[Port-Réal] Une imprudence coûteuse | Estel - Terminé

Un brin de toilette, une robe de brocart aux motifs floraux gris et argentés, au bustier ajusté et au sage décolleté, lacée dans le dos et plissée sur les hanches, la jouvencelle se préparait pour une journée comme les autres. Assise devant sa coiffeuse, elle songeait au mariage de Lady Talla Tarly avec Bryce Romberd, frère cadet de Bennar, l’ami de Bronn La Nera gouverneur du Bief fieffé de Stellepique suite à la rébellion. Elle songeait au thé de lune qu’elle lui avait donné et au venin de basilic destiné à provoquer un drame amenant le chaos dans le Bief et permettant un soulèvement massif des seigneurs. Sa servante la coiffait d’un chignon de tresses enfermé dans une résille argentée piquée de perles et sa suivante lui proposait des bijoux pour qu’elle choisisse quoi mettre.

__ Les boucles d'oreille en argent ciselé avec le bracelet assorti. Hum… mon saphir monté sur diamants et or blanc pour la bague et le pendentif à la flamme, je te prie.
__ Bien ma dame.


Répondit la jeune Mullendore, fille d’un vassal mineur des Hightower, qui n’avait rien trouvé de plus malin de se faire engrosser par un garde de Hauteterres. Venue trouver du soutien auprès d’Aelinor qu’elle connaissait bien depuis leur enfance, cette dernière lui fournit une bonne dose d’abortif pour se débarrasser du bâtard. Suite à cela, à jamais redevable, elle entra au service de la brune aux yeux azur, mettant sa petite vertu à profit pour servir les intérêts de sa maîtresse. Sa servante quant à elle, avait pour père un chevalier de Grand Tour de modeste condition qui, après son veuvage, avait supplié Baelor de lui donner un travail. Elle avait d’abord œuvré aux cuisines avant que la jouvencelle ne lui fasse la faveur d’entrer à son service. Après cette fulgurante ascension, comment ne pas se montrer loyale et obéissante envers elle.

__ Prends également la ceinture d’argent avec les aigues marines.


Aelinor se présenta ainsi, accompagnée de sa suivante dans une tenue digne de sa condition, devant le Grand Septuaire de Baelor toujours en reconstruction pour l’office du matin et suivi le sermon avant de s’attarder devant la figure de l'aïeule qu’elle pria de lui montrer la voie pour défaire Bronn et ses sbires. Enfin, elle sortit de l’heptagone et se remit en selle avec les trois gardes à la livrée Hightower, qui veillaient sur elle. Elle eut le malheur de se retourner pour lever les yeux vers le plafond éventré du Grand Septuaire et une vague de souvenir lui revint en tête ce qui eut pour effet de lui faire prendre le galop en tête de sa cohorte pour rapidement fuir les lieux du drame qui, quelques années plus tôt, lui avait valu la plus grande peur de sa vie. C’est ainsi qu’elle déboula dans une ruelle étroite, son épée lige criant :

__ Faites place ! Faites place !


Montée en amazone, elle avait été obligée de ralentir dans le virage et slalomait entre les badauds. Ils étaient nombreux à cette heure de la matinée et elle ne put reprendre une pleine vitesse, restant tout de même au galop malgré le danger, jusqu’au moment où l’un deux rencontra le poitrail de sa jument blanche et fut projeté au sol. Elle manqua de lui marcher dessus et arrêta Alba en tirant brusquement sur les rênes si bien que  jument se cabra. Puis, elle sauta immédiatement de son cheval pour s'enquérir de l’état du jeune homme gisant à terre. S’accroupissant près de lui, elle glissa sa main gauche ornée du précieux saphir et du bracelet dans la main ouverte du blessé. Elle vérifia son pouls à son poignet avec l'autre main et se pencha vers lui pour écouter s’il respirait approchant son oreille où pendant la boucle d'argent ciselé. Ses chevaliers ne tardèrent pas à la rejoindre, furieux qu’elle s’expose ainsi en pleine rue et sur le qui-vive, observant la foule pour s’assurer que personne ne s’approchait de trop près. L’homme qui venait de se faire renverser brutalement par le cheval de la brune était de fait en dehors de tout soupçon.

__ Brave homme, serrez ma main si vous m’entendez.


Demanda la jeune femme de sa voix la plus suave.

En entendant les balbutiements indistincts du jeune homme, Aelinor commença à craindre le pire et étira les paupières du blessé pour voir si ses yeux réagissaient normalement à la lumière. Ce n’était pas le cas, ce qui confirmait ses craintes, mais elle savait aussi qu’un tel choc à la tête pouvait se résorber tout seul, ou entraîner tout un tas de séquelles, ou encore le plonger dans le coma et finir par le tuer. Elle sourit cependant en sentant sa main serrer la sienne, un peu rassurée sur l’état de ce pauvre hère qui avait croisé sa route au pire moment. Cela était bon signe, il était peut-être incapable d’aligner deux mots, mais comprennait ce qu’on lui disait, il était conscient et il pouvait bouger les membres superieurs. Elle le laissa se redresser sans l’aider, c’était le meilleur moyen de savoir si les membres inférieurs étaient touchés. Cela ne semblait pas être le cas.

__ Allons mon brave, ne vous excusez pas. Je n’étais pas en retard et pourtant je galopais dans les rues de Port-Real, mon imprudence aurait pu vous être fatale. Je suis vraiment désolée et également inquiète pour vous. Vous devez vous reposer au moins 24h, éviter les efforts et rester sous surveillance constante.


Hors de question de le laisser continuer son chemin avant de l’avoir soigné, en plus, il saignait, l'arrière de sa tête avait dû s’ouvrir en heurtant les pavés. Cela n’avait rien d’inquiétant, mais il fallait nettoyer la plaie, elle ne pouvait décemment pas le laisser ainsi.

__ Vous n’allez nulle part, mais vous n’aurez pas d’ennui. Dites moi qui faire prévenir de votre retard et j’enverrais l’un de mes chevaliers vous excuser et expliquer la situation.


Fit elle en souriant et en posant une main sur l'épaule du blessé pour le rassurer. Il parla alors de la Citadelle.

__ La Citadelle vous dites ? Vous deviez vous rendre à Villevieille ?


Aelinor eut un petit rire, sa mise était certe aux couleurs de sa maison, mais pas de tour à l’horizon, il ne devait donc pas savoir qui elle était et elle trouvait ça follement amusant qu’il doive se rendre à la Citadelle. Cela ne pouvait être qu’un tour de passe passe dont les Dieux raffolaient, quelque rencontre fortuite qui ressemble à s’y méprendre au hasard, mais qui ont un but. Lequel, il lui restait à le découvrir, mais d’abord, elle devait s’assurer que le jeune homme reste en vie.

__ Et que comptiez vous faire dans la cité des Mestres ?


Un attroupement commençait à se former autour d’eux et les chevaliers qui protégaient la brune n’aimaient pas ça. Ils étaient exposés et leur Dame plus encore, surtout après ce qui s’était passé. L'épée lige de la Hightower coupa court à la conversation avant que la situation ne dégénère.

__ Ma Dame, nous devons partir.


La brune aux yeux céruléens, jusqu'ici concentrée sur le jeune homme, leva la tête et constata qu’effectivement, il ne fallait pas rester ici.

__ Pouvez-vous marcher ?


Demanda-t-elle au jeune homme en se redressant elle-même. Elle se remit prestement en selle et l’un des soldats s'approcha pour aider le blessé à marcher. Levant son regard azur vers la foule, la Hightower lança :

__ N’ayez crainte brave gens, mon Mestre va s’occuper de lui prestement.


Puis, reportant son attention vers le blessé, elle demanda.

__ Où puis-je vous amener pour vous soigner ?


Cela sembla apaiser la tension naissante et les badauds reprirent leurs occupations pendant que la troupe prenait le large. Le chevalier qui soutenait Estel marchait en tenant son cheval, les deux autres étaient remontés.

Aelinor recula un peu alors que le jeune homme venait de dire qu’elle le gênait. Peu habituée à ce qu’on lui dise cela, elle ne savait pas trop comment réagir, prenant seulement quelques distances pour le laisser respirer et mettant ainsi fin à son examen.

__ Écoutez. Vous êtes en piteux état par ma faute et c’est moi qui ne serait pas correcte de vous laisser sans soins.


Fit la jeune femme sur un ton chaleureux bien qu’elle n’ait aucune intention de lui laisser le choix.

__ Comme vous préférez. Mais je ne suis pas exactement une étrangère à Villevieille. Ma famille en est originaire. Peut-être même que je connais votre maître. Comment s'appelle-t-il ?


Elle connaissait la plupart des familles de Villevieille, simples habitants, commerçants,  artisans, cela faisait des milliers de prénoms, évidemment elle ne les connaissait pas tous, mais beaucoup.

__ Culpucier… je vois. Je vais vous trouver une auberge plus près.


La Hightower ne pouvait décemment pas se rendre dans la bas fond de Port-Real tels que Culpucier, encore moins dans cette tenue avec autant de bijoux sur elle, cela finirait mal, peut-être pour elle, peut-être pour ses gardes et à coup sûr pour ceux qui tenteraient de la voler. Ainsi, elle se dirigea vers la rue principale donnant sur le donjon rouge et s’en approcha pour trouver une auberge digne de sa condition. Cela allait probablement paraître étrange au pauvre hère qu’elle avait percuté, mais elle ne saurait mettre les pieds dans un bouge plein d’ivrognes, une maison de passes ou un hôtel miteux. Elle fit halte devant une auberge qui lui semblait correcte. Elle s’appelait “Le noble voyageur” et était dotée d’écuries et d’une grande porte cochère. La jeune femme mit pied à terre et entra avec un de ses hommes soutenant le blessé, un autre s’occupa de mener chevaux aux écuries. Elle envoya le dernier au Donjon Rouge pour chercher ce qu’il lui fallait pour les soins, soit, deux onguents, son nécessaire à couture, une pince à épiler, de l’alcool et des sels et un bon livre.


Voyant une Dame arriver avec assez de bijoux pour racheter son auberge, le patron se précipita immédiatement vers elle, tout sourire, pour lui demander ce dont elle avait besoin. Il fut surpris de voir un homme de si basse condition l’accompagner, mais ne fit aucune remarque si ce n’est qu’il le dévisagea longuement avec un air suspicieux.

__ Une chambre je vous prie.
__ Très bien suivez moi.


Répondit le patron en prenant une clé derrière son comptoir avant de monter l’escalier jusqu’au premier étage. Il ouvrit une porte de bois vernis de bonne facture avec un bas relief en forme d’écusson orné d’un cerf sur une chambre claire, propre et richement décorée dans les tons jaunes et or, avec des touches de noir.

__ C’est la chambre Barathéon Ma Dame.
__ Oui.. je l’aurais deviné.
__ Très bien merci. Pouvez-vous montrer de quoi boire et nous sustenter ainsi qu’un baquet d’eau potable et des linges propres.


Il laissa la clé à la brune aux yeux azur et acquiesça avant de redescendre. Elle enleva l'édredon, remonta les coussins et indiqua à ses hommes d’installer le blessé sur le lit avant de se tourner vers lui avec un sourire.

__ Je vais vous soigner.


L’aubergiste remonta bientôt avec ce qui avait été demandé.

__ J’allais oublier, apportez une plume de l’encre et un parchemin. Merci.


Quand il remonta avec de quoi écrire, l’un des soldats en profita pour le prévenir :

__ Deux chevaliers vont arriver pour Lady Hightower, laissez les monter.


A l'énoncé du nom, le patron manqua de faire une syncope et s’inclina au moins une dizaine de fois en répétant Lady Hightower. Cette dernière leva les yeux au ciel, s’en était fini de son anonymat. Elle continua cependant comme si de rien n’était et s’assit sur le lit à côté d’Estel avec le baquet d’eau et les linges pour nettoyer sa plaie à la tête en prenant soin de ne pas appuyer inutilement sur la plaie. Hélas, pour bien la nettoyer, elle devait insister car le sang avait commencé à coaguler. Avec patience, elle prit le temps d’humidifier le sang séché pour l’enlever en douceur.

__ Ça va, je ne vous fait pas trop mal ?

Aelinor n’avait aucune raison valable de s’en prendre à un pauvre hère qui avait eu le malheur de se trouver sur sa route au mauvais moment. Elle s’en voulait suffisamment comme cela d’avoir manqué de le tuer en fuyant le Grand Septuaire à ciel ouvert depuis ce terrible jour de 303. La peur lui avait fait perdre toute raison, une peur qu’elle ne contrôlait pas et qui la consumait parfois sans motif apparent. De plus, après avoir mis en place la distribution quotidienne de pain pendant la guerre à Villevieille, elle avait appris à apprécier et à respecter les gens du peuple, elle s’en était rapprochée. Les voir vivre avec si peu lui faisait chérire sa conditions plus encore et lui rappelait l’humilité que chaque homme et chaque femme doit avoir face à la vie et surtout aux Sept. Quand elle avait appris que les habitants de sa cité souffraient de la faim à cause des conflits, elle avait compris le lourd tribut qu’ils payaient dans les affrontements des puissants.

__ Oui. J’y ai grandi et j’y retourne souvent, toujours avec un immense plaisir. Villevieille est en tout point une plus belle cité que Port-Réal et surtout, j’y suis chez moi, alors qu’ici… J’ai beau connaître le Donjon Rouge sur le bout des doigts, les soldats que je croise ne sont pas les miens et je sais que je ne peux faire confiance à personne dans les couloirs de la forteresse.


Port-Réal et sa population avait tant souffert, bien plus encore que les plus pauvres manants de la blanche cité antique. La colline de Visenya avait été durement touchée par les retombées de l'explosion du Grand Septuaire de Baelor, elle était là, elle se souvenait de la ville défigurée après cela. Mais si elle avait depuis longtemps, fort heureusement quitté la capitale lorsque Daenerys était venue devant les portes avec son dragon, elle savait que des quartiers entiers avaient brûlés sous ses assauts, une bonne partie du Donjon Rouge en portait encore les stigmates, et la ville qu’elle connaissait bien lui semblait par endroit méconnaissable. Beaucoup de parties des rues les plus aisées avaient été reconstruites, de plus les bâtiments en pierre avaient mieux tenu, mais Culpucier et bien d’autres endroits déjà infréquentables sentaient encore plus la mort qu’avant.


La brune aux yeux céruléens hocha la tête à l’évocation du maître du jeune homme. Il n’avait effectivement pas bonne réputation, surtout auprès des Mestres de la Citadelle et du guet de Villevieille qui ne voyaient pas ses agissements d'un bon œil. Mais la Hightower était curieuse, les rumeurs disaient qu’il réunissait des informations de tout le continent et comme cela rejoignait fortement ce qu’elle aurait voulu faire, elle ne pouvait qu’admirer le travail. Elle n’avait jamais essayé de le rencontrer car avant de prendre un tel risque, elle devait en apprendre plus sur lui et n’avait jusqu’ici obtenu aucune information qu’elle ait pu recouper. Cela ne lui disait donc rien qui vaille, mais l’homme en face d’elle travaillait pour lui et l'opportunité de rencontrer Joris Aigrenoire lui était donc donnée. Cela expliquait également le fait qu’il soit lettré, comment réunir des informations et les faire passer à Villevieille sans avoir quelques rudement d’écriture. Mais comment aborder le sujet…


Quoi qu'il en soit, le blessé prenait soudain une toute autre dimension, de pauvre hère, il passait au statut de personne d'intérêt, mais s’il travaillait avec joris, du peu qu’elle savait, il pourrait également être un homme dangereux. Elle fit mine de rien et répondit d’un ton détaché.

__ Je connais le nom, mais je n’ai jamais rencontré l’homme et Aigrenoire est certainement un surnom car il n’y a aucune maison noble portant ce patronyme dans toutes les Six couronnes, ni même dans le nord. Ces agissements m’ont toujours intriguée, l’information est une arme en temps de guerre comme en tant de paix.


Son regard azur plongé dans celui du jeune homme, son sourire s'élargit tandis qu'il l'assaillait soudain de questions.

__ Pas aussi souvent que je le voudrais. Les Mestres me jettent dehors parce que je suis considérée comme incapable de ne pas devenir hystérique à la vue du sang.


Fit elle en plongeant le linge qui en était imbibé dans l'eau avant de l'essorer en regardant le sang s’en écouler avant de porter à nouveau son regard sur la plaie et de la nettoyer avec douceur. Les mestres ont tendance à oublier que les femmes saignent à chaque lunes et que si le sang nous effrayait, nous ne pourrions pas changer nos linges. Ils oublient également qu'avant d'être considérées comme hérétiques, les femmes qu'on appelle à présent des sorcières étaient des guérisseuses.


Entre temps, le chevalier était revenu avec le matériel et la jeune femme put sortir onguents, boyaux et aiguille.

__ Heureusement, certains Mestres se souviennent et osent transmettre leur savoir à des femmes.


Sourit-elle en préparant le nécessaire à couture.

__ Je vais devoir vous recoudre, la plaie est profonde et risque trop de s’infecter. Je ne peux pas vous administrer de lait de pavot à cause du coup reçu à la tête, vous devez rester conscient. Ça risque d’être douloureux et très désagréable, mais vous ne devez pas bouger. Respirez profondément.


La Hightower prit un linge propre et tamponna la blessure avec de l’alcool, puis elle laissa le jeune homme respirer avant d’enfoncer l’aiguille avec grande précaution dans la chaire pour faire un premier nœud en resserrant les bords de la plaie. Elle répondit alors à sa dernière question.

__ Je fais ce qu’une Hightower doit faire, éclairer la voie des hommes afin qu’ils ne se perdent pas en chemin.


Afin d'attirer son attention ailleurs que sur la douleur de l’aiguille pénétrant son cuir chevelu elle ajouta :

__ Au fait, je ne vous ai même pas demandé comment vous vous appeliez.


Pour éviter d’avoir à vous donner mon identité, mais maintenant que mon garde l’a révélée, cela ne change rien.

Le savoir de la jeune Hightower reposait sur les bonnes relations que sa maison entretenait avec les Mestres et également avec le peuple de la cité à travers les distributions de pain, le soutien du commerce et les visites quotidiennes au septuaire. Joris Aigrenoire n'en était pas moins une curiosité pour Aelinor qui avait pour passion de récolter de l'information pour l'articuler et prévoir ses prochains coups politiques. La connaissance de son alter égo de l'ombre lui serait précieuse et donc le connaître pour savoir comment le convaincre de travailler avec elle lui serait indispensable. Sa soif de savoir et sa curiosité pouvait parfois l'emporter sur la prudence et le pragmatisme dont elle savait faire preuve. Elle connaissait trop la valeur d'une information qu'on obtient et qu'on diffuse au bon moment. Et les Mestres hélas, avec leur goût pour la vérité pure n'avaient aucune stratégie dans la découverte et la divulgation de leur savoir à part qu'ils en gardaient une bonne part pour eux seuls ce qui avait tendance à exaspérer la jouvencelle.


En réponse à la méfiance dont les gens de raison devaient faire preuve à la capitale, la brune aux yeux azur hocha la tête avec un petit sourire espiègle. Une manière d'acquiescer en restant énigmatique. Mais si elle préférerait toujours Villevieille à la capitale des Sept Couronnes, elle en faisait pourtant pleinement partie. Elle était là pour représenter et défendre les intérêts de la maison Hightower et pour cela, elle pouvait être une ombre parmi les autres dans les couloirs du Donjon rouge même si évoluer en pleine lumière lui allait mieux et qu'elle savait bien des gens plus talentueux qu'elle pour se fondre dans la masse et écouter aux portes. Après tout elle éclairait la voie avec la flamme de Grand Tour, mais pour qu'il y ait besoin d'éclairer la voie il fallait bien que l'obscurité règne. Seule la noirceur pouvait faire briller sa lumière plus intensément alors si elle devait souffler toutes les chandelles et les torches, toute les flamme de tous les phares pour que seul celui de Villevieille soit visible, elle le ferait sans hésiter.

__ Est véritablement grand celui qui reconnaît le savoir du petit, le redoute et s'en fait un allié plutôt que de le traiter en ennemi.


Un message pour Joris se cachait-il dans cette phrase qui aurait pu être une maxime correspondant assez bien à la brune ? Aelinor n'était effectivement pas une femme comme les autres, en tout cas de son propre avis, il est vrai peu objectif. Elle rit doucement. Quant aux vieilles traditions, elle ne les connaissait que trop et dire qu'elle n'en avait que faire, n'était pas tout à fait juste. Au fond, elle les craignait autant qu'elle les exécrait. Aussi vouait-elle son existence à acquérir le savoir qui lui donnerait le pouvoir de passer outre les interdits de son sexe. D'ailleurs si elle était à la capitale comme ambassadrice de sa famille, c'était qu'elle était déjà en position de négocier au nom du Sire de Villevieille en plein cœur du pouvoir. Mais se contenterait-elle de cela ? Rien de moins sûr. Tant que sa position resterait fragile, tant qu'elle reposerait sur la volonté de son père et les décisions d'un arriviste, elle ne pourrait pas relâcher ses efforts et vivre sereinement. Elle n'avait que ses mots et son intelligence comme arme contre les hommes qui avaient le droit de décider de sa vie.

__ Je suis mal placée pour me juger ordinaire ou non. Mais j'imagine que peu de nobles dames soignent des roturiers inconnus dans des auberges. Beaucoup se seraient contentées d'envoyer un Mestre, mais j'avoue, trop rares sont les occasions d'exercer mon art pour que je passe à côté. J'évite de me faire remarquer par les hommes de sciences.


Aelinor ne pouvait donc soigner que les membres de sa famille qui ne la dénonceraient pas ou des gens comme le dénommé Rehzan que personne n'écouterait s'il venait à parler. Elle espérait cependant qu'il soit trop reconnaissant pour ébruiter les talents de la Hightower en matière de soin. Mais sans doute, Joris Aigrenoire saurait. Elle pourrait ainsi étudier le cheminement de cette information et essayer d'en déduire plus précisément à qui elle avait à faire et où elle pourrait le trouver. De toute façon, il était trop tard pour lui cacher ce qu'elle savait faire, autant que ce soit utile.

__ Hé bien Rehzan, je suis enchantée de faire votre connaissance. Dommage qu'il vous ait fallu percuter un cheval et frôler la mort pour que nous nous rencontrions. Nous aurions certainement pu échanger plus sereinement sur le parvis du septuaire de Villevieille.


Elle sourit en continuant à recoudre la plaie.

__ Voilà c'est terminé. Maintenant, vous allez devoir vous ménager tout en restant éveillé jusqu'à demain midi.


Le propriétaire de l'auberge venait de remonter avec la plume le parchemin et l'encrier. Il pourrait ainsi prévenir son maître du contretemps.

Aelinor se mit à rire au sifflet d’Estel, ce ne fut en revanche pas du tout le cas des gardes qui d’un coup tournèrent tous la tête vers le jeune homme. Le rire de la jouvencelle et l’absence du moindre geste déplacé les calmèrent rapidement, heureusement, même s' ils furent soudain plus attentifs à ce qu’il se passait entre lui et la brune. Jusqu'ici ils écoutaient la conversation d’une oreille distraite, regardant ailleurs la majeure partie du temps, mais ce son qu’il venait d'émettre était si étrange, si déplacé à leurs oreilles qu’ils mirent un certain temps à détourner à nouveau le regard. Elle ne répondit rien cependant, parce qu’il n’était pas difficile d’impressionner un jeune roturier qui avait échappé à la mort en le soignant avec douceur, mais il restait beaucoup à faire pour impressionner suffisamment les nobles de Westeros pour devenir leur Reine.


La brune aux yeux céruléens avait toujours eu à cœur d’être aimée par le peuple et crainte par ses pairs, gagner le respect de ses sujets passait par différentes stratégies en fonction des gens. Elle avait eu l’occasion d'apprécier la fragilité de la loyauté des nobles et savait mieux que quiconque que le pouvoir des grandes maisons ne reposait pas uniquement sur l’organisation féodale mais sur un assujettissement des vassaux par un savant mélange de peur, de justice et d’amour. Ils devaient trouver un meilleur intérêt à obéir qu’à désobéir, c’est pourquoi la trahison devait être sévèrement réprimée et au contraire, la fidélité récompensée. C’est pourquoi tout noble devait susciter l’admiration de ses gens, roturiers comme nobles vassaux, et même suzerains ou membres de la cour, et cela était encore plus vrai pour une dame à qui on reprochait longuement le moindre faux pas. Seul Bronn pouvait se targuer de n’avoir besoin, ni du respect, encore moins de l'admiration, ni de la loyauté de ses sujets pour tenir le Bief, mais cela ne durerait pas.

__ Vous avez raison, beaucoup de nobles n’auraient même pas pris le temps de s'arrêter. Je le déplore, notre pouvoir est aussi un devoir. Je suis née Hightower, je fais en sorte d’en être digne. Certains pensent que le rang et le sang suffisent à nous rendre supérieurs, moi je pense que mon sang m’oblige à exercer mon pouvoir avec sagesse.


Elle sourit à la remarque du malheureux sur leur rencontre, elle s’amusait de le voir ainsi presque la remercier de l’avoir percuté, mais elle était surtout contente qu’il aille bien. En tout cas, pour le moment, il n’avait aucun signe de perte de connaissance et c’était déjà une bonne chose, mais il fallait continuer de le surveiller.

__ J’imagine bien, c’est pour ça que j‘ai fait apporter des livres.


Répondit la Hightower en montrant les ouvrages de la main. Elle était attendrie, déjà qu’elle s’en voulait de lui être rentré dedans, en plus il était adorable et il semblait l'apprécier à sa juste valeur. Même venant d’un pauvre hère, c’était plaisant tout ses compliments, elle ne s’en lassait pas.

__ Heu…


Il resta interdit, l’aubergiste. Estel en quelque sorte lui avait déjà grandement rendu service en amenant ici Aelinor Hightower, alors il n’avait pas à le remercier de simplement faire son travail, il serait grassement payé pour cela par la jouvencelle. Les saphirs à son cou et à ses oreilles en disaient long sur sa capacité de paiement. Devant sa gêne palpable, la brune aux yeux azur prit l'initiative.

__ Restez en vie. Cela fait mauvais genre d’évacuer un cadavre d’une auberge si bien tenue.
__ Oui voila… Merci Madame.


Prenant soudain conscience que le jeune homme risquait de mourir dans cette chambre, le tenancier paniqua un peu, mais la Hightower semblait tellement calme, qu’il en fut rassuré, se disant qu’elle plaisantait sûrement. Il quitta la pièce après une révérence.