Après la tempête ➹ Pv Desmera

Le procès s’était achevé trois jours plus tôt, et rien n’avait trop changé. Quand il se baladait dans les couloirs du Donjon Rouge, Bronn recevait toujours les mêmes regards de la noblesse parfumée, soit des airs mi-intimidés, mi-scandalisés. Parce qu’il était un scandale à lui-même, ce reître meurtrier qui avait même assassiné les Tyrell et les Martell. C’est qu’il était sacrément doué, comme épée-louée.

Mais bon, le pire était passé, et il fallait aller de l’avant. Il avait signé un contrat jurant devant les putain de Sept qu’il ne s’opposerait à aucun mariage Hightower, mettant fin à sa pseudo-campagne de harcèlement, et avait dû s’acquitter d’une belle somme envers la Couronne pour se faire pardonner son ingérence et le temps perdu. Il trouvait un peu énorme qu’on le fasse payer pour un procès dont il n’était pas l’initiateur, mais préférait maintenant se taire et laisser couler. Il avait payé, avait admis aimer les putes, humilié son épouse… Que du bonheur.

Maintenant, il fallait se concentrer sur l’avenir : l’année prochaine, il organiserait un beau mariage pour Ombeline et lui, et il espérait que par ce biais, le Bief accepterait sa suzeraineté. Il épousait une bieffoise, certes à moitié dornienne mais au final, ça ferait peut-être aussi oublier à la principauté qu’il les avait insultés en piétinant sans gêne le prince lui-même ? Mais peu importait. En attendant, qui disait mariage disait vin, et qui disait vin disait Redwyne.

Il prit la route des appartements de la dame de La Treille, espérant discuter affaires avec elle. Hélas sur son chemin, il apprit qu’elle était malade. Pas mourante non plus, mais malade. Et puisqu’il fallait préserver les apparences, et les relations, il demanda à un serviteur de lui amener de suite un remède quelconque. On lui apporta une infusion de gingembre, agrémentée de miel et de citron, avec un brin de guérit-tout, soit un mélange de plantes qui apaisaient à peu près tout et n’importe quoi.

Bronn se sentit un peu bête, demandant l’entrée des appartements de Desmera avec sa petite carafe entre les mains, mais pas le choix : la tempête était certes passée, elle avait laissé quand même quelques dégâts. Et notamment, il ignorait de ce qu’il était advenu de Solfoyer. Il inclina poliment la tête.

— Dame Desmera, j’espère ne pas vous déranger. Je me suis permis de vous amener une tisane.

Bronn entra dans la pièce à la suite de la suivante de Desmera. Il se trouva alors face à une dame de La Treille à la mine pâle et l’air épuisé. Emmitouflée entre des couvertures, une épaisse chemise et un châle de surcroît, elle paraissait bien plus malade que ce qu’il avait imaginé. A son invitation, Bronn prit place sur le fauteuil avec un sourire aimable. Il inclina sobrement la tête à ses excuses.

— Allons, pas la peine de vous excuser, voyez donc votre état. Vous avez besoin de repos.

Il soupira en demandant à Sarah sa tasse d’un air affable – maintenant que tout le royaume avait les yeux rivés sur ses frasques, il devait, dans chacun de ses gestes, apparaître comme irréprochable. Il espérait bien que son mariage avec Ombeline, couplé à son absence des bordels qu’il fréquentait tant autrefois, pourrait apaiser ce beau monde.

Il espérait pouvoir conclure cette union l’année suivante, peut-être en milieu d’année pour y convier toutes les têtes nobles du Bief, et tout cela à Hautjardin pour montrer sa dévotion à sa région… L’heure était alors aux préparatifs. Mais en regardant Desmera si malade, il ne pensait pas pouvoir lui passer la moindre commande de vin en l’état.

— Pour ma part, tout va bien, je suppose. Le procès est passé, je suppose que la tempête aussi. Il n’y a plus qu’à espérer que je regagne la confiance de tous, si tant est que je l’aie déjà eue à un moment donné. Mais je suis déterminé à ce que tout aille mieux.

Il regarda brièvement autour de lui, détaillant les vêtements soigneusement pliés.

— Vous reprenez la route de La Treille, apparemment. Vous devez être ravie, vous qui étiez déjà fatiguée de tous ces trajets… Cette fois-ci, j’espère que vous pourrez rester tranquillement chez vous plutôt que de courir les routes tout le temps.

Bronn inclina la tête à ses mots. Rédemption mon cul, si les Hightower pensaient pouvoir le mettre à genoux ainsi, ils se foutaient le doigt dans l’œil. Si le seigneur de Hautjardin n’en montrait rien, il était profondément agacé par l’issue du procès. Il n’y avait pas perdu grand-chose au final, mais se voir accusé de tous les malheurs du monde ainsi, quel enfer. Puis quelle idée de ramener cette putain, qui qu’elle soit, oui – il l’avait déjà vue, plusieurs fois, mais son nom… Giella ? Giselle ? Gisella ? Il n’en savait foutrement rien mais se demandait quel esprit tordu pouvaient bien avoir les Hightower pour venir la présenter aux yeux de la cour, devant sa propre épouse.

Ce n’était pas lui qu’on avait humilié mais bien Ombeline, et cela irritait Bronn. Parce qu’il n’était pas si foncièrement goujat et qu’il avait promis à sa jeune épouse de ne pas lui causer d’embarras. Alors là, le coup de la pute, c’était bas. Très bas.

Alors il haussa les épaules et feignit l’indifférence face à toute cette histoire. Le procès était fini, le chapitre était clos et c’était très bien ainsi. Puis il sourit à la dame de La Treille qui se plaignait de ses voyages, elle rit et cessa brusquement. Il arqua les sourcils, la pauvre semblait vraiment très mal en point.

— Je suis certain qu’une fois rentrée chez vous, vous pourrez vous reposer.

Il leva les mains des deux côtés de sa tête :

— Promis, plus de frasques.

Elle le questionna sur la tisane, il lorgna sur sa propre tasse.

— Je ne l’ai pas préparée moi-même, mais c’est a priori une infusion de gingembre, de guérit-tout, de miel et de citron. Rien que des bonnes choses pour aller mieux.

Comme pour lui prouver l’inoffensivité de sa boisson, il but deux gorgées de sa tasse et sourit. Puis leva un œil rieur vers Desmera :

— Vous voyez, j’ai presque rajeuni de dix ans.

La question de l’avenir vint alors et Bronn parut réfléchir quelques instants avant de retrouver son sourire apaisé.

— Merci, oui, préparer mon mariage fait partie de mes priorités. J’espère pouvoir le célébrer en milieu d’année prochaine à Hautjardin. Et il me faudra évidemment du vin ! Du très bon vin du Bief, et je sais déjà où le commander. Pour ce qui est de mon voyage dans le Bief, j’y songe toujours mais après tout ce bor – ce souk, je pense qu’il va d’abord falloir que je montre patte blanche auprès de la Couronne. Après tout je leur ai déjà causé pas mal d’embarras ces derniers temps, autant me racheter avant d’entreprendre un tel voyage.

Bronn sourit à Desmera à ses mots. Elle paraissait particulièrement attachée à ses terres, et cela le rassurait : La Treille était une terre particulièrement importante pour la géopolitique du Bief, et la savoir entre les mains de cette dame-là était une bonne chose.

La suite la fit sourire elle, elle ne l’imaginait pas sans ses frasques. Hé bien, le Bief était mal barré alors ! Il rit franchement, au fond, elle n’avait pas tort.

— Je vais essayer, du moins.

Bronn haussa les épaules à la plaisanterie de la Redwyne sur l’alliance maritale. Il prit un air faussement songeur. Quel dommage qu’il ne puisse pas faire de blague graveleuse. Tyrion aurait ri…

— Je peux toujours en parler avec le Grand septon, mais je doute qu’il me permette de prendre deux épouses. Hélas, ma dame, je suis contraint de refuser.

Encore un sourire poliment rieur. Bon sang, avec ce procès il marchait sur des œufs et devrait probablement le faire toute sa vie durant. Quel putain d’enfer. Pas que la dame de La Treille soit désagréable, mais devoir se priver de son célèbre humour noir. Il ne pouvait plus jouer avec les limites comme avant.

Il hocha la tête avec entrain quand Desmera parla du vin. Voilà au moins une chose de sa position qui ne l’emmerdait pas : il pouvait se payer des caisses des meilleurs crus de La Treille. C’est alors que la Redwyne vomit la tisane. Merde.

— Je propose qu’on en discute une autre fois. Je crains que vous ne soyez pas en état pour discuter affaires, je serais plus serein de vous laisser vous reposer et y revenir plus tard. Qu’en dites-vous ?

Le conseil quant à l’humour fit sourire Bronn, parce qu’il avait bien des amis avec lesquels rire ! Tyrion, avant tout, même si ce petit diable était souvent bien occupé. Et Larraq, un peu mystérieux mais un bon gars aux yeux du seigneur de Hautjardin. Du moins, il savait s’amuser. Et il y avait la petite Ombeline, une gamine marrante. Et dire qu’il allait l’épouser…

La suite quant au Grand Septon fit rire le Grand Argentier, qui se garda bien de dire ce qu’il pensait des Targaryen. N’avait-il pas mis fin à son allégeance indéfectible quoique monnayée envers les Lannister seulement à cause d’un dragon ? Effectivement. Parce que Bronn se savait être un tueur, habile de son épée et dans ses jeux de jambes, un soldat doué, un épéiste désormais plutôt renommé… Tout ce qui ne suffisait pas à tuer un dragon, en soi. Alors les Targaryen, très peu pour lui !

Il y eut toutefois un détail sur lequel il tiqua. Après avoir ri de bon cœur, il prit une gorgé de sa tasse et questionna Desmera :

— Oh, vous êtes donc fiancée, ma dame ? Je l’ignorais !

Elle vomit sa tisane, et Bronn se sentit un peu mal à l’aise. Mais face à sa proposition de partir, la dame de La Treille insista : elle était prête à parler affaires. Bronn, qui avait déjà commencé à se relever, se rassit, un air un peu confus au visage.

— Hé bien comme vous voudrez, ma dame… Je n’ai pas encore pensé tous les détails du repas, je dois voir cela avec lady Ombeline. Mais je pensais faire honneur à ses origines dorniennes, et convier le prince de Dorne à l’évidence… Peut-être du chevreau rôti au miel ? Ou encore du canard ? Je crois qu’ils l’aiment sucré… Mais je suis curieux d’avoir votre avis sur la question, et évidemment de me fournir quelques échantillons de La Treille.