[BRAAVOS] “ Summer will end soon enough, childhood as well ” ❃ Imeah

S'étirant avec une certaine langueur mais non sans élégance, Nesaleah sentit quelque peu les jointures de ses mains graciles craquer, liui tirant un subreptice froncement de sourcils. La démarche n'était pas douloureuse, mais elle n'était pas agréable non plus. Seulement, après quelques heures passées à relire des livres de compte pour aider son père, elle avait eu besoin de se délasser et de faire quelques pas, non sans sentir son corps quelque peu tendu par ces longs instants sans pouvoir bouger. Cela ne faisait que lui confirmer qu'elle n'était en rien faite pour être de ces femmes qui passent leurs journées avachies sur un long banc reposoir, à demeurer dans la même position, presque telles des statues n'ayant pour autre utilité que celle de se faire admirer. Elle savait également ne pas être faîte non plus pour s'empiffrer de petits gâteaux, pour se boire des litres de thé ou pour ne savoir rien faire d'autre de sa langue que de persifler à tout va, avec vacuité et inutilité. Elle avait besoin de sentir que ses paroles tout autant que ses gestes étaient mués dans un sens, qu'ils étaient pertinents et qu'ils parvenaient à arracher ce qu'on pouvait bien lui refuser dans un premier temps. Toutefois ... Toutefois, elle n'avait besoin que de poser les yeux sur les différents ouvrages étalés sur son bureau pour comprendre qu'elle n'était pas faîte pour devenir capitaine-marchand, comme son père ou ses oncles. On pouvait dire que cela tombait bien, car elle n'était pas destinée à cela, mais malgré tout, depuis la disparition de Rhysand, elle avait été impliquée plus que de raison dans tout ceci.

Une partie d'elle-même ne pouvait que comprendre son père, qui, en ayant perdu Nakeo, assassiné, et en n'ayant si vite après plus aucune nouvelle de son fils aîné et héritier, avait eu besoin de se raccrocher à quelque chose, ou à quelqu'un, ne serait-ce que partiellement. Mais l'autre partie de la jeune femme était convaincue que cela n'était pas son rôle, qu'elle n'était pas à sa place en avançant dans le sillage que lui traçait son père. Elle s'en sentait capable et en avait les capacités et les compétences, certes, mais elle ne pouvait se défaire de l'idée qu'elle se montrait usurpatrice et qu'elle endossait des atours qui n'auraient jamais dû lui revenir. Nombreux étaient ceux qui se montraient aujourd'hui convaincus que Rhysand était mort, qu'il fallait se faire à l'idée et que, donc, Irrano Prestayn ne se retrouvait désormais plus qu'à la tête d'une lignée de deux filles, dont l'aînée n'était autre que Nesaleah. Qu'il agissait bien en la formant autant qu'il le pouvait, dans le but de plus tard la marier à un autre grand nom de la Cité, ou de faire d'elle une future épouse qui se montrerait apte à seconder son époux. La principale intéressée, elle, refusait de croire qu'un sort funeste avait attendu son frère. Après tout, il était son jumeau. Ils avaient tant partagé, jusqu'à sa disparition, et en premier lieu le ventre maternel, puis le berceau, puis tant d'autres choses ... Elle se trouvait alors convaincue qu'elle aurait ressenti au plus profond d'elle-même le trépas de Rhys' si tel drame était survenu. Instinctivement et viscéralement. Mais elle n'avait rien ressenti. Ou rien d'autre qu'un immense abysse qui la rongeait de l'intérieur, encore aujourd'hui, à chaque fois qu'elle songeait à lui. Un vide immense que rien ni personne ne pouvait combler. Toutefois, les choses s'atténuaient progressivement, sous sa propre impulsion, déterminée à ne pas se laisser entièrement sombrer, tout autant que sous celles de ceux qui l'entouraient et ne manquaient pas de lui manifester leur affection. C'était ainsi qu'elle s'était rapprochée de son cousin Nymeros, habituellement tenu à une certaine distance de sa vie de par le fait que Rhys' et lui s’abhorraient.

Et puis il y avait Imeah ... Imeah qui était là, qui était toujours là, et qui le serait toujours, à n'en pas douter. Elle était une présence réconfortante, une amie de grande qualité, une cousine certes bâtarde mais au sang bel et bien Prestayn. Habituellement, la jeune femme se souciait peu du sort réservé à ceux qui naissaient hors mariage ou de relation extraconjugale, car leur sort lui importait peu, n'étant pas concernée. Ils lui étaient, pour ainsi dire, indifférents et insignifiants. Mais Imeah était toute autre. Imeah était bien différente. Fille de son oncle Luco, elle avait été acceptée par les Prestayn sans trop sourciller, à une époque où Nesa' elle-même était trop jeune pour faire autre chose que de s'extasier sur l'arrivée d'une nouvelle fille parmi les leurs. Rien que de penser à elle fit naître un grand sourire sur les lèvres de la Prestayn qui, bien décidée, choisie de quitter ses appartements pour partir à la recherche de sa cousine. Ses dernières journées avaient été chargées, et elle ressentait le besoin de passer du temps ensembles, à se parler de tout et de rien, à rire, s'amuser et plaisanter. À vivre leur jeunesse avant qu'elle ne leur file entre les doigts. Après tout, en plus d'être désormais l'héritière de son père, Nesaleah approchait chaque Lune un peu plus de l'âge adulte. Quelle triste perspective ... Déambulant seulement quelques instants dans les couloirs des Tours Ombreuses, la jeune femme eut tôt fait de trouver celle qu'elle cherchait, en se renseignant auprès de la domesticité au service des siens. Sa cousine occupait une place particulière en ces lieux, l'illégitimité de sa naissance pesant dans la balance sans que les Prestayn n'oublient qu'elle partageait tout de même leur sang. Quoi qu'il en était, on lui indiqua l'un des petits salons, où elle aurait été vu broder et coudre, comme à son habitude, ce qui ne fit qu'agrandir le sourire qu'arborait Nesa'. Attrapant à la volée un pichet de jus d'agrumes sur un plateau, elle se mut jusqu'au fameux salon, en poussant la porte non sans la refermer d'un petit coup de fessier, avant de se diriger vers la silhouette de sa cousine. “ Imeah ! J'espère que je te dérange pas ? ” La question était plutôt rhétorique, non sans relever d'une légère préoccupation véridique. “ Mes yeux commençaient à loucher sur tous les chiffres des registres de comptes, j'ai eu besoin de faire une pause. En ta compagnie, c'est encore mieux, surtout que j'ai l'impression qu'une éternité s'est passée depuis que nous avons passé du temps seules en tête à tête. ” Une moue quelque peu boudeuse pris place sur son visage, non sans qu'elle ne s'installe dans le fauteuil faisant face à celui dans lequel Imeah avait déjà pris place.

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