S'il n'y avait donc rien de neuf pour Nesaleah, Rhysand et Nymeros quant à la nature de la situation, il était loin d'en être de même pour Nileah, que sa mère sentait se blottir toujours plus contre elle, son petit nez venant se réfugier tout contre son cou et ses mains prenant sa nuque en otage de plus en plus fort. C'était pour cela, sans doute, que la jeune femme tentait, en vain, d'interpeller les deux bretteurs afin qu'ils se ressaisissent et cessent de se comporter avec tant de puérilité et de bassesse. Les enfants étaient de vrais éponges, absorbant tant de choses dans ce qui faisait leur quotidien. Les émotions comme les insultes. Dans le même temps, Nesaleah était loin d'être sereine quant à la prochaine invective qui en viendrait à être lâchée. Oh, bien sûr, elle encaissait le tout, elle aussi, directement concernée par la moindre ignominie que Nym' crachait au visage des Prestayn, y goûtant fort peu, surtout dès que l'on s'en prenait aux femmes de son sang, et particulièrement à sa mère. Mais c'était surtout que si Rhysand ne pouvait en rien directement lâcher une vérité qui pourrait faire tout basculer, elle craignait fort qu'il ne pousse tant et tant Nymeros à bout que ce dernier n'en vienne à ...  La donne et la synergie habituelles des affronts et antagonismes entre les deux hommes s'en trouvaient être bouleversées, pour elle, de par ce nouvel enfant qui grandissait en elle, sans qu'elle ne puisse jurer savoir qui en était le père.  C'était comme observer une flamme louvoyer non loin d'un baril de poudre, menaçant à tout instant de venir en embrasser la mèche. Et sur l'instant, la jeune femme ignorait si elle était la flamme, la mèche ou bien le baril de poudre.

Mais finalement, elle eut tout faux. Ce ne fut pas un geste mais un regard qui fit encore plus dérailler les choses. Et l'assaillant se trouva être l'héritier des Prestayn, et non celui des Antaryon. À moins que le blâme n'en revienne bel et bien à Nymeros et à ses yeux qui se posaient là où il ne fallait pas. Contre elle, Nesa' sentit Nileah manquer de lui couper le souffle en la serrant encore plus fort. “ Ça suffit ! ” Mais autant cracher dans le vent, n'est-ce pas ? Le stade de la violence physique venait d'être passée, sans rien couper à la violence verbale, Rhys' continuant sur sa lancée. “ Ça suffit j'ai dis ! ” Se gardant bien de les approcher pour le moment, l'un comme l'autre, ayant encore sa fille dans les bras, elle ne manqua cependant pas de lever un index se voulant tout autant accusateur qu'intimant le silence. Qu'ils lui laissent deux secondes, et elle revenait. Ce qu'elle fit, après avoir franchi la distance la séparant de sa sœur, restée en arrière, confiant la petite à Daenora. Cette dernière, plus que familière des différentes humeurs dans les regards de son aînée, se garda bien de lui poser la moindre question. Elle fit vite, Nesaleah, elle fit au plus vite même, plus que consciente que chaque seconde durant laquelle elle laissait les deux gaillards en tête à tête revenait à leur laisser une éternité pour recommencer leurs conneries. Sa démarche, pourtant toujours aussi gracieuse et sensuelle, ne devait dire rien qui vaille à qui que ce soit, car aucun badaud ne se mit en travers de sa route. “ Non mais vous avez quel âge ? À vous voir et à vous entendre, on vous croirait tout droit issus de la fange braavienne. De vrais coqs dans un poulailler ! ” Ce qui faisait d'elle la poule alors, c'est ça ? Une assimilation qui ne lui plaisait ni ne lui seyait. ... Normalement, ce sont les coqs qui ont plusieurs partenaires, pas l'inverse ...

Attrapant la main assaillante de son jumeau, elle l'emprisonna entre les propres siennes, tant pour s'assurer qu'il n'allait pas recommencer de si tôt, sauf en la bousculant, que pour sonder tout potentiel dégât. Pourtant, ce ne fut pas lui, en premier, qu'elle observa ou auquel elle adressa individuellement la parole. “ Ma mère est une femme respectable. Tout comme la propre tienne, ma tante. Qui n'a sûrement pas manquer de t'apprendre le respect dû aux femmes, je me trompe Nymeros ? ” Oui, certes, quelques instants plus tôt, elle s'en était elle-même verbalement prise à la putain de son amant, mais c'était ... C'était différent ! Après tout, il était avéré que l'autre vendait ses charmes, non ? Ce que Neserah n'avait jamais fais, à ce qu'en savait sa fille. S'intéressant enfin à son jumeau, elle leva la main de ce dernier devant ses yeux, observant un instant chaque phalange, avant d'y apposer un furtif baiser au creux de la paume. Son regard plongea enfin dans le sien, profondément, persuadée qu'il pouvait y voir les fameuses discrètes lueurs améthystes qui venaient y zébrer l'iris habituelle. “ Devant Nileah Rhysand, sérieusement ? ” Elle n'était absolument pas ravie de la situation, le fait qu'elle utilise le prénom complet de son jumeau en étant l'une des preuves. “ Que fait-on maintenant ? Je vous laisse continuer de vous lancer des ignominies à tout va, ou vous vous arrachez vos vêtements pour mieux vous taper sur le torse et je prends les paris sur qui gagne ? ” Ou pour voir qui avait la plus longue. C'était bien à cela que jouaient certains petits garçons, non, convaincus que la taille de leur virilité était proportionnelle à leur valeur et à leur courage ?

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Rhysand était son frère jumeau, son double, cette autre partie d’elle-même qui vivait et respirait dans un autre corps que le sien mais néanmoins à l’unisson. Ils se complétaient, se parachevaient en complétant les défauts de l’autre et en pouvant s’appuyer sur leurs qualités respectives. Pour ainsi dire, Nesaleah n’avait jamais vécu un seul jour où il ne faisait pas déjà partie de sa vie. Certes, tout n’avait pas toujours été idyllique, car ils restaient frère et sœur et étaient, de surcroit, jumeaux, avec tous les désaccords et désagréments quotidiens, quoi que fort futiles et oubliables. Mais nulle scission ne s’était érigée entre eux, pas même durant les premières semaines qui avaient suivies le retour de Rhys’ d’entre les morts. Les premiers temps, Nesa’ n’avait trop su quoi ressentir, perdue dans cette myriade d’émotions et de sentiments souvent contraires mais toujours passionnés et intenses, en ne pouvant se défaire de la tête qu’il avait tout de même choisi de la laisser sur place sans lui donner de nouvelles durant toutes ces années. Les premiers temps, aussi, elle l’avait surveillé comme le lait sur le feu, terrorisée au possible devant le fait qu’il puisse de nouveau choisir de disparaître, abruptement, sans sommation et sans explications. Depuis, les choses s’étaient apaisées, ou tout du moins étaient-elles rentrées dans l’ordre, non sans manquer d’évoluer avec le temps. Leurs étreintes innocentes et complices de l’enfance étaient devenues bien plus charnelles, franchissant un cap sans retour, Nileah en étant le résultat le plus flagrant. À ses yeux, il était donc impensable de prendre un autre parti que celui de son amant et jumeau. C’était un fait, une réalité concrète qui n’avait presque jamais été contredite. De là à dire qu’elle lui excusait et lui pardonnait tout, il y avait un gouffre.

Si elle se rangeait du côté de Rhysand au sein de cette synergie avec Nymeros, la jeune femme trouvait quand même que, par bien des aspects, son frère et son cousin se valaient dans l’art de se provoquer, d’entretenir le brasier et de remettre de l’huile sur le feus. À ses yeux, ils étaient tous deux bien trop obstinés pour vouloir baisser les armes et accepter qu’à défaut de s’entendre, au moins pourraient-ils décider de s’ignorer. Cela rendrait la coexistence et la cohabitation à Braavos bien plus aisées et apaisées. Mais ils en décidaient autrement, et elle ne pouvait que compter les points ou tenter de s’interposer et de les raisonner, comme elle le pouvait et quand elle le pouvait. Ce qui fonctionnait parfois, mais pas toujours, surtout quand certains mots avaient déjà été prononcés, amenant réactions et provocations. “ Nymeros … ” Elle fronça les sourcils, comme emplie d’un instant de répréhension : son cousin s’aventurait là sur une thématique escarpée et houleuse, là où son jumeau ne manqua pas de répliquer. “ Rhys’ … ” Leurs cousines Antaryon, pourtant absentes, avaient-elles vraiment besoin d’être impliquées là-dedans ? Si Nesa’ savait que ses draps n’étaient sans doute pas les seuls que visitait son frère, sans que cela n’insuffle la moindre jalousie exacerbée dans ses veines car ce qui s’y passait n’aurait jamais rien à voir avec ce qu’ils partageaient tous deux, elle devait bien avouer que le simple fait d’imaginer Rhys’ entre les cuisses des sœurs de Nymeros … Une certaine moue de réprobation s’accrocha un instant à son visage, avant qu’elle ne secoue la tête, tout autant pour la chasser que pour passer à autre chose. Visiblement, son intervention entre eux n’avait des effets que temporaires et partiels. Ils n’étaient plus des enfants et savaient parfaitement ce qu’ils faisaient, à leur décharge, mais cela ne la priverait pas de leur dire ce qu’elle pensait de tout ça. Éloigner Nileah lui avait en tout cas apparu comme étant la première chose à faire, ne serait-ce que pour la protéger et tenter de semer quelques graines de culpabilité dans l’esprit des deux jeunes hommes.

Rhysand lui avait souri, après tout, n’avait initialement rien répliqué et avait même entamé un pas de recul, comme pour prendre un peu de distance entre Nymeros et lui. Et puis patatra. Nesa’ se garderait bien de désigner un coupable, tout son corps étant brusquement tendu par ce ressort qu’elle sentit sauter chez Rhys’. Elle comprit, son regard plongé dans celui de son frère, y lisant tant de choses en seulement une fraction de seconde. Elle comprit mais elle ne put rien faire pour parer à l’assaut. Et, déjà, Rhysand se jetait sur Nymeros ... La solution idéale, sur l’instant, aurait pu être de s’interposer physiquement entre eux, mais il était d’une part trop tard, et de l’autre cela ne serait pas sérieux, étant enceinte, en un instant où tout ceci était encore fragile. Les insultes fusaient, et Nesa’ se mordait les lèvres, se refusant à crier au risque d’encore plus alerter et inquiéter sa fille si le tumulte ne lui était pas encore parvenu. Elle se sentait inutile mais elle avait tout de même la certitude que sans elle, tout aurait dérapé depuis longtemps et que la situation n’en finirait pas de dégénérer. Ce fut le goût du sang dans sa bouche qui la fit brusquement réagir, parce qu’elle s’était mordue les lèvres un peu trop fort. Elle sentit également les larmes poindre au creux de ses yeux, tant de frustration que de peine. Sentant les badauds commencer à réellement réagir autour d’eux, elle se se rapprocha précipitamment des deux hommes. “ Continuez ainsi et vous aller faire avertir la Garde ! Ou, pire, vos pères ! C’est ça que vous voulez ? Je vous préviens, je n’aiderais à arrondir les angles ni pour l’un ni pour l’autre ! ” Serrant un poing, elle plaça son autre main sur son ventre, tout autant pour le protéger que pour le souligner, dans l’espoir, peut-être, de ramener son frère à la réalité. “ Votre petit jeu, là, il est sans fin, vous le réalisez ou pas du tout ? ” Essuyant du bout des doigts les perles de sang sur ses lippes, elle ferma les yeux un instant, avant de tendre la main vers son frère. “ Rhys’, je t’en prie, arrête … Et toi aussi, Nym’…eros. Vous courrez droit dans le mur. ” Une légère supplique teintait sa voix, avant qu’elle ne s’enquiert des alentours, comme pour guetter la moindre intervention extérieure. Le tout en se refrénant de taper du pied par terre, rageusement.

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