[PONT L'AMER} Une halte fructueuse [Aelinor - Lorent]

La colonne Hightower avait quitté Villevieille depuis vingt deux jours et le printemps, trompeur ou non, embaumait la campagne bieffoise d’un exquis parfum de renouveau. Il faisait beau, les oiseaux chantaient et toute la douceur de vivre de la plus belle des Six Couronnes s’était donnée rendez-vous sur la route de la rose à l’endroit même où elle traversait la paisible Mander par Pont l’Amer. Aelinor était passée ici quelques semaines plus tôt à son retour de Port-Réal et elle se faisait une joie de retrouver Mina et Melessa avec qui elle avait échangé la dernière fois. Leur père Lorent Caswell était un homme très agréable, mais elle était plus proche de ses filles vu leurs âges respectifs.


Aelinor avait pris place dans l’imposant carrosse aux couleurs de la famille avec sa mère et Desmera Redwyne. Leurs chevaux étaient attachés au carrosse ou tenus en main par des membres de leur suite. Il y avait une autre voiture pour les serviteurs, moins luxueuse et moins confortable. Les autres voyageaient pour la plupart à cheval, dont le père d’Aelinor qui menait la troupe avec son frère. En tant que membre de la Garde Royale, Garth était bien sûr déjà à Port-Réal. Une centaine de soldats accompagnaient la famille et ils s’arrêtèrent bientôt pour installer le camp sur la rive droite du fleuve. Une dizaine de chevaliers escortèrent les Hightower jusque dans la forteresse et le carrosse argenté tiré par quatre chevaux gris pommelés fit une large boucle avant de s’arrêter. Les hommes mirent pied à terre et les femmes sortirent de la voiture, Baelor prit la main de sa femme pour l’aider à descendre et Humfrey tendit la sienne à Desmera. Aelinor fut aidée par son épée lige, un vieux chevalier revêche mais très protecteur qui plaçait l‘honneur avant toute chose.


Vêtue de sa robe de voyage habituelle, , en velours rouge dont le corsage très ajusté montait jusqu’à la gorge mais n’en mettait pas moins en valeur sa féminité, la jouvencelle s’avança avec les autres. Baelor échangea une franche poignée de main avec le Maître des lieux et Rhonda inclina la tête avec un petit rire, amusée par la remarque, somme toute galante, bien qu’un peu mensongère. La brune aux yeux céruléens salua ensuite Lord Caswell d’une gracieuse révérence accompagnée d’un joli sourire.

__ Lord Caswell, le plaisir est partagé. Avec tous ses allers-retours que je fais, j’ai l’impression de ne plus vous quitter.


Le sourire de la jeune femme s’élargit en voyant les deux jeunes filles et même si la bienséance l'empêchait de les embrasser, le cœur y était.


Une fois les mondanités d’usage échangées, Aelinor fut conduite à ses appartements et put se laver et se reposer. Pendant qu’elle prenait son bain, sa mère déposa une robe sur son lit. Il était étrange que Rhonda prenne l'initiative de sa toilette, sa fille étant plutôt douée pour cela, mais après tout, elle n’était pas en désaccord avec le choix que sa génitrice avait fait et enfila donc la robe sans faire d’histoire. En tissu vert finement damassé, le haut de la robe était légèrement rigide ce qui, une fois lacé, faisait l'effet d’un corset tout en étant plus confortable. Le large décolleté carré dégageait la poitrine et les manches ajustées soulignent la finesse des bras de la jeune femme. Elle ajouta une ceinture de bronze et de grenat et fit coiffer ses cheveux en un complexe chignon de tresses. Elle termina par des boucles d’oreille en émeraude et par son pendentif représentant une flamme avec un rubis incrusté. En se regardant dans un miroir avant de descendre pour le dîner, elle se demanda si cela n’était pas un peu trop pour une simple halte en cours de voyage. Mais bon, elle représentait la Maison Hightower à la cour avec Bronn le plouc depuis trop longtemps pour ne pas être dignement vêtue pour un véritable seigneur du Bief.


Son père frappa à la porte alors qu'elle s'apprêtait à descendre . L’invitant à entrer, elle se demanda ce qu’il pouvait bien lui vouloir pour les mettre tous deux en retard à la table de Lord Caswell. Il faut dire que Baelor avait longuement hésité avant de lui annoncer ce qu’il avait en tête. Vêtu aux couleurs des Hightower, il prit sa fille par les épaules et commença :

__ Tu te souviens de ce que Bronn avait proposé avant de m’enfermer à Hautjardin ?


La jeune femme hocha la tête ne comprenant absolument pas où il voulait en venir.

__ Je dois te fiancer d’urgence pour qu’il ne puisse pas m’imposer de t’unir à lui.


Elle ne comprit pas d'avantage, mais le choix de la robe lui mit la puce à l’oreille ?

__ Lord Caswell ? Mais il a presque le double de mon âge et il a déjà deux filles d’un précédent…


Baelor la coupa.

__ Mais pas de fils pour lui succéder.
__ Si Bronn veut m'épouser qu’il le fasse, il ne survivra pas au repas de noces, je peux te l’assurer. Jamais il ne me touchera. Maintenant arrête, nous allons être en retard.


La brune aux yeux azur se dégagea et tenta de recouvrer son calme avant d’arriver dans la grande salle. Son père savait parfaitement ce qu’elle visait, pas moins qu’une couronne, et Lord Caswell était loin de pouvoir lui offrir. Elle était furieuse, elle pensait sincèrement pouvoir venir à bout de Bronn bien avant qu’il ne pose la main sur elle. Mais Baelor n’était pas du même avis, avec les Fer-Nés à leurs portes, ils ne pouvaient pas se permettre une guerre contre la couronne après un assassinat. Il lui fallait encore du temps pour consolider ses alliances et en nouer d’autres et trouver de quoi occuper la couronne ailleurs. Il était donc bien décidé à tempérer sa fille et à lui éviter le déshonneur suprême de partager son lit avec un paysan.


Aelinor entra et se rendit compte qu’elle marchait trop vite, alors elle s’arrêta une seconde, prit une grande inspiration et reprit son avancée d’une démarche mesurée et altière en faisant tout pour éviter de regarder Lorent. Baelor arriva peu après et s’installa à la table seigneuriale, tout comme sa fille y fut invitée. Elle se mit le plus loin possible de Lord Caswell à côté de ses filles. Elle leva son verre pendant le discours de Lord Caswell et comme une docile fille, attendit qu’il ait terminé avant de boire une seule gorgée et d’applaudir. Elle qui en arrivant avait le visage fermé souriait même à nouveau, mais Rhonda n’était pas dupe, elle qui connaissait la volonté de Baelor et l’entêtement de sa fille savait déjà que la conversation ne s’était pas bien passée.

__ Lord Caswell, je n’ai rien à ajouter, si ce n’est que nous pouvons compter parmi nos nobles alliés, la Maison Rowan, de par mon épouse, et la Maison Florent, de par l’épouse de mon père. Nos maisons écrivent l’histoire de notre contrée depuis des temps immémoriaux, puissent les Sept nous permettre de faire perdurer nos lignées et avec elles, notre histoire commune.


Mina ne manqua pas d’interroger sa voisine sur Villevieille, le voyage en cours, la capitale et la Hightower ne se fit pas prier pour lui parler de la grandeur de sa cité natale. Baelor quand à lui discutait avec Lord Caswell et Aelinor lui jeta un regard noir.

Baelor voulait lui aussi éviter toute confrontation frontale avec Bronn La Nera et sur ce point l’ensemble de la maison Hightower était d’accord., Aelinor comprise. Mais les circonstances du tournoi risquaient de changer la donne et cela, le Sire de Villevieille l'avait bien saisi. Ils allaient tous se retrouver à Port-Réal, en terres de la couronne, face au gouverneur du Bief tout puissant entouré de ses alliés. La brune aux yeux céruléens connaissait les enjeux également, mais elle n'avait pas la même stratégie que son père. L’un, échaudé par un emprisonnement gratuit se méfiait de Bronn et de son pouvoir, mais souhaitait avant toute chose mettre sa fille à l'abri et préserver la paix et la puissance de sa maison quitte à faire quelques concessions. L’autre, rendue furieuse par l’impunité du reître, avait l’intention d’arrêter se laisser humilier par ce gouverneur de pacotille quitte à déclencher une guerre avant d’être prête à la mener. Elle comptait bien profiter des quelques jours précédant les festivités pour conclure de nouvelles alliances et faire pencher la balance en sa faveur si les choses venaient à s’envenimer. Elle voulait elle aussi attendre patiemment son heure et exécuter le plan de sape discuté avec Desmera, rogner les finances du Grand Argentier, bloquer son commerce dans le Bief, le décrédibiliser peu à peu. Mais il lui était de plus en plus dur de plier l’échine.


La brune aux yeux céruléens arqua un sourcil lorsque Mina lui parla du Prince de Dorne et elle se garda de se moquer d’elle quand elle parla d’amour. Mais elle n’en pensait pas moins. Cette jeune fille avait certainement lu trop de romans à l’eau de rose et pas assez de traités d’histoire pour parler ainsi. L’amour n'existait pas, et moins encore dans leur milieu. Il n’était question que d’alliances et de contrats. Enfin, elle n'était pas celle qui briserait ses rêves de jouvencelle, elle ne pouvait pas faire cela à Lord Caswell. Elle se contenta donc de répondre avec un sourire.

__ Il n’est pas si beau, ne croyez pas tout ce qu’on dit, Lady Mina. Et il est fiancé de toute façon. Mais il y aura certainement les meilleurs chevaliers de tout le continent Lady Mina, n'oubliez pas d’offrir votre ruban à l’élu de votre coeur, qui sait vous pourriez être élue Reine d’Amour et de Beauté.


Elle hocha la tête en soufflant.

__ Mais votre père a raison de se méfier des hommes, certains sont viles et sous des apparence de doux prétendant, ils pourraient vous déshonorer. C’est la pire chose qui puisse nous arriver Ma Dame.


Pendant qu’Aelinor expliquait aux filles Caswell les règles des joutes, la conversation se faisait plus sérieuse de l’autre côté de la tablée. Baelor poussa un long soupir en secouant la tête. Il aurait bien levé son ban pour marcher sur Port-Réal et demander la tête de Bronn si cela avait pu sauver la brune aux yeux azur, il aurait bien fait, comme Lorent le disait, lui transpercer avant qu’il ne pose les mains sur elle. Mais les Fer-Nés menaçaient les côtes du Bief et la Maison Hightower n’était pas encore prête pour faire face à la couronne. Il devait temporiser tout en préservant sa fille de ce rustre.

__ Non… C’est ma fille qu’il convoite Lord Caswell.


Il jeta un œil triste sur Aelinor trop absorbée par sa conversation pour le remarquer ou entendre quoi que ce soit.

__ C’est parce que je lui ai refusé sa main qu’il m'a enfermé. Bon, je l’ai également traité de plouc, mais il voulait non seulement Aelinor, mais égaement marier Humfrey à une femme de son choix. J'aurais pu céder sur l’un des deux, mais fort de sa récente victoire sur les rebelles, il en demandait beaucoup trop.
__ Tu aurais pu éviter l’insulte.


Ajouta Rhonda un peu fâchée.

__ Certes ma chère, mais je n’étais pas prêt à tout lui céder pour deux fiefs qui nous reviennent de droit.


Baelor se tourna vers Lorent.

__ Lord Caswell, je crains qu’il me redemande la main d’Aelinor et ne me laisse que peu de latitude pour refuser. Des fiançailles pourraient la sauver d’une telle mésalliance et je vous connais depuis longtemps, je sais que vous prendriez soin d’elle et la protégeriez comme elle le mérite.


Voilà, la bombe était lâchée, à voix basse pour que la jeune femme ne puisse pas mettre son grain de sel dans leur conversation.

__ Concernant les fiefs, ma fille a peut-être trouvé une piste pour faire invalider sa décision, elle connaît mieux les membres du conseil restreint, elle va négocier avec eux. Pour ma part je tâcherais de trouver des alliances avec les seigneurs Bieffois et également en dehors du Bief. Vous êtes l’un de ceux qui a toute ma confiance et votre position stratégique n’y est pas pour rien dans mon choix de vous proposer ma fille. Cependant, la situation reste tendue. Bronn a déjà récupéré deux fiefs pour les confier à ses proches, les anoblissant dans le même temps et il administre ceux de mes vassaux et maintient l'ordre avec des hommes à lui. Il a également Corcolline sous sa coupe. La situation est déjà compliquée, cependant, nous sommes encore aujourd'hui en large supériorité numérique face à lui. Mais il garde le soutien de la couronne malgré ses frasques et cela nous ne pouvons le tolérer. Vous avez raison, nous pourrions parler au Roi, même si je doute qu'il nous écoute.


En entendant la musique, Aelinor termina sa bouchée et se précipita au milieu de la salle en traînant Mina et Mellessa derrière elle. Une ronde se forma et tous se mirent à danser pour la plus grande joie de la brune aux yeux azur qui tournoyait avec grâce entre ses oncles et cousins, seuls hommes avec son père et son épée lige en qui elle avait confiance.


Son père était content de constater que Lorent était sur la même longueur d’onde que lui, peut-être même plus vindicatif, cela lui faisait penser à Aelinor et il sourit en regardant sa fille danser un instant avant de se tourner à nouveau vers le Caswell.

__ Quant à la mêlée, Garth, mon frère est également engagé, il est garde Royal, mais comme vous dites, les accidents peuvent arriver…

Aelinor fut plus que choquée par les propos de Mine et elle eut beau tout faire pour le cacher, les yeux sévères qu’elle posa sur la jeune fille à peine moins âgée qu’elle trahissaient le fond de sa pensée et, hélas, la toisant de toute sa stature, elle parla trop fort pour que seule Mina puisse entendre.

__ En ces temps où l’ordre établi est bafoué, la vertue est tout ce qu’il nous reste pour faire face à la bêtise crasse d’un gouverneur sans noblesse, ni de sang, ni d’âme. En ces temps où la trahison, le parricide, le vol, le viol, ne tombent plus sous le couperet de la justice du Roi, l’honneur est tout ce que nous avons pour ne pas tomber dans la fange. En ces temps où ce royaume est gouverné par des bâtards, des roturiers, des imbéciles, des nabots et des fous en fauteuil, les règles et la foi peuvent nous sauver de l'infâmie.


Pourtant, pour ce qui était de s’affranchir de certaines règles, Aelinor le faisait allègrement, notamment parce qu’à force de travail, elle avait acquis le droit de négocier pour son père. Ce n’était certainement pas le cas de beaucoup de jouvencelles de la noblesse qui, effectivement, ne seraient jamais que des trophées au bras d'un homme doublées de poules pondeuses pour une lignée. Le fait est qu’en réalité, la brune aux yeux céruléens avait toutes les peines du monde à accepter cette destinée qu’elle savait obligatoire. C’était pour cela que son ambition était bien d’épouser un Roi et de faire des Princes et des Princesses qui à leur tour régnaient sur le Royaume. A ce prix, elle pouvait quitter son nom glorieux, revêtir le manteau d’un autre, lui jurer de le servir et se résoudre à écarter les cuisses. Bref, les règles, anciennes comme nouvelles, la jeune femme avait tendance à les interpreter comme cela l’arrangeait et à les remanier à sa convenance. Mais elle tenait à son honneur, à sa vertue et à son rang peut-être plus qu’à la vie. D’ailleurs, elle aurait pu épouser Bronn pour devenir la Dame du Bief, la Lady de Hautjardin, mais la simple idée de porter le nom de La Néra et de revêtir ses couleurs lui donnait envie de vomir. Alors partager son lit et porter ses enfants, mélanger son sang d’un bleu saphir avec le sien plein de boue, elle ne pouvait l’envisager, fut-il Roi des sept Couronnes encore unifiées.


Baelor se retourna un instant vers Aelinor qui s’était plongée dans la dégustation de son plat suite à son plaidoyer. La jouvencelle était loin de s’imaginer ce que Mina envisageait, car si Desmera Redwyne n’avait pas le choix, cela restait compliqué pour une femme de garder son fief et Lord Lorent pouvait encore se remarier et avoir un fils, même sans la Hightower. Le Bief manquait cruellement d’hommes, morts lors des guerres qui avaient déchiré les Sept Couronne ces dernières années, mais pas de femmes, veuves, comme Denyse, ou à marier, comme la brune. Le Sire de Villevieille reporta son attention sur Lorent.

__ Un mariage parce que vous avez besoin d’un fils et que moi, j’ai besoin d’alliés. Il nous faut unifier le Bief contre Bronn. Nous ne pouvons pas le laisser prendre encore plus de pouvoir et de fiefs, le laisser agir à sa guise jusqu’à ce qu’il nous détruise tous. Ma fille…


Il s'éclaircit la gorge en hochant la tête.

__ Ma fille pense qu’elle peut se soustraire à mon autorité, mais elle fera son devoir une fois qu’elle aura compris l'intérêt de notre alliance. Peu importe la différence d'âge, elle aura ainsi tout le temps de vous donner l’héritier dont vous avez besoin. Quoi qu’il en soit, elle aura bientôt 20 ans et il est largement temps de la marier.


Le Hightower tenait sa fille en haute estime, il savait parfaitement ce dont elle était capable, il l'adorait et admirait sa détermination. Mais il était bien placé pour savoir que la brune avait le chic pour manipuler son monde, que pourrait faire un jouvenceau face à elle à part se faire mener par le bout du nez. Au moins avec un homme d’âge mûr qui avait connu la guerre, qui avait su s’en protéger et qui avait déjà été mariée, elle serait entre de bonnes mains et peut-être s’assagirait-elle. Elle serait une alliée de choix pour les affaires de Lord Caswell et si elle avait hérité de la fertilité des Hightower, elle lui donnerait beaucoup d’enfants. Pouvait-il se permettre d’attendre plus longtemps que la jouvencelle se décide enfin à jeter son dévolu sur quelqu’un. Il lui semblait parfois qu’elle était imperméable à l’amour.

__ D’ailleurs à ce propos, je peux d’ores et déjà vous convier au tournoi et au bal que nous donneront à Villevielle pour son anniversaire en lune 11. Je vous enverrais une missive officielle quand j’aurais arrêté la date précise. Cela dépendra notamment de ce qu’il se passera à Port-Real.


En effet, s’il fallait qu’il prépare un mariage avec Bronn entre-temps, cela risquait fort d’annuler la fête ou de la modifier en profondeur tout du moins. Surtout que vue ce que lui avait dit Aelinor, elle ne comptait pas laisser Bronn survivre au-delà du banquet de mariage, il faudrait donc qu’il prépare une guerre impossible à gagner en plus d’un mariage impossible à célébrer dans la joie et l’union. Cela dit, il connaissait suffisamment sa fille pour savoir qu'elle avait probablement parlé sous le coup de la colère et que, si elle pouvait largement envisager d’empoisonner Bronn avant la nuit de noces pour ne pas qu’il la touche, elle trouverait certainement une autre solution qui ne les jetterait pas tous dans un conflit armé pour lequel ils n'étaient pas prêts.

__ Je ne connais pas beaucoup de Seigneurs célibataires ou veufs avec des rentes dignes d’une Hightower et en qui j’ai pleinement confiance. Je ne vous donne pas la plus docile des femmes, mais je sais que vous saurez en prendre soin.


Humfrey avait apprécié son écuyage chez Lord Caswell et en disait beaucoup de bien, ne pouvant décemment pas unir Aelinor aux Florent ou au Rowan, les choix étaient limités, surtout après cette guerre meurtrière. La majorité des seigneurs de grandes maisons étaient mariés, et les autres étaient parents de la lignée Hightower. Evidemment, Baelor aurait pu choisir un membre du conseil restreint, mais vu le niveau de noblesse ou de santé, c’était inenvisageable. Sa dernière option était donc un seigneur d’un autre royaume, très intéressant pour le commerce, mais moins contre La Néra. Son choix était donc arrêté, que la brune aux yeux céruléens soit d’accord ou non.

__ A vrai dire, j’avais espéré que vous puissiez vous marier et consommer le mariage au plus vite pour éviter que Bronn ne puisse s'y opposer. Mais si vous préférez que nous ne signons que des fiançailles pour le moment et que nous nous donnions le temps d’y réfléchir avant de concrétiser l’union, nous ferons comme bon vous semble.


Répondit Baelor, gêné devant la réticence de Lorent mais toujours déterminé à donner sa fille en mariage à un noble Bieffois pour unir le Bief derrière la Maison Hightower et se débarrasser de Bronn. Il était néanmoins heureux d’apprendre que le Seigneur de Pont l’Amer partageait son aversion pour La Nera et qu’il était d’accord pour lui offrir son soutien même sans épouser Aelinor. Le fait que sa fille soit plus proche en âge des propres filles que Lorent que du Seigneur de Pont l’Amer ne lui posaient aucun problème, après tout, si Rhonda avait à peu près le même âge que lui, ce n‘était pas le cas de la quatrième épouse de son père qui avait 15 ans quand elle l’avait épousé alors que le patriarche avait presque 50 ans.

__ Vous avez raison, nous verrons à quoi cela aboutira, mais Aelinor tenait à passer par les voies légales dans un premier temps. Elle connaît bien les membres du Conseil Restreint depuis le temps qu’elle s’est installée à la capitale. Elle n‘ignore certainement pas de quel soutien bénéficie Bronn, mais elle connaît également leurs dissensions et souhaite faire vaciller sa position en le décrédibilisant aux yeux de ses pairs à la capitale.


Cette dernière pensait qu’avant d'entamer la moindre action contre le gouverneur du Bief, il fallait d'abord détruire le Grand Argentier, mais hélas, même ses frasques à Hautjardin contre Baelor n'avaient pas fait réagir la couronne. Lorent avait peut-être raison, Bronn semblait indétrônable ayant qu’il était incontrôlable.

__ Hélas, mes vassaux l’étaient jusqu’à leur folle rébellion, mais il les a tous tués. Cependant, je peux voir avec les fermiers que nous connaissons. Aelinor pourrait passer voir Lady Talla pour obtenir des informations et établir des contacts.


Dansant un menuet avec Humfrey, la gracieuse jeune femme souriait, mais elle avait bien remarqué que son père parlait depuis un moment à Lorent et si elle n’avait rien entendu, elle le savait au moins aussi têtu qu’elle, se doutant bien, vu comment son père la regardait,  qu’ils ne devisaient pas du temps qu’il ferait.

Aelinor avait été quelque peu sèche et vindicative dans son monologue, mais elle défendait ses valeurs et  cela, elle le faisait toujours avec ferveur. Elle se radoucit cependant en s'apercevant que Mina avait sursauté et que sa cadette la regardait avec surprise. Elle y était peut-être allée un peu fort. En plus, Lord Caswell et son père avaient également tout entendu vu le regard qu’ils lui jetèrent. Elle baissa le ton.

__ J’accepte vos excuses, mais elles ne sont pas utiles, vous êtes encore jeune et vous avez tout le temps d’apprendre. Votre père vous a protégé des vicissitudes de ce monde toutes ces années et il a bien fait. Je comprends votre sentiment mieux que personne, je décide de beaucoup de choses, mais ce pouvoir je l’ai gagné en prouvant à mon père que j’en étais digne. Pourtant, ma vie ne m’appartient pas, elle appartient à ma famille et à mon devoir, elle appartient aux Dieux. J’ai voyagé jusqu’en Essos, j’ai vécu à Port-Real sous le règne de Joffrey, de Cersei et enfin de Brann. La moindre erreur aurait pu m’être fatale. D’ailleurs j’ai failli perdre la vie lors de l’explosion du Grand Septuaire dans laquelle a péri Dame votre mère. Je ne dois ma survie qu’à la chance. Alors je suis reconnaissante envers mon père de m’avoir formée et de son exigence envers moi avant qu’il ne me laisse œuvrer pour ma Maison. Ma vie en dépend à chaque fois qu’il n’est pas avec moi, alors ne soyez pas trop pressée de faire vos propres choix. Les règles nous préservent et quand elles tombent, ni les Dieux ni nos pères ne peuvent plus nous protéger.


Faites ce que je dis, pas ce que je fais. Même si à ce moment-là, la brune aux yeux céruléens était encore loin de penser purement et simplement doubler son père au sujet des fiançailles, elle savait déjà que les règles qui s’appliquaient à elle n’étaient pas tout à fait les mêmes que celles que devaient suivre les filles Caswell. Son indépendance et son ambition n’étaient pas nouvelles, mais c’était bien elle qui avait apporté de nouvelles alliances à son père, alors il pouvait bien jouer les patriarches autoritaires, elle était décidé à ne pas le laisser lui fermer les portes par un mariage dont elle ne voulait pas. Elle lui avait pourtant toujours obéi jusqu'ici, se pliant à ses règles pour gagner sa confiance et en détourner certaines à son profit. Ces deux animaux politiques n’avaient jamais été en conflit, parce qu’Aelinor avait toujours œuvré pour la prospérité de la Maison Hightower tout en gardant sa précieuse vertu pour le Grand Jour de ces noces avec un Suzerain ou un Souverain en place. Baelor avait lui-même toujours nourri cette même ambition. Mais la situation des différents suzerains, le mariage prochain d’Edmund Gargalen avec Elia Dayne, le fait que Brann ne voulait aucune descendance, si tant est qu’il soit capable d’en produire une, cela changeait la donne. Sa fille prenait de l’âge et Bronn continuait de grignoter le Bief, pouvait-il encore se permettre de repousser l'échéance en espérant une meilleure opportunité pour elle qu’un puissant Seigneur désirant la même chose que les Hightower : la fin du Grand Argentier ?


Baelor ne put que sourire à l’évocation du caractère de sa fille. Lorent avait probablement raison, mais il continuait de penser pouvoir la convaincre du bien fondé de ce mariage et il gardait la possibilité de la forcer, parce qu’elle avait toujours rempli son devoir envers sa famille malgré ses grands airs d'indépendance. Lui, il savait ce à quoi elle s'était pliée avec docilité avant d'acquérir chaque liberté qu’il lui avait octroyée. Ce qu’il ignorait encore, c’était qu’elle avait trouvé le moyen de devenir Reine et qu'elle ne comptait pour rien au monde laisser échapper cette opportunité.

__ Dans ce cas, je vais tâcher de la convaincre de mon côté plutôt que de lui forcer la main.


Il était vrai qu’à chaque fois que Baelor lui avait imposé quelque chose, elle avait quelque chose à gagner, que ce soit le droit de monter à califourchon ou de représenter la famille à la capitale. Peut-être adhérera plus facilement à l’idée si elle y voyait son intérêt personnel plutôt que celui de son père. Mais n’était-elle pas, comme lui, prête à tout pour évincer Bronn de Hautjardin et permettre aux Hightower de reprendre la suzeraineté du Bief ? Que pouvait-il bien se passer dans sa petite tête de mule pour qu’elle refuse cette opportunité ? Bon, il avait peut-être précipité cette annonce, tant pour sa fille que pour Lord Caswell, une bien mauvaise entrée en matière. Il n’avait pas le talent de cette dernière pour faire adhérer les autres à ses plans, il fallait qu’il s’entretienne avec elle pour lui expliquer les différentes raisons qui faisait de Lorent le meilleur parti. Elle se chargerait, une fois convaincue, de le séduire et de lui montrer qu’elle était prête à remplir son devoir envers lui.

__ Je me réjouis de votre présence.


Dit le gouverneur de Grand Tour avant de rire lui aussi. Il avait beau ne pas être un papa poule, mais plutôt le genre de père prêt à envoyer sa fille au charbon pour défendre les intérêts de Villevieille, mais parce qu’elle le voulait bien de son côté aussi, il voulait la protéger malgré tout. Il avait eu tellement peur pour elle lors de l’explosion du Grand Septuaire. Heureusement il avait su très vite après cette terrible nouvelle qui, déjà, avait emporté une bonne partie de sa famille, qu’elle était en vie et qu’elle allait aussi bien que possible après un drame pareil. Il avait pu constater de ses propres yeux, peu après, que physiquement, elle n’avait rien. Mais elle était revenue à Villevieille avec des crises que nul remède ne parvenait totalement à calmer, des cauchemars qui la réveillait en pleine nuit. Le temps en était venu à bout, tout du moins le pensait-il. En réalité, la brune avait enfoui cela tellement profondément, que plus rien n’était visible en surface mais que la terreur se tenait prête à ressurgir à la moindre occasion de manière encore plus violente qu’elle ne l’avait fait jusqu'alors. Et tout ça pour ne rien montrer de sa faiblesse et ne surtout pas donner l’occasion à son père de l'empêcher de retourner à Port-Real une fois la situation apaisée.

__ Vous craignez qu’elle se refuse à vous ?


Le Hightower hocha la tête et se garda de rappeler au Caswell qu’une fois marié il était en droit de la prendre de force s’il le voulait. Aucun père décent ne voulait cela pour sa fille, quand bien même c’était simplement le devoir d'une femme que de se plier aux désirs de son époux dès la nuit de noce et de tout faire pour engendrer un héritier. Il comprit ensuite que Lorent pensait qu’elle pourrait bien aller nettement plus loin qu'un simple non pour ne pas le laisser consommer ce mariage. Il était certain que si cela avait été Bronn, elle aurait tout fait pour qu’il ne soit pas en mesure de la toucher, mais elle aurait plus probablement opté pour le poison que pour tout autre moyen. Elle n’aimait pas se salir les mains, ne connaissait rien de l’anatomie masculine et ne savait pas manier autre chose que sa langue acérée. Mais surtout, Lorent n’était pas Bronn, c’était le Seigneur de Pont l’Amer et Aelinor remplirait son devoir envers lui parce qu’elle savait que l’unité du Bief était bien plus importante que toute autre chose.

Baelor aussi avait longtemps surprotégé Aelinor, à sa manière un peu gauche, il avait essayé de la tenir éloignée de tout danger et dans le même temps, du monde. Mais Rhonda lui avait expliqué longuement, avec toute la patience et la pédagogie dont elle savait faire preuve, qu’il ne pourrait pas toujours la protéger et qu’elle serait plus forte et plus à même de se garder en sécurité s’il lui disait la vérité. Alors le Hightower et son épouse avaient entrepris d’informer leur fille, de la former, pour qu’elle ne soit pas surprise de la cruauté du monde et des manigances dont les gens étaient capables. Pour se protéger elle devait être capable de manipuler, elle aussi, les gens. En revanche, si on l’avait mise en garde contre les hommes et leurs désirs, si on lui avait dit de faire attention à ne pas les attiser et si on lui avait dit de rester intacte à tout prix, on ne lui avait pas expliqué en détail en quoi tout cela consistait, ni d’ailleurs ce que cela impliquait précisément. Cela, elle l’avait découvert seule, la séduction, et ce que cela impliquait de céder. Gladys Mullendor lui avait expliqué et comme elle le craignait depuis qu’un étalon avait essayé de saillir sa ponette, c’était absolument dégoûtant. Elle n’avait pas hâte, même si elle savait qu’elle devrait y passer tôt ou tard, et elle ne le souhaitait pas non plus à Mina, mais elle ne se faisait aucune illusion sur ses chances de rester célibataire, de plus à moins de devenir Septa, ce qui n’avait rien d’amusant non plus, rester vieille fille n’était pas non plus une position enviable. Autrement dit, il fallait choisir entre la peste et le choléra.


Touchée par la douce innocence de Mina, Aelinor prit sa main et sourit, la laissant terminer sa longue tirade avant de répondre d’un ton bien plus doux que celui précédemment employé.

__ Vous êtes déjà une femme, mais il ne le sait pas encore. Quand il s’en rendra compte, il vous trouvera un époux convenable et…


La Hightower hésita. Si Mina restait l’ainée, même en tant que femme, elle pourrait hériter et régner avec l’homme qu’il fallait à ses côtés, trouverait-elle cependant un homme qui renoncerait à son nom afin de léguer le sien ? Y avait-il un oncle ou un quelconque cousin qui pourrait faire main basse sur Pont l’Amer ? Si Lord Caswell se remariait et avait un fils, alors, elle n’aurait rien. Rien de plus qu’une belle dote pour aller servir une autre maison. Aelinor jeta un coup d'œil furtif à Lorent, se demandant ce qu’il voulait pour sa fille et, s’il voulait vraiment une fils, pourquoi il ne s'était pas déjà remarié. Elle soupira, puis reportant son regard sur la jouvencelle, elle sourit avant de finir sa phrase.

__ Et tout ira pour le mieux. Que vous gériez Pont l’Amer ou une autre maison.


Y croyait-elle seulement ? Elle ne connaissait pas suffisamment bien la généalogie des Caswell pour savoir si seul un fils légitime pouvait assurer la pérennité du fief, mais sans le moindre doute, seul un fils pouvait garantir la pérennité de leur nom. Il y avait du monde pour prétendre à cet héritage, mais peut-être soutiendraient-ils les filles, ou peut-être pas. Lorent devait savoir et surtout, il devait s’en assurer s’il voulait véritablement préserver Mina.

***

Baelor ne comprit pas pourquoi le Caswell recracha son vin, avait-il dit une bêtise ? Il comprenait les craintes de son ami et comptait bien le rassurer quant à l'obéissance de sa fille. Elle était certes dotée d’un caractère bien trempé, mais c’était une jouvencelle de haute naissance éduquée pour honorer la Maison Hightower par un grand mariage fructueux et sans tâche. Il acquiesça, sur le fait qu’en privé, les femmes avaient souvent le dernier mot. Il regarda Rhonda avec tendresse et prit sa main en souriant. La née Rowan était certainement moins têtue qu’Aelinor et probablement moins qu’Olendra, selon les dires de Lorent. Elle savait convaincre en douceur, mais le Hightower n’était pas dupe, elle avait une réelle influence sur lui et sur ses décisions. Cependant, si dans le couple il y avait une tête de mule, c’était bien lui, peut-être que sa fille tenait cela de lui finalement, là où son épouse elle ne s’opposait jamais à ses décisions. Quand elle n’était pas d’accord, elle l’exprimait toujours sans élever le ton, et elle lui laissait le temps de réfléchir, répétant autant de fois qu’il le fallait pour qu’il finisse par changer d’avis. Et parfois, il ne changeait pas d’avis et elle se pliait à sa volonté comme elle le devait.

__ Je suis persuadé que vous vous comporterez bien avec Aelinor, je ne vous proposerais pas ce mariage si je n’en était pas certain. Mais ma fille connaît ses devoirs et je ne doute pas qu’elle saura, comme sa mère le fait, vous épauler avec patience et douceur.


Il sourit. Pour lui, il était clair qu’une jeune femme devait consommer le mariage le soir de ces noces, mais avec un homme un tant soi peu experimenté et doux, cela ne devait pas être si terrible. Comme toutes les jeunes mariées, Aelinor s’y plierait et elle y survivrait. Rhonda était passée par là et elle ne s’était jamais plainte, quand au plaisir, il avait fallu quelques temps pour qu’ils se découvrent réellement et Cela justifiait en tout cas le fait de marier des jeunes filles à des hommes plus âgés et que les jouvenceaux fassent leurs armes auprès des prostituées et des servantes histoire de ne pas arriver à la nuit de noces sans savoir comment faire.

__ C’est en grande partie parce que je n’ai aucune confiance en Bronn sur ce point et sur bien d’autres que je ne veux pas qu’il l’épouse. Son nom en est une autre, certes, mais s’il avait un comportement digne d’un gouverneur du Bief, je pourrais consentir à une telle union, là, il n’en est pas question surtout après qu’il m’ait enfermé.


Hochant la tête, il écouta Lorent exposer son plan et exposa ensuite le sien. Toute tentative serait risquée, cela faisait partie du jeu et hélas, c'était la raison pour laquelle depuis la dernière rébellion personne n’avait levé le petit doigt. Il était cependant temps que cela cesse, Bronn allait trop loin. Que se passerait-il s’il parvenait finalement à obliger Baelor à lui donner sa fille en mariage ? Aelinor ne se laisserait jamais faire et elle ne se ferait pas prier pour afficher son désaccord en public. Elle avait annoncé la couleur de toute façon en disant qu’il ne passerait pas la nuit de noces. Oui, elle l’empoissonnerait certainement, mais à quoi cela conduirait la Maison Hightower, sa fille, et le Bief tout entier ? Une guerre ? Encore ? Une guerre qu’ils ne pouvaient pas gagner ?

__ C’est une bonne idée de faire en sorte que la couronne ait plus à perdre à soutenir Bronn qu’à le lâcher ou le destituer. Peut-être faudrait-il réfléchir à un plan dans ce sens.


Comment ? Il n’en avait aucune idée, mais affaiblir la position de Tyrion était sans nul doute une étape indispensable de ce plan et cela l’était aussi dans le plan qui consistait à raviver la rage d’une famille éteinte pour justifier la mort de La Néra. Tout en réfléchissant et en se caressant la barbe il continua.

__ Et si cette demoiselle de famille éteinte se prostituait pour arriver à ses fins ? Et qu’elle mourrait assez rapidement après son forfait ? Mais bien sûr, nous nous ferions passer pour les messagers d’un noble vengeur, elle ne le tuerait pas pour nous, d’ailleurs, il vaudrait mieux engager un intermédiaire que nous exécuterions dès le plan terminé. Elle n’aurait ainsi jamais vu nos visages. Encore faudrait-il trouver un intermédiaire de confiance.


Effectivement, Bronn payait bien et ne maltraitait pas les prostituées, c’était même un excellent client des bordels de Port-Real selon les dires d’Aelinor. Le plan était bien ficelé, il tenait debout, mais il serait long à mettre en place et la question des maisons à impliquer restait entière.Baelor pensait que moins ils étaient nombreux à savoir, moins les risques de fuite étaient importants mais en même temps, il leur fallait du soutien. Cela dit, est-ce que Lorent ne se compliquait pas trop la vie à vouloir infiltrer plusieurs maisons si un seul survivant de la famille suffisait ?

__ Je comprends que vous vouliez infiltrer plusieurs maisons pour que les soupçons ne pèsent pas sur vous, mais si se sont des membres d’une famille éteinte, il ne peut pas y en avoir beaucoup,plus d’un semblerait étrange. L’avantage de la Lady devenue catin était que cela éloignait le méfait de votre famille, et donc les possibles accusations de vous. Nous aurons peut-être moins de prise, mais cela simplifiera l'élimination des personnes impliquées.


Aelinor quitta les bras de son oncle pour reprendre son souffle après que les dernières notes de musique se soient éteintes. Quand elle vit Lorent s’approcher, elle voulut retourner fissa danser avec Humfrey, mais celui-ci était déjà pris, alors elle n’eut pas d’autres choix que de faire face au Caswell. Elle regarda ses pieds, lissa sa robe et releva la tête, inspirant profondément avant qu’il n’arrive devant elle. Alors, elle s’inclina brièvement en prononçant son nom.

__ Lord Caswell.


Répondit-elle en affichant son plus beau sourire.

__ Le plaisir est partagé.


Se saisissant du verre, elle trempa ses lèvres dans le vin, buvant la plus petite gorgée possible, estimant qu’elle avait suffisamment but pour la soirée, mais ne pouvait pas refuser le verre tendu par celui que son père voulait qu’elle épouse. Elle n'était pas d’accord, mais elle savait que ses chances de faire comme elle voulait étaient minces, alors il n'était pas question de s’attirer les foudres de Lorent et dans le même temps celle de Baelor. Si ce mariage venait à être prononcé, elle supporterait très mal de devoir vivre avec une homme qui la détestait à cause du fait qu’elle se soit montrée désagréable. Tant qu’à faire, autant qu’il soit séduit, cela rendrait la chose vivable au moins.

__ Pas le moins du monde, c’est une jeune fille très bien élevée, elle est seulement en quête de liberté et je crois bien qu’elle surestime grandement celle dont je jouis. J’imagine combien il doit-être difficile de laisser ses enfants affronter ce monde qui parfois peut être cruel et tellement dangereux. Et puis vous êtes un homme, vous savez donc parfaitement de quoi vos congénères sont capables vis à vis des jolies jouvencelles trop ingénues.


La brune aux yeux céruléens changea son verre de main pour tendre la droite à Lorent afin de le laisser la prendre pour l’emmener ailleurs, dans un endroit tranquille où ils pourraient discuter. Elle n’était pas dupe, Baelor lui avait fait la proposition, ce n'était pas la première fois qu’ils échangeaient, mais elle avait jusqu’ici plus l’habitude de s’amuser avec ses filles que de passer du temps avec lui. Leur différence d’âge et le fait qu’il connaisse très bien son père et que son oncle lui voue une admiration sans faille ne les avait jamais rapprochés.

__ Ferions-nous quelques pas dehors ?

Le père d’Aelinor n’aurait jamais accepté qu’elle porte une arme. Il estimait que ce n’était pas le rôle d’une noble dame que de se défendre, mais celui de son épée lige. Pour lui, une femme n’avait pas le droit de se défendre par elle même. Il savait bien qu’à moins de s'entraîner, une dague dissimulée ne servait pas à grand-chose à part à se faire tuer, or, sa fille avait autre chose à faire que de s'entraîner au maniement d’une lame. De toute façon, son rang et la stature de sa Maison la protégeait de la plupart des dangers, il faudrait être fou pour s’en prendre à elle et risquer que ne déferle l’ire vengeresse de Villevieille. La situation était différente pour les Caswell, et leur père, s’ils n’était pas plus permissif, avait au moins conscience qu’un nom et un ou deux gardes ne suffisaient pas toujours. Cette dernière aurait d’ailleurs certainement refusé de porter une arme, mais n’était-ce pas pour plaire à son père qu’une fille adhère à ses valeurs ?


Baelor l’aurait-il aimé autant si elle avait joué les rebelles, lui aurait-il laissé representer la Maiso Hightower à la capitael et oeuvre pour elle s’il avait pensé qu’elle puisse lui faire du tort par une attitude qui ne soit pas en accord avec son sexe ? Oh, elle avait certainement plus de caractère que la plupart des jouvencelles de son âge, mais c’était son rang qui lui conférait la confiance suffisante pour asseoir ses aspirations et jouer avec les limites. Il en était fier et l' encourageait, tout se passerait bien tant qu’elle ne remettait pas son autorité en doute. Cette fois était la première et peut-être qu’elle n’était pas têtue pour rien, peut-être qu’il était aussi très tétu et que c’était parce qu’ils avaient tous deux le même caractère parfois borné qu’il tenait tant à ce qu’elle épouse celui qu’il avait choisi et qu’elle tenait tant à en épouser un autre.

__ Encore merci. Veillons ensemble sur nos filles et tâchons d'empêcher Bronn d’acquérir la moindre stature. Son titre ne fait pas de lui un gouverneur du Bief même s’il nous empêche bel et bien de vivre tranquillement dans notre propre contrée. Je gage qu’il n’est pas prêt de trouver une épouse vu comment il se comporte avec les jouvencelles et leurs Seigneurs pères.


Concernant le Gnome qui officiait comme Main du Roi et qui était également le plus précieux soutien de Bronn à la cour, il écouta Lorent avec attention, l’homme semblait savoir de quoi il parlait quand il disait pouvoir susurrer certains mots aux bonnes personnes pour les encourager à d”faire le Lannister. Amusé par cette ressemblance avec sa progéniture, il répondit.

__ Vous devriez parler de cela avec Aelinor, elle est en très bons termes avec Lady Megalis Farman qui a certainement des informations sur les différents soutiens et ennemis de Lord Tyrion. Peut-être même fait-elle partie de ces derniers, après tout les Farman ont payé un lourd tribu dans la guerre de Cersei. S’il n’était pas un membre de la famille qui a assassiné les enfants de ma sœur et qu’il lâchait le paysan, je pourrais l'apprécier, mais je crains que seule sa chute nous apporte ce que nous voulons.


Hochant la tête, le Sire de Villevieille dû se rendre à l’évidence, Lorent avait raison, la douce vie de suivante était plus agréable à envisager avant de commettre un méfait que celle de catin à la capitale, fut-elle celle de Bronn, certainement mieux traitées que les autres et bien mieux payées. Il sourit.

__ C’est vrai. cela me convient. Mais je ne peux prendre cette seconde personne dans mon entourage, ce serait à mon avis trop gros pour ne pas éveiller les soupçons, je peux peut-être demander à Lord Rowan, s’il apprend que Bronn veut forcer sa petite fille à l’épouser, je doute qu’il reste sans rien faire. Cela fera une personne de plus au courant, mais il ne trahira pas son beau fils. Cela resterait en famille et cependant assez éloigné de Villevieille pour que l’enquête ne se dirige pas vers nous. Quant à tuer l’homme de paille, il pourra s’en charger sans ciller s’il s’agit de protéger Aelinor et Rhonda. Il nous reste à trouver ce témoin de moralité qui permettrait de définitivement écarter le risque d’une accusation et d’un procès. En effet, les preuves devraient suffire en théorie, mais mieux vaut assurer nos arrières. Vous avez une idée ?

***

Aelinor allait remercier Lord Caswell pour ses vœux qu’il ne lui arrive rien à elle, comme à ses filles, mais la fin de sa tirade la surprit tellement qu’elle ne put s’empêcher de répéter d'un ton plein stupeur.

__ S'entraînent ?


Elle cligna des yeux et secoua légèrement la tête sans comprendre réellement de quoi il retournait, même si elle se doutait qu’il s’agissait de combat, puisqu’elles s'entraînaient avec leur oncle.

__ Et à quoi s'entraînent-elles donc ?


Demanda-t-elle avant de comprendre le lien avec le fait de ne plus être un homme après une telle rencontre. Alors son regard s’illumina et sa bouche dessina un A puis un O durant lequel elle fronça les sourcils.

__ Vos filles n’ont-elles pas d’épées liges ?


La brune aux yeux céruléens était pourtant certaine que c’était le cas, alors à quoi bon les entraîner. La question restait entière cela dit, à quoi pouvaient-elles bien s'entraîner qui soit suffisamment discret pour être porté par une Dame. Une dague évidemment ! Elle pensa à son père qui disait qu’il était plus dangereux qu’autre chose pour une dame de porter une arme sur elle, qu’elle risquait de se blesser ou d’être blessée par un éventuel agresseur et qu’elle devait laisser ce genre d’outil aux hommes. Cela n’avait pas empêché Baelor de confier sa lance à Desmera pour mettre à mort le cerf ni à ses sœurs d'apprendre à tirer à l’arc. Parfois, il avait des principes à géométrie variable et se montrait bien plus orthodoxe avec sa femme et sa fille qu’avec les autres. Mais elle préféra se taire que d’outrepasser un peu plus la politesse qu’elle devait à son hôte, qu'elle partage ou non les convictions de son géniteur n’importait guère, elle n’avait pas à juger les choix d’un père pour ses filles. Mais elle préférait quand à elle laisser ses gardes se battre et ne pas avoir à se servir d’un tel objet, jamais. Même à la chasse elle ne tuait pas, pas que la mort lui fasse peur, mais elle n'aimait pas se salir les mains, elle préférait orchestrer et commander.


Tandis que Lorent emmenait Aelinor dans le jardin de Pont l’Amer, la jouvencelle observait les haies et les buissons, les fleurs et les allées. Elle aimait les jardins d’autant plus que c’était le genre d’espace qu’il manquait à Grand Tour. Elle huma le parfum des roses et des pivoines qui se mélangeait à celui des feuilles coupées et à l’odeur de la nuit. Le silence s’installa entre le Caswell et la jouvencelle et elle pouvait écouter la musique de leurs pas sur les graviers et la légère brise dans les feuillages. Il lui proposa sans un mot de s’installer sous une arche, elle vit une inscription dessus, la devise de la Maison, puis elle s’assit, observant les colonnes avant de reposer les yeux sur le Sire de Pont l’Amer qui venait d’ouvrir la conversation. Elle le laissa finir son argumentaire en faveur de Baelor, elle savait que les deux hommes se connaissaient et s'appréciaient de longue date, elle savait aussi qu’Humfrey devait savoir beaucoup de choses sur lui puisqu’il avait été son écuyer.

__ J’imagine qu’il en est de même pour les mères, et pourtant, elles ont rarement leur mot à dire.


Fit-elle un peu sèchement. Elle reprit d’un ton plus doux, même si son visage était dénué de la moindre trace de sourire. Son sérieux ne faisait donc aucun doute, patiente et posée, c’était une femme faite rompue à la politique et aux jeux de pouvoir. Elle avait déjà cette volonté d’avoir une position centrale alors qu’elle n’était qu’une enfant, ce désir ne s’était pas calmé avec le temps, mais elle avait été obligée de mûrir vite. Il était facile de vouloir, mais même en s’appelant Hightower, pouvoir était une autre paire de manches, s’imposer dans le jeu de cyvosse qui se jouait chaque jour requiert une habileté qu’elle avait dû mettre à l’épreuve maintes fois.

__ Je sais que le Seigneur mon père tient à moi, je sais qu’il veut le meilleur pour moi et qu’il me veut en sécurité. Je sais aussi qu’il s’inquiète quand je suis à Port-Real, encore plus depuis que Bronn lui a demandé ma main. Je n’en suis que plus prudente avec le Grand Argentier, mais je dois avouer que je ne l’ai pas vu venir, il a bien caché son jeu. Le fait que je ne parvienne pas à le lire fait de lui un homme dangereux, j’en ai bien conscience. Mais justement, je pense qu’il est prêt à tout pour humilier mon père et plus généralement les seigneurs du Bief qui le méprisent. Alors je ne crois pas que des fiançailles avec vous l'arrêteraient, vous êtes sous son autorité tout comme mon père et il s’opposera certainement à cette union. Donc je dois trouver quelqu’un de plus puissant pour éviter l'opprobre d’abandonner le nom illustre de Hightower pour celui de La Néra. J’ai conscience qu’il nous faut des alliés dans le Bief pour en venir à bout, mais à mon sens, cela n’est pas suffisant et tant qu’il sera en vie, nous ne serons pas libres de nos choix.


Ses yeux céruléens se posèrent sur le Caswell quand il posa sa question. Une question qu’elle trouva terriblement intime. Un sourire en coin se dessina sur sa bouche tandis qu'elle le fixait d’un air de défi. Mais avant, c’est lui qui se dévoila en regardant la lune, ce qui laissa tout loisir à la brune de l'observer et de détailler ses traits, le reflet de l’astre de la nuit dans ses cheveux et sur son visage, de s’apercevoir à quel point il était grand et puissant. Ce n'était pas la première fois qu’elle le voyait et elle avait déjà pu constater qu’il était loin d’être hideux et que ce n’était pas un gringalet, mais c'était la première fois qu’elle le regardait vraiment. Pas comme le père de ses amies, mais comme un homme.


Quand il eut terminé, elle ne détourna pas les yeux, et à nouveau elle sourit, avec une certaine tendresse cette fois. Sans commenter ce qu’il avait dit autrement que par un hochement de tête compatissant, elle répondit à son tour, son regard se faisant alors plus déterminé.

__ Je veux…


Une couronne.

__ Je veux que le nom pour lequel je devrais abandonner le mien soit aussi glorieux que celui qui m’a vu naître, je veux que le manteau qui recouvrira mes épaules soit aussi beau que celui que j’aurais en entrant dans le Septuaire. Je veux que le fief qui me verra devenir femme et mère soit une garantie de mon rang et de mon pouvoir. Je veux que mes enfants aient la chance de grandir dans les mêmes conditions que moi et qu’ils n’aient jamais à s’inquiéter pour leur avenir.


Pure vérité que tout cela, même si, les yeux dans les yeux, elle taisait le principal. Il voulait juste assez de pouvoir pour éviter que sa famille soit prise dans les tourments des puissants, elle, elle voulait faire partie des puissants, créer les tourments s’il le fallait. Mais peut-être que lui aussi taisait certaines de ces ambitions pour éviter qu’elle ne prenne peur ou par crainte qu'elle se serve de cette information contre lui.