(shôren) nul chant si doux

chronologie indicative:

Shôren fixait le livre aux pages immaculées qui trônait devant elle. Le mestre lui avait conseillé de coucher sur papier les événements traumatiques qu’elle avait vécu afin de chasser le mal qui la rongeait. Elle ne savait pas si c’était la meilleure des choses à faire : replonger dans ses souvenirs traumatisants ne lui semblait pas très agréable, mais jusqu’ici, tous les remèdes essayés n’avaient pas fonctionné. Alors autant innover un peu. Saisissant sa plume, elle la trempa dans l’encre, inspira, et commença à coucher ses pensées sur le papier.

❝ Je ne sais pas par où devrais-je commencer ce récit, aussi ai-je choisi un point de départ simple : ma naissance. Première fille aînée d’Harlan et Rhea Caron, troisième enfant de la branche principale, j’ai toujours été désirée par mes parents. Bryce m’a raconté à quel point ils étaient heureux lorsque je ne suis née, à quel point ils pleuraient et riaient… Si j’avais su les épreuves que j’allais traverser, je ne suis pas sûre que j’aurai eu envie de vivre. Quoi qu’il en soit, je crois pouvoir dire avoir vécu une enfance heureuse et simple. Malgré la mort de mon père, un accident de cheval stupide alors qu’il était parti se promener avec Bryce, j’estime avoir eu tout ce dont j’avais besoin. J’ai toujours su qu’inconsciemment, Bryce s’en voulait de ce qui était arrivé à notre père, mais il n’y pouvait rien. Les Sept avaient choisi de nous l’arracher et nous, pauvres mortels, voulions avoir un rôle à jouer dans une décision divine ? C’était insensé et j’aurai pouvoir l’en convaincre avant son décès.

La naissance prématurée d’Alla et de Rella a apporté un nouveau souffle à Séréna. Comme si, le temps d’un instant, le quotidien pénible sans père s’était estompé et que nous pouvions enfin respirer convenablement. Certes, les premiers mois ont été durs – leur survie relevait d’un véritable miracle, mais cela n’était rien face à la joie que nous avions tous d’avoir encore une dernière part de notre père avec nous. Je crois que ce sont les jumelles qui ont fait tenir mère debout, pas moi, Jonas ou Bryce, mais bien ses deux benjamines.

En grandissant, j’ai pris le goût de la lecture et du savoir. Le mestre était satisfait qu’au moins un enfant Caron s’intéresse à ses enseignements. Je buvais ses paroles avec avidité, souhaitant toujours en savoir plus. Le savoir était une forme de pouvoir après tout.

La première fois que je suis allée à Port-Réal, c’était pour le Tournoi de la Main. Qui aurait pu penser que je m’y verrai envoyée en otage quelques lunes plus tard ? Je n’ai jamais aimé cette ville : les vipères y étaient trop présentes, les gens n’attendaient qu’un écart pour comploter ou chuchoter des rumeurs. Un nid de monstre dont j’aurai préféré rester à l’écart, mais la guerre de Robb Stark a précipité les événements… Le ralliement à Stannis Baratheon, la mort de mon frère… et l’arrivée d’un escadron Lannister jusque devant les portes de Séréna. Je ne me rappelle pas bien de ce qu’il s’est passé ce jour-là, mais je me souviens des menaces, de la peur qui m’avait transie de froid et m’avait laissée raide comme un piquet. Mère avait accepté pour nous protéger, mais elle savait qu’en acceptant, nous perdions tout : titre, fief… Mais notre survie a dû lui sembler plus importante que n’importe quel titre de noblesse. Otage des Lannister, nous avons dû nous accoutumer aux regards méprisants et aux chuchotements sur notre passage.

Je n’aimais pas notre vie au Donjon Rouge. Les complots et les intrigues politiques de la cour n’ont jamais été pour moi. Au-delà du fait que ça m’ennuyait terriblement, je n’aimais pas les alliances et mésalliances qu’ils apportaient avec eux, ni les conflits qui en débouchaient. Le mariage de la pauvre Sansa Stark en était d’ailleurs un parfait exemple. Tyrion Lannister n’avait pas mauvais fond, au contraire. Pour le peu que j’avais pu lui parler, j’appréciais le personnage. Mais les raisons qui les avait poussés à se marier… je les trouvais effroyables. Et le pire était que le mariage avait été fait par la force.

Malgré tout cela, je me trouvais une alliée en ces murs. La douce Margaery Tyrell était une bouffée d’air frais dans mon quotidien morne, une phare dans la nuit. Elle a toujours tout fait en mon intérêt, et je savais que me prendre comme dame de compagnie lui permettait de me protéger des Lannister. Je lui en serai toujours reconnaissante, car elle avait été la seule à se soucier de ma vie. En échange, je ne pouvais que la soutenir dans tout les événements de la sienne : son mariage puis l’horrible mort de son époux immédiatement après… Les violences de la cour comme la mort d’Oberyn Martell… ou son second mariage.

La seule chose pour laquelle je ne pus rien faire, ce fut pour son arrestation par la Foi Militante. Mais je ne m’attendais pas à être victime de leur folie également… Comme quoi, les forts n’épargnaient jamais les faibles.

Shôren émit un énième hurlement en se débattant alors que les larmes roulaient toujours le long de ses joues. Les sbires du Grand Moineau étaient venus la chercher dans ses appartements et l’en avait sortie de force. Traînée dans les couloirs du Donjon Rouge comme une moins que rien, puis jetée dans les geôles du Grand Septuaire de Baelor, elle ne put qu’hurler à s’en briser les cordes vocales, implorant, priant son dieu rouge pour qu’il l’aide. Sans succès, car son honneur se vit bafoué dès lors qu’on regarda sous sa robe pour s’assurer de sa virginité. Comme si cela avait brisé quelque chose en elle, la Caron n’émit plus un mot de tout son séjour parmi les fanatiques de la foi de Sept, obéissant comme une marionnette. Ce mauvais traitement ne fut qu’un parmi tant d’autre qu’elle dut subir jusqu’à sa libération, près d’un an plus tard.

En retrouvant Margaery après cela, je trouvais son comportement à mon égard changé. Comme si elle prenait plus soin de moi et qu’elle tentait de m’aider, en vain. Car qui pouvait m’aider ? Absolument personne. Non, j’étais réduite à un état abattu. Eteinte. La dégradation de mon état m’empêcha de la suivre partout et je n’étais pas présent lors du procès de Loras. Une chance, car j’avais ainsi échappé à la mort. Un malheur, car j’aurai préféré mourir avec elle plutôt que de continuer à vivre dans ce monde où même le battement d’aile d’un oiseau me faisait sursauter.

Et les mois ont passé. Les gens ont finit par se lasser de mon mutisme et je me suis retrouvée seule, exactement comme je le voulais. Me morfondant sur mon sort, implorant les dieux, les priant de me fournir une explication valable. Jusqu’à ce qu’un matin, dans le ciel, je n’aperçoive deux énormes silhouettes survolant le ciel. Deux dragons. Je ne sais pas ce que cette vision éveilla exactement en moi : de l’espoir ? de la joie ? C’était difficile à dire mais pour le première fois depuis très longtemps, je m’étais sentie bien.

Jusqu’à ce que leur mère n’attaque Port-Réal, et que je manque de mourir sous la chute des décombres.

Tout autour d’elle, les pierres tombaient. Les courtisans hurlaient de terreur, fuyaient dans tous les sens alors qu’elle cherchait une porte de sortie, le moindre endroit pour la protéger. Ce n’est que parce que Jonas revint la chercher qu’elle s’en sorti cette fois-là. Car à peine fut-elle dans ses bras que le plafond s’écrasait sur le sol, là où elle se tenait quelques secondes auparavant. Enième traumatisme, une expérience de mort imminente qui la terrifia de longues lunes et qui la hantait à chaque fois qu’elle marchait dans le Donjon Rouge. Comme si, depuis, elle pouvait encore entendre les cris et les gémissements, les pleurs et les derniers soupirs.

Le Grand Concile de l’an 303 s’étant tenu quelques semaines plus tard nous a permis à tous de nous retrouver, et surtout de recouvrer ce qui nous était dû. Titres, fief, tous nous revint et nous fûmes autorisés à enfin rentrer chez nous, des années après avoir quitté Séréna. Le chemin qui menait à la maison était étrange, loin d’être familier. Mais la présence rassurante de Gendry Baratheon nous aidait tous à nous détendre et à apprécier le voyage. Et l’arrivée à la maison fut des plus bénéfique : nous nous retrouvâmes tous chez nous, dans notre maison. Et l’enfer prit fin.

Jusqu’à ce que Gendry ne nous renvoie à Port-Réal : mon frère en tant qu’ambassadeur de l’Orage, et moi comme sa sœur qui devait se marier. Et tout revint lorsque je revis Port-Réal : la honte, la peur, la douleur… Tout, comme une violente claque, les souvenirs s’imposèrent à moi. Jonas comprenait mon mal être, mais il n’eut pas le cœur de me renvoyer à Séréna, ne voulant pas rester seul ici. Car je n’étais pas l’unique enfant de ma mère a être traumatisée de notre séjour dans la capitale…

Le retour à Séréna fut accueilli comme une nouvelle salvatrice. Le confort de notre maison nous manquait, sa chaleur également. Mais nous savions pertinemment que dans peu de temps, nous devrions repartir là-bas. Et comme si c’était la fois de trop, une fois à Port-Réal, je me perdais en moi-même, dans mes souvenirs, sans me reconnaître. ❞

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque Shôren mit le point final à son récit. Les larmes avaient coulé seules le long de ses joues, si bien qu’elle les essuya d’un geste rageur avant de se redresser, fixant les pages noircies de ses écrits. Et sans se contrôler, enragée, elle prit le livre et le lança dans les flammes de sa cheminée, poussant un hurlement. Non, ça ne l’aidait pas, c’était même pire que tout, car elle ne se rappelait que plus des sensations. Les souvenirs la harcelaient, si bien qu’elle se mit à pleurer, assise par terre contre son lit, recroquevillée sur elle-même. Une seule question trônait dans sa tête : quand ce cauchemar prendrait-il fin ?