[BELLE ILE][Terminé] Le cauchemar d’une jouvencelle | Tyldr Salfalaise

Le cauchemar d’une jouvencelle

Tyldr Salfalaise

Rowena avait tenté de participer à ce mariage comme s’il s’agissait d’un mariage ordinaire. Mais tout, en ce jour, était terrifiant. Les couleurs des Reyne affichées ne présageaient rien de bon et bien sûr, la présence des Fer-Nés dans l’enceinte même de Belcastel rappelait les heures les plus sombres de Belle Île. Des heures que, bien heureusement, elle n’avait pas connues, mais trop proches de ce qu’elle avait trop souvent vécu. Boutres à la Seiche fondant sur le port, navires et village incendiés, les sauvages aux portes du château, pillant tout ce qu’ils pouvaient avant de repartir en ne laissant que la mort et le chaos derrière eux. Les jours suivants une razzia de ces animaux sentaient la fumée et la mort, goélands et corbeaux se partageaient les restes des cadavres qu’ils avaient laissés derrière eux. Depuis sa plus tendre enfance, elle avait observé ses scènes d’horreur et de désolation depuis sa fenêtre, bien à l’abri dans sa chambre, mais si proche pourtant, du désastre. Et en plus de cela, on lui avait raconté les pires histoires sur ces pillards sanguinaires qui violaient les femmes à tour de rôle avant de les empaler le long des rues jonchées des cadavres de leurs maris, de leurs frères et de leurs fils. Les braves, eux, étaient noyés en l’honneur de leur dieu. On lui avait enseigné l’histoire de leur famille, qui s’était libérée du joug de ces tyrans avant de marier une fille au Roi du Roc et de devenir vassaux des Lannister. Voilà que Megalis voulait inverser le cours de l’histoire, mais personne sur cette île à part elle, n’était prêt pour cela et sa trouillarde de cadette moins que quiconque.

Ainsi, à mesure que la fête avançait et que l’alcool coulait à flot, les Fer-Nés devenaient de plus en plus bruyants. Pas agressifs, pas dangereux, mais bruyants. Ils faisaient sursauter la Perle de Mer qui sentait ses doigts trembler et ses jambes flageoler un peu plus à chaque éclat de voix. Ce qui était déjà difficile à supporter pour Rowena devint bientôt insoutenable. Leur présence suffisait à la faire frémir, alors leur façon de célébrer un mariage, c’était bien plus que ce qu’elle pouvait supporter. Or, jusqu’ici, elle avait bénéficié de la protection rassurante de Criston, puis du soutien indéfectible de Willos et enfin, de la force de Mezzara. Mais à nouveau, elle se retrouva seule et bien que la musique battra son plein et qu’elle aurait aimé danser, comme son frère et Dame Aelinor, comme d’autres également, elle essayait de se faire toute petite pour ne surtout pas être repérée par l’un de ces malotrus invités par sa soeur. Pas facile cependant de passer inaperçu avec une robe de brocart doré au large décolleté carré et aux grandes manches bleues.

Trop angoissée à présent pour continuer à tenter de faire bonne figure pour ce grand jour, la Farman décida d’aller se réfugier dans sa chambre pour le reste de la soirée. Elle aurait pu imaginer qu’elle allait pouvoir y trouver le repos et dormir enfin dans son grand lit confortable, mais elle n'était pas naïve au point de croire qu’elle parviendrait à trouver le sommeil. Mais au moins, elle serait en sécurité, les appartements seigneuriaux étaient bien gardés, Criston et Yoren s’en étaient assurés. Elle longa donc les murs jusqu'à la porte et sortit de la grande salle avec soulagement, essayant de reprendre son souffle et son calme. Hélas, des bruits de pas se firent entendre qui venaient de l'extérieur. Prise de panique, elle prit la fuite et se trompa de couloir, bifurquant à gauche au lieu de tourner à droite. Elle se rendit rapidement compte qu’elle n’était pas au bon endroit et voulut faire demi tour, mais quand elle se retourna, elle tomba nez à nez avec l’un des sauvages qu’elle tentait d’éviter depuis le début de la journée.  De ses lèvres s’échappa une sorte de miaulement, elle aurait aimé être en mesure de hurler, mais sa gorge se noua tant et si bien que seul un timide son aigu sortit de sa gorge.

__ Hiii.

La gigantesque vague d’effroi qui menaçait de la submerger depuis le matin s'abattit soudain sur sa conscience et elle tomba, sans connaissance dans le couloirs désert. Le dernier rempart qui la préservait encore des féroces Fer-Nés venait de s’écrouler et la raison de celle qui était incapable de lutter, incapable de faire semblait d’être forte avait préféré eteindre les lumières que de la voir affronter son pire cauchemar.

Le cauchemar d’une jouvencelle

Tyldr Salfalaise

Fragile, c’était le mot, cette alliance l’était sans aucun doute, car les ambitions démesurées de Megalis et le désir de vengeance d’Eddara ne suffiraient peut-être pas à la Maison Farman pour adhérer à cette alliance contre nature. Si Rowena avait eut le courage de s’opposer à qui que ce soit, elle aurait rappelé les siècles de guerres et de razzias imposés par les Fer-Nés et elle n’aurait jamais accepté de s’en rapprocher pour faire tomber les Lannister. Mais tout le monde se fichait totalement de son avis et d’ailleurs, elle s’était bien gardée de le donner. Loyale et docile, elle suivrait sa sœur aînée, comprenant seulement que l’attaque était leur meilleure défense et que seules les Îles de Fer étaient en mesure de leur fournir la puissance nécessaire pour arriver à leurs fins. La Perle de Mer, elle, voulait juste vivre, survivre à tout cela, à la haine, à la violence à la guerre, elle n’avait ni ambitions, ni colère, même envers les sauvages que la Lionne avait invité. Elle avait seulement peur.

Peur, un euphémisme en vérité, car elle était terrorisée, jusqu’au fin fond de ses tripes, par ces animaux qui se baladaient presque librement à Belcastel en ce jour de fête. Les horreurs, vues, vécues ou entendues se mêlaient dans sa tête pour former de nébuleux souvenirs terrifiants. En voir un de près revenait pour elle à croiser la route de l’éranger, et même pire, car mourir n'était qu’un moindre mal quand on savait ce qu’ils faisaient aux femmes. Et alors, son pire cauchemar se réalisa, prenant la forme du plus effrayant des monstres. Le Fer-Né prit un malin plaisir à s’approcher d’elle, mais la jouvencelle était déjà bien trop terrorisée pour que cela change quoi que ce soit. Son esprit était simplement incapable de faire face et elle perdit connaissance dans l’instant. Cependant, le geste pour le moins chevaleresque de Lord Salfalaise évita à Rowena de s’éclater la tête contre le sol, mais à ce moment-là, elle était déjà inconsciente. Elle ne le sentit donc pas l'attraper, ni la traîner jusqu’à un banc de pierre. Elle n’entendit pas sa réflexion non plus.

Rowena sentit la petite rape sur sa joue. Elle revint lentement à elle, se demandant si ce qu’elle avait vu l’instant d'avant était réel ou un simple cauchemar. Était-elle dans son lit ? Non. C’était bien moins confortable et la voix qu’elle entendait lui était inconnue. Cependant, si cela avait été un Fer-Né, il en aurait déjà profité pour abuser d‘elle, aussi, elle avait dû confondre, se méprendre. Toute cette agosse ne lui réussissait définitivement pas. En pleine réflexion silencieuse sur ce qui venait d’arriver, quelques gouttes d’un liquide frais arrivèrent alors sur son visage et achevèrent de lui faire reprendre pleinement conscience. En ouvrant les yeux, le temps que ses pupilles noisettes fassent le point et s'habituent à la lumière, elle revit l’objet de son cauchemar qui essayait de lui venir en aide. Elle referma les yeux, elle devait encore être en train d’halluciner. Elle rouvrit les yeux. Encore lui ! Pas de chevalier Belle Islois, pas de dornien, bel et bien un Fer-Né. Le putain dans sa phrase suivante lui donna a confirmation qu’elle n’était pas en train d’halluciner et si cela avait été un cauchemar, elle n’aurait plus ni robe, ni vertu. C’était donc autre chose. Mais quoi.

Dans le doute elle referma les yeux. C’était plus prudent de faire la morte le temps de rassembler ses esprits. S’il essayait d’arracher sa robe, elle hurlerait. Mais au fait, elle avait bien essayé de hurler. Elle se souvint du son ridicule qui était sorti de sa gorge à ce moment-là et sentit sa gorge encore serrée. Elle prit une grande inspiration, mimant toujours l’inconscience, mais ayant, entre-temps, soigneusement posé ses deux mains sur sa robe. Et puisque sa gorge refusait de répondre à ses invectives, elle finit par ouvrir des yeux larmoyants pour s’adresser à Tyldr dans un chuchotement mal assuré :

__ Je vous en supplie, si vous comptez me faire du mal, tuez moi avant.

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Tyldr Salfalaise

__ Parce que vous êtes un Fer-Né !

Cette évidence que Rowena venait de clamer lui parut soudainement moins évidente que l’instant d’avant quand elle l’avait pensé, aussi, sur la fin de sa phrase, sa voix s'étouffa quelque peu et elle n’ajouta pas ce qui pourtant tombait sous le sens pour elle. Une brute sans foi ni loi, un violeur doublé d’un voleur, un tueur sanguinaire et un bête de la plus vile espèce. C’était là le parfait portrait du Fer-Né selon elle et la majorité de ses compatriotes de Belle-Île.

Mais s’il était bien ainsi que la blonde le voyait, pourquoi alors n’avait-il pas encore profité de la situation ? Cela posait question. Cependant, au cœur même de Belcastel et alors qu’elle pourrait hurler de toutes ses forces s’il tentait quoi que ce soit, il devait préférer ne pas faire de vague. Yoren avait dit qu’ils avaient intérêt à bien se tenir sans quoi il n’hésiterait pas à en tuer un ou deux, quand à Luthor, il ne pardonnerait pas aux nouveaux alliés de sa sœur d’avoir touché le moindre cheveu de Rowena.

La Farman se redressa, toujours effrayée, mais un peu rassurée tout de même, autant par le fait qu’il ne lui avait pas soulevé les jupons durant sa perte de connaissance que celui d’être dans l’enceinte de son propre château cerné de gardes. Elle attrapa le verre tendu par Tyldr et le but d’une traite pour essayer de se donner du courage.

__ Merci.

Fit-elle alors que sa respiration s'apaisait, que sa gorge se dénouait et qu’elle osait enfin lever les yeux vers le Salfalaise en se retenant de le dévisager tant son appartenance était terrifiante et inhabituelle pour la jouvencelle.

__ Veuillez me pardonner pour mes mauvaises paroles à votre encontre. J’ai tendance à m’affoler d’un rien.

La Perle de Mer s’essaya à sourire bien que la crispation se lisait encore sur son visage.

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Le rire de Tyldr fit frémir Rowena. S’amusait-il de cette horrible réputation que les Fer-Nés traînaient derrière eux à tort ou à raison, plus probablement à raison ? Ou était-ce la peur dans le regard de la jouvencelle et probablement de bien des personnes qu’il croisait, surtout si elles se retrouvaient sans défense face à lui, qui le faisait rire ? Elle ne saurait le dire, elle savait seulement qu’il lui inspirait une terreur profonde, mais qu’il n’avait finalement rien fait et qu’il était certainement injuste de juger un homme si hâtivement. Elle savait aussi qu’elle n’aimerait pas qu’on la juge ainsi, ni de monstre, ni hâtivement. Et comme on l’avait souvent jugée, certainement assez justement, mais pas toujours de manière agréable, de trouillarde et d’idiote notamment, elle s’en voulait.

Un nouveau geste la fit presque sursauter. Le cou du Salfalaise craqua. Elle avait beau lutter, tout en lui la mettait en émoi, sa voix, ses yeux, son crâne chauve et tatoué, sa barbe hirsute, ses attitudes. Tout en fait lui disait de fuir pendant qu’il était encore temps, mais elle n'osa même pas se lever. Elle se sentait encore faible et sentait que ses jambes risquaient de defaillr à nouveau. Que ferait-il si elle perdait à nouveau connaissance ? Que ferait-il si elle se levait et tentait de s’enfuir ? Que ferait-il si ce faisant elle tombait simplement, parce que ses forces la délaissaient à cause de la panique qu’il lui inspirait ? Elle était à présent au moins capable de hurler et bien consciente. Il fallait qu’elle gagne du temps pour recouvrer ses pleines capacités et être en mesure de retourner dans sa chambre. La retrouverais-je un jour ? Il a dit qu’il ne ferait rien, il a dit qu”il ne ferait rien. Il ne peut rien faire de toute façon.

__ Offensée ? Moi ? Pourquoi le serais-je ?

Répondit-elle surprise, après avoir un moment pensé qu’il disait sans offense pour lui-même, comme une formule pour accepter ses excuses. Elle regarda le verre vide dans sa main. elle en aurait bien bu un ou deux de plus pour se donner du courage, et rien que pour cette pensée, Eddara l’aurait certainement crucifiée. Mais qui pouvait comprendre ce que la Perle de Mer ressentait en pareil moment tandis que son regard se perdait au fond du verre vide, sa tête légèrement penchée, plutôt que d’affronter les prunelles glacées de Tyldr. Et alors qu’il demanda si elle n’avait rien, elle se redressa brutalement et le regarda à nouveau en faisant non de la tête avant d’ajouter d’une petite voix mal assurée :

__ Je ne crois pas, non.

Inutile de lui dire qu’elle était terrorisée, elle savait parfaitement que cela se voyait sur son visage. Et puis, après tout, elle était tombée dans les pommes en croisant son chemin, le message était assez clair.
 

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Tyldr Salfalaise

__ Votre présence ne m'offense pas, Sire.

Fit-elle en baissant la tête avant de murmurer ce que, probablement, elle ne devrait pas oser prononcer. Mais c’était là la stricte vérité et elle préférait qu’il le sache plutôt qu’il pense qu’elle était offusquée, qu’elle lui en voulait, qu’elle lui tenait rigueur d’être qui il était. Elle était bien incapable de nourrir la moindre rancune contre quelqu’un, en plus, il n’avait rien fait de mal. Peut-être faisait-il partie des hommes qui avaient brûlé la flotte Farman et avaient massacré les habitants du bourg qui s’étalait depuis le port jusqu’à Belcastel. Mais si elle le craignait, elle n’en était pas certaine, elle ne pouvait donc même pas le tenir pour responsable de ce souvenir hideux qui hantait sa mémoire et la faisait trembler en présence des Fer-Nés. Elle ne haïssait personne, pas même les hommes qui, durant des siècles, avaient pillé l’île sur laquelle elle avait vu le jour. Peut-être que si Belle-Île avait été son île, elle aurait pu les détester, mais elle ne lui appartenait pas, pas plus d’ailleurs que sa propre existence.

__ Elle me terrifie.

Rowena avait envie, de tout cœur, de faire confiance à sa sœur aînée et de croire en cette alliance. Elle préférait cela à la menace incessante que les Fer-Nés faisaient penser sur Belcastel. Mais si les Farman portaient une haine séculaire à leurs voisins, la blonde, nourrie par les mêmes récits, quelques légendes et beaucoup de faits tout à fait réels bien qu’un peu ensauvagés pour les besoin de la famille, avait seulement peur de finir entre les mains de ce qu'il dépeignait, ici comme ailleurs, comme des brutes épaisses. Pourtant malgré son regard, malgré sa barbe et son crâne tatoué, Tyldr ne semblait pas tout à fait correspondre à cette image d’Epinal. Elle devait bien l’avouer, c’était un choc presque aussi grand que de le croiser ici, de le voir user de politesse. Lorsqu’elle avait perdu connaissance, elle ne pensait pas une seule seconde pouvoir sortir indemne d’une telle rencontre.

__ Si j’avais pu, je ne serais pas sortie de ma chambre aujourd’hui. Mais je me devais d’assister au mariage malgré ma peur. Vous me voyez désolée de n'être point la digne représentante de l'entente entre nos îles alors que je devrais être la première à la célébrer, j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Relevant la tête un bref instant, elle sourit.

__ Je ne crois pas que vous puissiez avoir peur. Et de quoi auriez vous peur, vous ?

Ajouta-t-elle en secouant la tête, pas certaine qu’il pense réellement ce qu’il disait et qu'il ait déjà expérimenté la panique, en tout cas certainement pas comme elle. Moi j’ai peur de tout…

__ Vous n’êtes pas du tout vulgaire, Sire.

Évidemment, elle n’avait pas compris que sa réplique était ironique et répondit au premier degré en le regardant dans les yeux, cette fois, d’un air très sérieux. Elle se sentait ragaillardie, aussi se leva-t-elle un peu vite pour prendre congé. Mais elle sentit ses jambes chanceler et manqua de tomber, se rattrapant à l’épaule du Salfalaise alors que la tête lui tournait à nouveau.

__Pardonnez-moi, j’ai encore la tête qui tourne.

Fit-elle en se rasseyant avant de tomber pour de bon et en fermant les yeux, posant une main sur sa tempe. Pourtant elle n’avait plus vraiment peur, sa gorge était entièrement dénouée. Alors était-ce le vin, ou peut-être le contre coup de cette journée d'angoisse.

__ Voulez-vous bien me tenir compagnie en attendant que je reprenne entièrement mes esprits ? Si je dois être assise à côté d’un Fer-Né, je préfère que ce soit vous, je crois.

En effet, Tyldr était le plus gentil Fer-Né qu’il lui ait été donné de rencontrer. Bon, elle n'en avait jamais rencontré avant, mais après tout elle était en vie, toujours habillée et il n’avait même rien dit de méchant alors que, certainement sa grand-mère et sa sœur n'auraient pas manqué de souligner sa ridicule faiblesse.

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Tyldr Salfalaise

Rowena ? La plus censée ? Venait-il vraiment de lui dire que la Perle de Mer était plus censée de ne pas représenter sa famille dignement ce soir alors que l’alliance avec les Fer-Nés se devait d’être honorée ? Elle hocha la tête, ne comprenant pas ce qu’il entendait par là, ni d’ailleurs, au départ, ce que signifiait qu'il ne soit pas aussi regardant. Mais après une courte réflexion, elle comprit que c’était par rapport à son obligation d’être présente pour les noces de sa sœur et quelque part, elle était soulagée qu'il ne lui tienne pas rigueur de son attitude. Le fait qu’il s’en fiche ne changeait hélas pas grand-chose, si elle n’avait pas participé, elle aurait été sortie de sa chambre manu militari par belle-maman et probablement attachée à sa chaise afin de s’assurer qu’elle ne s’enfuit pas. Au moins, à présent qu’elle s'était suffisamment montrée, qu’elle avait vu sa sœur, magnifique et heureuse et qu' elle l’avait félicitée, elle pouvait retourner dans sa chambre sans que personne ne le remarque.

__ Que voulez-vous dire ?

La blonde jouvencelle répondit au sourire du Salfalaise par un sourire, sans lire sur les lèvres du jeune capitaine la moindre fourberie, ni saisir l’air narquois qu’il avait. Il avait de toute façon une moue étrange, surtout avec sa dégaine patibulaire, mais elle commençait à s’habituer, ou en tout cas à le tolérer. Cela devait être naturel chez lui, et au fond, c’était bien normal, les Fer-Nés étaient connus pour cela, inspirer la peur. Il le faisait très bien. Mais puisqu’elle était en vie et qu’il étaient désormais alliés, il allait bien falloir qu’elle arrive à leur faire face sans tomber dans les pommes. Bien sûr sans trembler, c’était bien trop lui demander, même si elle avait de bonnes raisons d’être rassurée, car son attitude n’était pas agressive pour un sous et bien que ses paroles étaient parfois un peu nébuleuses pour elle, il parlait bien et il y avait une certaine justesse dans ses propos.

__ Je crois que ce n’est pas du tout mon cas.

Répondit-elle en riant doucement avant de prendre congé. Départ avorté par un nouveau malaise. Mais cette fois, elle ne sursauta même pas quand il posa sa main sur son épaule, après tout elle venait de se rattraper à la sienne. Et elle sourit légèrement, toujours un peu flageolante, lorsqu’il la regarda en fronçant les sourcils, manifestement inquiet.

__ Merci.

Fit la Farman, rougissant de sa faiblesse et riant un peu également. Il regarda le couloir désert, certainement cherchait-il de l’aide. Alors elle le rassura.

__ Je vais bien, n’ayez crainte je ne vais pas reperdre connaissance. J’ai juste besoin de quelques minutes pour reprendre des forces.

Il fallait en tout cas l’espérer car elle ne pouvait décemment pas passer la nuit ici, et s’il la raccompagnait, il risquait de perdre quelques membres en route. Les gardes de Belcastel ne toléreraient pas qu’il pénètre avec elle dans la partie privée du château et il suffirait de pas grand chose pour que la situation dégénère. A défaut de lire dans l’esprit de Tyldr toutes les contradictions qui s’y affrontaient, elle savait au moins cela. Elle venait de parvenir à vaincre sa peur, en partie en tout cas, de faire taire son instinct qui lui disait de hurler et de prendre les jambes à son cou, peut-être en partie parce qu’elle en était incapable. Comment alors se rendre compte qu’elle était peut-être en danger en plongeant ses yeux noisette dans l’azur glacial des prunelles du Sire de Salfalaise ? Ce regard était illisible, en plus, ça n’était pas comme si elle avait jamais été très douée pour cerner les gens, son ingénuité la trahissait bien trop souvent sur les véritables intentions des personnes qu’elle croisait.

__ J’en suis sûre oui.

Tout autre Fer-Né pourrait bien ne pas être aussi respectueux et aussi gentil. Qui avait dit un jour “Parfois il vaut mieux être avec le diable que tu connais que l'ange que tu ne connais pas” ? Ce devait être un de ses oncles ou cousins, et c’était à propos d’Eddara. Mais elle s’amusa de cette phrase qui lui revenait en mémoire. Ce n’était pas très gentil pour Tyldr qui était loin de se comporter comme un démon jusqu’ici, elle garda donc cette réflexion pour elle-même. Ce n’était ni le vin, ni la force, il s’était seulement montré suffisamment attentionné pour qu’elle lui fasse confiance. Restait à définir si elle avait eu raison ou tort de la lui accorder si facilement, mais elle n’était, par nature, pas une personne méfiante ni rancunière. En vérité ses pensées étaient si pures, qu’elle ne savait pas voir le mal chez les autres. Elle n’avait eu peur de lui, au départ, que parce qu’il était un Fer-Né et que cela était viscéralement ancré dans ses veines.

__ Peut-être, mais il n’y a personne, donc aucune mauvaise langue pour nous porter préjudice.

Un large sourire éclaira son visage. Au fond, elle se fichait tout autant que Tyldr de ce qu’on pensait-d’elle, mais elle avait une famille qui ne s’en fichait pas du tout et elle devait penser à eux, avant elle. Il demanda si elle pouvait marcher, mais ce n’était clairement pas le cas à moins qu’il ne la soutienne et cela n’était vraiment pas digne d’elle, sans compter que cela risquait d’attirer les pires ennuis au Fer-Né

__ Cessons de parler de la peur, et parlons plutôt…

Posant un doigt sur son menton, elle leva les yeux au plafond pour réfléchir.

__ De la mer !

Dit-elle avec des étoiles dans les yeux.

__ Vous savez quel est mon plus grand rêve ? Naviguer.

Elle écarta le bras et décrivit un arc de cercle avec sa main comme si un large horizon s'offrait à elle.

__ Parcourir les mers et découvrir le monde sur la Rose des Vents. C’est mon bateau. Et le vôtre, comment se nomme-t-il et jusqu’où avez-vous navigué avec ?

Dès qu’il s’agissait de parler de la mer, qu’elle ne connaissait pas du tout à son plus grand damne, son visage se parait d’une grande joie et son regard pétillaient de curiosité. Pour dire vrai, elle en avait un peu peur aussi, mais elle savait surtout que cela était interdit et qu’elle ne réaliserait jamais ce rêve.

Le cauchemar d’une jouvencelle

Tyldr Salfalaise

__ Moi aussi j’aimerais bien y croire…

Répondit la blonde jouvencelle un peu pensive. Cela semblait fou, irréalisable, comme il l’avait souligné, inimaginable pour beaucoup de Farman et certainement tout autant pour la plupart des Fer-Nés. Mais être en paix avec ses voisins permettrait certainement de voir plus loin. C’était ce que voulait Megalis, afin de frapper en premier, et si les ambitions de Rowena étaient tout autres, elle se rendait bien compte des avantages que présentait cette alliance pour Belle-Île. Si elle voulait la tranquillité, si elle voulait que plus jamais des hordes de sauvages mette Belcastel à feu et à sang, si elle ne voulait, finalement, plus vivre dans la peur de ses raids, c'était la meilleure solution. Ainsi, comme elle se demandait quels avantages les Îles de Fer en tireraient, elle essaya de sonder le regard de Tydr, comme si elle avait jamais mieux compris ce que pensait quelqu’un en le regardant dans les yeux. Mais il disait vrai, elle commençait à s'habituer. Peut-être que lors d’une prochaine rencontre elle ne tomberait pas dans les pommes.

Rowena sentit la main de Tyldr effleurer sa taille et elle ne sut quoi en penser. La mer, la mer. Pensa-t-elle pour ne pas se perdre dans cette drôle de sensation qu’elle éprouvait, la crainte, à peine saupoudrée de ce début de confiance, d’amitié peut-être, encore fragile, mais enthousiaste. Alors elle ne voulait pas repartir dans ses travers et se crisper, même si son cœur manqua un battement et que sa respiration s’arrêta un instant.

__ Oui, les Farman sont aussi des insulaires après tout, les navires ne sont pas sur notre blason pour rien. Enfin, c’est bien beau tout ça, mais moi, je n’y connais rien, la mer, ce n’est pas pour les femmes.

Baissant les yeux et hochant la tête, un brin mélancolique. Elle se rassura en se disant que tous ces interdits existaient pour la protéger, et effectivement qu’aurait-elle donc fait sur un bateau face aux pirates ou aux boutres Fer-Nés ? Elle n’avait pas l’étoffe d’un capitaine, encore moins d’une Fer-Née comme Yara ou la grande blonde qu’elle avait aperçu lors du banquet. Elle n’avait au fond que l’étoffe de ce qu’elle était : un fragile pucelle craintive et ingénue qui rêvait beaucoup, mais qui n’accomplirait que ce qu’on lui demanderait, bien incapable qu’elle était de se risquer à autre chose.

__ Mais peu importe, dans les livres, ils le disent… les aventuriers. Ils racontent cette liberté, ce sentiment d’appartenir à quelque chose d’infini.

Fit-elle en relevant la tête avec un sourire. Si le Salafalaise connaissait par cœur ce sentiment, en bon marin qu’il était, elle se contenterait d’en lire les récits et cela lui allait bien. Elle n’oserait jamais défier l’autorité et l’ordre établi pour prendre le large, il y avait des dangers sur l'océan qu’elle n’était pas prête à affronter, elle ne voulait que la paix et un gentil mari qu’elle pourrait aimer de tout son cœur.

__ Merci.

Sourit-elle, baissant les yeux en sentant ses joues rougir. Elle savait que sa beauté ne serait jamais à la hauteur de celle de sa sœur aînée, mais même venait d’un Fer-Né, c’était plaisant à entendre. Dans un murmure, elle ajouta :

__ Il est sur le port, la figure de proue est une licorne.

Ainsi le reconnaîtrait-il, son navire. En espérant qu’il décide de ne pas l’attaquer, et de ne pas le brûler. Jamais. Elle l’écouta parler de son boutre et de ses voyages, passés ou à venir en relevant la tête. A sa réplique, elle sourit et plongea ses yeux noisettes dans ceux de Tyldr.

__ Lord Salfalaise, mes rêves sont bien plus grands que mon courage pour les réaliser, bien trop grands pour moi en vérité. Et puis je ne pourrais jamais désobéir à mon frère ou à ma sœur. Ne vous méprenez pas, si les récits d'aventure m’attirent, ce n’est que parce que j’ai le luxe de les lire dans le confort d’une noble demeure. Regardez moi, je ne tiens pas debout devant le premier Fer-Né venu alors que le sol ne tangue pas et que je suis ici plus en sécurité aujourd'hui que je ne l’ai jamais été. Certains songes ne sont pas faits pour être réalisés et il n’y a rien à regretter.

Elle prit délicatement la main du Fer-Né dans la sienne et la serra un peu.

__ Vous, réalisez les vôtres pour moi et revenez pour m’en faire le récit. Ainsi je serais comblée de vous écouter et de rêver de vos voyages.
 

Le cauchemar d’une jouvencelle

Tyldr Salfalaise

Rowena fut surprise par la réplique acerbe de Tyldr, elle sursauta et son cœur qui s’était apaisé se remit à battre la chamade. La Mer, la mer. Pensa-t-elle pour ne pas se remettre à trembler. Elle hocha la tête. Effectivement chez les Fer-Nés, certaines femmes faisaient comme les hommes, elle n’y avait pas fait attention en répétant bêtement ce que disaient son père puis son frère. Elle s’était toujours pliée à ce commandement sans se poser de questions. Mais les femmes dont parlait Tyldr étaient toutes courageuses et fortes, elle n’était rien de cela. Elle ne se voyait en aucun cas monter en haut du mat pour déployer les voiles, d’ailleurs, cela devait être sacrément compliqué en robe, voire mortel.

__ Je n’en doute pas, mais vous conviendrez que je n’ai ni le charisme, ni le courage de Yara Greyjoy.

La blonde avait peut-être la mer dans le sang, mais la crainte était plus forte et la docilité coulait de source lorsque le choix se présentait de quitter le confort et la protection de Belcastel. Elle avait choisi son destin, ou plutôt, elle avait choisi de ne rien choisir et de se laisser dicter sa vie par les autres. Ceux qui avaient plus de courage, plus de caractère, plus d’ambition, ceux qui avaient besoin de faire d’elle un simple pion pour arriver à leur fins et au fond cela ne la dérangeait pas. Elle ferait ce qu’on attendait d’elle, c’était bien plus simple ainsi.

__ Vous êtes tout pardonné. J'avais un peu oublié que malgré nos points communs nous avons des cultures bien différentes, notamment sur la tolérance pour les femmes qui ne se plient pas aux règles. Ne vous méprenez pas, j’ai une grande admiration pour les femmes qui combattent ou naviguent. Je trouve ça encore plus courageux venant d’elles car j’imagine que les hommes ne leur font pas de cadeaux. Il serait certainement plus confortables pour elles de rester sagement à la maison, mais elles en décident autrement quitte à prendre des risques que je serais bien incapable de prendre.

Une licorne oui, rien de bien agressif, même dans la figure de proue de son navire. Sa douceur et son ingénuité se dévoilaient sans peine, elle était trop gentille pour imaginer les mauvaises pensées des autres. Cela faisait d’elle une proie facile. Alors elle n’était pas du genre à lui écraser les phalanges pour l’endurcir, mais plutôt à adoucir toutes les personnes avec qui elle échangeait. La chance avait voulu qu’elle ne croise pas, jusqu’alors, le chemin d’une personne suffisamment mauvaise pour lui faire du mal malgré sa bonté.

Elle sourit à la promesse du Salfalaise, puis à son tour, elle se mit à rire à la réplique qu’il lança ensuite. Il était certain que ses mains délicates saignaient un certain temps avant d’être recouvertes des mêmes cales que celle du guerrier. Pas sûr qu’elle survive à cela et persévère dans la douleur. Elle reposa donc ses mains sur sa robe, les regardant, elle aussi, un moment.

__ Si elles ne sont pas faites pour s’abîmer sur un cordage, puissent mes mains porter mes enfants avec amour et apporter du réconfort à mon époux.

Fit-elle avant de reposer ses yeux noisette sur Tyldr avec un sourire.