[PORT REAL] Pour l'amour d'une sœur, je mettrais les barrals en pleurs (pv Bethany)

Maladroitement, Brynden avait tenté de rédiger une missive pour Corneilla. De simples nouvelles de leur bonne santé, à ses frères et leur sœur, et lui aussi, un peu – quoique sa mère se souciait moins de lui que de ses autres enfants. Mais il savait que sa lettre était bourrée de fautes, des erreurs stupides qu’il ne pouvait laisser ainsi. S’il envoyait un corbeau porteur de tant de fautes, sa mère le lui reprocherait à coup sûr. Elle lui reprochait toujours tout, après tout. Alors Brynden regarda le ciel, noir de nuit, et espéra que Bethany soit encore éveillée.

Le papier froissé dans sa main, il quitta ses petits appartements du Donjon Rouge et franchit les quelques pas qui le séparaient de ceux de sa tendre sœur. Il ne voulait pas la déranger mais depuis que leur père avait été emprisonné, les Nerbosc se souciaient bien plus les uns des autres, et l’idée d’ennuyer la pauvre Alicent à grands coups d’angoisse était impossible.

Bethany comprendrait. Elle avait toujours tout compris de lui. Elle n’était pas comme les autres Nerbosc, la voix pleine de reproche et les mots cruels. Pas envers lui. Elle était toujours si douce, si généreuse, sa petite princesse à lui.

Alors il toqua doucement, une fois puis deux. Et il entrouvrit la porte, passant la tête dans l’entrebâillement et appelant doucement.

— Bethany ? Ma précieuse ?

La voix tendre, comme il ne l’offrait qu’à elle et Taela, il fronça les sourcils en se confrontant au silence. Il avança une chandelle dans la pièce pour vérifier que sa cadette dorme bien, mais se rendit à l’évidence face à la couche vide : Bethany ne dormait pas, pire, elle était absente de sa chambre. L’Ours ne réfléchit pas un instant de plus, il réagit dans l’urgence et retourna à ses appartements, s’arma de sa lourde épée, et partit d’une marche affirmée à travers tout le Donjon Rouge.

Les couloirs étaient si silencieux, la nuit, lui rappelant presque le calme de Corneilla quand son père ne lui hurlait pas après. Le Riverain appelait, à voix basse, le nom de sa sœur, priant qu’il ne lui soit pas arrivé malheur. C’est au hasard de ses pas qu’il trouva le bois sacré du Donjon Rouge. Il se surprit d’y entendre des oiseaux et d’y découvrir des plantes qu’on ne trouvait pas ailleurs.

Un sourire mauvais barra un instant ses lèvres en découvrant l’immense chêne qui faisait office de barral. Ces enfoirés du sud n’avaient même pas de quoi prier décemment les Anciens dieux. Brynden passa près de l’arbre, effleura le bois du bout des doigts. Et son sourire disparut quand il découvrit Bethany, toute proche. Il s’approcha vivement d’elle et prit ses mains.

— Ma Beth, tout va bien ?

D’une main pataude, il effleura son doux visage et lui sourit avec tendresse. Elle était sa perle, à lui, il ne tolérerait jamais qu’aucun mal lui soit fait. Alors la perdre ainsi, en pleine nuit, dans un lieu si hostile que le palais des rois… C’était impensable. Tout bonnement impensable.

Brynden ne pouvait s’en empêcher : toujours s’inquiéter pour les femmes de sa vie, sa sœur ou sa petite Taela, et même leur mère – quand bien même il prenait un malin plaisir à contrarier son autorité et l’éducation qu’elle avait tenté de lui inculquer. Il avait toujours été un mauvais héritier, ferait un jour un piètre seigneur, mais il se pensait bon frère et bon père. Même s’il partait souvent en vadrouille, il n’abandonnait jamais ses tendres princesses, il leur revenait toujours. Alors, ici, dans ce palais où Hoster avait été emprisonné des années, il ne pouvait qu’être anxieux de la disparition de sa sœur.

Et même si il se taisait souvent par rapport à sa foi, lui qui était croyant sans jamais trop pratiquer, il se rassura de la trouver à l’abri de leurs dieux. Quand bien même le visage qui marquait le chêne au centre du bois sacré n’était que la singerie des Anciens dieux, au moins elle était comme chez elle ici.

Quand il la rejoignit, Bethany s’excusa aussitôt et Brynden la rassura d’un sourire : il ne lui en voulait pas le moins du monde. Lui qui jouait si souvent les gros bras, qui s’amusait de sa taille gigantesque pour terrifier tous ceux qui lui tenaient tête, il se parait de douceur quand c’était pour sa douce Beth. Elle sourit, alors lui aussi. Mais la larme qui suivit fit revenir l’inquiétude comme un tenace vent d’hiver.

Il la regarda, intrigué, rêvant de savoir quels malheurs troublaient sa princesse. Si un chevalier l’avait éconduite, si une pétasse l’avait moquée ou quoi qu’il lui soit arrivé, il ferait payer au coupable. Il pensa son visage à la barbe hirsute sur elle, posa un baiser sur son front.

— On rentrera bientôt à la maison. Et on ira chercher Père.

Une promesse qu’il se savait ne pouvoir tenir à coup sûr. Parce que ce petit con d’Edmure Tully pensait pouvoir leur faire payer ainsi aussi longtemps qu’il le souhaiterait, tout ça pour asseoir sa ridicule autorité. Il aurait dû savoir, ce connard, que la haine entre Nerbosc et Bracken finirait par éclater. Il aurait dû savoir et réagir avant que Tytos ne tue Jonos. Et maintenant, lord Nerbosc pourrissait dans les geôles de Vivesaigues.

Brynden se mettait dans des colères noires chaque fois qu’il recevait une nouvelle missive de son suzerain, lui refusant encore et encore la libération de son père. Peut-être Tytos n’avait-il jamais été un très bon père avec lui, il restait son père et son seigneur. Et l’Ours, bien mauvais dans ses nouvelles fonctions, avait diablement besoin de lui.

Il balaya la question de Bethany d’une secousse de la tête, préférant se reconcentrer sur la larme qui n’était pas passée inaperçue.

— Dis-moi ce qui te tracasse, princesse.

Un chuchot sur les lèvres penaudes du fier Ours – il perdait crocs et griffes quand il s’agissait d’envelopper de douceur sa petite sœur.

Les dieux les entendent, oui, il l’espérait de tout son cœur. Parce que si ses relations avec Tytos avaient toujours été mauvaises, Brynden restait un fils qui aimait son père et l’admirait d’une certaine manière. Leurs constants désaccords et leurs visions bien différentes de la vie ne pourrait lui retirer ça. Il avait été ce gamin naturellement plus soldat que leader, un peu balourd mais toujours profondément soucieux et compatissant quand lord Nerbosc était un homme glacial et rigide, très attaché à l’honneur. Brynden, lui, s’en fichait bien de l’honneur s’il pouvait faire le bien.

Comme sa sœur, il leva les yeux sur le grand arbre. Il n’était peut-être pas un vrai barral, mais peut-être les Anciens dieux pouvaient-ils tout de même les regarder et les entendre. Il l’espérait, en tout cas. Car les Nerbosc, brisés à la guerre, avaient plus que jamais besoin d’eux.

Il baissa ensuite son regard sur la douce Beth, qui tarda à répondre. Et lorsqu’elle le fit, Brynden, qui la connaissait par cœur, lut aisément qu’elle lui mentait – du moins, qu’elle ne disait pas toute la vérité. Il passa un doigt sous son menton pour lui faire lever la tête, croisant leurs regards avec sérieux tandis qu’elle cherchait à fuir ce contact visuel.

— Dis-moi ce qu’il y a, Beth. Ne me mens pas.

L’inquiétude enflait de nouveau en lui et son regard le trompait sans doute – il n’avait jamais été un politique, un menteur moins encore. Il ne savait pas feindre les émotions, ni dire des contrevérités avec aplomb : à quoi bon quand il était incapable de fabuler avec sérieux ? Un homme franc derrière le visage de l’Ours, il était toujours fidèle à lui-même.

Il reprit dans un chuchot, la voix douce et grave pour cette petite sœur qu’il avait toujours juré de protéger coûte que coûte.

— Tu sais que tu peux me parler à moi. Je ne suis pas Lucas, mais je ne suis pas Père non plus. A moi tu peux tout me dire, Beth, je suis ton frère.

Un fin sourire pataud sur ses lèvres, toujours un peu maladroit, mais ce visage-ci, rares étaient les personnes à pouvoir le voir. Il assumait généralement mal son côté si doux, il fallait dire qu’il valait mieux pour lui d’afficher au monde un visage de grosse brute insouciante en public : ainsi, le nom Nerbosc valait toujours quelque chose et il pouvait semer auprès des autres ou la peur, ou le respect, même en dépit de ses nombreuses frasques.

Sous la nuit et sous le barral, il n’attendait qu’une chose de sa douce Beth : qu’elle trouve le courage de lui dire ce qui la tracassait. Car lui ferait tout pour défendre son honneur à elle.

Le sourire de Brynden s’effaça quand Bethany se remit à parler. Prête à avouer enfin ce qui troublait son esprit. Le doigt sous son menton se rétracta comme son poing se serra avec force. Le regard de l’Ours trembla, s’emplit de larmes de rage. Il se mit à frémir, tout son corps vrombissant sous la colère sourde qui l’agitait soudain. Ses dents crissèrent, sa mâchoire craqua, il se redressa pour faire quelques pas égarés sur le côté. Sa sœur avait enduré ça, tout ce temps, seule ? Quelqu’un lui avait fait du mal et lui n’avait rien su faire.

Il n’avait pas même su ce qu’elle lui cachait.

Figé par l’ire brûlante qui le traversait, il laissa exploser sa rage d’un violent coup de poing dans le tronc du chêne. Et un autre encore, trois coups en tout – il ne prit même pas la peine de regarder son poing écorché par l’écorce du bois. Son souffle erratique faisait se soulever ses épaules exagérément, et maintenant son esprit criait vengeance.

— Qui…

Il murmura ces mots d’abord, tout doucement, avant de hurler :

— Qui, Beth ? Un de nos hommes ? Ou un fils de pute des Bracken ?

Le doux et placide Brynden était maintenant éteint, laissant place à l’homme brutal et qui n’appelait qu’à la justice. Et si l’enflure d’Edmure ne la lui apportait pas, il s’en chargerait lui-même. Et sa justice serait sanglante, il mourrait pour cette petite sœur qu’il n’avait pu protéger.

Ses cils bordés de larmes enragées, il se pencha de nouveau vers Bethany, prit son visage en coupe pour la regarder droit dans les yeux.

— Dis-moi qui a fait ça et je l’étriperai de mes mains.

Il posa encore un baiser sur son front, plus pour qu’elle ne voie pas ses larmes plutôt que par seule affection – il cilla pour chasser les pleurs de colère, recroisa de nouveau leurs regards. Ses grosses mains maladroites caressèrent le visage de sa tendre sœur, écrasant ses larmes du pouce et repoussant ses cheveux pour mieux la voir, mieux lui promettre.

— Nous rentrerons bientôt à la maison, ma princesse. Et nous irons chercher Père, avec une armée s’il le faut mais nous le ramènerons chez nous. Et celui qui t’a fait ça, je te le jure, je serai le dernier visage qu’il verra avant que je ne le saigne.

Bethany faillit réussir. Par ses mots forts et vrais, par l’aplomb dans sa voix. Elle faillit convaincre Brynden de se taire et d’accepter. De fermer les yeux sur l’horrible incident qui pouvait ruiner la réputation et la vie de sa tendre Beth. Mais la colère était un monstre terrible et lorsqu’il se mettait à rugir au fond de Brynden, il ne déméritait pas son surnom d’Ours du Trident. Parce qu’il n’était pas juste cet ivrogne, homme à putains et client de tavernes. Il était aussi le guerrier, le soldat qui avait toujours vaillamment combattu.

Il en avait vu, des combats. En 299, il s’apprêtait à fuir quand l’appel des Tully fut entendu. Il avait rejoint l’ost. La bataille du Bois-aux-Murmures, le sac de Cendremarc, la bataille de la Jaunefurque, puis du Moulin-de-Pierre… Et bien après, la terrible bataille de Winterfell. Avait-il cédé ? Était-il mort ? Non, bien sûr que non – Brynden avait vécu, il avait survécu.

Alors craignait-il quoi que ce soit face aux fils de pute qui avaient brisé sa sœur ?

Il restait muet, incapable de répondre tant il était envahi par la haine. Il n’en voulait pas à sa tendre Bethany, il n’aurait jamais su lui en vouloir de quoi que ce soit. Mais comme il abhorrait l’homme qui lui avait fait ça. Et les Bracken plus encore.

La suite vint alors comme une vague déferle et emporte le navire : il n’y avait plus de possibilité de se taire et de souffrir en silence. La mention de Taela fut de trop. Les larmes commencèrent à rouler sur ses joues, l’Ours ne contrôlait alors plus sa rage. On avait voulu s’en prendre à sa fille, son sang, et finalement on avait souillé sa sœur.

Etrangement, il n’y eut plus de violence dans ses gestes tandis qu’il revenait vers Bethany. Il s’accroupit près d’elle, se mettant à sa hauteur, prenant ses mains avec douceur. Il les caressa doucement du pouce, ancrant leurs regards sans plus se cacher de ses larmes de rage. Sa voix se fit claire, une vraie promesse, de celles qu’on scelle finalement dans le sang et l’acier – car il ne parlerait plus aucun autre langage tant que justice n’aurait pas été faite.

— Je les tuerai tous. Je ne peux pas te promettre de laisser couler, Bethany. Quand nous rentrerons, je lèverai l’ost. Je trouverai des alliés puissants et qui eux connaissent l’honneur, le vrai, celui qui consiste à ne pas s’en prendre à des petites filles. Je vais monter une grande armée et je vais aller chercher les Bracken par la peau du cul, je les massacrerai tous un par un et si ce chien de Tully ne nous rend pas Père, j’irai le chercher moi-même.

Ses mains pressaient plus fort la peau fine de sa sœur, inconsciemment, il cédait tant à la rage que ses grosses paumes écrasaient celles, minuscules en comparaison, de Bethany.

— Je vais leur faire payer les atrocités commises. Ils le payeront de leur vie et ça c’est non négociable. Aux filles je ne ferai rien, pour leur prouver que contrairement à eux je suis un homme, mais pour leur fils je n’aurai pas la moindre pitié.

Il lâcha brusquement Bethany, remarquant seulement que le sang sur ses mains avait taché celles de sa sœur aussi. Il massa ses phalanges ouvertes, continuant de trembler, furieux. Son père l’avait toujours pris pour un lâche, un bouffon, un homme incapable de protéger l’honneur de sa famille ? Cette fois-ci il lui prouverait le contraire.

— Nos frères doivent savoir, lâcha-t-il. Je veux qu’on leur dise, et je veux qu’ils soient avec nous. Cette guerre, ma puce, elle sera pour toi. Pour laver ton honneur. Et plus personne ne te fera alors jamais de mal, car tous craindront la fureur du nom Nerbosc. Tu comprends ?

Heureusement que Bethany était là, toujours. Parce que l’Ours si souvent placide et bon vivant, plus apte à rire grassement qu’à rugir, quand il s’enrageait, entrait dans des colères noires. Et celles-ci tonitruaient plus qu’un millier de ses rires. Alors sa douce sœur, elle, savait poser des mots sages au creux de son oreille et le tempérer un peu. Elle avait raison : courir à la bataille sans avoir d’abord un plan, c’était risquer la ruine pour leur famille.

Brynden parlait bien peu de son frère Lucas, lequel était mort aux Noces Pourpres. Et il évoquait rarement aussi leur frère puîné, Robert, mort durant le siège de Corneilla. Il les chassait comme des fantômes dont il ne voulait pas se souvenir, pas par manque d’amour mais bien parce qu’il se sentait coupable de leur perte à tous deux. Ça aurait dû être lui aux Jumeaux, cette terrible nuit où Edmure Tully s’était lié à la catin de Frey. Pas Lucas, lui.

Et il n’enverrait pas à la mort un autre de ses frères. Brynden pouvait se montrer moqueur et il titillait souvent ses cadets à l’excès, au fond, sa famille comptait plus que tout pour lui. Alors non, aucun de leurs frères ne mourrait dans cette guerre.

Les mots de Beth furent durs, forts : s’il se lançait dans cette guerre, il n’avait d’autre choix que de la gagner puis de rentrer. Pas le choix. Fixant sa jeune sœur, Brynden hocha doucement la tête. Un maigre sourire aux lèvres pour la rassurer, il promit :

— Tu as raison. Et je te le jure, Beth. Je te le jure devant ce barral, même s’il n’en est pas un – les Anciens dieux m’en soient témoins, je protégerai notre famille. Toi, nos frères, Taela. Je ferai preuve de patience, de mesure, je ferai tout ce que j’ai échoué à faire pendant des années. Et la guerre finie, nous rentrerons à la maison.

L’Ours invoquait rarement ses dieux. Il y croyait, pratiquait quelques rites, mais jamais avec une grande assiduité – pourtant, quand il implorait leur aide et leur clairvoyance, quand il prononçait leur nom et les prenait en témoin, c’est qu’il était on ne peut plus sérieux. Il l’était cette fois-ci, ayant juré de rendre à son nom, à son sang, l’honneur qu’on avait arraché.

S’il était chevalier devant les Sept, Brynden était un homme devant les barrals. Et il était maintenant prêt à renoncer à cette liberté pour laquelle il avait tant bataillé pendant des années, devenant enfin Nerbosc comme l’avait rêvé son père, si cela pouvait venger sa sœur.

— Si tu es d’accord, nous dirons tout à nos frères à notre retour à Corneilla. Et à ce moment-là, nous irons quémander l’aide de nos alliés à travers le Conflans. Quand Edmure se réveillera avec une armée encerclant son château, peut-être entendra-t-il enfin nos réclamations. Et ils paieront tous pour le mal fait à notre famille, Tully, Bracken, Frey, ils apprendront de quel bois nous sommes faits.

Mille yeux et un, pouvait-il entendre le mestre de Corneilla lui répéter, quand il était petit. Eux étaient solides, tout faits des barrals, et Brynden comprenait enfin la voie que son père avait toujours souhaité lui inculquer. Il était prêt à la suivre.

Bethany voulait sans doute le rassurer, elle voulait sans doute effacer la culpabilité qui rongeait l’Ours. Car il ne disait jamais rien de son trouble, celui d’être un mauvais héritier. Il pouvait se donner des airs d’insousciance, il pouvait faire semblant devant tous : avec le rire tonitruant et le sourire revêche. Mais même s’il était ce bon vivant qu’il montrait toujours à tous, même si ce visage-là était réel, Brynden aurait aimé pouvoir être plus. Il aurait souhaité être plus sérieux, comme le fut Lucas, comme l’était Hoster. Il se reposait toujours sur sa fratrie, comme s’ils allaient rattraper toutes ses bourdes.

Pas cette fois.

Il eut un sourire tendre vers sa petite sœur. Il aurait tant voulu la protéger plus de ce monde, c’était pourtant l’un des rares objectifs de sa pauvre vie. Et ça aussi, il avait échoué. Elle ne l’empêcherait pas de se sentir coupable.

— Si je n’avais pas été un sale ivrogne, c’est moi qui serais allé aux Jumeaux ce soir-là. Lucas serait toujours là. On sait tous qu’il y a pris ma place parce que j’étais incapable de faire bonne figure. Et je suis meilleur combattant que lui ne l’était… J’aurais peut-être pu me défendre. Peut-être même aurais-je pu sauver le petit con de Stark ?

Un bref rire amer, tout était possible avec des "si". Il avait été fidèle à la cause de Robb mais avait vu son arrogance. Un jeune loup, son surnom le disait bien. Imprudent et se croyant au-dessus des lois. Le vieux Frey l’avait trahi comme le roi du Nord l’avait trahi, mais la finalité avait été bien plus rude… Et la méthode plus sale. Pour autant, Brynden ne cautionnait en rien cet événement. Moins encore quand son frère avait été tué.

Lucas et Brynden avaient toujours été en compétition. Parce que Lucas était après lui le plus âgé des frères, et qu’hormis au combat, il excellait dans tous les domaines qui faisaient défaut à l’héritier.

Désormais, c’était sur ses épaules que reposait l’honneur familial : celui de récupérer son père de gré ou de force, et de venger sa sœur et sa fille. Toutes les deux avaient vu leur honneur bafoué, la première la vertu arrachée, l’autre la pureté de son regard d’enfant.

Mais Bethany lui faisait confiance pour cela, le prouvaient ses mots. Brynden lui sourit encore, dans toute sa douceur de frère. Il hocha la tête.

— Nous lèverons autant d’épées que possible et nous défendrons ton honneur mais pas que – celui de notre famille. Dès que nous rentrerons, je chevaucherai à Salvemer réclamer l’aide de notre oncle. J’irai ensuite à Beaumarché et à Château-Rosières, je trouverai le moyen de rallier les Desdaings et les Piper à notre cause. Si je parviens à rallier les grandes maisons du Conflans, alors peut-être Edmure nous écoutera-t-il enfin.

Son sourire avait disparu sur ces mots.

— Et les Bracken, j’en ferai mon affaire.

Car l’Ours pouvait bien danser et semer les rires, à son rugissement, toute la forêt se cachait.

Il était le meilleur d’entre nous – les mots furent un poignard dans le cœur de Brynden et ce malgré leur véracité. Lui, n’avait jamais su être à la hauteur, tandis que Lucas excellait dans tout ce qu’il entreprenait. Il n’y avait au final qu’à l’épée que l’aîné des Nerbosc savait battre son cadet. Mais il fallait dire que Lucas, s’il n’avait pas son physique avantageux, avait lui aussi du talent dans ce domaine – et il avait quatre ans de retard sur l’héritier. A entraînement égal, Brynden aurait-il aussi surpassé son rival ? Il regrettait de n’avoir jamais dit à Lucas qu’il l’aimait, qu’il était son frère.

Toujours des moqueries, parfois même mesquines. C’était un rituel entre eux. Lucas lui avait lancé une énième pique avant de se rendre aux noces d’Edmure. L’Ours avait ri, un peu amer qu’on ne l’envoie pas lui pour les représenter. Il avait dit « on se reverra bientôt » et finalement, non, jamais.

Brynden n’avait jamais été digne d’hériter de Corneilla. De son père, il n’avait rien. La grande taille, tout au plus, même s’il dépassait maintenant Tytos d’une tête et demi. Mais maintenant il n’avait plus d’autre choix que d’être digne.

— Ton langage, Beth, grogna-t-il brièvement – il ne put s’empêcher toutefois de sourire un peu face à cette petite sœur qui grandissait bien trop vite. Mais tu as raison, sur toute la ligne. C’est Lucas qui aurait dû être à ma place à la tête de Corneilla. Mais je suis là. Moi, je suis en vie, et lui aussi je le vengerai. Il était le meilleur d’entre nous.

Il l’assuma d’une voix lourde, gorgée de regrets. Il reprit, plus bas encore.

— Et il me manque tous les jours. Robert aussi.

Deux frères enterrés, par la faute des Lannister, des Frey, des Bracken. C’était trop, bien trop. Il hocha lentement la tête aux mots de Bethany, s’en imprégnant autant que possible pour se donner du courage – car Brynden avait beau ne pas être lâche, il n’avait jamais fait ça auparavant. Prendre les armes de son propre chef, lever soi-même une armée…

Il apprendrait bientôt. Parce que cette fois, c’était trop. Assassiner deux frères ne leur avait pas suffi ? Ils avaient en plus souillé sa sœur et sali les yeux innocents de sa fille. Il ne laisserait plus passer la moindre exaction. Ils paieraient pour leurs crimes, tous. La Couronne ne l’aidait pas ? Tant pis, alors. Il mettrait le feu lui-même.

— Je ne peux pas promettre d’y arriver. Peut-être qu’une fois l’armée au bas des murs de Vivesaigues, Edmure exécutera Père. Je ne sais pas ce que je peux te promettre. Mais je ferai tout, tout pour que notre famille obtienne réparation.

Peut-être Tytos et Alicent auraient-ils enfin été fiers de lui à ce moment : il ne parlait plus qu’au nom de Nerbosc, et ce nom résonnait en lui comme un tambour de guerre. Il n’avait pas peur. Il mourrait pour cette cause. Peu sérieux, ivrogne, badin, il l’était – mais honorable il pouvait le devenir quand sa famille en avait besoin.