Allongée sur le lit, la demoiselle de Villevieille écoutait avec attention les bruits au dehors en attendant patiemment que sa punition soit levée, car il s’agissait bien là d’une punition et absolument pas d’un moment de repos après un malaise, son père savait très bien qu’elle avait joué la comédie pour se débarrasser de Bronn. Elle gardait accroché au coin des lèvres son petit sourire espiègle, parce qu’elle avait réussi son tour de passe passe, quoi qu’en pense Baelor, et même si elle s'ennuyait à mourir et regrettait de ne pas avoir pu encourager Humfrey lors du tournoi d'archerie, elle ne regrettait rien de sa manœuvre. Elle savait cependant que La Nera n’en resterait pas là et elle devait continuer de placer ses pions pour gagner la partie pour de bon et non, remporter seul un coup. Il l’avait bien eu sous ses airs amicaux à comploter contre elle et contre sa famille, mais puisqu’il viendrait certainement à Lancehélion, peut-être pourrait-elle enterrer la hache de guerre levée par son père deux ans plus tôt pour faire taire l’animosité du gouverneur du Bief envers sa maison afin de mieux se préparer à lui porter le coup de grâce.


La brune aux yeux azur fut tirée de sa rêverie par son épée lige qui lui dit que son père l’attendait dans les tribunes pour soutenir Lord Caswell lors de la mêlée à laquelle il participait. Elle devait se hâter car les trompettes résonnaient à présent annonçant le début des combats. Elle se leva, lissa sa robe, surtout au niveau de la manche que son père avait froissé en lui broyant le bras, se rendant compte que l’endroit était très sensible et qu’elle devait être sacrément bleue sous le tissu vert. Elle prit une grande inspiration et demanda à son chevalier :

__ Comment suis-je ?
__ Magnifique, comme toujours.
__ Ser, ce n’est pas la question, vous le savez bien. Suis-je décoiffée, ais-je l’air négligée ?
__ Pas le moins du monde Ma Dame.
__ Très bien, alors allons-y.


Elle marcha d’un pas rapide accompagnée de son épée lige et de l’homme qui était venu la chercher avant de ralentir en approchant du terrain. Elle n’eut pas besoin de relever la tête, elle avait toujours ce port atelier qui faisait croire aux gens qu’elle était hautaine, ce qui n’était pas totalement faux. Mais elle mit plus de grâce et de soin dans ses gestes et elle envoya le soldat dire à son père qu’il serait étrange qu’elle ne rejoigne pas la délégation Princière. Le chevalier l’avisa que Baelor tenait à ce qu’elle s’installe avec la famille Hightower, mais il eut beau insister, la brune n’en démordit pas et pendant que les combattants échangeaient coups sur coups, elle lui dit que le Sire son père comprendrait qu’il faille au moins sauver les apparences suite à sa maladresse. Son geste était loin d‘être passé inaperçu, hélas, et si elle s’installait dans la tribune des nobles, cela risquait de faire jaser et de donner l’image d’une maison en désaccord. Le garde de Grand Tour ne saisissait pas tout, mais il finit par céder devant le refus catégorique d’Aelinor de le suivre auprès de son père. Il ne pouvait pas, contrairement à Baelor, la trainer de force dans la tribune. Elle pensait réellement que c'était une très mauvaise idée qu'elle revienne auprès de son père, mais elle savait que cela le ferait enrager et en était tout à fait satisfaite.


Montant les quelques marches avant de s’installer à nouveau à côté d’Elia, elle salua de la main Desmera et sa tante en grande discussion et elle se mit à encourager les bieffois, tous encore en lice à ce moment là malgré les nombreuses éliminations qu’elle avait déjà manqué. Elle se contentait d’applaudir assez régulièrement, posant tour à tour ses yeux azur sur le grand blond et sur son oncle, et puisqu’il le fallait, elle accompagnait les coups de Lord Caswell par des

__ Oooh…


Et des

__ Aaah…


D'abord sans grand entrain. Mais au fur et à mesure qu’il se distinguait et montrait ses qualités sur la lice, elle se fit un peu plus enthousiaste, mais se garda de trop en montrer pour ne pas jeter le doute quant à ses fiançailles.  Elle devait obéir à son père tout en n’éveillant pas les soupçons, un exercice difficile à quelques encablures du gouverneur du Bief. Pourquoi diable son père lui avait-il demandé un tel numéro de funambule. Elle était cependant contente d’être de retour parmi les spectateurs et de pouvoir voir Garth combattre avec brio lui aussi. Heureusement, le reste de l’assistance suivit également Lorent avec de plus en plus de ferveur et elle n’eut bientôt plus qu’à suivre innocemment le mouvement pour ne pas être remarquée.

Aelinor commença à observer réellement Lord Caswell. Elle suivit ses mouvements et peu à peu il lui sembla qu’il poussait Ser Deziel vers le combat entre Garth et Luthor. Elle eut confirmation de la stratégie mise en place par le grand blond quand elle le vit frapper le Dalt avec détermination et rapidité dès que celui-ci fut déconcentré par les bruits derrière lui. Ses grands yeux bleus se murent en deux fines fentes et elle hocha la tête. Il ne fut pas long à défaire Luthor après cela. Et la mêlée commença à devenir vraiment intéressante, même si son oncle ne s’y trouvait plus. Elle qui pensait avoir affaire à une grosse brute en le voyant combattre avec hache et épée, elle se demanda si elle n’avait pas en réalité affaire à un stratège et évidemment cela ne pouvait qu’attiser sa curiosité. Elle cessa d’applaudir pour mieux saisir les mouvements des deux derniers protagonistes en lice et posa ses mains sur ses cuisses. Elle n’y connaissait rien en combat, mais elle avait déjà pu comprendre à quoi servait la hache et son intérêt dans les duels comme dans les combats contre plusieurs adversaires.


La brune aux yeux céruléens entendait les filles de Lorent hurler pour encourager leur père, et elle n'étaient pas les seules, après tant de victoires, il était clairement le favori de la foule. Mais elle, elle restait parfaitement silencieuse, pas parce qu’elle ne voulait pas l’encourager, mais parce que son intellect était piqué au vif par sa manière de combattre. Elle sourit néanmoins quand il donna du grain à moudre à la foule en liesse en faisant tournoyer son épée avant de passer à l’attaque. Les premières minutes d'échange furent d’une rare violence et la jouvencelle pensa que le Caswell était retombé dans ses travers de brute. Ce test de virilité qui se déroulait sous ses yeux n’avait aucun intérêt et elle retint un soupir d’ennui avant de voir le grand blond commettre une erreur. Avait-elle bien vu ? Elle n’avait pas, jusqu’ici remarqué qu’il exposait son flanc ainsi. Elle plissa les yeux. Il le refit. Elle était certes loin d'être une experte, mais les rares fois où elle regardait ses oncles s'entraîner sur la lice plutôt que de dévorer quelques livres dans l’air poussiéreux de la bibliothèque, elle avait pu constater qu’une telle faille dans la défense était rarement bon signe. Pire, que ce genre d’erreur avait tôt fait d’être exploitée par l’adversaire. Et ce fut bientôt le cas...


Sauf qu’au lieu d’être défait, Lorent désarma Duncan et la brune, prête à applaudir la victoire du bâtard de Cendregué à contre-cœur, se redressa soudain sur son siège et serra les poings. A la fois surprise, intriguée, excitée et bientôt ravie de voir le Caswell gagner. Alors, elle se leva, lissa sa robe et leva les mains à hauteur de sa poitrine pour applaudir la victoire du Bieffois. Ces filles étaient, évidemment, hystériques, et tout le public exultait. Un fin sourire se dessina sur les lèvres d’Aelinor tandis que le grand blond faisait face à la tribune des nobles et levait son épée, dos à elle, sous les hourras de la foule. Humfrey n’avait pas tort quand il prétendait que son mentor et chevalier était probablement l’un des meilleurs combattants du continent. Une question lui brulait les lèvres, avait-il appris à compenser son défaut ou avait-il tendu un piège à son adversaire ?