[PORT-LANNIS]Chat échaudé craint l’eau froide | Aenar - Terminé

Après sa rencontre avec Tyldr Salfalaise, la brune aux yeux céruléens accosta à Port-Lannis pour rejoindre au plus vite la capitale. Elle avait l’intention de se rendre à Villevieille en dépit de l’annulation de son anniversaire pour y trouver Aegon et l’épouser en secret. Mais sans nouvelles de sa tante, elle savait à présent qu’il ne viendrait pas et entre temps un tas de choses avaient changé. Son unique salut résidait donc dans le procès à venir à Port-Real. Si elle n’avait toujours aucune envie de s’y rendre, elle n’avait pas le choix. Ce qui allait se dérouler là bas conditionnerait son avenir, elle ne pouvait donc finalement pas rester à Villevieille ou fuir sur la Treille. Seul problème et de taille, elle ne disposait pas d’une escorte très conséquente et elle devait donc recruter des épées supplémentaires pour traverser le royaume et également pour parer à toute éventualité lors du procès.


Si Bronn s'entourait de reîtres et de coupes jarrets à qui il distribuait titres, nobles épouses et fiefs à tourne bras, il était peut-être temps pour Aelinor de faire de même. Durant son séjour à Belle Île, elle avait entendu parler d’un certain Serpent qui dirigeait une compagnie de mercenaires dans les Terres de l‘Ouest. Leurs boucliers étaient ornés de serpents qui se mordaient la queue. Le cycle éternel du temps et des saisons pour une compagnie d’épées à louer, soit. La curiosité de la Hightower l’avait poussée à se demander pourquoi leur chef avait choisi un tel symbole et après de multiples hypothèses, elle n’avait toujours pas compris, elle en avait conclu que cela était simplement dû au surnom de leur chef, et ni le surnom, ni le symbole ne lui disait rien qui vaille. Mais elle devrait faire avec, si tant est qu’elle les trouve.


Les trois hommes qu’elle avait envoyés chercher des mercenaires visitèrent plusieurs tavernes. Cette fois, ils reconnurent les boucliers de certains clients. Le premier s’approcha d’un des mercenaires à l‘ouroboros, les deux autres restèrent au comptoir sans consommer, ce qui eut le chic de faire grogner le patron de l’établissement.

__ Bonjour. Hum… Sauriez-vous où je pourrais trouver celui qu’on nomme le Serpent ? La personne que je sers voudrait louer ses services.


Fort heureusement, Aelinor avait emmené des livres pour s'occuper le temps des recherches, elle espérait malgré tout que cela ne serait pas aussi long. Les quelques cloches du septuaire retentirent annonçant l’office de la mi journée. Elle demanda à ce qu’un repas soit préparé pour deux et elle laissa ses hommes descendre pour se restaurer. Puis elle se mit à prier à genoux au bord du lit. Malgré les revers, sa foi restait inébranlable. Comme son regard quand on fit entrer l’homme dans sa cabine après l’avoir annoncé.

__ Bonjour Ser Aenar.  


Elle portait une robe en tissu vert finement damassé avec un large décolleté carré qui dégageait sa poitrine. Le haut de la robe était légèrement rigide ce qui, une fois lacé, faisait l'effet d’un corset ajusté sur sa taille ornée d’une ceinture de bronze et de grenats. Elle avait longuement hésité à mettre ses bijoux d’or et d'émeraude. Ils disaient tout à la fois, je peux payer et je peux aussi me faire arnaquer ou pire. Elle décida donc de ne garder que deux bagues, une émeraude et sa chevalière représentant la tour de Villevieille. Ses cheveux formaient comme une couronne de tresses réunies en un épais chignon bas. Elle désigna le fauteuil en face d’elle.

__ Prenez place je vous prie. 

L’Albe Écume, toute de blanc vêtue, comme une pucelle le jour de son mariage, mouillait sur les quais de Port Lannis. Le clapotis des vagues sur sa coque et le vent dans les haubans sonnait comme une douce musique aux oreilles d’Aelinor. Enfin à quai en pays civilisé, elle qui avait fait mine de ne point trembler face à Tyldr, mais qui s’était presque chier dessus de peur, se sentait en sécurité. Mais pour combien de temps ? Elle allait au devant des ennuis, vers la capitale pour un procès qui, s’il était perdu, ferait d’elle l’épouse de Bronn la Nera, contre sa volonté. Le Prince Edmund avait engagé les poursuites pour l’honneur, et elle lui en savait gré, mais elle risquait bien plus que lui, au fond, dans cette histoire. Mais c'était néanmoins la paix du Roi qui risquait le plus d’être violée à l‘issue du verdict. Et cela, elle pouvait s’en réjouir. Pour autant, elle avait peur et ne voulait pas compter sur les seules promesses de Yara de la tirer de là si elle perdait le procès intentionnellement pour des raisons stratégiques.


D’ailleurs, elle n’avait toujours pas pris sa décision. Fuirait-elle où passerait-elle à l’offensive avant la nuit de noces ? La fuite n’avait réellement de sens que si elle débouchait sur une embuscade, elle ne pourrait pas se cacher indéfiniment et une femme de haute naissance ne fuyait pas son mariage. La seconde option était tellement risqué à tout point de vue qu’elle trouvait que la première, bien qu’elle repose sur des Fer-Nés et sur l’espoir que Bronn ne créerait pas une fois de plus un conflit pour la récupérer ou pire, qu’il ne se vengerait pas sur son père, l’était nettement moins. Bref, il lui fallait à la capitale, un peu plus que les quinze gardes qui avaient fait face au Salfalaise et elle n’avait aucune confiance envers les mercenaires ou retirés du Bief, ni ceux que Port Real, tous à la botte de La Nera, très certainement. Il était l’un des leurs après tout, un exemple de réussite pour eux pouvait-elle imaginer, se hisser d’épée à louer à Grand Argentier et gouverneur du Bief c’était une belle ascension, elle ne pouvait le nier. Et si elle n’avait rien contre les gens qui réussissent, elle avait en revanche une dent contre les arrivistes qui usaient de leur pouvoir comme des tyrans et qui se prenaient pour ce qu’ils n’étaient pas.


Tirée de sa lecture de l’Etoile à Sept Branche par des bruits de botte sur le pont, la brune aux yeux azur entendit bientôt les trois hommes envoyés en ville frapper à la porte.

__ Nous l'avons trouvé Dame Aelinor.
__ Très bien, faites le entrer, Messers.
__ Il n'est pas là.
__ Vous l’avez trouvé oui ou non ?
__ Nous avons parlé à l‘un de ses hommes, il a dit qu’il allait le chercher.


Firent les garde sans préciser où l’homme croisé dans la taverne devait se rendre pour aller chercher son chef afin de préserver les chastes oreilles de la jouvencelle.

__ Je vois.


Soupira-t-elle en leur donnant congé d’un geste de la main. Mais elle ne voyait pas les détails, bien heureusement. Le temps s’écoula lentement, mais finalement, du mouvement sur le pont puis dans le couloir qui menait à la luxueuse cabine de la Hightower l’avertirent de l’arrivée du Serpent. Pas trop tôt. L’homme avait visiblement refusé de se défaire de ses armes. Elle plissa les yeux et jeta un regard noir sur son épée lige. Le chevalier, de gris vêtu et qui se distinguait des autres soldats Hightower par une écharpe bleue bordée d’argent hocha la tête et se plaça par conséquent derrière le Serpent, mauvaise main sur la garde. Quand Aenar défit son baudrier, il jeta un œil à Aelinor qui secoua presque imperceptiblement la tête. Aussi, il ne bougea pas.

__ J’ai besoin d’une escorte pour me rendre à la capitale, Ser. Vous serez sous le commandement de mon capitaine, ce pour la cohésion en cas d’attaque, vous pouvez le comprendre, j’en suis certaine. Si nous parvenons à un accord, vous lui communiquerez le détail de vos effectifs et organiserez ensemble la colonne.


Aelinor parla sans détour avant d’inviter, en levant son index et son majeur joints, sa servante à leur servir du vin. Puis, elle demanda à sa suivante, Lady Gladys, d’aller s’enquérir de l'avancée du déjeuner.

__ Avez-vous des chevaux ? Sinon je payerais. Je payerais également pour le gîte et le couvert durant tout le voyage.


Elle but une gorgée de vin sans quitter Aenar de son regard céruléen, essayant de le jauger. Quelle foi pouvait-elle avoir en un tel homme ? Et à quel prix ? C'était justement sa question suivante et elle prit tout le temps de reposer le verre de vin à peine entamé avant d'ouvrir à nouveau la bouche pour la poser.

__ Quel est votre prix ? J’en déduirais mes frais.

Freya semblait être au goût d’Aenar. Intéressant. se dit la brune aux yeux céruléens et le regardant reluquer la jeune femme. Vue la distance il aurait pu sans mal tuer la jouvencelle ou sa servante, mais il serait mort aussitôt, tranché en deux par Creighton qui ne se méfiait pas plus de l’épée nonchalamment posée sur l'accoudoir que de toute autre lame qu’il pourrait dissimuler. Le Chevalier à l'écharpe bleue était peut être un chien de garde, mais il était le meilleur chien de garde que puisse espérer une Dame de Haute naissance. Lord Baelor y avait veillé après la mort du précédent la tête exposée par un débris du Grand Septuaire alors qu’il avait sauté sur la Hightower pour la protéger. D’ailleurs, cette dernière tenait ces hommes en haute estime, tous avaient prouvé, notamment face à Tyldr Salfalaise, qu’ils étaient loyaux et braves. Ce n’était pas le cas de l’homme en face d’elle, loin de là. Jusqu’ici, en n’acceptant pas de se plier aux règles de l’Albe Écume, il prouvait surtout qu’il était dangereux.


Aelinor cligna des yeux tandis que le silence s’installait. Peut-être que le bougre n’était pas intéressé. Mais les silence en disaient souvent plus long que les mots, elle le savait et resta stoïque, patientant avec un flegme à toute épreuve derrière son attitude altière. Son visage de marbre ne laissait voir aucune émotion et seuls ses yeux papillonnant de temps en temps trahissaient le fait qu’elle ne souffrait que peu de perdre son temps, d’autant plus que celui-ci lui était compté. Pour autant, elle observait son interlocuteur avec la plus grande attention et le vit se transformer en Serpent sous ses yeux. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, fissurant le masque. Et après de longues minutes, il prit la parole et à son tour, elle écouta sans l’interrompre. Bientôt, le déjeuner arriva avec Gladys, la rouquine s’installa dans un coin et laissa Freya disposer les assiettes garnies d’une tourte au pigeon et de légumes au bouillon accompagnés d’une belle tranche de pain ainsi que deux petits bols de friture de goujons panés.


Plus il parlait et plus Aelinor devait se faire violence pour ne pas rire, elle plongea donc son index dans les petits poissons frits et entreprit de les manger. Elle n’était pas d'accord avec ce qu’il énonçait, un groupe d’une dizaine de bandits pourrait fort bien leur tendre une embuscade, c’était risqué, mais il y avait sur la route des endroits où les chevaliers n’avaient pas l’avantage et où quelques tireurs bien placés pouvaient faire énormément de dégâts, ce bien avant La Néra. En revanche, Bronn n’avait aucun intérêt à la piéger, elle venait à lui, tout comme son père, se jetant dans la gueule du loup, il lui suffisait donc d’attendre. Elle échangea un sourcil levé avec son épée lige quand Aenar remit en question sa loyauté et son efficacité. Mais si son petit manège pouvait être amusant jusqu’ici, remettre la valeur de ses hommes en question n’était pas la chose à faire. Elle pouvait cacher bien des émotions, mais la colère était désormais bien visible sur son visage.


Trois chevaux par mercenaire et puis quoi encore, la plupart de ses hommes n’en avaient qu’un et certains deux, le voyage en bateau ne permettait pas de transporter d’avantage et beaucoup étaient rentrées avec Humfrey et Desmera à Villevieille. Il y avait des relais sur la route, si besoin ils échangeraient les chevaux. Il essayait donc de l'arnaquer en plus du reste. Quand au capitaine de ses gardes, il sécurisait les voyages d’Aelinor depuis qu’elle était en âge de se déplacer sans son père et quand cela n’était pas le cas, il débarrassait les chemins de contrebandes aux alentours de Villevieille sous le commandement d'Humfrey ou de Gunthor. Elle attendit que le serpent ait terminé pour répondre.

__ Vous avez raison, j’ai besoin d’une protection contre un homme puissant. Il s’agit de Bronn la Nera, Grand Argentier et Gouverneur du Bief. Mais il ne veut pas m’attaquer, il veut m’épouser. Si j’avais voulu faire une démonstration de force, j’aurais appelé les hommes de Grand Tour à me rejoindre à Chelsted. Mais qu’importe, avant que je vous dise comment vos services auraient pu être requis à Port-Real, il me fallait juger de la valeur de vos hommes et de la confiance que je peux vous accorder durant le voyage. J’ai jugé que je me passerais de vos services.


Avec un sourire, elle ajouta.

__ Déjeunons plutôt.

__ Bon appétit Ser.


Fit poliment Aelinor, se doutant bien que le jeune homme ne refuserait pas un repas gratuit, surtout aussi succulent que luxueux. Elle ignorait ce qu'était la faim, mais elle savait faire la différence entre un gruau d’orge et une tourte aux pigeons. Aenar également, s’il savait prendre la mesure de la manière dont elle le recevait. Elle ne pouvait lui tenir rigueur de ses mauvaises manières pour manger, elle, en revanche, ne pouvait s’abaisser à son niveau, quand bien même l’aurait-elle voulu.

__ Point, mais Gladys peut nous jouer quelques airs.


Aelinor tourna la tête vers la jeune femme et sourit. La Mullendore s'exécuta, sortant son luth avec grande précaution avant de se mettre à jouer en fredonnant une chanson. Pendant ce temps, Aenar se repaissait tant et plus devant une Hightower qui peinait à garder l'appétit devant tel rustre. Elle baissa les yeux, mais aperçut tout de même ce dernier s’essuyer dans la nappe brodée. Un habitué des tavernes qui ne connaissait pas les serviettes. Comme pour montrer l’exemple, la brune aux yeux azur prit la sienne pour se tamponner les lèvres et s’essuyer délicatement les doigts. Cela laissait présager de grands moments de solitude si Bronn arrivait à ses fins et qu’elle se voyait contrainte de manger en face de lui. Cette pensée la fit frémir. L’idée de le supporter chaque jour lui était insupportable.


Un regard entendu entre la jouvencelle et son épée lige en dit plus long sur les aléas du voyage que les mots qu’elle prononça en guise de réponse.

__ Oui, nous avons eu de la chance j’imagine.


Tout s’était finalement bien terminé, mais elle avait eu chaud, et infiniment peur. Aenar lui faisait un peu penser au Fer-Né, à ceci près qu’à priori, il n’avait aucune envie de travailler pour elle et qu’il ne lui faisait pas peur.  Pourquoi fallait-il qu’elle attire les pires rustres de Westeros, qu’avait-elle donc fait aux Sept pour en arriver là. Elle eut une pensée pour Jonas et pour leurs deux premiers baisers qui dessina un léger sourire sur ses lèvres.

__ J’ai été l’écuyer de Lord Baelor Hightower, j’ai participé à plusieurs tournois, côtoyant Tywin Lannister, Oberyn Martell ou Barristan Selmy.


Répondit le jeune homme sans que sa Dame ne s’offusque de sa prise de parole. Avec de tels état de service, il n'impressionnerait certainement pas le mercenaire, et c’était très bien ainsi, il ne se battait pas pour faire de l’effet aux bandits de grand chemin comme cet homme. D'ailleurs il était vrai que son expérience du combat se limitait à poursuivre des bandits et il le faisait bien, tout comme il protégerait Aelinor contre n’importe qui quitte à y laisser la vie. C’était cela le serment d’un chevalier, protéger et servir son seigneur, seigneur qui adorait sa fille et la considérait comme son plus précieux joyau. Et contrairement à Aenar, Ser Creighton était nourri, logé, vêtu et armé aux frais de la princesse, certain de manger à sa faim à chaque repas, de voir sa famille, s’il en fondait une, être protégée et de ne pas risquer sa vie chaque jour.

__ Et vous Ser. Racontez-nous vos exploits. J’adore les histoires.

Tandis que Gladys chantait pour animer le repas, Aelinor constata avec joie qu’Aenar prenait la serviette et faisait l’effort de s’en servir. Elle ne pouvait tenir rigueur aux roturiers de se tenir comme tels, mais s’ils voulaient sortir de la fange, il devaient au moins essayer de se tenir correctement. C’était ce qui pêchait chez Bronn, après tout ce temps, il se comportait toujours comme un sagouin. Prenait-il un malin plaisir à traîner le Bief tout entier dans la boue par ses manières de rustre mal dégrossi ? Plus le temps passait et plus la brune aux yeux céruléens en était persuadée.


Le sourire de la brune s’élargit quand elle entendit le mercenaire remercier le Guerrier de l’avoir protégé lors de la bataille du Bois aux Murmures. Aelinor savait à quel point le Bief avait été épargné par les combats de la guerre des cinq Rois, en effet, si le ban avait été levé au nom de Renly Barathéon, la mort prématurée de ce dernier avait permis à la plupart des troupes des Tyrell de rentrer chez elles. Les Florent, eux, avaient choisi de se rallier à Stannis, que tout le monde parmi les troupes de Mace, considéraient comme le meurtrier de son propre frère, chose que les Hightower ne pouvaient pas cautionner. Mais tandis que les troupes du Bief se retiraient, le Sire de Hautjardin avait décidé de faire demi tour pour prendre l’armée de Stannis à revers et apporter la victoire aux Lannister. Baelor et son ancien écuyer devenu chevalier depuis quelques années avaient tous deux participé, tout comme le capitaine de la garde d’Aelinor d’ailleurs. Mais Creighton préférait taire sa réelle expérience, en revanche il écoutait attentivement le récit d’Aenar.


Il parla ensuite du sac de Hautjardin. Le regard céruléen d’Aelinor se fit glacial. En effet, même si tous ses cousins étaient déjà morts lors de l‘explosion de Grand Septuaire de Baelor à Port-Real à ce moment là, c’était là la suite logique qui avait valu la mort d’Olenna que la jouvencelle appréciait beaucoup, la chute de Hautjardin et le fait que Bronn obtienne la suzeraineté du Bief. En d’autres termes, il avait travaillé pour l’ennemi, en tant que mercenaire, il ne se souciait probablement pas de ça, mais pour Grand Tour, ces événements avaient laissé une trace indélébile qu’ils n’étaient prêts à pardonner ni aux Lannister, ni à La Nera. La Hightower nota donc qu’il connaissait Bronn, en était-il, comme tous ceux de son engeance un fervent partisan ? Il semblait que les pires coupes jarrets voient en son ascension la possibilité de la leur et l’avènement d’un nouvel ordre social. Quand on voyait ce que le Grand Argentier faisait pour eux,on pouvait constater à quel point il se fichait de tout le monde sauf de lui-même. La notion de bien commun lui était étrangère, comme d’ailleurs la notion de respect et de bienséance, en fait tout ce qui pouvait séparer le bon grain de l'ivraie. Tout ce qui, en vérité, faisait que la noblesse était, dans une majorité de cas, bien plus apte à gouverner que le peuple.


Soudain, le récit du reître se retourna en sa faveur. Si Aelinor put y voir un signe divin, elle ne put cependant s'empêcher de se crisper à l’évocation de ce que les deux soldats Lannister allaient faire à la femme qu’il avait sauvée. Elle avait posé sa main sur l’accoudoir de son fauteuil et ses doigts étaient blancs tellement ils étaient serrés sur la rose sculptée formant l’angle de l’accoudoir.

__ Hum… c’était donc vous ! Et c’est pour cela que Lady Talla réclame votre tête. Je comprends mieux.


Aelinor en disant ses mots se rendit compte qu’elle n'avait toujours pas lâché l’accoudoire et se reprit, reposant la main sur sa fourchette pour se remettre à manger en écoutant la fin de l’histoire fort agréable du jeune homme. Lors de sa dernière tirade, elle relava vivement la tête et enchaîna dès qu’il eut terminé.

__ Moi aussi je suis responsable de la vie de chacun de mes hommes. Ils me doivent loyauté et bravoure et je leur dois une solde honnête et de ne pas prendre de risques inutiles. Je comprends que vous ne vouliez pas placer les vôtres sous les ordres d’un étranger, mais je ne peux pas me permettre un double commandement qui pourrait mettre à mal toute stratégie défensive en cas d’attaque. J’ose croire que j'œuvre également pour l'intérêt commun, mais seul l’avenir le dira et je serais jugée par le Père d’en Haut à l'heure de ma mort. En attendant, je vais réexpliquer plus clairement, ce que j’ai mal exprimé toute à l’heure. Vos hommes auraient été sous votre commandement et vous auriez été sous le commandement de mon capitaine. En quelque sorte, il aurait eu à coordonner l’ensemble et à mettre au point, avec vous, les grandes lignes d’un plan commun pour protéger la colonne. Mais il n’aurait pas eu à donner d’ordres directs à vos hommes, le seul objectif étant que je reste indemne.

Aelinor écouta la proposition d’Aenar d’une oreille attentive. Il ne semblait pas avoir compris qu’elle ne lui faisait pas confiance et que c’était la principale raison, bien au-delà des dépenses, qui la faisait refuser de l’engager. Quant à sa discrétion, elle laissait à désirer alors que tout résidait en cela, pas sur la route, mais après, car la route au fond ne présentait qu'un danger limité, surtout avec une vingtaine d’hommes en plus de sa garde. Cependant, le prix était important, la réputation de la troupe restait à démontrer et sa qualité également, mais le discours en disait long sur ce que le Serpent désirait vraiment. Avant qu’elle ait pu répondre, il se leva et sangla son fourreau à sa taille. Elle le laissa reprendre, en buvant une gorgée de vin. La brune aux yeux céruléens n’aimait ni les ultimatums, ni les menaces et le chevalier n’avait que cela à la bouche. S’il avait gagné des points lors de son précédent récit, il était, dans sa hâte, en train de perdre tout crédit aux yeux de la jouvencelle.


Vaudrait-il mieux qu’elle prenne le reste de faire le voyage avec ces quinze chevaliers, qu’elle rendre à Villevieille ou qu’elle demande l’aide de Daven Lannister pour une escorte de Manteaux Rouges ? Quant à Tyldr, il devait être loin à présent, et le temps était compté pour rejoindre la capitale à temps. Il faudrait qu’elle y réfléchisse sérieusement puisque le plan A tombait à l’eau tandis qu’Aenar lui disait qu’elle ne trouverait pas le moindre mercenaire à dix lieues à la ronde. Non seulement il semblait présager de sa réputation ainsi que de sa force, mais également de son influence, oubliant à qui il s’adressait. Aelinor avait des ressources qu’il ne soupçonnait pas et les possibilités qu’elle aurait pu lui offrir n’étaient pas négligeables. Mais cela ne lui disait rien qui vaille qu’il fasse savoir qu’une dame de haute naissance se préparait à prendre la route de l’Or vers Port-Real.


La coupe en argent parut faire son effet, mais les couverts étaient également faites dans ce métal et valaient à eux seuls, avec le reste de la vaisselle, le prix d’une armure de bonne facture. D’ailleurs, ni Creighton, ni les autres chevaliers présents sur l’Albe Ecume n’avaient eu à payer leur matériel ou leur monture. Grand Tour pourvoyait à tous leurs besoins. Ce n’était bien évidemment pas le cas pour les mercenaires et Aelinor comprenait sans mal qu’ils soient nettement mieux payés que n’importe quel soldat. Le prix n’était donc pas vraiment un problème, mais l’honnêteté de ce jeune homme, oui.

__ J’ai dit que je me passerais de vos services Ser. Mais si vous tenez absolument à obtenir les faveurs de mon père, accordez-moi cette escorte par la grâce des Sept et vous aurez peut-être la chance d'intégrer notre garde régulière. Quant aux chevaux, voici ce que je propose, je vous achèterais deux coursiers et une fois à Villevieille, vous pourrez choisir un destrier dans nos écuries. Avec tant d’hommes, je doute fort que des bandits se risquent à nous attaquer, mais votre rôle à la capitale pourrait être décisif si les choses venaient à s’envenimer. Qui sait ce, qu’alors, vous pourriez obtenir pour sauver mon père ou moi-même. Il se pourrait que sur les deux fiefs volés par La Nera, vous en gardiez un.


Des garanties, toujours des garanties. Son nom était une garantie à part entière, que ce soit par la puissance militaire, le pouvoir financier ou le carnet d’adresse. Il était la garantie d’avoir des retombées positives en cas de travail bien fait comme il pouvait être la garantie de gros ennuis en cas de trahison. Cette façon de demander des garanties l’avait déjà grandement courroucée quand elle venait de Yara Greyjoy, mais elle était à la tête d’une Région. Elle l’avait agacé venant de Tyldr Salfalaise, mais il avait plus à offrir en termes d’hommes de bateaux et de puissance de frappe qu’Aenar. Alors venant du Serpent, cela terminait de l'exaspérer. Son flegme en prit un coup, mais son pragmatisme la rappela à l’ordre avant qu’elle ne le fasse couper en petit morceaux pour le servir en ragoût à ses hommes histoire de rappeler qui elle était. Cette petite pensée malsaine la fit sourire, elle n’en ferait rien, mais elle savait qu’elle pouvait et cela suffisait à lui redonner faim.

__ Vous allez rater le dessert, Messer.


Fit-elle en lui montrant le fauteuil sur lequel il était assis jusqu’ici.