Estel Runahir || Survive or Die

>>>> Je ne suis pas très doué en matière de… Enfin, bref… Mon frère disait souvent que j’étais semblable aux branches de l’arbre qui ornent notre emblème ; souple et calme. D’après lui, il s’agissait d’une chance comme d’une malédiction. Et j’admets ne jamais avoir bien saisi le sens de ces mots.

J’ai appris à me faire discret, à développer mon agilité pour escalader les murs de notre château puis toutes sortes de bâtiments afin d’échapper à la surveillance de ma… De ma mère. Je sais me faire oublier, écouter plus que je ne parle et disparaître lorsque la situation devient dangereuse. C’est pour cela que mon frère m’a rapidement associé aux branches, plus qu’au tronc de notre arbre ; cette image lui correspond davantage. Par ailleurs, s’il me faut être honnête, je dirais que mon caractère vient en partie de lui. Il m’a enseigné beaucoup lorsque notre mère était trop occupée avec ses responsabilités. Je manie si bien la fronde et le couteau grâce à lui, même si d’autres lui ont succédé en matière de combat.

Petit fouineur, c’est ainsi qu’il aimait me surnommer enfant. Dans sa bouche, ces mots ne sonnaient jamais comme une insulte, plutôt comme un compliment teinté d’inquiétude. D’après lui, les gamins trop curieux ne survivaient pas longtemps ; je lui ai donné tort, même si je ne pourrais jamais véritablement lui prouver.

En plus de toutes ces belles choses, il semble que la chance ait finalement décidé de m’accompagner à ma fuite de Myr. Je me suis retrouvé dans des situations dangereuses, mortelles pour certaines, et pourtant j’ai toujours su m’en dépêtrer avec panache. Quelle chance, n’est-ce-pas ? Je me moque, bien évidemment. Je ne crois pas un seul instant à la chance, ni aux dieux, car s’ils existaient véritablement mon père ne serait pas mort empoisonné et ma mère n’aurait pas… Peu importe. Tout ce qu’il faut savoir, c’est que ces gens qui se réfugient derrière de tels préceptes me font doucement rire ; j’ai autant pitié d’eux que je les envie.

Si je suis insolent ? Oui, très certainement. C’est un vilain défaut que je ne possédais pas avant mais qui s’est forgé une place de choix en moi. Enfin, pour quelques-uns il s’agit plutôt d’une grande qualité. Personne ne s’accorde à ce sujet, il semblerait.

En revanche, les gens sont unanimes lorsqu’il est question de ma… De mon… Incapacité à être homme au lit. Je suis trop prude, trop idiot aussi, si j’écoute les autres ; comme si j’en avais quelque chose à faire. Le sexe, très peu pour moi. Et si un abruti m’attaque à cause de pareilles stupidités, je me fais un plaisir de le noyer. C’est ironique non ? Les types de ce genre se vantent que courir la gueuse et la trousser sans respect leur apporte vigueur et force, mais ils se font mettre à terre et tué par un « puceau ».

Mon frère trouverait ça drôle, j’en suis certain. Et il me féliciterait sans doute d’avoir appris à manier le calme des branches et la robustesse de l’arbre.

>>>> Redoutable à la fronde et excellent grimpeur – A appris à manier une hache pendant ses premières années auprès de Yara – Appétence pour l’histoire et l’aventure

>>> Famille Runahir

    Devise : Bless the roots. Honor the memory.

Père – Rehzan Runahir (†) & Lahirsy Runahir
Frère – Ehsan Runahir (Magistrat de Myr & Légat de sa demeure) & son épouse Melirys née Drelanoir

Pseudo -  Ill pour les intimes !
Âge - J’arrive sur mes 26 printemps ; le temps passe si vite.

Comment as-tu découvert le forum ? - Taranys. C’est toujours Taranys.
As-tu des suggestions pour améliorer ATGW ? - Le gars c’est la vie.
As-tu lu le règlement et l'acceptes-tu dans son intégralité ? - Oui, m’dame !

Quelque chose à ajouter ? - I bite. Hard. Don’t fight me.

Dame Lahirsy est dévastée. Elle s’est recluse dans ses appartements et refuse que quiconque le dérange.

Seigneur Rehzan est mort cette nuit ; empoisonné par ses ennemis du Magistrat. Une tragédie pour tout le palais ; nous l’aimions profondément. Il s’est toujours montré bon et aimable, capricieux par moments mais jamais cruel. Ma Dame, notre Dame, l’a aimé de tout son cœur bien que leur mariage ne fût pas d’amour.

Je me souviens encore de leurs premiers mois ensemble, ils osaient à peine se regarder et se parler. Et pourtant, l’affection est née avec le temps et la patience. Elle est sortie de terre, petite pousse timide et fragile, pour devenir un arbre fort et robuste. Aucune autre femme, aucune fausse couche de Dame Lahirsy n’ont tari sa sève.

Oh, Maître de la Lumière, mon Seigneur a donné deux beaux enfants à la grande famille Runahir malgré tout. Ehsan est un jeune garçon résistant, faites qu’il vive longtemps et qu’il soit heureux. Quant au second… offrez-lui tout ce qu’il est possible de lui offrir. Une existence longue, prospère, tranquille et radieuse.

Bénissez Estel, dernier fils du Seigneur Rehzan et de Dame Lahirsy Runahir.

Bénissez nos racines. Et nous honorerons leur mémoire.

— Notes de Meros, esclave lettré de la maison Runahir ; Cinquième Lune de l’an 280


Maître de la Lumière, je vous remercie pour votre clémence et pour votre miracle.

Ma Dame s’est enfin sortie de sa torpeur désespérée. Je lui ai apporté l’enfant, Estel, ce matin et elle a recouvré son esprit. Des larmes ont coulé sur ses joues creusées par le chagrin, et une flamme s’est rallumée dans ses yeux sombres.

« Il a ses yeux. Regarde Meros, il a ses yeux ». Ma Dame retrouve un peu de son époux en son fils. Je sens, je sais qu’elle va chérir cet enfant plus que n’importe quelle autre chose sur cette terre.

« Rien ne lui arrivera, Meros. Je le protégerais du monde et de ses maux ». Merci, Maître de la Lumière. Merci de rendre à ma Dame sa vigueur et sa détermination d’avant. Merci de lui rendre sa flamme et de l’insuffler à cet enfant.

— Notes de Meros ; Sixième Lune de l’an 280


Estel est en excellente condition en dépit toutes nos craintes. C’est un petit être, assez fin mais la maladie ne l’atteint guère. Il deviendra sans aucun doute beau garçon, très beau garçon, comme son frère que je vois grandir au fil des jours.

Ma Dame m’inquiète néanmoins, Maître de la Lumière. Depuis qu’elle a vu comme Estel ressemblait à son défunt époux, l’éducation de son héritier ne semble plus l’intéresser, pas plus que ses responsabilités. Elle passe ses journées dans la chambre de son second enfant, et refuse que quiconque l’en sorte.

Je ne suis qu’un esclave et même si ma Dame estime mon avis je crains qu’elle demeure close à mes réflexions à ce sujet. Elle affirme que seules ces mesures permettent à son enfant d’échapper aux horreurs du monde extérieur, que son premier fils est pris en charge par d’excellents tuteurs et qu’il est de son devoir de veiller sur Estel.

Je comprends, bien sûr, mais en regardant vos flammes, mon Dieu, je redoute l’issue de cette protection trop appuyée. Est-ce véritablement pour le mieux ?

Faites que j’ai tort, je vous en conjure.

— Notes de Meros ; Cinquième Lune de l’an 282


Estel est un petit garçon charmant. Parfois, je crois voir et entendre Seigneur Rehzan en lui ; il a sa douceur et son calme, une pointe de son espièglerie également. Obéissant, il m’est pourtant difficile de gérer sa curiosité. Mon petit Seigneur ne demande qu’à explorer le monde, il se lasse de l’observer de son balcon.

J’ai rapporté sa frustration à ma Dame, mais cette dernière refuse de le faire sortir. Elle craint que d’autres hommes tentent de l’assassiner comme feu son époux, et compte avant tout sur son père pour tenir les finances de notre famille. Le soir, elle embrasse Estel et lui répète que cette chambre est le seul rempart protégeant sa vie.

Cette nuit, j’ai autorisé Ehsan à lui rendre visite. Ma Dame ne veut pas que son héritier corrompe Estel, mais je ne puis tenir deux frères à l’écart l’un de l’autre. De plus, je sais que cette présence repousse les élans aventuriers d’Estel.

Ils m’ont demandé de les emmener dans la cour du palais lorsque mère s’absentera, pensez-vous qu’il s’agisse d’une bonne idée, Maître de la Lumière ? Qui suis-je pour refuser à deux enfants de vivre leur jeunesse ? Il y a peu, j’ai refusé une sortie à Estel et je l’ai retrouvé suspendu sur une arche au-dessus de son balcon… C’est un excellent grimpeur, très agile, mais s’il venait à tomber par ma faute, à cause d’un de mes refus….

Mon Dieu, jamais je ne me le pardonnerais.

— Notes de Meros ; Troisième Lune de l’an 286


Je sens le regard de Ehsan sur moi. Il inspecte le moindre de mes gestes, ma posture comme le tremblement de mes doigts. La fronde siffle tandis que je la fais tourner au-dessus de ma tête. Elle siffle, comme le vent entre les branches des arbres. Elle siffle, comme le vent qui glisse sur les feuilles couvrant le balcon de ma chambre.

D’un coup, je libère la pierre nichée dans le cuir. Elle file à vive allure, siffle elle aussi avant de percuter le petit pot qui se trouve à quelques pas devant moi.

— Excellent lancer !

La voix de mon frère réchauffe mon cœur, emplit mon torse de fierté. Je me retourne vers lui, devine mon regard brillant tandis qu’il pose sa main sur mon épaule.

— Tu es un très bon frondeur, Estel.
— Tu le penses vraiment ?

Il acquiesce avant de dévisager les éclats de pots qui couvrent la cour du Palais.

— Tu te débrouilles très bien avec la fronde et le couteau, tu grimpes comme personne et en plus tu es modeste, père serait fier de toi.

Nous échangeons un regard entendu, puis mes joues se couvrent de rouge. De tous les compliments qu’il puisse m’offrir, il s’agit là du plus beau. Je n’ai pas eu la chance de connaître mon père, pourtant les serviteurs de notre famille, mon frère et ma mère ne cessent de me comparer à lui et à sa grandeur. Je suis soulagé de savoir qu’une part de lui a survécu en moi, et j’espère m’en montrer digne sur la longueur.

La main chaude de Ehsan ébouriffe soudain ma chevelure, tandis qu’un rire franc se mêle au vent frais d’été.

— Que cela ne te monte pas à la tête, je reste meilleur cavalier et c’est moi qui intégrerait le Magistrat afin de redorer l’honneur de notre famille !
— Je m’en fiche, moi, je veux explorer le monde lorsque je serais grand !
— Oh ? Vraiment ? Un petit gars comme toi ?

Je pousse Ehsan d’un air mécontent alors qu’il se moque, une fois encore, de mes rêves sans doute un peu fous. Contrairement à mon frère, je n’ai jamais eu l’occasion de quitter le palais ; Mère le refuse catégoriquement. Je suis obligé de supplier Meros et de compter sur le soutien de mon frère pour sortir ne serait-ce que deux ou trois heures de ma chambre, alors je ne songe qu’à la ligne d’horizon, à ce qui se cache au-delà de l’océan, des terres qu’évoquent mes livres et de ces sociétés dont Meros me conte mille histoires.

Une fois adulte, je compte quitter Myr pour voir le monde dans toute sa splendeur. Mère ne me gardera pas enfermé toute ma vie, il me suffit seulement de lui prouver que je suis suffisamment fort.

Ehsan ricane à mes côtés avant de donner un léger coup dans mes côtés de son coude.

— Si tu explores le monde, je veux que tu me ramènes une belle femme des terres lointaines, ça te semble possible, petite branche ?

Un sourire éclaire mon visage alors que je réponds à son coup par la pareille.

— Plus que possible, gros tronc !
— Hé ! Je ne suis pas gros. Hé ! Attends ! Reviens-là ! Tu vas voir qui est gros dès que j’aurais mis la main sur toi !

Je m’enfuis la cour en riant, il me poursuit et nous rêvons tous deux d’un avenir radieux.

— Souvenir d’Estel Runahir ; Septième Lune de l’an 288


Maître de la Lumière, me pardonnerez-vous un jour ?

Dame Lahirsy est furieuse. Estel s’est blessé alors que son frère et lui s’entrainaient au combat. Elle a crié comme jamais il n’avait crié auparavant, quant à Ehsan… Pauvre enfant. Ma Dame l’a battu puis elle a fait exécuter Elios qui supervisait leur entrainement. C’était un bon serviteur, toujours obéissant et très bon cuisinier. Il ne méritait pas de finir ainsi.

C’est de ma faute. Estel m’a encore parlé de ses rêves d’aventures, j’ai évoqué quelques histoires de chevalerie et il a couru jusqu’à son frère pour… Mon Dieu, qu’ai-je fait ?

Ma Dame m’a enlevé la garde d’Estel, il l’a confié à son nouvel esclave. « Plus jamais mon enfant ne sera mis en danger. Il apprendra à chanter, à danser, à lire mais jamais à se battre ou à chasser ». Ces mots résonnent encore dans mon esprit, j’ai privé mon petit Seigneur de ses rêves, c’est indigne d’un homme de ma condition.

Indigne.

— Notes de Meros ; Treizième Lune de l’an 291


J’escalade les murs en silence. Je connais le moindre de leurs recoins, leurs faiblesses comme leurs points d’accroche et j’ai appris, avec le temps, à caler le rythme de mes avancées à celui du vent ou sur le chant des oiseaux. Ma blessure à la hanche ralentit mes gestes, mais la douleur n’est plus aussi prégnante qu’aux premiers jours. Prudemment, je descends de long de ma tour pour rejoindre la chambre de mon frère, il faut absolument que je lui parle.

Et je touche du doigt le rebord de son balcon lorsqu’une voix catastrophée m’interpelle.

— Estel ! Estel remontez !

Olysse, ma nouvelle tutrice.

— Remontez à l’instant ! Si votre mère vous attrape sur les murs du palais…

Sa menace vibre en moi comme un vent d’hiver tandis que mes mains se figent sur la pierre. Mère risque de punir Ehsan pour ma bêtise, je ne peux pas me montrer égoïste et lui infliger de nouvelles remontrances alors qu’il s’inquiète pour moi.

Résigné, la gorge asséchée par la frustration et l’angoisse, je remonte jusque sur mon balcon où Olysse m’accueille de ses grandes mains ridées.

— Que vous est-il passé par la tête ?! Et si vous tombiez ?
— Je ne suis jamais tombé, lui crache soudain ma bouche alors que je détourne le regard, je ne suis jamais tombé et je m’inquiète pour mon frère.
— Votre mère vous a défendu de le voir, vous le savez, n’est-ce-pas ?
— Oui, je le sais.

Elle m’agrippe les épaules et me tire jusqu’à mon lit. Meros aurait compris à sa place, mais Mère l’a assigné ailleurs. À présent, elle est la seule à s’occuper de moi et elle est bien moins encline à m’offrir la moindre liberté. Je dois broder, apprendre à chanter et à danser et ne plus penser à la moindre chose excitante. Elle m’a confisquée le petit couteau que m’avait offert Ehsan, il ne reste que ma fronde.

— Soyez obéissant, votre Mère ne veut que votre bien.

Elle m’enroule dans les draps et mets fin à mon escapade.

— Souvenir d’Estel Runahir ; Deuxième Lune de l’an 292


De bruits courent dans tout le Palais, des mots terribles et des sous-entendus que j’ose à peine imaginer. Il est dit que ma Dame dort avec Estel depuis plusieurs mois. Apparemment, il a essayé de descendre en rappel une nuit, et depuis…

Maître de la Lumière, je crois lire des choses dans votre feu mais cela ne peut être vrai, n’est-ce-pas ?

Estel est à présent un adolescent, un très bel adolescent qui ressemble au Seigneur Rehzan.

Ma Dame ne s’est jamais remariée après sa mort ; elle a toujours refusé de prendre un autre époux. Et si… Non, mon Dieu, je ne peux imaginer ce qui se raconte dans les couloirs.

Vous n’infligeriez pas une telle souffrance à ce pauvre enfant, n’est-ce-pas ?

— Notes de Meros ; Douzième Lune de l’an 292


Ma Dame est sous l’emprise d’un mal, je ne peux concevoir les choses autrement. Un mal de l’âme que nul médicament ne peut soigner.

Peut-être l’a-t-elle toujours été ? Depuis que son époux est mort, il lui a creusé un puits sans fond dans son cœur ; un puits que ma Dame n’a pas été capable de combler en dépit des années. Peut-être étais-je trop aveuglé par mon amour de ses fils pour le réaliser ? Peut-être l’ai-je sciemment ignoré par simplicité, par lâcheté également…

Elle vient de fiancer Ehsan à la fille d’un autre Magistrat, un homme qu’elle haït profondément et qui lui rend à merveille. Elle lui fait encore payer d’avoir blessé Estel dans un combat d’enfant. Je le sens dans le regard qu’elle lui porte jour après jour. Je l’entends dans le ton de sa voix, elle est si froide avec tout le Palais depuis quelques temps.

Seul Estel… Estel. Il a les yeux de son père, mais je ne sens guère plus d’envie, ni même de curiosité dans son regard. Il parait mort lorsque nos chemins se croisent, plus éteint encore que ceux de son père à ses derniers instants.

Je crains que la famille de ma Dame ne soit perdue, Maître de la Lumière. Est-ce là votre dessein ?

— Notes de Meros ; Quatrième Lune de l’an 294


Un baluchon sur le dos, je jette un dernier regard à ma chambre plongée dans l’obscurité d’une nuit sans lune. Mère dort profondément, avec une expression que je devine apaisée. Elle l’a toujours lorsqu’elle se couche à mes côtés, qu’elle me serre dans ses bras et me murmure mille histoires à propos de mon père.

Je me glisse sur le balcon sans un bruit, calant le rythme de mes pas au doux chant du vent dans les branches des arbres alentours. Mon frère m’en voudra peut-être de partir sans lui adresser le moindre mot, mais lui rendre visite met ma fuite en péril.

D’une grande inspiration, je me résous à sauter le pas qui me sépare encore de ma liberté. J’ai toujours nourri l’espoir de quitter notre demeure par la grande porte, le temps m’a donné tort.

Mère n’acceptera jamais de me laisser partir ; peut-être l’ai-je toujours su, au fond.

Un gémissement endormi m’arrache un frisson tandis que Mère se retourne dans le lit. Mes pensées dérivent malgré moi, me ramènent quelques heures auparavant lorsqu’elle a caressé ma peau et susurré le nom de mon père en enlaçant mon corps. Je secoue la tête pour m’arracher à ces horribles souvenirs ; plus jamais je ne la laisserais poser ses mains sur moi.

Plus jamais. Je saisis le rebord du balcon, et m’enveloppe dans le sombre manteau de la nuit.

Plus jamais.

— Souvenir d’Estel Runahir ; Huitième Lune de l’an 294


Sans argent, survivre s’avère bien plus difficile que je ne l’aurais imaginé. Heureusement, je manie la fronde comme personne mais je ne sais comment cuisiner les animaux que je chasse, je suis obligé de prendre ce qui ne m’appartient pas.

Le pain et les poissons sur les étals qui cernent le port sentent bons. J’en chaparde quelques-uns lorsque personne ne me voit, puis je me réfugie dans les ruelles sombres et étroites. Parfois, je suis forcé de fuir un commerçant qui me poursuit en hurlant des mots peu agréables mais mon agilité me sauve toujours la mise.

Ce matin, je regarde les voiles qui s’éloignent et se rapprochent, les silhouettes plus ou moins fines des navires qui transportent des centaines d’hommes au large. Je veux découvrir le monde, partir avec l’un de ces magnifiques bateaux et ne jamais revenir.

Je vais partir, mais d’abord, je dois apprendre à connaître ce monde que, jusqu’à lors, je ne faisais qu’entrevoir depuis ma fenêtre.

— Souvenir d’Estel Runahir ; Première Lune de l’an 295


Je ne reconnais plus ma Dame, Maître de la Lumière. Je vois son corps, courir de part et d’autre du palais. J’entends sa voix hurler et condamner plusieurs de mes camarades à la mort, mais il ne reste rien de la femme que j’eusse connu auparavant.

Beaucoup d’esclaves sont sacrifiés pour calmer ses humeurs ; pourquoi ? Estel est bien loin maintenant. Il y a quelques jours, un homme l’a vu embarquer dans un navire marchand à destination des Sept Couronnes. Et s’il est intelligent, ce dont je ne doute pas un instant, il s’évaporera dans la nature une fois débarqué.

Ma Dame ne mettra plus la main sur lui, n’est-ce-pas ? Vous protégerez ce garçon et son frère contre la folie de leur mère. Vous le ferez mon Dieu… Je prie pour que vous le fassiez.

Il est trop tard pour moi. Dame Lahirsy me fera fouetter, voire tuer à la moindre contrariété, mais s’il faut offrir ma vie pour que vous acceptiez de les veiller, je la donnerais avec joie.

Loué soyez-vous, Maître de la Lumière.

— Notes de Meros ; Sixième Lune de l’an 295


Alors que les eaux comme mon cœur retrouvent leur calme, mes pensées me ramènent au Palais et à Meros qui me louait sans cesse la clémence du Maître de la Lumière. Un instant, je me prends à croire en lui, en ce Dieu qui purifie et parle au travers du feu, puis des yeux se posent sur moi et ce réconfort futile s’évapore.

Une femme, plus âgée que moi, au regard dur et à la posture digne se tient devant moi. Elle peut me tuer à tout moment, m’éliminer comme elle a anéanti une partie de l’équipage avec ses hommes quelques instants auparavant. Pourtant, je sens dans son attitude qu’elle ne me fera rien. Mon agilité vient de sauver quelques-uns de ses compagnons de l’appétit de la tempête, et une sensation – profonde et inexplicable – m’amène à croire qu’elle respectera ma vie pour cela.

Je l’entends prononcer des mots inconnus, ses hommes pillent le navire mais aucun d’eux ne tire son épée pour me pourfendre.

Un soupir m’échappe tandis que l’eau salée s’écoule le long de mes joues rougies par l’effort. Je suis poussé sur le navire de la femme dont le nom m’échappe, bien vivant et soulagé.

Mère ne me retrouvera jamais ; c’est avec cette certitude que j’embarque sur un nouveau bâtiment, entouré d’hommes qui ne parlent pas ma langue.

— Souvenirs d’Estel Runahir ; Septième Lune de l’an 295


Yara Greyjoy.

Yara Greyjoy, héritière de sa famille.

Yara Greyjoy. Je préfère silencieusement le nom de la femme qui m’a capturée sur le navire marchand des mois auparavant. Sa force de caractère m’impressionne, m’intimide également. Je me prends à lui jeter des œillades intriguées tout au long de la journée, admiratif du respect qu’elle impose à ses hommes. Sous certains aspects, elle me rappelle mon frère. Sous d’autres, elle me rappelle Mère.

Mes mains se resserrent sur le linge humide, je retiens une grimace tandis que je frotte le pont du navire avec plus de vigueur. Yara Greyjoy est une femme sévère, néanmoins je préfère cent fois m’esquinter ici, à tirer des cordes, souffrir mille douleurs et subir le regards ainsi que les coups des hommes plutôt que de retourner dans le Palais de Mère.

Yara Greyjoy m’a demandé mon nom, je n’ai rien dit au sujet de ma famille.

À partir de maintenant, je suis Estel. Seulement Estel, serf de l’héritière des îles de Fer.

— Souvenirs d’Estel Runahir ; Première Lune de l’an 296


Ehsan,

Des années que je ne t’ai pas vu, et que je n’ai cessé de penser à toi. Je suis parti dans te saluer, dans la précipitation pour échapper à ce Palais dans lequel j’aurais passé le reste de mon existence.

J’ai abandonné mon nom et tout ce que ce dernier m’offrait. À ce jour, je ne suis personne. Ne t’inquiète pas pour moi, j’ai voulu cette vie et s’il me fallait choisir à nouveau, j’emprunterais à nouveau ce chemin sans la moindre hésitation.

Je sers une femme formidable, parfois je te retrouve en elle. Elle aussi m’a enseigné autant de choses que toi, bien qu’elle ne fut pas aussi douce que tu le fus dans notre jeunesse. Un jour, si nous parvenons à nous recroiser, j’aimerais me battre contre toi à nouveau. Ma hache sera moins élégante que ton épée, mais tu ne me blesseras pas aussi facilement qu’à l’époque. J’espère que tu ne t’en veux plus pour cet incident, nous étions des enfants idiots et maladroits.

Je ne suis plus un petit garçon doux, ni même innocent. J’ai tué beaucoup de d’hommes, quelques femmes également, pillé des bateaux et coulé autant d’entre eux. M’en voudrais-tu d’avoir perdu l’insouciance d’antan ? J’espère que non. Je ne dirais pas que j’aime tuer, néanmoins nous sommes tous obligés de verser le sang d’une manière ou d’une autre dans notre monde.

À l’heure où tu recevras cette lettre, je serais à Port-Réal, capitale des Sept Couronnes. La Dame que je sers m’y envoie pour défendre ses intérêts. J’aimerais que tu sois avec moi. J’aimerais te revoir mais je doute que nos chemins se recroisent.

Tu me manques, Ehsan, plus que quiconque.

Prends soin de toi, et sache que dès que j’use de ma fronde ou que je grimpe sur une bâtiment, je songe à toi et aux heures que nous passions ensemble autrefois.

Petite Branche.

— Lettre d’Estel envoyée à Ehsan Runahir ; Cinquième Lune de l’an 300


Port-Réal sent la mort et le désespoir. Mon regard balaie la ville avec angoisse tandis que le soleil ferme ses yeux sur le monde. Mille murmures résonnent dans les ruelles, alors que la guerre propage sa puanteur dans l’air ambiant.

Je suis venu ici sur ordre de Yara, je lui transmets toutes les informations que je surprends, mais dès qu’elle me l’autorisera je quitterais cette cité corrompue par une engeance profonde et monstrueuse.

Mes mains s’accrochent au rebord d’un balcon, j’épie une conversation entre deux garde la ville. Silencieux, je note tout ce qui me paraît utile dans un coin de l’esprit ; demain, j’écrirais une lettre à Yara pour lui transmettre un nouveau rapport.

D’un geste, je me cache dans les ombres et suit les deux hommes qui rient du Nord et de rumeurs quant à des créatures cachées de l’autre côté du Mur. L’angoisse ronge mes tripes, je pressens l’orage qui menace le Sept Couronnes, et le monde au-delà des mers.

— Souvenir d’Estel ; Treizième Lune de l’an 300


Je n’accorde pas beaucoup de ma confiance à Theon, mais sans lui, je ne peux espérer sortir Yara de sa prison.

Son oncle l’a piégé, j’ai entendu des rumeurs il y a plusieurs semaines et à force d’espionner cet homme détestable et les Gardes Royales, j’ai appris où il retenait ma Dame.

Seul, je ne peux la libérer. Je n’ai d’autres choix que de confier mes informations à son frère et de coopérer avec lui pour lui porter secours. C’est risqué, toutefois je n’ai guère d’autres choix. Yara ne peut rester emprisonnée, elle doit reprendre les îles de Fer et retrouver la mer.

Je donnerais ma vie pour elle, sans la moindre hésitation. Je noierais, j’étriperais, je tuerais le moindre homme qui se mettra en travers d’elle et de moi.

Dans le noir, j’aiguise ma hache à l’aide d’une pierre.

Theon et mes compagnons ne devraient pas tarder à arriver à Port-Réal.  

— Souvenir d’Estel ; Quatrième Lune 302


La guerre est finie.

Daenerys Targaryen est morte. Cersei Lannister est morte.

Port-Réal est détruite, incendiée par les dragons de la fille Targaryen.

Mes pressentiments étaient exacts ; rien de bon ne pouvait arriver à cette ville et à ses habitants.

Je ne plaindrais pas leurs morts, contrairement à Yara, je n’ai jamais apprécié Daenerys ; sans pour autant la haïr. Néanmoins, forcé de reconnaître que ces disparitions mettent la souveraineté de ma Dame en danger. Ils nous interdisent les pillages, et notre flotte n’est plus.

Yara souhaite que nous nous consacrions sur sa reconstruction, mais la colère habite chacun d’entre nous. Nous ne pouvons pas nous plier aux ordres du Roi et de ses conseillers.

Les Fer-nés ne l’accepteront jamais.

— Pensées d’Estel ; Fin de l’an 303


Mon fils est en vie.

Mon fils est en vie.

Je n’osais plus y croire, et j’étais sur le point de me résigner à abandonner mes recherches mais elles ont enfin porté leurs fruits. Quelques mercenaires que j’ai gracieusement payé l’ont aperçu à Port-Réal, peu après la fin de la guerre.

Je dois le retrouver et le ramener à la maison. Je ne survivrais pas longtemps en le sachant vivant si loin de moi.

Ehsan voudrait que j’abandonne, que je le laisse mais il ne comprend pas. Il a toujours été jaloux d’Estel, je le sais au plus profond de moi. Il ne comprendra jamais l’amour qui me lie à lui. Jamais.

Je dois ramener Estel à la maison, quoiqu’il m’en coûte ; même s’il faut l’arracher de force aux fous qui me l’ont dérobé.

Il reviendra, et je pourrais enfin le protéger comme il se doit.

— Pensées de Lahirsy Runahir ; Première Lune de l’an 305