n’est pas ça…


Il venait de poser sa main sur la sienne, la coupant dans son élan. Elle regarda avec froideur la dite main un instant en se demandant ce que cela pouvait bien signifier. Elle reprit, lui rendant son sourire en essayant de ne rien montrer de sa gêne.

__ Je me disais qu’en tant que dorniens vous deviez également apprécier ce met qui doit agréablement vous rappeler votre chaude principauté. Je ne voulais pas vous offenser. Il est vrai que j’adore les dattes, mais les biscuits me vont très bien.


Sur ses bonnes paroles elle prit un gâteau et craqua dedans, profitant de ce geste pour retirer sa main de l’emprise du dornien. Elle espérait ainsi qu’il ne se rende pas compte qu’elle n’était pas friande de ce genre de rapprochement. Fallait-il donc qu’elle vienne à ce genre d'entretien avec Cassandra pour satisfaire la libido des hommes et pouvoir discuter sans craindre pour sa vertu ? Enfin, ça n’était qu'une main, c'était déplacé, mais il n’y avait pas de quoi en faire un fromage non plus. En avalant le morceau de gâteau presque tout rond du fait du malaise et en manquant de s'étouffer en toute discretion, elle joignit son index et son pouce près des ses lèvres en un geste grâcieux pour exprimer son contentement.  

__ Non non inutile. Et, si prochaine fois il y a, ce que j’espère, ne vous embêtez pas pour moi  si vous même n’êtes pas friand. Je saurais que les clichés sur les dorniens sont à prendre avec des pincettes.


Ajouta-t-elle en émettant un petit rire aigu qui la surprit elle même si bien qu'elle s'éclaircit la voix avant de reprendre de sa voix habituelle.

__ Mais en attendant, parlons peu, parlons bien.


Elle se pencha pour saisir la reliure de cuir posée sur le dessus du chariot et dénoua le lacet qui tenait prisonnier le parchemin qu’elle avait trouvé avant de le déposer devant le Maître des Lois pour le laisser en prendre connaissance.

Ulwyck sourit quand elle enleva sa main, pas dupe de la manœuvre hélas. Elle n’allait tout de même pas rester là indéfiniment avec ses doigts sous les siens, de quoi auraient-ils eu l’air. Qu’il ne la prenne pas non plus pour une imbécile, recouvrir la main de son interlocuteur était loin d‘être un geste anodin, pas une prise de vertu mais une prise de pouvoir. Cela semblait suffisamment naturel chez lui pour qu’elle ne s’en offusque pas et garde une vision neutre, mais prolonger ce contact eut été déplacé, pour elle comme pour lui. Les hommes prenaient déjà tellement de choses, gestes ou regards, pour des invitations, il convenait de ne pas les encourager, à moins d’avoir quelque chose à gagner, mais encore fallait-il être en mesure de les arrêter.

__ Mais bien sûr !


Aelinor ouvrit de grands yeux alors qu’Ulwick lui expliquait l’absence de dattes à sa table. il est vrai que ces fruits succulents au demeurant étaient également fort collants. Elle avait l’habitude de se lecher consciencieusement les doigts quand elle était seule, ou de se les essuyer en société. Mais encore fallait-il avoir prévu des serviettes. Or, les traces de doigts plein de sucre sur les courriers officiels de la couronne ou pire, sur de précieux parchemins anciens seraient du plus mauvais effet, voir rédhibitoires pour la conservation des documents. Et que dire si une datte venait tomber sur un décret tout juste rédigé. Une évidence à présent qu’il le disait. Preuve qu’il était un homme consciencieux avec les livres, un bon point dans l’esprit d’Aelinor, qui contrebalançait le contact pour le moins cavalier.

__ La plupart du temps quand je lis j’en oublie de manger, alors je n’y avais jamais pensé, mais c’est fort judicieux.


Fit-elle avec un sourire sans se douter le moins du monde des pensées vagabondes du dornien. Pour autant, elle était curieuse et la remarque du jeune homme l’intrigua. Il était de notoriété publique que les mœurs dorniennes étaient plus légères que celles des autres contrées, y compris le Bief qui pourtant n'était pas la plus rigide de toutes. En effet, tout le royaume se souvenait des accusations portées à Margaery et Loras Tyrell et Aelinor était bien placée pour savoir qu’elles étaient fondées. L’emprisonnement et la fin tragique de ses cousins lui rappelaient le prix d’une vie dissolue en dehors des enseignements des Sept et elle n’était pas prête de l’oublier. Cela ne voulait pas dire qu’elle n’avait jamais été tentée.

__ Quel est le fond de vérité que je dois savoir sur les dorniens ?


Demanda-t-elle avant qu’ils ne retournent au sujet principal. Elle fut étonnée par la remarque du Maître des lois, peut-être n'avait-elle pas été claire dans sa demande d’entrevue, mais il ne s'agissait en aucun cas de demander réparation pour l’emprisonnement de Baelor à Hautjardin suite à son entretien avec Bronn La Nera au sujet de Noircouronne et de Tournesol.

__ Pas exactement, Sire.


Répondit-elle.

__ Je souhaite récupérer les fiefs qui ont appartenu à la maison Hightower depuis 10000 ans et qui ont été usurpés par Bronn La Nera lors de l’entrevue où mon père a été emprisonné. Qu’ils aient été confiés à des vassaux ne font pas de ces terres des propriétés libres d’être administrées par Hautjardin, elles font partie intégrantes du domaine de Villevieille.


Elle désigna le parchemin qu’il venait de refermer après l’avoir lu un peu trop vite à son goût.

__ Ce document atteste que lorsque la lignée d’un vassal vient à s'éteindre, les terres de celui-ci vont à son seigneur direct et non au gouverneur de la région.


La différence notable étant, que dans le document qu’elle avait trouvé, le dit vassal à la lignée éteinte n’avait pas trahi le suzerain du Bief et été exécuté par lui-même.

__ Si la couronne avait dû réagir à cet emprisonnement abusif, elle aurait dû le faire sur le champ, quand mon père vous a fait part du problème, il y a deux ans. A présent, l’affaire est close. En revanche, nous ne pouvons accepter de nous faire spolier nos terres de la sorte.


Si Lord Ulwyck Uller en était encore à traiter des affaires vieilles de deux ans, alors l’administration de cette couronne était encore pire que ce qu’elle avait imaginé. Cela expliquait cependant pourquoi Baelor n’avait reçu aucune réponse et pourquoi personne n'avait levé le petit doigt contre la main basse faite sur les deux fiefs par Bronn. Cela pouvait également expliquer pourquoi il était toujours en place malgré ses frasques.

__ Je comprends, mais pour moi l’actualité c’est la menace Fer-Née à nos portes, or, sans ses deux fiefs, nous ne pouvons assurer pleinement la défense de Villevieille, nous ne pouvons soutenir les Îles Bouclier dans la défense de Hautjardin sans prendre un énorme risque et enfin, nous ne sommes pas en mesure d’assurer la sécurité de La Treille, déjà privée de sa flotte de guerre par les Fer-Nés et pillée. La flotte Bieffoise toute entière, le fleuron de la connaissance, les secrets du meilleur vin de Westeros et la capitale du Bief sont mis en danger par cette décision arbitraire.


Il ne s’agissait pas d’une punition. La punition avait été l'exécution des membres de toute la lignée des deux familles vassales incriminées, de fait éteinte, comme dans le document qu’avait apporté Aelinor. Bronn n’avait aucune raison de punir les Hightower qui n’avait non seulement pas participé à la rébellion, mais qui avait aidé autant qu’il pouvait le Gouverneur du Bief, notamment en sauvant son Mestre des mains des rebelles avant la prise de Hautjardin.

__ Lord Uller, le Gouverneur du Bief a exécuté les deux lignées incriminées, je crois que la punition envers les rebelles est consommée. Mais les Hightower n’ont pas participé à la rébellion, au contraire, ils ont envoyé les troupes qu’ils avaient pour extirper Mestre Lomys de Hautjardin avant que le château ne soit pris. Alors je vous pose la question, si les lignées des Bulwer et des Cuy sont désormais éteintes, sur quel fondement juridique ne pourrions nous pas récupérer ses terres ?


Aelinor plongea son regard céruléen dans celui du Dornien et attendit une réponse. Que la confiscation des terres d’un vassal direct soit souvent la conséquence d’une rébellion, particulièrement quand le Seigneur exécutait tous les membres de la maison n'empêchait en rien qu’en cas de vassalité indirecte, le droit habituel s'applique également. D’ailleurs l'extinction de la lignée les plaçait exactement dans ce cas de figure. Si les Cuy et les Bulwer avaient été vassaux directe de Hautjardin, comme Les Peake ou les Stackhouse, Bronn aurait de fait pu récupérer les terres, soit pour lui soit pour en fieffer un de ses fidèles, comme il l'avait fait pour Stellepique et Stackhouse. Mais si les terres n’étaient pas sous vassalité directe de Hautjardin, elles tombaient sous l’autorité de leur suzerain direct, soit dans le cas présent les Hightower, parce que le droit était ainsi fait, que cela plaise ou non à  Bronn.

__ Par respect, mon père a demandé au Sire de Hautjardin de récupérer ses terres et en échange il lui a proposé des troupes pour pacifier la région de Stellepique. Il aurait aussi bien pu faire main basse sur les deux fiefs sans demander à personne et sans se porter en soutien du Gouverneur. Ledit Gouverneur a non seulement refusé de lui restituer les terres, les réquisitionnant pour son propre compte, mais il a effectivement également jeté mon père en prison pendant une semaine.


Buvant une gorgée de vin, elle profita du silence pour réfléchir un instant, se remémorant quelques détails de cette sombre période.

__ D'ailleurs ce dernier n’avait envoyé aucune troupes là bas pour tenir les forteresses avant que mon père lui demande les fiefs en toute transparence. Il n’avait donc pas décidé de revendiquer ses fiefs avant que mon père vienne à lui en toute transparence pour les lui demander. S’il a laissé la moindre trace écrite de ses décisions, ce dont je doute hélas, vous verrez que les fiefs des Cuy et des Bulwer n’apparaissent pas sur l’ordre d'exécution.


La brune aux yeux azur soupira.

__ Pour autant, je fais amende honorable en ne demandant pas de réparation pour l’emprisonnement, mais en revanche, je demande que la justice du Roi soit appliquée dans le Royaume y compris dans le Bief et donc que ses fiefs soient restitués à la Maison Hightower.