[BRAAVOS] “ Leave Fear untreated and it will consume you ” ❃ Henosha

Le temps s'écoulait. Les journées s'égrainaient et rien ne semblait changer. Rien ne semblait venir permettre à la situation de se décanter. Bien évidemment, Nesaleah n'était pas suffisamment désespérée au point de souhaiter l'issue la plus rapide possible, quelle qu'elle soit. Il était inconcevable, à ses yeux, que Belicho puisse s'en tirer à bon compte. En contrevenant sans vergogne aux règles séculaires auxquelles, jusqu'à maintenant, nul n'avait vraiment dérogé. Certains devaient bien voir en lui un homme brave et courageux, qui osait l'inimaginable jusqu'alors. Mais pour elle, il n'était rien d'autre qu'un couard, doublé d'un félon, qui n'avait eu l'audace de son geste que par crainte que les heures glorieuses des Antaryon n'en viennent à se voir déchoir de leur aura. Il avait refusé que le processus démocratique usuel puisse se tenir, et il refusait depuis de faire demi-tour. Il était encore temps, même si, pour sûr, on saurait s'en souvenir et lui en porter grief. Évidemment, les autres grandes Familles n'étaient pas restées les bras croisés, mais le problème résidait dans le fait que toutes n'avaient pas emboîté le pas de Rhysand lorsque celui-ci s'était insurgé et avait annoncé ses propres ambitions. Deux fronts s'étaient érigés face à l'usurpation, et si l'un d'eux portait le flambeau des Prestayn, l'autre faisait flotter l'apanage des Fregar. Et voilà que la Banque de Fer semblait avoir manifesté sa préférence pour ce dernier plutôt que pour Rhysand ... Cela avait tout autant plongé Nesa' dans une rage folle que dans un effroi tétanisant. Bien sûr, elle n'était pas sans ignorer les qualités intellectuelles de Tormo Fregar, d'autant plus qu'elle savait bien que ce dernier était déjà pressenti pour accéder à la charge de Seigneur de la Mer avant même le trépas de Ferrego Antaryon. Mais en face, c'était Rhysand, alors, évidemment ...

À l'annonce de la nouvelle, un bref instant, qu'elle refusait de reconnaître avoir duré plus d'une fraction de seconde, la jeune femme s'était mise à songer à ce qu'auraient pu être les choses si, quelques années auparavant, alors qu'elle avait 16 ans, la potentielle proposition de mariage avec la Famille Fregar avait abouti ... Elle n'avait jamais trop su qui aurait été l'heureux élu, si les choses s'étaient faites, puisqu'elle s'était de suite braquée et insurgée, ce qui avait coupé court à tout, mais il était évident que cela aurait pu avoir son impact, présentement. La réalité était donc que, visiblement, la Banque de Fer avait fait son choix, et que les Antaryon se refusaient encore et toujours à lâcher le morceau, agrippés à leurs convictions comme un chien sur sa barbaque avariée. Aucune de ses œillades ni de ses sourires ne seraient suffisants à faire renoncer Tormo. Même si elle ne doutait point du fait qu'elles puissent tout de même lui faire de l'effet, comme cela avait semble-t-il toujours été le cas, auparavant, là où il ne s'était jamais vraiment privé pour se tenter à lui rendre la pareille. Sans qu'elle ne lui succombe jamais vraiment. Et dans le même temps, Nesaleah ne pouvait confronter directement son oncle, toujours terré au sein du Palais du Seigneur de la Mer. Pour ne rien simplifier, les oreilles et petites mains sur lesquelles les Prestayn pouvaient compter au sein des ports de Braavos ne leur avaient encore rapporté aucun retour du fils prodigue qu'était Nymeros, rendant donc impossible toute tentative de la jeune femme de tenter ... De tenter quoi, d'ailleurs ? De jouer avec le feu en se risquant à laisser fuser d'entre ses lippes quelques promesses que son cousin aurait beau jeu de lui en réclamer la réalisation ? De s'abaisser à le supplier d'intervenir et de faire entendre raison à son insensé père ? Ou, pire, de lui révéler cette vérité qu'elle se refusait encore à voir en face ? Au point où elle en était, seule l'intercession des Dieux, quels qu'ils soient, lui semblait presque être l'unique issue viable de cette guerre civile de plus en plus pesante. Il fallait prier pour que le plus de déités possibles puissent se ranger du côté des Prestayn, le tout avant que le sang n'en vienne à remplir l'eau dans les multiples canaux de la Cité Libre qu'était censée être Braavos. Prier, également, pour que l'issue, si elle n'était point celle désirée, ne soit pas la plus douloureuse possible.

Nesaleah ne souhaitait en rien y perdre son frère, lui qu'elle voyait chaque jour un peu plus maudire leur oncle par alliance, et, par extension, toute sa famille. Lui qu'elle sentait lui échapper, du moins, en partie, maintenant que la puissance de ses ambitions et de son désir ne se focalisait plus uniquement sur elle. Elle ne se faisait point amante jalouse et possessive, ou peut-être que si. Peut-être que ce n'était qu'un nouveau stratagème de sa part pour cacher le vrai fond de sa pensée. Elle n'était en rien une hase de six semaines, ayant l'habitude et l'expérience des jeux de dupe et de charme, mais les enjeux lui apparaissaient soudainement si conséquents ... Dès lors, de l'aide ne serait pas de refus, la menant à emprunter un chemin qu'elle avait déjà parcouru, plusieurs lunes en amont, alors qu'elle n'en était encore qu'aux prémices de sa seconde grossesse. Alors que les doutes l'assaillaient quant à l'identité du père de son enfant mais qu'aucune confirmation de visu ne lui avait encore été permise. Mais cette fois-ci, danger et tensions obliges, elle avait pris la peine d'estomper au maximum tout signe extérieur qui en viendrait à trahir son identité, de sorte à ne pas attirer l'attention sur elle jusqu'à ce qu'elle soit parvenue au Temple de R'hllor. Elle s'était aussi bien gardée d'informer Rhysand, ou qui que ce soit, d'ailleurs, de ses intentions. On l'en aurait empêché, en arguant qu'elle se risquait à ce que leurs Ennemis puissent vouloir lui mettre la main dessus afin d'exercer quelque chantage. Fort heureusement, elle n'avait pas l'impression d'avoir été suivie ou reconnue alors qu'elle pénétrait dans le Temple, s'adressant à la première prêtresse qui vint à sa rencontre. “ J'aurais besoin de m'entretenir avec l'une de vos ... consœurs ? Elle est brune, de votre taille et stature, et ... ” Et en fait, elle portait une robe rouge, comme elle, car à vrai dire, elle lui ressemblait. Se ressemblaient-elles toutes ? Jetant un regard alentour, Nesa' espéra que R'hllor, s'Il voulait intercéder, puisse faire en sorte que la prêtresse en question la rejoigne. Ou quelque chose comme ça. La jeune femme se fichait bien du comment, ou même du pourquoi, car seul lui importait que cela se fasse.

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À circonstances exceptionnelles, décisions exceptionnelles. Nesaleah était pieuse, mais pas plus qu'une autre, là où la religion n'était alors en rien un refuge ou une tanière où aller se cacher au premier coup de vent venu. Elle respectait les Dieux parce qu'elle n'était pas suffisamment sotte pour se montrer arrogante les concernant, là où Ils étaient bien capables de se venger d'une telle audace de sa part, ne serait-ce que pour protéger et défendre leur réputation. Dans un autre sens, la jeune femme ne voyait pas non plus obligatoirement dans chaque coup du sort du Destin la marque d'une main divine. Il s'agissait donc d'un juste milieu, un peu comme dans tout dans la vie. Rien n'était ni entièrement noir, ni entièrement blanc. Mettre du sucre dans un gâteau ou des épices dans un plat ne demeurait agréable qu'en gardant la juste mesure, sans avoir la main trop lourde au risque de rendre la chose immangeable et de la destiner tout droit pour la poubelle. Cependant, la fadeur n'était pas mieux, et il ne fallait donc pas faire zèle de prudence par crainte de commettre un faux pas ou de se montrer déraisonnable. Mieux valait-il, sans doute, avoir le regret d'avoir osé que celui d'avoir laissé quelqu'un d'autre s'approprier ce qui vous revenait. Ou quelque chose comme ça. Les pensées de Nesaleah se trouvaient quelque peu bousculées par les évènements et les circonstances actuels, en plus du fait qu'elle avait tout même accouché il y avait seulement quelques semaines, ce qui la laissait encore partiellement engourdie de l'effort et du périple qui l'avaient menée jusqu'à l'accouchement. Là où elle ne laissait pas si facilement que ça une autre qu'elle prendre soin de ses enfants. Une mesure de prudence, car il n'était point le moment d'exposer la vie de petits bouts si jeunes à un instant où les Prestayn étaient dans le coeur du cyclone et sortaient crocs, canines et griffes face aux Antaryon et, partiellement aussi, face aux Fregar. Et puis elle craignait aussi si fort qu'un regard trop scrutateur parvienne à lire dans les traits de Kaz des similitudes avec ceux de Nymeros ...

Finalement, sans doute se risquait-elle à avoir encore plus de questions à l'esprit, cette fois-ci, qu'elle n'en avait eu la dernière fois, alors même qu'elle apercevait s'avancer vers elle celle qu'elle était venue quérir. Elle la salua, d'un mouvement de tête sans doute un peu raide, non point par manque de courtoisie et de politesse, mais parce que la jeune femme sentait peser sur ses épaules tant de choses ... Elle ne se fit alors pas prier pour emboîter le pas de la Prêtresse de R'hllor, non sans sans doute quelque peu lancer des regards en coin, comme pour s'assurer que nul ne l'avait reconnu et que nul ne la scrutait, elle. Oui, décidément, son niveau de paranoïa avait sans doute sauter bien des échelons, là où tous les leviers de la situation n'avaient pas été actionnés de son propre fait. Si seulement pouvait lui permettre de se délester d'un peu de culpabilité ... S'installant face à la Prêtresse, la jeune femme tut en elle cette question brusque et sans doute bien décalée quant à son attitude général et au lieu. Non, elle ne lui demanderait pas comment elle l'avait reconnue si facilement alors qu'elle n'avait adopté qu'une coiffure somme toute basique, digne d'une jeune femme du peuple, et qu'elle ne s'était que maquillée avec légèreté, loin de son apparat habituel, donc. Nesaleah n'était pas là pour soigner son orgueil et sa vanité. Dans son esprit, la jeune femme préféra alors se souvenir de ce prénom qui lui était présenté, afin de savoir et de pouvoir s'en servir, au besoin, dans le futur. “ À vrai dire, je crains fort de me trouver dans une situation encore plus étriquée que la dernière fois que nous nous sommes vues ... La Guerre gronde au-dehors de ces murs, même si je me doute que, pour votre Dieu tout comme pour vous, cela ne représente pas réellement une menace. Mais il se trouve que je ne suis pas dans ce cas-là. Ma famille ... Ma famille est lourdement impliquée et concernée par les évènements, et les choses m'échappent. ” Elle ne pouvait ni oublier ni nier que le fait que Belicho se trouve être son oncle par alliance ne simplifiait en rien les choses. Sans que le conflit ouvert ne soit fratricide, il n'en demeurait pas moins que c'était oncle contre neveu ... Et peut-être, bientôt, cousin contre cousin ...

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Nesaleah ne manquait pas de self contrôle. Certains pouvaient la penser impulsive, ce qu'elle était sans doute tout de même un peu, mais son esprit surpassait son empressement. Cela tenait donc plus de l'environnement au sein duquel elle était née et au sein duquel, aussi, elle évoluait depuis toujours. Sans être une femme pourrie gâtée, elle avait tout de même toujours obtenu ce qu'elle désirait, à quelques très rares exceptions près. Dès lors, lorsqu'elle désirait quelque chose, elle ne s’embarrassait pas d'y réfléchir à deux fois, d'attendre ou de devoir négocier. Pour autant, à l'heure actuelle, elle avait l'impression que tout se transformait en grains de sable entre ses doigts. En ces petites choses censées demeurer insignifiantes mais qui s'avéraient plus qu'irritantes, en plus d'être insaisissables. À moins qu'il ne s'agisse de centaines de gouttelettes d'eau, comme si elle tentait d'enfermer au cœur de sa paume une poignée des eaux plus que partiellement insalubres des canaux de Braavos. Dans les deux cas, le résultat était le même. Et cela lui déplaisait fort, même si tout n'avait pas à voir avec la guerre civile ambiante, quoi qu'elle puisse en prétendre.

Elle avait beau jeu de mettre sa fatigue, ses traits tirés et tout ce qui s'en suivait sur le contexte politique interne. Au moins cela lui permettait-il d'avoir une bonne excuse pour ne pas avoir à être sondée plus en amont sur l’entièreté de l'inquiétude féroce qui la tenaillait. Elle avait perdu tous les kilos qu'elle avait pris lors de sa dernière grossesse, et voilà que maintenant, elle en était rendue à être passée sous la barre de son poids initial. Et cela préoccupait fort sa mère, qu'elle se refusait alors à voir ferrer les choses afin de mettre le doigt sur ce qu'elle pouvait faire pour aider sa fille. Et puis il y avait Rhysand ... Rhys', qui était des deux côtés un gros morceau du problème. Tant concernant la guerre civile que Kaz. Pour sûr, les choses étaient bien plus faciles et bien moins anxiogènes pour la prêtresse de R'hllor qui se tenait face à elle. Plongée dans la plus grande neutralité et détachée des réalités primaires et basiques de cette terre, elle n'avait sans doute d’œil que pour son dieu. Mais malgré tout, Nesa' ne pouvait lui envier sa place, du moins pas entièrement. Car la vie, au dehors, aussi bousculée et entrechoquée pouvait-elle être dernièrement, valait la peine d'être vécue. Elle n'adressa donc aucune remontrance à son interlocutrice, pas plus qu'elle ne la tança de se sentir entièrement extérieur à ce qui se déroulait hors des murs de ce lieu de culte. Elle comprenait. Et peut-être était-ce même ça qu'elle venait quérir, ne serait-ce que pour un instant seulement. Fermant les yeux et laissant ses mains être pressées entre celles de la prêtresse, elle lâcha un soupir qu'elle ne s'était pas exactement senti retenir. Sondant en elle une quelconque réponse claire et précise, elle n'en trouva rien, ou en tout cas rien qui ne possède des bords suffisamment précis pour se trouver distinguable du reste. Posant de nouveau les yeux sur son interlocutrice, elle chercha tout de même à ne pas lui indiquer qu'elle ne venait ici que pour leur faire perdre du temps à toutes deux. “ En toute honnêteté, les choses m'apparaissent bien confuses. Je suppose que je me suis dis que puisque vous avez su m'aiguiller, la dernière fois, de sorte à ce que je puisses me préparer, mon instinct m'a poussée à retenter la chose auprès de vous. ” Concernant Nileah et Kaz ... “ Pour ce qu'il en est de mes enfants, je n'ai pas oublié votre proposition, et je saurais m'en rappeler, si la situation l'exige. Mais pour le moment, je ne ressens pas encore qu'il y ait besoin d'en arriver à une telle extrémité. Sauf si la Fatalité est déjà penchée au-dessus de leur lit sans que je ne m'en sois rendue compte. ” Pour l'instant, elle n'en avait perçu aucun signe, mais elle n'avait pas deux champs de vision, elle, entre le terrestre et le divin.

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De nombreuses données différenciaient chacun des cultes présents à Braavos. Si Nesaleah ne les ignorait pas tous, elle n'était pas non plus en mesure de toutes les lister, n'ayant en rien effectuer la moindre étude théologique sur le sujet, pas plus que sa curiosité naturelle ne s'était déjà vraiment intéressée à tout ceci. Mais quoi qu'il en était, aucun culte religieux n'était connu pour éventer tout ce qui se disait au sein de leurs édifices tout autant qu'auprès de leurs officiants. Une façon comme une autre de toujours savoir qu'en franchissant les portes d'un lieu tel qu'un temple, on parfait d'emblée avec la certitude de ne point se voir trahir dans ses propos tout autant que dans ses objectifs. Une bulle rassurante et protectrice, en somme, à moins qu'il ne s'agisse plus simplement d'un havre hors du temps, avant que les turpitudes officielles et concrètes ne viennent vous rattraper dès lors que vous regagnez le monde réel.

Nesa' ne se leurrait pas et avait parfaitement conscience que ce serait de nouveau ce qui l'attendrait, dans quelques minutes. Mais elle préférait laisser ceci au-dehors, jusqu'à ce que cela ne soit plus possible. L'instant présent, de toute façon, exigeait qu'il en soit ainsi. “ En réalité ... En réalité, je ne sais même pas par où commencer. ” C'était un fait, une réalité, concrets, palpables et terre à terre. “ Je n'ai en rien l'âme d'une défaitiste, et partir au combat ne m'effraie pas. Du moins, cela ne m'effrayait pas jusqu'à maintenant, et sans doute est-ce dû au fait que les batailles que j'ai connu n'étaient alors que celles de l'esprit, de la diplomatie et de la stratégie. Pas de la guerre qui se réalise à coups d'épée. Les miens sont en danger, tout comme l'avenir même de Braavos, et cela me révulse tout autant que cela menace de me tétaniser. ” Elle ne pensait en rien accentuer et dramatiser les choses : à ses yeux, Belicho et ses ambitions n'étaient en rien bénéfiques à la Cité Libre, pas plus, évidemment, qu'ils ne l'étaient à la Famille Prestayn.

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Chacun avait ses propres motivations, ainsi que ses propres objectifs. Et chaque personne était un être unique, doué de son propre caractère, et mu par un certain mode de fonctionnement et de raisonnement. Ce qui était vu comme bénéfique pour les uns était une tare pour les autres, à moins que cela ne soit de ces choses qui ne fassent ni chaud ni froid. Et inversement, ce que l'on pouvait vouer aux gémonies pouvait être perçu comme salvateur et béni par d'autre. À partir de là, il devenait évidemment qu'un monde où chacun se trouverait satisfait était clairement inenvisageable, et que la moindre prise de décision soulèverait forcément des mécontentements, voire même pire. Sans nul doute la Cité libre de Braavos se trouvait elle présentement dans ce genre de cas de figure. Ce n'était sans doute en rien une nouveauté, et pourtant, Nesaleah en était toute bousculée. Sans doute parce que, jusqu'à maintenant, les eaux avaient toujours poussé l'embarcation de sa Famille dans la bonne direction, celle qui leur apportait renommée, gloire et profit. Et voilà que, maintenant, un obstacle se dressait sur leur périple. Et pas un moindre obstacle. Par delà le fait que l'action de Belicho contrevenait aux règles ancestrales qui régissaient l'élection du Seigneur de la Mer, non sans également bafouer ces mêmes règles, et bien ... Et bien il se trouvait que, pour le plus grand malheur des Prestayn, le patriarche des Antaryon se trouvait être lié à eux par les liens du mariage, voire même par les liens du sang pour la génération de cousins actuels à laquelle appartenait la jeune femme. Et même plus que cela, puisqu'il y avait Kaz, et le secret de sa paternité réelle.

Alors peut-être la prêtresse de R'hollor voyait-elle juste. Peut-être que Nesaleah avait tout autant fort crainte de perdre que de perdre des proches. Et dans la balance, elle ne savait trop lequel des deux plateaux était le plus chargé et lequel en viendrait à choir en premier. Et peut-être aussi y avait-il un troisième plateau, chargé, cette fois-ci, de la volonté de pouvoir garder la main-mise et le contrôle sur sa destinée. Celui-là, elle le connaissait déjà, en quelque sorte, puisque lorsque Rhysand avait disparu pendant toutes ces années, et qu'on l'avait même à tord et bien trop hâtivement déclaré décédé, la jeune femme avait eu le goût amer du désespoir en bouche, de la perdition, aussi, comme écorchée vive d'une partie de son corps, de son être et de son âme. La douleur se faisait ressentir moins intensément, actuellement, et les circonstances étaient bien différentes, certes. Mais, d'une certaine façon, elle sentait une nouvelle fois qu'on lui arrachait Rhysand, ou tout du moins une partie de lui, ce qui était assez paradoxal étant donné qu'elle pouvait le voir, le sentir et le toucher tout à son loisir. Lorsqu'il était présent au sein des Tours Ombreuses, s'entendait. “ Cela ne devrait pas se passer comme ça ! ” Son ton se fit quelque peu capricieux et boudeur, comme dans ces révoltes enfantines où on frappe du pied par terre et où l'on insiste pour ne pas être pris en tord et pour que les choses tournent à votre avantage. Alors même qu'elle n'avait plus 7 ans, et que, face à elle, la prêtresse devait peu se sentir concernée par tout ceci.

Nul vainqueur de ce tourbillon politique n'en viendrait à s'en prendre au culte de R'hollor. Les choses resteraient donc telles quelles en ce lieu et en ce culte ... Chaque jour continuerait de ressembler au précédent, de façon immuable. Même si cela n'empêcherait sans doute pas les personnes comme elle de pousser les portes du temple pour chercher réponses, aide, soutien ou même signe avant-coureur. Pour savoir quoi faire. Pour se préparer. Pour être prêt à réagir avant de ne pas ressortir perdant de tout ceci. “ Ce ... Ce n'est pas tant que je ne peux pas tout faire. C'est ... C'est que j'ai l'impression que je ne peux rien y faire du tout. ” À part, évidemment, soutenir les siens, mais cela, elle le faisait déjà, sans être suffisamment imbue d'elle-même pour se dire que cela pèserait dans la balance ou en viendrait à faire tourner les choses à leur avantage. À moins qu'elle n'en vienne à aller se jeter au cou de Tormo Fregar pour lui faire tourner la tête et pour obtenir de lui qu'il abandonne toute revendication, voire même qu'il en vienne à se rallier à Rhysand. Ce qui était évidemment impossible, à partir du principe où jamais Rhysand ne le lui permettrait ou ne le lui pardonnerait ... “ Égoïstement, j'aurais préféré que rien ne change. Je n'avais rien contre Ferrego Antaryon, il m'indifférait, tout au plus, mais il avait obtenu sa place légitimement. Certes, les derniers temps, on aurait pu se demander, à juste titre, s'il était plus mort que vivant, mais ... Mais Belicho, son frère et ... mon oncle ... ” Elle fut prise d'un frémissement de dégoût, ou presque. “ ... Belicho ne pouvait que se vanter, encore et encore, se prenant pour ce qu'il n'était pas sans encore vraiment essayer, justement, de s'accaparer ce qui ne lui revenait pas. Et maintenant, à cause de lui, il y a tant à perdre. ” Serrant les dents, elle serra aussi les poings, un instant, avant de se reprendre. Cette prêtresse n'était pas Rhysand, inutile de laisser couler son venin dans le creux de son oreille, et inutile, aussi, d'espérer être encouragée à continuer. “ Vous avez été de bons conseils, la dernière fois. Et votre Maître n'a en rien été duplique dans son message. J'espérais ... J'espérais que je puisses, une nouvelle fois, comptez sur vos lumières. À tous deux. Sans mauvais jeux de mots. ” Elle n'avait rien à perdre, après tout. Peut-être rien à gagner non plus, cela dit ...

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À bien des égards, Nesaleah pouvait s'estimer chanceuse d'avoir vu le jour au sein de la Famille Prestayn, où l'on n'avait pas de cesse de faire taire les femmes sous prétexte qu'elles étaient des femmes, et où on savait considérer à leur juste valeur. Mais la principale intéressée préférait se dire que c'était ici un dû, une juste rétribution vis à vis de ses compétences et de ses capacités. Si certains pouvaient bien estimer qu'elle se permettait bien des choses car elle évoluait sous l'aile protectrice de son père, Nesa', elle, connaissait sa valeur et estimait qu'elle n'avait que peu de rivales au sein de la jeunesse de Braavos. Peut-être le fait d'avoir vu le jour en compagnie d'un frère jumeau avait grandement simplifié les choses, pour elle. Parce que Rhysand était un jour destiné à endosser le rang de chef de la Famille Prestayn ainsi qu'à hériter des Tours Ombreuses et à en devenir le Légat. Ce qui avait sous-entendu qu'il reçoive une éducation digne de son rang et de ses futures responsabilités. Nesa', inséparable de lui, lui avait emboîté le pas, parfois en s'imposant, parfois en lui dérobant les ouvrages qu'il était censé lire, mais toujours en se montrant suffisamment vive d'esprit pour ne jamais se sentir usurpatrice de quoi que ce soit. Alors aujourd'hui, n'était-elle pas censée avoir le mental et les compétences cognitives nécessaires pour savoir quoi faire et ne pas se sentir prise au dépourvu, voire même acculée ?

Quoi qu'il en était, les paroles de son interlocutrices n'étaient en rien infondées. “ À qui le dîtes-vous ... ” La jeune femme était bien placées pour savoir combien les hommes de sa Famille savaient faire tonner leur voix tout autant que leurs désidératas ! Mais bon, tant qu'elle n'en était pas victime, ils pouvaient agir comme ils l'entendaient. La plupart du temps, elle en était l'une des grandes bénéficiaires. Là où elle n'avait pas besoin de s'interroger longuement pour savoir qu'ils ne pourraient lui être d'aucune aide si elle en venait à leur demander conseils quant à sa situation. D'un côté, ils pourraient, à juste titre, s'en sentir responsables. D'un autre côté, ils pourraient en venir à monter sur leurs grands chevaux en estimant que ce n'était pas à elle, mais à eux, de gérer les choses. Et puis, enfin, elle comptait bien s'éviter de leur part des questions auxquelles elle ne voudrait pas répondre ou qui se montreraient bien trop incisives. À ce titre, Rhysand était encore plus concerné que tout autre homme Prestayn. Il lui restait bien sa mère, mais la connaissant, elle se montrerait bien trop protectrice et se mettrait en tête de prendre toute la charge de sa fille sur ses épaules. Sa petite sœur, elle, était à préserver. Donc, le salut ne pouvait venir qu'en dehors des murs des Tours Ombreuses. Auprès de cette prêtresse de R'hllor, peut-être ? “ Il serait mentir que de dire que je n'y ai pas songé, ou plutôt de dire que l'idée ne m'a pas déjà effleuré l'esprit. Mais, vous avez raison d'estimer que ce n'est pas mon genre, là où cela aurait de toute façon son prix, en prestige tout autant qu'en réputation. ” Il n'empêche que, Braavos, sauvée de la déchéance et de l'apocalypse grâce à ses talents charnels ... Pour sûr, son con deviendrait le plus glorieux et prestigieux de tous !

Le rouge lui monta quelque peu aux joues, de fierté, et elle se redressa quelque peu, alors qu'elle s'entendait complimenter et vanter. En d'autres instants, elle ne serait pas sans se méfier de ce genre de flatteries, sans jamais toutefois les refuser, mais elle voyait difficilement ce que son interlocutrice aurait à y gagner, alors ... Être Reine, donc, plutôt que, un jour, zyrys ? L'idée était alléchante, à ceci près que Braavos n'était pas et n'avait jamais été une monarchie. Ce qui n'était peut-être pas un moindre mal : en Westeros, en un quart de siècle ou presque, les rois n'étaient-ils pas tombés comme des mouches ? Si elle souhaitait un sort semblable à son oncle Belicho, et ce, sans trembler, elle escomptait bien que son jumeau en soit préservé. Là où elle n'irait pas jusqu'à souhaiter non plus une telle fin à Tormo Fregar ... Cela ne réglait pas la question, donc, pas plus qu'elle ne pouvait fournir une réponse au questionnement de la prêtresse rouge. Du moins ne pouvait-elle pas le faire du tac au tac, elle qui ne manquait ordinairement pas d'aplomb et de répondant. Alors le silence plana quelques instants, lourd et pesant, presque oppressant, du moins pour elle. Et puis, finalement ... “ Pour mon frère, je serais prête à tout. Au risque que cela ne conduise à ce que Braavos soit mis à feu et à sang. Et tous les canaux de la Cité ne seraient alors pas suffisant pour éteindre le brasier, ou pour nettoyer les pavés de tout l'ichor qui viendrait à les imbiber. ” Peut-être même ce Temple ne serait-il pas à l'abri ...

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