[FB] Un voyage inoubliable [BRUNHILD NOIRMARÉES]

Dès le lendemain, la Marée Sanglante et trois autres boutres feraient voile vers Villevieille pour veiller sur la précieuse cargaison d’un riche armateur de l’ouest. Alors avant de prendre la mer, autant profiter un peu des joies de la terre ferme lors d’une soirée bien arrosée dans une taverne des bas quartiers. Pour éviter que ses hommes ne prennent quelques belles au Fer-Prix, Brunhild leur avait payé des putes avec l'acompte versé par le marchand. Beaucoup de guerriers étaient donc déjà bien occupés sur les navires ou dans les bordels de la ville. Mais les guerrières de Noirmarées et quelques-uns des hommes de confiance de la veuve étaient restées avec elle. La bière coulait à flot depuis un moment déjà à la grande table des Fer-Nés quand un nouveau groupe fit son entrée. Les murmures fusèrent dans le soudain silence qui s’était abattu sur la joyeuse assemblée. Tout le monde semblait connaître le Serpent, sauf, bien entendu, les Îliens qui se fichaient éperdument de ce qu’il se passait sur le continent excepté quand c’était suffisamment près des côtes pour leur permettre de rapporter un beau butin. Cependant, le changement d’ambiance soudain éveilla leur attention et Brunhild put entendre qu'une récompense était promise. Elle termina sa chope et la posait bruyamment sur la table quand l’un des hommes qui venait d’entrer lui adressa une boutade.

Erik et Laena se levèrent en réponse à l’affront. Leur cheffe posa sa main sur le bras du premier et lança un regard désapprobateur en direction de la seconde. Cela faisait longtemps que Brunhild Noirmées n’avait plus rien à prouver et qu’elle ne répondait plus aux insultes comme elle l’aurait fait dans sa jeunesse. Sagesse ou lassitude face à tant d’ignorance, peu importe, elle appréciait les bagarres générales, mais ce soir, il valait mieux l’éviter, elle avait besoin des siens frais dispos et entiers à l’aube. Elle se leva, révélant une armure de cuir clouté noir sur un gambison vert, épée et dague au côté, une hachette glissée dans la ceinture.

__ Tu verrais la gueule de l'autre...

Répondit-elle, le sourire aux lèvres, après plusieurs secondes.

__ C’est toi le Serpent ?

Il s’assit à leur table, bousculant au passage deux guerriers qui ne s’écartèrent, au bout du compte, que lorsque la capitaine de la Marée Sanglante leur adressa un coup de menton autoritaire. Et puisqu’il était là, elle versa de la bière dans deux chopes et lui en tendit une alors que le barde chantait, citant bientôt le serpent.

__ Dernière nuit à terre, hein.

Fit-elle en se rasseyant, levant bientôt un sourcil amusé à sa réflexion qui avait fait rire toute la table, surtout les guerrières au bouclier formées par la Sirène Sanglante.

__ Tu tiens ton épée avec ta bite toi ? J’ai hâte de voir ça.

Dit-elle en riant avant qu’il ne renchérisse en se jouant des hommes de Noirmarées.

__ Et toi tu pourras encore t'asseoir pour chier quand je t’aurais mis ta branlée ?

Rétorqua l’un des deux, faisant rire l’autre.

__ Trêve de plaisanterie, que ça te plaise ou non, nous allons devoir travailler ensemble gamin. Évite de me donner envie de te vendre à la Tarly.

Avec un sourire, elle tendit sa chope pour trinquer avec le dit serpent.

__ Ser ?

Fit Brunhild en recrachant à moitié sa bière tant elle était surprise par ce titre.

__ Oh putain, on a affaire à un putain de chevalier oinoint les gars !

Elle manqua de peu de dire ce qu’elle pensait des Sept, mais ce n'était pas le bon endroit pour pisser sur les faux Dieux des contres vertes. Et heureusement Erik lui rappela qu’Harras Harloi, son propre frère était également adoubé.

__ Mais Brunhild, ton frère…
__ Ah oui j'oublie tout le temps. Putain, ils adoubent vraiment n’importe qui.

L'atmosphère s’était quelque peu détendue, même du côté des plus fervents protecteurs de la guerrière qui ne souffraient que peu qu’on l’insulte, on riait à présent de bon cœur. Il y avait des sujets qui fâchaient et celui-ci en faisait partie, la triste vérité était souvent plus douloureuse qu’un mensonge éhonté. Sauf qu’il était assez peu probable que le Serpent sache de quoi il parlait et elle portait la plupart de ces cicatrices avec fierté, excepté celles infligées par Euron pendant sa captivité. Son visage portait effectivement les marques de la violence du Greyjoy, mais c’était loin d’être le pire.  

Brunhild était donc un peu moins encline à rire, mais la réponse d’Aenar à Pierik la fit exploser de rire et le Fer-Né se mit aussi à rire bruyamment, après un bref temps de ce qui aurait pu passer pour de la réflexion, mais qui n’était que le temps qu’il comprenne la phrase. Mais soudain alors que tout le monde riait, la menace à peine voilée de la Noirmarée jeta un froid côté mercenaires. L’un des hommes porta sa main à sa garde et plus par réflexe que par animosité Brunhild se saisit du manche de sa hache et Erik ainsi que Laena portèrent eux aussi la main à leurs armes. La grande blonde aurait préféré y aller aux poings, c’était plus amusant et nettement moins dangereux, mais à priori, l’adversaire avait envie de sortir sa lame. Aux mots d’Aenar, elle enleva lentement sa paume du manche en bois et attendit que l’homme ait lui aussi enlevé sa main pour reporter son attention sur son commandant avant de boire avec lui. Ignorant une fois de plus ses allusions, elle tendit sa main pour une poignée de main et dit :

__ Brunhild Noirmarée.

Dans une autre vie, la Sirène sanglante avait écumé les Sept Mers, prit ou coulé des centaines de navires, tué des milliers de personnes, pillé, abordé, razzié, noyé. D’abord avec Jansen, son bien aimé, qui l’avait suppliée de rentrer au bercail parce qu’elle perdait systématiquement les enfants qu’elle portait.  Puis sans lui, mais sans lui cela n’avait pas tout à fait la même saveur, le sang n’avait que ce gout métallique et l’adrénaline ne l’excitait plus autant et elle avait beau avoir des amants, réguliers ou pour une seule nuit, le sexe n’avait jamais été aussi bon qu’avec lui.

__ Ça rapporte plus et c’est moins long. J’ai plus vingt ans, on apprend à être pragmatique avec le temps. Mais j’imagine que tu n’as pas attendu aussi longtemps que moi pour le devenir, sinon tes gars te suivraient pas.  

La gloire, elle l’avait eue, mais elle n’était plus décidée à risquer sa vie et ses bateaux pour des clopinettes. Les pillages en Essos ou le piratage dans le détroit prennaient des mois depuis els Îles de Fer, des mois pendant lesquels il fallait se ravitailler sans garantie de revenu conséquent au bout du compte et s’il était rare que la capitaine de la Marée Sanglante rentre bredouille, cela était arrivé bien trop souvent que le butin, une fois partagé, couvre à peine les frais du voyage. Alors oui, après la guerre après les pertes subies et après sa fuite pour rejoindre Yara, après le pillage de sa demeure et de ses terres par Euron, après sa captivité et après la foutu paix du Roi qui les empêchaient de razzier les côtes les plus proches, elle devait remplir les caisses et faire fi du Fer-Prix et de l’Antique Voie. Chaque sortie devait rapporter et présenter un risque mesuré en fonction du gain. Mais si les marchands avaient tant besoin d’une escorte, c’était que la mer était dangereuse dans le coin, et elle n’y était peut-être pas pour rien. Il fallait de temps en temps que certains s’en sortent pour aller dire dans les ports qu’il valait mieux prévoir une escorte sans pour autant que le nom de Noirmarées puisse être prononcé.

Aenar était le commanditaire du convoi ? Surprise par cette nouvelle, elle ne put que réfléchir à l’opportunité qui lui était ainsi offerte. Sans le quitter des yeux, elle commença à compter les hommes au bouclier orné de l‘ouroboros. Il l’avait dit lui même, on se faisait bien plus d’argent en dérobant une cargaison qu’en l’escortant.

__ C’est ta propre cargaison ?

Brunhild hocha la tête en entendant Aenar essayer de soudoyer ses hommes, puis elle éclata de rire. Il semblait croire qu’il pouvait les acheter avec de l’or, mais tout ceux qui décidaient de suivre la Sirène sanglante étaient de fervents adeptes de l’Antique Voie, quelques pièces ou même un trésor ne les décideraient pas à abandonner Noirmarées pour une vie de mercenaire. Certes, la paix des Six Couronnes l’obligeait à revoir certains préceptes pour que tous aient une chance de survivre et même de continuer à s’enrichir malgré l’absence d'opportunité de pillages qui n’implique pas un voyage de plusieurs mois avant de toucher du doigt l’objectif et le moindre sous. Mais un jour cette paix volerait en éclat et à ce moment, elle serait là, et eux aussi. Cela dit, ils étaient tous libres de partir sur les routes avec le Serpent.

__ T’inquiètes, ils ont pas à se plaindre avec moi.

Les hommes acquiescèrent et continuèrent de boire en discutant, ne prêtant que peu d’attention au manège du jeune mercenaire. Les gamins en quête de gloire et de renom étaient légions, les véritables guerriers se battaient pour le goût du sang avant toute chose, ce qui différenciait la Sirène Sanglante de la plupart des autres Fer-Nés, c’est qu’elle aimait éviter de verser le sang de ses hommes pour rien.

__ On va tout droit. On avance en formation, ton bateau au centre. Aucun pirate n’arrivera jusqu’à vous. En fonction des vents, on devra peut-être se ravitailler à Crakehall et aux Îles Bouclier. Une fois à Villevieille on pourra chier sur leurs septuaire à défaut de leur chier dans la bouche.

Répondit-elle ensuite avec un sourire en coin.

__ Mais une fois que ta cargaison sera arrivée à bon port, si tu sais où trouver plus d’or, on peut venir avec toi vu que tu nous propose de nous battre avec toi. On répartira le butin équitablement entre chaque guerrier.

__ Ah d’accord.

De l’or plutôt que des pièces, pourquoi pas, mais Brunhild ne voyait pas l'intérêt, en plus à moins d’en avoir beaucoup et d’avoir assez peu d’hommes, c'était une gageure à répartir.

__ Oui, mais avant de passer les Degrés de Pierre, on fera une mise au point. Le trajet et la stratégie dépendront du temps et du vent. Je ne peux rien prévoir de fiable à l’heure qu’il est.

La Noirmarées avait déjà une idée de ce qu’elle pourrait faire en cas d’attaque, mais elle préférait ne pas avancer une stratégie qui ne serait pas adaptée aux conditions et elle avait besoin d’informations dont elle ne disposait pas encore.

__ Les Lysiens sont généreux en tout, je te conseille d’essayer leurs putes, elles valent le détour y paraît. Mais ils craignent les pirates des degrés alors ils payent bien effectivement.

Aenar annonça qu’il allait préparer ses hommes et prit congé en traitant Brunhild de trésor ce qui manqua de lui faire recracher sa bière. Mais ça aurait été du gâchis et elle n’était pas femme à gâcher la moindre goute d’alcool. Alors elle avala et sans remarquer le sourire du jeune homme, répondit :

__ Trésor… faut vraiment que t’arrêtes avec les surnom à la con gamin.

Il était tard quand Brunhild et ses guerriers rejoignirent leur bord. Et tôt quand ils se levèrent avec une légère gueule de bois mais néanmoins prêts à prendre la large. Nul besoin de longs discours, les marins savaient ce qu’ils avaient à faire. Un million de fois ils avaient ramés pour sortir d’un port avant de hisser les voiles pour profiter de la force du vent. Un millier de fois ils avaient avancé en formation et ses capitaines connaissaient leurs positions.

La Fer-Née quitta la Marée Sanglante pour rejoindre la galéasse Lysienne et s’entretenir avec le capitaine. Selon la pure tradition Fer-Née, elle ne se serait pas permise de commander son bateau à sa place, mais elle voulait sentir ce que ce navire et son équipage avaient dans le ventre avant d’aller affronter les Degrés de Pierre. Elle grimpa sur la poupe et s’accrocha à une gume en regardant la mer et le ciel, attendant que le Serpent ait terminé son discours. Une fois qu’il eut terminé, la blonde sauta sur le pont et observa les marins répondant aux ordres de leur capitaine en rejoignant la proue.

Sur la Marée Sanglante, son second avait prit le commandement et beugla à pleins poumons :

__ A babord, pouuuuussez !

Les rameurs à gauche écartèrent le boutre du quai en le repoussant avec leurs rames.

__ A tribord, sortez les rames !

Comme un seul homme, les hommes situés sur la gauche sortirent les rames.

__ En arrière ! Souuuuuquez !

Les rames s’enfoncèrent dans l’eau et mirent le bâtiment en mouvement. Ainsi, la Marée Sanglante fut le premier à sortir du port, gardant sa position en mer grâce au talent de ses marins. Puis vint le navire qui transportait les marchandises et la troupe d’Aenar et deux autres boutres qui l’encadrèrent avant que le quatrième ne se place à l’arrière. Brunhild souffla alors dans son cor et les voiles furent hissées et seuls deux rameurs restèrent à leur poste pour diriger le boutre. La grosse galère marchande était bien sûr plus lente et son tirant d’eau était nettement plus important que celui des boutres, mais elle tenait bien la mer et sa voilure importante permettrait de compenser son poids sous le vent.  

__ Ça va être une bonne journée capitaine, on va avancer avec ce bon vent arrière.

Le capitaine acquiesça et ne se formalisa pas quand elle enleva ses bottes et descendit dans la cale.

En descendant dans la cale sans ses chaussures mais avec ses armes, son épée, sa hache et ses couteaux, comme d’habitude. Brunhild y trouva un véritable tripot de fortune plein des hommes d’Aenar. Il y avait également un combat en court, elle eut un léger sourire en coin, cela lui rappelait les Îles de Fer.

__ Salut les gars !

Fit-elle simplement avant de marcher en long et en large s'arrêtant parfois pour étaler ses doigts de pieds sur le bois du pont inférieur. Elle vit Aenar se diriger vers elle, puis être attiré par des cris à la table de jeu. Elle n'était pas là pour taper la discussion, donc ça l’arrangeait qu’il aille voir ailleurs si elle y était. Ça chauffait un peu par là-bas, mais elle n’en avait absolument rien à foutre, elle voulait juste sentir ce putain de rafiot, d’ailleurs s’ils gueulaient moins ça aurait été plus facile, mais bon elle ferait sans le son. Demander le silence à une vingtaine d'hommes qui n’étaient pas les siens relevait du suicide. Et pendant qu’ils se disputaient à propos d'un tricheur elle s’assit par terre et colla son dos à la coque en fermant les yeux. Elle les rouvrit quand le silence s’abattit sur la pièce, s'était jamais bon signe. Aenar la regardait. Elle ne comprenait pas pourquoi. Elle allait refermer les yeux, car finalement il ne se passait pas grand chose, quand il lui fit signe d’approcher. Elle déclina d’un geste de la main, qu’est-ce qu'elle allait foutre là-bas dans un conflit qui ne la regardait en rien. Putain il insistait le bougre. A contre cœur et avec un bruyant soupir, elle se leva et rejoignit le petit groupe.

Est-ce qu'il était réellement en train de lui demander conseil pour régler ce conflit ? Bien sûr que non, mais il l’impliquait en lui demandant son avis. Putain mais quel enfoiré de merde ! Elle plissa les yeux en le fixant un instant. En plus il l’avait encore appelé trésor, mais dans le contexte c'était le cadet de ses soucis. Puis elle posa son regard sur les deux protagonistes de cette affaire. Les Fer-Nés réglaient tout par le combat, tout naturellement, elle allait proposé ça, mais il semblait évident aux yeux de tous, vus les regards, que Charogne avait triché et que le gamin allait se faire déchiqueter. La justice serait donc bien amer pour le gosse, s'il survivait, ce qui était loin d'être sûr. En effet, le dénommé Charogne avait une bonne tête de connard, mais il ne fallait pas se fier aux apparence, enfin parfois si, mais nombre des hommes de Brunhild avaient aussi des têtes de connards et tous ne l’étaient pas, un certain nombre tout de même, mais c’étaient ses hommes et elle les aimait.

Quand au fait que le gamin n’ait aucune chance au combat, c’était la loi du plus fort et elle connaissait bien. Les Îles de Fer n’étaient pas un lieu accueillant et confortable, seuls les plus forts y survivaient et leur culture était emprunte de cette dureté, l’Antique voie était même basée sur cette dureté. Alors peu importe en soi, si le gamin crevait maintenant c’est qu’il n’était simplement pas assez fort pour survivre, ni à ce combat, ni au prochain dont les enjeux seraient peut être bien différents. Et puis les gars ici n'étaient pas des enfants de chœur et il avait choisi d’être mercenaire, alors fallait qu’il apprenne à se battre, non ? Évidemment, elle pouvait aussi proposer de couper les couilles du tricheur et de les lui faire bouffer. Notamment à apprendre à fermer sa gueule et à faire preuve de plus de jugeote. Quand à Aenar, elle avait une putain d’envie de lui apprendre à la laisser tranquille avec quelques baffes. Elle hésitait en fixant le Serpent, si elle lui mettait son poing dans la gueule, là, tout de suite, quelles étaient ses chances de survie ? Faibles, certainement. Oh et puis merde, pourquoi elle rentrait dans le jeu de ce petit con.

__ Tu veux que je commande tes hommes à ta place ou quoi ? Fais bien ce qu’il te plaira et laisse moi faire mon boulot.

Et elle repartit dans son coin de bateau remettre son dos contre la coque et écouter le chant de l’eau sur la carène.

Tout le monde rit après sa remarque et celle d’Aenar. Cela détendit l'atmosphère et il sembla un instant à Brunhild qu’elle avait finalement réglé le conflit sans même le vouloir. Mais Aenar en décida autrement et se serait finalement le fouet pour le gosse. Aucune idée de la raison pour laquelle la Charogne ne prenait pas aussi cher que l’autre, mais ça n’était absolument pas son problème. Le bieffois se mit à couiner de panique lorsqu'on le bloqua contre la table de fortune et il hurla au premier coup de fouet et le Serpent lui dit de serrer les dents. Avec tout ce raffût qu’ils faisaient, la Fer-Née peinait à entendre la mer glisser sur la carène. Elle soupira en levant les yeux au ciel. Heureusement, le manège fut bientôt terminé et avant ça, Clayton avait enfin fermé sa gueule. Mais évidemment, lorsque les coups cessèrent et que le gamin fut remis sur pied, le dos en lambeaux, elle n’avait pas encore d’idée assez précise de la tenue de ce navire pour quitter la cale.

Aenar ressortit et ses hommes se remirent à jouer ou à se battre tranquillement. La Noirmarées, toujours adossée au bois, posa une main sur la coque et écouta, ou plutôt sentit l’eau qui s’écartait au passage du navire et les pièces de la charpente qui grinçaient les unes contre les autres sur son passage. Elle se mit ensuite à marcher tout du long de la coque, caressant les bordée et toquant sur la membrure qui soutenait la virure. Ainsi, avec l’aspect extérieur du bateau, sa taille et sa voilure particulièrement, pouvait-elle se faire une idée de la vitesse moyenne d’un bateau, de la façon dont celui-ci pouvait virer de bord, essuyer une tempête, éviter des hauts fonds, ainsi de suite.

La blonde connaissait par cœur le comportement de ses boutres quel que soit le vent et la profondeur de nage. Mais les cogues étaient bien différentes, et même entre elles, en fonction du bois utilisé, de l’endroit où elles avaient été construites et des charpentiers qui les avaient fabriquées, elles pouvaient réserver des surprises. Ainsi, après en avoir fait le tour, elle revint à l’un des points précédemment inspectés car le bruit de l’un des membres l'inquiétait, elle se remit donc à tapoter dessus.

Brunhild avait beau être concentrée sur ce qu’elle faisait, elle entendit Aenar s’approcher et se retourna vers lui pour garder un œil sur cet énergumène. Elle n’avait que partiellement confiance en lui, et moins encore en ses hommes. C’était bien beau de faire l’imbécile au fond d’une cale remplie de mercenaires, mais elle avait l’habitude d’évoluer avec des Fer-Nés, donc de rester sur ses gardes. Enfin se serait pas la première paire de couilles qu’elle couperait ou le premier crâne qu'elle fracasserait. Elle n’avait jamais vraiment eu peur, seulement après son séjour chez Euron, elle était devenue vraiment méfiante et beaucoup moins joueuse.

__ Qu’est-ce que tu veux que je cherche dans les membres à part du bois pourri ?

Le reste serait bien trop compliqué à lui expliquer et il se moquerait certainement d’elle si elle lui disait qu’elle écoutait les bordées chanter pour voir si la mer aimait étreindre ce bateau. Les bateaux craquaient, comme les maisons. Une matière vivante en mouvement pénétrait une autre matière vivante, comment pouvait-il en être autrement. Craquer c’était la preuve que tout avait suffisamment de jeu pour fonctionner ensemble et encaisser la houle. Sonner creux en revanche, ça n’était jamais bon signe. Putain… Elle ne trouvait pas la partie vermoulue. Soudain elle arrêta de taper et regarda le sol. Elle s’agenouilla pour vérifier son hypothèse en frappant le plus près possible du pont inférieur.

__ Évidemment ! C’est sous le plancher ! Putain.

La guerrière se releva et regarda Aenar, faisant rapidement part de ses conclusions d’un ton assuré, limite autoritaire. Enfin ça ne prêtait pas tellement à la discussion et si le navire sombrait, elle ne serait pas parmi les victimes vu qu’elle serait depuis longtemps de retour sur le sien et ne mettrait certainement pas les pieds sur celui-ci en cas de gros temps. En tout cas pas tant qu'il ne serait pas réparé, mais même, il tiendrait, mais elle n’aimait pas la façon qu’avaient les cogues de tenir la mer.

__ Ca me dit rien qui vaille de faire le tour du continent avec une traverse vermoulue. Surtout sous la ligne de flottaison. Faudra la faire réparer à Villevieille.

Elle mit deux coups sur la coque et essaya un sourire presque amical.

__ A part ça, c’est un bon rafiot pour une merde continentale.

Elle se mit à rire et comme elle n’avait aucune envie de s’éterniser au fin fond de ce trou à rats rempli de connards, elle se dirigea vers l’escalier qui remontait à l’air libre.