En ce matin du deuxième jour du tournoi de Port-Real, Aelinor avait fait prévenir sa famille qu’elle ne pourrait pas se joindre à eux dans le camp afin d’aider Humfrey à se préparer. Cela ne serait pas apprécié, son père lui en reparlerai sûrement. On ne dérogeait pas si facilement aux règles et aux rituels familiaux. D’autant qu’elle ne donnait dans la missive aucune excuse ni explications. Elle lui dirait plus tard de quoi il retournait. Son oncle lui en voudrait certainement et elle pria pour lui, pour qu’il ne lui arrive rien, pour la paix aussi, pour qu’il gagne et que la Redwyne soit couronnée Reine d’amour et de Beauté. Elle ne l’avait en revanche pas prévenu qu’elle ne s’installerait pas avec le reste de la famille, elle l’ignorait encore au moment où elle avait envoyé le messager. Maintenant, elle attendait dans les écuries qu’Edmund redescende avec ses sœurs et sa fiancée en espérant qu’elles ne prennent pas mal son entrée un peu précipitée dans la famille. Elle en profita pour faire des papouilles aux magnifiques coursiers dorniens des membres de la Maison Gargalen.


Lorsqu’ils la retrouvèrent, la Hightower salua tout le monde le plus chaleureusement du monde avant de se mettre en selle sur sa jument blanche. Elle acquiesça à l’ordre du Prince d’un signe de tête et ils prirent le pas. Elle se plaça derrière, renforçant la garde princière de ses propres hommes, son épée lige placée à son côté. Ainsi traversèrent-ils Port-Real jusqu’au terrain des joutes. Lorsqu’elle arriva elle retira le manteau de laine grise et de fourrure blanche et le confia à l’un de ses hommes ainsi que sa jument avant de s’avancer derrière Edmund avec Sara et Erena. En s'avançant vers la tribune, son cœur se mit à battre de plus en plus fort, elle chercha sa famille du regard et vu le nombre, ils n’étaient pas difficiles à voir. Baelor fronça les sourcils en la voyant, elle lui sourit et dut reporter son attention sur l’escalier qui menait à la tribune d’honneur. Tête haute, poitrine fière, regard assuré et petit sourire accroché à ses lèvres, elle monta les marches et salua respectueusement chaque personne présente.


Aelinor portait LA robe qu’elle avait gardé précieusement tout ce temps pour ce jour précis où, concours de circonstances inattendu, elle prendrait place dans la tribune royale. Cette tenue était destinée à se faire élire Reine d’Amour et de Beauté, mais ces chances étaient minces et elle se passerait probablement du titre cette fois encore. Le brocart satiné n’en était pas moins vert, les broderies dorées qui ornaient les manches ajustées du dessous ainsi que les manches longues manches du dessus n’en était pas moins belles, l’encolure qui découvrait ses épaules n’en était pas moins gracieuse et le fin décolleté ornée de boucles dorées qui descendait jusqu’au dessus du nombril n’en était pas moins vertigineux. Sa coiffure mettait en valeur sa longue chevelure de jais et les émeraudes de sa parure brillaient de mille feux dans le soleil du printemps. Elle s’assit après les sœurs d’Edmund, les laissant se placer près de leur frère et s’installant donc à côté d’Elia.

__ Dame Elia, Edmund vous a-t-il déjà montré le présent que je lui ai apporté pour vous ?

Le petit matin blême pointait son nez quand Ser Humfrey se leva pour se préparer à la finale de la joute contre Ser Andar Royce. Avec ce que se dernier avait bu la veille, il espérait le voir tanguer sur son cheval comme Brynden Nerbosc, mais il n’oubliait pas que même ainsi, le Riverain avant vaincu son adversaire et qu’Andar avait lui aussi fait ses preuves lors des précédents tours. Toutes les pensées du jeune homme allaient à Desmera, et justement il la retrouva avec les autres Hightower pour aller au Septuaire. En silence, il pria le guerrier de lui donner la victoire afin de couronner la rousse jouvencelle Reine d'Amour et de Beauté. Une seule absente, Aelinor. Elle avait envoyé un messager pour les prévenir, mais c'était vraiment étrange qu'elle déroge à la règle.


Une fois de retour dans sa tente, son écuyer l’aida à mettre son armure et il attacha de nouveau le ruban à son armure après l’avoir porté sur son surcot toute la soirée de la veille. La famille avait son petit rituel, le soutien de ses sœurs lui était précieux, elles lui prodiguèrent tous leurs encouragements. Et enfin, les Hightower sortirent de la tente pour aller s’installer à la tribune tous ensemble. En voyant Aelinor monter à la tribune royale, Baelor se demanda ce que sa fille avait bien pu manigancer. Il lui lança un regard noir, mais il ne pouvait décemment pas aller la chercher pour la châtier comme il se doit et l’obliger à s’asseoir à côté de Lord Caswell. Il n'empêche qu’elle était beaucoup trop près de Bronn à son goût et qu’il ne pouvait que supplier Edmund du regard de veiller sur cette foutue empêcheuse de tourner en rond. Sa robe n'était en revanche, en rien, un sujet d'inquiétude, tant il était habitué à la voir en vert, couleur usuelle de beaucoup d'habitants du Bief.


Humfrey était en train d’ajuster son armure quand il entendit le pan de la tente se soulever. Il se retourna, pensant voir Aelinor, mais il fut encore plus heureux de voir Desmera. Elle s’approcha et noua ses couleurs autour de son poignet et lui demanda d’être prudente. Il répondit avec un sourire.

__ Je ne peux vous garantir d’être prudent, mais je tacherais de rester en vie.


C’est alors qu’elle déposa un baiser sur sa joue qui eut l’effet d’un électrochoc pour le jeune homme. Une furieuse envie de l’embrasser avec passion monta en lui, sauf qu’elle venait de déposer un encombrant heaume dans ses mains. Le posant aussi vite que possible pendant qu’elle sortait déjà, il l'attrapa par une main pour la retenir.

__ Dame Redwyne, me feriez-vous la grâce d’un véritable baiser ?


Demanda-t-il en mettant ses mains derrière le dos pour éviter tout geste déplacé en attendant sa réponse.

Aelinor allait commencer son histoire lorsqu’elle vit arriver le Braavien rencontré brièvement la veille qui les complimenta sur leur tenues avant de s’adresser une nouvelle fois à Edmund dans sa langue. Ce que cela pouvait l'énerver de ne pas comprendre ce qu’il disait. Avait-il dit deux ? Deux quoi ? Elle n'était pas sûre, elle comprenait bien mieux le Lysien qu’elle avait davantage entendu. D’ailleurs sa voisine ne manqua pas de lui faire remarquer son impolitesse.

__ Lord Antaryon, ravie de vous revoir.


Sourit-elle avant de reprendre.

__ Je ne peux que rejoindre ma future belle-sœur, qu’essayez vous donc tous deux de nous cacher en parlant le Braavien ?


Une fois Nymeros installé, la Hightower pencha vers la Dayne et commença à raconter l'histoire à voix suffisamment basse pour que leurs voisins n'entendent pas, sauf peut-être Edmund. Si Nymeros entendait également, elle s'en fichait pas mal.

__ L’histoire commence il y a deux ans, ici même à Port-Réal. Nous nous sommes rencontrés et je lui ai proposé ma main ainsi qu'une alliance avec Villevieille… De quoi à mon sens faire taire ses détracteurs et lui apporter la formation politique qu’il n’a pas eu. Il est rentré à Dorne pour se donner le temps de réfléchir et ne m’a plus donné de nouvelles. J’ai appris peu avant de partir qu’il était fiancé avec vous et bien que j'avais espéré moi même devenir Princesse de Dorne, j’ai été ravie d’apprendre qu’il avait trouvé une solution pour unir la Principauté. Ainsi, j’ai acheté une magnifique soie en provenance de Yi-Ti et fait faire une robe digne d’une Dayne chez mon meilleur tailleur. Vous n’imaginez pas la pression que je lui ai mise pour qu’il termine le travail avant mon départ.


Elle jeta un coup d'œil amusé à Edmund.

__ Je suis allée le voir quand il est arrivé à Port-Réal pour le tournoi pour lui donner la robe et un coffre. Votre présent et le sien. Mais, vous me rejoindrez sûrement, après deux ans de silence je ne pouvais pas simplement lui donner ces présents et repartir comme j'étais venue. Je lui ai donc dit que j'avais fait faire la robe pour moi dans l'espoir de notre mariage.


De sa main, elle écrasa une larme imaginaire sous son œil et fit une courte pause.

__ Je ne m'attendais pas à une négociation aussi facile, mais je lui ai soutiré deux coursiers Dorniens. J’adore ces chevaux et j’ai toujours rêvé d’en avoir un. Mais je vous conseille fortement de ne pas le laisser mener les négociations, surtout avec les femmes.


La brune aux yeux céruléens se mit à rire.

__ Il me devait bien ça après deux ans de silence. Mais maintenant je lui dois bien plus.


Termina-t-elle en adressant un sourire à Edmund avant de se redresser pour regarder à nouveau la lice en concluant.

__ Tout ça pour dire que je suis sincèrement heureuse pour vous deux et que j’espère que nos mariages respectifs apporteront paix et prospérité à Dorne.


C’est alors que la Hightower aperçut Desmera et lui adressa un sourire et un signe de tête. Elle était désolée de ne pas pouvoir lui tenir compagnie, mais elle n’avait pas le choix et l’inviter à la tribune d’honneur aurait été de trop.

Le chevalier regarda Desmera partir avec cette promesse de baiser. Il aurait aimé l’avoir tout de suite, mais il pouvait bien attendre encore, il attendrait le temps qu’elle voudrait, le temps dont elle aurait besoin pour goûter à ses lèvres et ensuite pour la demander en mariage et enfin, pour l’épouser. Il prierait pour vivre vieux à ses côtés, même s’il était conscient que son devoir pouvait l’amener à mourir pour elle.


Alors que les trompettes annonçaient l’arrivée du Roi, le chevalier sortit, accompagné de son écuyer et se mit en selle pour se présenter sur la lice. Il entra au petit trot et salua le Roi et les suzerains avant de s’attarder devant la Dame de la Treille. La concentration tendait ses traits, son regard était plus dur, plus déterminé, mais la vue de la Redwyne lui arracha malgré tout un sourire. Faisant pivoter son cheval, il salua son adversaire.

__ Ser Andar Royce, je vous souhaite bonne chance. Que le meilleur gagne.


Suite à ses quelques mots, il alla se placer au bout de la piste et tendit la main pour saisir la lance qu’on lui présentait. La jument de jais prête à en découdre, il n’eut qu’à desserrer ses doigts gantés d’acier pour qu’elle bondisse au grand galop. Chaque foulée le rapprochait de son adversaire, chaque foulée voyait sa lance s’abaisser un peu plus. Il visa le torse, mais la lance du Valois toucha son bouclier avec force et dévia son propre coup en se brisant. Arrivé au bout de la lice, il se saisit d’une nouvelle lance et repartit de l’autre côté de la barrière qui séparait les deux chevaliers. Il baissa sa lance et frappa son vis à vis en plein bouclier, usant de toute sa force pour le désarçonner. Sa lance eut beau se briser dans un grand fracas, le Valois resta en selle et les deux hommes repartirent pour une nouvelle charge. Il accéléra sur les dernières foulées, mais même s’il parvint à faire glisser la lance sur son bouclier pour le frapper et le toucher en pleine poitrine, prenant sans nul doute le dessus, son adversaire se tenait toujours aussi solide que la montagne sur son cheval.


Humfrey se lança pour le quatrième tour, mais cette fois, c’est Andar qui prit le dessus et parvint à passer le bouclier, le touchant durement au torse. Heureusement, le plastron du Hightower était plus solide que la lance de tournoi , néanmoins, il accusa le contact brutal avec une grimace et temporisa le plus possible avant de se saisir d’une nouvelle lance. Bien décidé à gagner sur cette charge, car après le coup reçu, il ne pouvait rester indéfiniment sur cette lice, il fit gagner de la vitesse à Ébène et, en arrivant sur le Valois, se pencha en avant et lançant son bras pour le toucher de sa lance et l’envoyer au sol. Hélas, la lance ripa sur l’armure du Royce et ne le déstabilise en rien, en revanche, Humfrey était dans une position instable et Andar n’eut aucun mal à en profiter pour frapper son bouclier de toutes ses forces. Et de la force, il en avait.


Essayant tant bien que mal de rester en selle, la Hightower se raccrocha à ce qu’il pouvait, mais rien n’y fit, il tomba lourdement trois foulées plus loin, vaincu, déçu et quelque peu courroucé. Mais il devait reconnaître que sous ses airs de reître mal dégrossi, Andar était un jouteur d’exception. Quand il se releva, non sans douleur, mais sans mal cependant, son premier regard fut pour sa dulcinée, Desmera, qu’il ne pourrait couronner Reine d’amour et de beauté. Il inclina la tête vers elle pour lui demander pardon puis il se dirigea vers le Valois pour le féliciter de sa victoire.

__ Ser Andar, toutes mes félicitations. J’espère avoir un jour l‘occasion de prendre ma revanche.