Deadly nightshade ▾ Brunhild Noirmarées

__ Le mouvement ne part pas de ton bras, mais de ton centre de gravité. Regardes.

Brunhild montra l'enchaînement des passes sur le mannequin pour la dixième fois au moins. Six coups de taille, d’abord à la tête, à droite puis à gauche, puis au buste de chaque côté et enfin  aux jambes. C’était un enchaînement de base, l’un des plus faciles et la blonde désespérait de voir Naseem progresser. La patience n'était pas non plus la qualité première de la Fer-Née, mais elle était tout de même consciente d’avoir affaire à une débutante. Ce n'était d’ailleurs pas la première qu’elle formait, mais la moins motivée, très certainement. Les femmes qui la rejoignaient avaient le plus souvent vécu des choses qui faisaient d’elles des tueuses dans l’âme. Elles n’avaient pas vraiment le choix d’ailleurs et elles savaient à quoi s’en tenir en rejoignant les rangs des guerrières d’élite de Noirmarées, les Élues du Noyé. Il était vrai que ce n’était pas le cas de la dornienne, elle n’avait pas vraiment choisi d’apprendre à se battre et ce n’était qu’à force d'insister que la Sirène Sanglante l’avait amenée sur ce terrain. Pourtant, elle était bien décidée à en faire une guerrière, pour que jamais celle qui lui avait sauvé la vie ne soit une victime.

Certes elle avait beau être une combattante depuis fort longtemps déjà quand elle avait été enlevée par Euron et cela ne l’avait pourtant pas sauvée des griffes du Choucas, mais elle avait survécu parce qu’elle avait cette force en elle et l’espoir de se venger et de défier son ravisseur pour le tuer. Jamais elle n’avait accepté son sort, jamais elle n’avait rendu les armes et jamais elle n’avait cessé d’être une guerrière, elle avait seulement cessé de s’appeler la Sirène Sanglante. Mais avoir été la captive d’Euron n’était pas ce qu’on retiendrait d’elle, oh non. Et ce même si elle n'avait finalement pas obtenu sa vengeance par le Fer-Prix. Quoi qu’il en soit, cela lui avait peut-être valu les pires tourments, de ne pas se laisser faire, de ne pas se soumettre, mais cela lui avait également sauvé la vie. Cela lui avait évité de devenir une victime. Mais Brunhild commençait à se demander si Naseem avait l'étoffe d’une guerrière.

La née Harloi avait été formée à la dure, d’autant plus qu’en tant que femme, elle devait absoluement faire ses preuves et gagner le respect pour ne pas finir en mauvaise posture. On raillait les faibles sur les Îles de Fer, mais les femmes qui prenaient les armes sans se montrer à la hauteur, on pouvait leur faire bien pire que cela. Alors elle s’en était pris plein à la gueule, on ne l’avait pas ménagée, seule sa volonté l’avait empêché de rendre les armes avant que son corps frêle ne prenne de la force et n’apprenne par cœur, chaque passe, chaque pas, malgré les bleus et les blessures. C’était toujours comme ça qu’elle faisait avec ces recrues, elle ne les ménageait pas, mais Naseem ne se rendit probablement pas compte que la Fer-Née n’était pas aussi dure et aussi violente avec elle qu’avec les autres à leurs débuts. Mais il n’y avait cependant qu'un seul moyen de faire sortir ses tripes à quelqu’un lors d’un combat : le frapper et lui faire mordre la poussière encore et encore, jusqu’à ce qu’il trouve au plus profond de lui, l’instinct du tueur.

Quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçut depuis sa fenêtre la silhouette de la dornienne devant le mannequin d'entraînement ce matin-là. Ainsi n’avait-elle pas renoncé ? Brunhild eut un sourire en coin, une pointe de fierté même. Mais après un coup mal dosé sur la tête du mannequin, elle lâcha la vit lâcher le bâton et s’effondrer. La guerrière inspira profondément et expira bruyamment. Puis elle fixa sa ceinture à sa taille, son baudrier sur sa poitrine et glissa ses hachettes dans les emplacements prévus à cet effet. L’épée surmontée d’une aventurine, les hachettes et les couteaux glissés dans le baudrier ne lui serviraient à rien, mais elle ne savait pas se parer autrement. Alors elle quitta sa chambre et rejoignit la lice.

__ Lèves-toi Naseem !

Fit-elle en arrivant d’un pas décidé et d’un ton sans appel. Elle rangea ses lames aiguisées sur le râtelier et prit un bâton. Brunhild ne craignait pas que la famille de Naseem débarque ici, ils seraient repérés depuis le large et les chances pour qu’ils arrivent à poser un seul pied sur Noirmarées étaient minces. Et s’ils le faisaient, les guerrières au boucliers ainsi que ses hommes sauraient les accueillir. Mais, même si elle voulait que la dornienne reste, même si elle voulait l‘aimer comme elle aimait les femmes de sa troupe, peut-être même l’aimer comme une fille, au fond d’elle, elle savait que la jeune femme ne resterait pas. Libre à elle de rester ou non, mais quand elle quitterait l'Île, elle saurait se défendre, foie de Sirène Sanglante.

__ La rage avec laquelle tu as frappé la mannequin, c’est la bonne énergie. Mais tu dois la canaliser, la concentrer. Ton mouvement part toujours de tes bras. Tes coups doivent être comme des cris. Ça part du ventre. Le combat, l'adversaire, ça se ressent.

Brunhild s’arrêta aux mots de Naseem. Combien de fois Euron l’avait torturée dès le petit jour ? Voir même au beau milieu de la nuit ? Elle avait arrêté de compter et elle préférait ne pas se souvenir. Elle répondit sèchement.

__ Je ne te maltraites pas ! Je t'apprend à survivre. C’est même toi qui me l’a demandé !

Pas du tout. Enfin avant que Nassem accepte cet entraînement, c’était Brunhild qui avait lourdement insisté. Mais dans sa tête, il ne faisait aucun doute que la dornienne voulait apprendre à se défendre, et même plus à se battre comme une véritable guerrière au bouclier. Aucun doute qu’elle intégrerait les Élues du noyé, l’unité d’élite qu’elle était en train de constituer et d'entraîner et qui se battaient bien plus vaillamment et violemment que la jeune femme. La voyant ainsi nonchalamment assise au lieu de se mettre sur ses pieds, Brunhild tendit son bras en grognant.

Mais la Dornienne se releva finalement sans l’aide de la Fer-Née et toisa le mannequin. Elle n’écouta pas vraiment ce que Nassem avait à dire sur son manque d’envie de tuer. D’ailleurs elle lui coupa la parole et dit :

__ Si, la tête c’est bien. Mais garde tes poignets souples et utilise le poids de ton corps pour frapper et tes appuis pour encaisser.

Brunhild lui montra le mouvement avec une épée en bois. C’était fluide et puissant, elle utilisait tout son corps pour frapper avec force si bien qu’elle fit une marque dans le bois, mais elle laissa ses poignets plier pour que l’onde de choc soit atténuée et ses pieds ancrés dans le sol ne faiblirent pas. Il fallait dire que la blonde avait plusieurs décennies d'entraînement à son actif et que son physique était forgé comme l’acier ce qui n’était pas le cas de Naseem. Mais cela viendrait. C’est alors que la jeune femme proposa une autre approche qui arracha une moue circonspecte à la Fer-Née qui ne savait ni fuir, ni même reculer. Elle grogna avant de regarder son élève de haut en bas puis de bas en haut, les bras croisés sur sa poitrine. Elle changea ses appuis et répondit :

__ Quoi ! Tu ne veux pas intégrer les Élues du Noyé ! Tu ne veux pas rester loin de ta famille qui veut seulement t’asservir et t'obliger à devenir une poule pondeuse ! Tu ne veux pas obtenir le pouvoir de les affronter !

Ça n’étaient pas des questions, le ton était celui d’une femme qui avait été contrainte de s’imposer dans un monde d’hommes pour mener la vie qu’elle voulait, à savoir celle d’une guerrière. Tuer ou être tuée, cela faisait partie de son ADN, le fer coulait dans ses veines, le sel d’un univers cruel était ce qui la faisait vibrer et le roc, sa force et ce qui lui avait permis de survivre, même dans les heures les plus sombres de sa captivité. Elle serra les dents et fronça les sourcils, jetant un regard sombre à Naseem avant de dire froidement :

__ Pour vivre libre dans ce monde en tant que femme, il faut être prête à tuer pour défendre sa liberté.

Elle se rapprocha de son élève et se radoucit quelque peu, la prenant par les épaules et la regardant dans les yeux.

__ C’est de ta volonté de rester libre et de mener la vie que tu as choisi que tu dois tirer la rage qui te permettra de vaincre. Si tu ne penses qu’à fuir, tu mourras. Si tu offres ton dos à l’ennemi, il te tuera. Ou pire… il te capturera.

Brunhild, entièrement dédiée à sa mission de sauver les femmes de ceux qui voulaient les asservir, n’écoutait pas Naseem, si tant est qu’elle l'ait jamais écouté. En effet, elle ne lui avait jamais posé de question sur son passé, rien, estimant que cela n’avait aucune importance et qu’elle l’accueillerait et l’entrainerait quoi qu’il en soit. Seulement parce qu’elle était une femme, seule, et elle l’aurait fait même si cette dernière ne lui avait pas sauvé la vie. Mais en plus, la dornienne lui avait sauvé la vie. Se pouvait-il alors qu’elle y mette encore plus de cœur ? Pas vraiment, elle avait fait de même avec toutes les femmes qui étaient venues frapper à sa porte. La seule différence finalement c’était que jamais la Qorgyle n’était venue frapper à sa porte. C'était le second de la Sirène Sanglante qui l’avait implorée d’aider sa capitaine gravement blessée dans un affrontement avec les pirates de degrés de Pierre. Mais la fièvre avait fait son œuvre, et également l‘obsession de la Noirmarée et sa forte tête que pour elle, c'était pareil et qu’elle devait sauver Naseem comme elle avait sauvé les autres.

Enfin, la blonde s’arrêta et prit le temps d’écouter son élève. Et alors, elle hocha la tête ne comprenant pas un instant ce qu’elle entendait par “je les verrais arriver”. Cela n’avait aucun sens pour la guerrière qui n’avait aucune notion de magie et qui ne croyait en rien à part en Le Noyé et en sa force. Évidemment quand Naseem annonça qu’elle ne souhaitait pas devenir une Élue du Noyé, la déception fut grande et Brunhild s’avachit quelque peu. Mais elle ne dit rien. Se contentant de grogner quand la jeune femme evoqua les Sept. Cela lui rappelait de mauvais souvenirs, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir sachant qu’elle n’était pas née Fer-Née. Elle ne pouvait pas lui imposer cette foi, malgré tous les Septons qu’elle avait noyé ou massacré, Naseem n’était pas Baelor, son fils chéri détourné du Dieu Noyé par ses maudits Hightower. Naseem n’avait pas vocation à prendre la tête de Noirmarées et à gouverner des Fer-Nés. De cela au moins, elle avait conscience. Inutile donc de lui dire que les Sept étaient de faux Dieux. Elle haussa les épaules, fronça les sourcils, changea ses appuis pendant que la dornienne lui racontait son histoire, en tout cas une partie. Elle leva un sourcil étonné en voyant les entailles sur les paumes de Naseem.

__ Les Maegi ?

Fit Brunhild avec une grimace. En Essos, beaucoup disait qu’elles étaient maléfiques, qu’elles pratiquaient une magie encore plus noir que celel de R”hllor. Elle avait vaguement entendu parler de cela, le sang conférant des pouvoirs.

__ Tu es une Sangmage ?

Croisant les bras, elle prit quelques distances avec son invitée et la fixa longuement. Elle avait un peu peur, mais le discours de Naseem la toucha, en tant que mère et en tant que femme. Sa propre fille aurait eu presque 27 ans si elle n’était pas morte en bas-âge. En y repensant, le cœur de la Fer-Née se serra et ses yeux s’emplirent de larmes. Une part d’elle était morte avec Joline. Elle avait perdu tous ses enfants désormais, alors oui, si elle pouvait à nouveau être la mère de quelqu’un, ne serait-ce que quelques temps, cela lui ferait du bien.

__ D’accord. Mais à mon avis, si tu dois aller rencontrer les Maegi, tu dois apprendre à te défendre. Elles sont dangereuses, et si ce n'est pas elles qui le sont alors se sont les Dotrakis, les danseurs d’eau et les gladiateurs de Meereen. Il faudra peut-être que tu en tues pour arriver à ton objectif, même si tu les vois arriver. Et puis ce n’est pas bon de te blesser les mains pour voir le futur, tu dois pouvoir tenir une lame correctement. Les entailles ici ont tendance à mal cicatriser parce que ça bouge tout le temps, tu devrais plutôt les faire sur les bras ou sur les cuisses. Une fois que tu seras prête à te défendre, je t’emmènerais à Essos, je te déposerais où tu veux. Mais tu as raison, je vais changer mes méthodes pour toi. On va travailler d’autres choses que le combat pur.

Elle rangea l’épée en bois et ne remit pas son épée dans son fourreau, ne gardant sur elle que ses dagues et ses hachettes.

__ Suis moi.

La Fer-Née écouta la jeune femme lui raconter un bout de son histoire et surtout, elle entendit son objectif. Elle pouvait l’emmener à Essos. Elle y retournerait certainement tôt ou tard, quelle qu’en soit la raison. Mais elle se refusait à la laisser sur ce continent avant qu'elle ait appris à se défendre, elle refusait de voir face à elle une morte en sursis, car elle doutait fort que ses pouvoirs la préservent de tout. Elle avait peut-être eu de la chance jusqu’ici, mais la blonde n’avait pas pour habitude de compter sur la chance.

__ Parfois, il n’y a simplement aucune raison Naseem. Mais je comprends.

Fit Brunhild après un temps de latence où elle resta à distance. Peur. Oui. La blonde n’aimait pas la magie, le peu qu’elle en avait vu ne lui avait jamais donné confiance. Mais Naseem l’avait sauvée et cela, elle ne l‘oubliait pas pas plus qu’elle n’oubliait qu’elle avait rêvé d’en faire sa digne fille. Mais ça, c’était désormais impossible. Mais ça n’empechait pas qu’elle l’aimait cette gamine un peu sauvage et que malgré ce pouvoir qu’elle n’avait d’ailleurs pas choisi d’avoir, elle restait une femme en détresse. C’était suffisant pour qu’elle ne la rejette pas immédiatement à cause de sa magie.

__ Quelques cours ? Cela fait plusieurs jours que j’essaye de t'aguerrir. Tu es la seule responsable si tu n’as pas davantage progressé, tu seras la seule responsable si tu te fais tuer.

Fit la Noirmarées après s’être soudainement arrêté en fixant la dornienne. La jeune femme se foutait vraiment de sa gueule parfois, mais elle n’était même pas enervée, plutot triste en vérité. Cela lui rappelait amèrement son fils, trop imbu de lui-même pour écouter sa mère et prendre conscience des risques qu’il prenait avec ces croyances à la con. Elle avait essayé longtemps, mais elle n’était pas parvenue à le sauver de lui-même, pas plus qu’elle n’avait pu le sauver d’Euron. Elle s'était longtemps sentie coupable, mais pas aussi longtemps que pour sa fille. Après tout, Baelor était déjà adulte quand il était revenu de Villevieille et d’ailleurs il ne s'était pas privé de lui rappeler que c’était lui le Seigneur de Noirmarées. Il était responsable de ces décisions et donc, il était responsable de sa mort. Alors il en serait de même pour Naseem, car Brunhild avait appris une chose au cours de toutes ces années, on ne pouvait pas sauver ceux qui ne voulaient pas l’être.

__ Les danseurs d’eau de Braavos sont les meilleurs bretteurs du monde. Et les gladiateurs de Meereen passent leur vie dans les arènes à jouer leur vie. Tu ne leur tendras pas tête, même moi je les évite, et il n’est pas impossible que tu ne parviennes pas non plus à les fuir. Mais Essos est plein de dangers, j’espère que tu sauras les contourner, mais tu dois le savoir avant de t’y aventurer.

Brunhild se fichait pas mal de l’air nonchalant de la dornienne, elle prenait ça pour de la confiance, de la confiance d’adolescente, certes, mais de la confiance. En était-ce vraiment ? En tout cas, même si son attitude avait toujours été nettement plus martiale, elle aussi s'était opposé à sa famille un moment avant d’avoir le droit de porter les armes, elle avait pour cela dû faire ses preuves, alors bon, qu’elle mette les mains dans les poches tant qu’elle le pouvait encore, car bientôt, elle ne pourrait plus. En effet. Brunhild l’emmena sur la plage et elle se mit à courir en lui expliquant.

__ Si tu veux vivre. Tu dois aiguiser ton corps et tes sens. T'entraîner. Tu refuses de tuer ? Tu veux apprendre à fuir ? Alors cours.

Certes Naseem ne portrait pas plusieurs kilos d’armure contrairement à la Fer-Née, mais la Fer-Née était bien plus affûtée depuis fort longtemps, elle ne craignait donc pas de fatiguer avant la jeune femme et ce malgré son âge. Elle avait commencé doucement et soudain elle accéléré sur une cinquantaine de mètres puis reprit une allure moins soutenue. C’était seulement le premier exercice, et Brunhild avait tout un tas d’idées nouvelles pour entraîner Naseem à la fuite.