Cendregué & Hightower : querelle ou amitié ?

Aelinor se préparait au départ prochain, elle rejoindrait bientôt sa très chère Villevieille et s’éloignerait, pour quelques temps tout du moins, de la capitale et de la cour. Deux années durant, elle avait tenté de gagner l’amitié de Bronn et de défendre les intérêts des Hightower au sein de ce haut lieu de la politique. Mais le procès montrait à quel point elle avait échoué, car même si l’issue en était convenable et que Baelor recouvrait ses fiefs tandis que sa fille recouvrait sa pleine liberté, la paix retrouvée, la plaie restait pour autant béante entre Hautjardin et Villevieille. Il y avait fort à parier que le Seigneur de La Nera ne s’arrêterait pas de si tôt d’humilier ses plus puissants vassaux, et elle craignait fort qu’Ombelline, qui ne l'appréciait guère pour des raisons qu’elle ignorait, se ferait une joie de faire de même. Le fait est que même si la bave du crapaud ne saurait atteindre la blanche colombe et que les moqueries d’un reitre ne pouvait pas même ébrécher la réputation des Hightower, il y avait là un grand danger qui se profilait. Tant que Bronn restait célibataire et sans héritier, tout restait possible, s’il venait l’idée à Ombeline de pondre bientôt un garçon, la mort du gouverneur de Hautjardin ne saurait laisser place à un conseil du Bief sans que les Cendregué fassent valoir leurs droits.


La brune aux yeux céruléens avait fini par se douter que la fameuse fiancée de Bronn n’était autre que la demi-dornienne, elle connaissait toutes les grandes familles du Bief et elle savait qu’aucun ne vendrait sa fille à un reître. Elle ignorait même que son père l’aurait elle-même vendue si Bronn n’était pas allé trop loin dans ses demandes et ses piques. La querelle entre Cendregué et Hightower dont, désormais elle connaissait l’origine et dont les torts étaient largement partagés, était donc condamnée à se poursuivre ? Quelle tristesse pour elle qui ne voulait que la paix tout en préparant la guerre, comme les personnes avisées se doivent de le faire pour que d’autres puissent vivre en toute sérénité. Elle réfléchissait à toutes ces choses en supervisant le rangement des ses affaires dans les malles par sa servante et celui de ses bijoux par sa suivante quand on frappa à la porte.

__ Ma Dame, Lord Cendregué pour vous.


Déjà ? Hé bien Duncan n’avait pas perdu de temps avant de parler de la révélation de la veille avec son demi-frère et Seigneur. Mais alors que l’arrivée du jeune serviteur l’avait interrompue dans la dégustation de son thé, elle allait boire la gorgée prévue quand elle s’arrêta et reposa la tasse dans la coupelle qu’elle tenait dans les mains. Ses yeux avaient balayé la pièce en se détournant de la porte et elle avait pris conscience que le chaos qui y régnait n’était pas du tout adéquat pour recevoir un Seigneur. Elle releva la tête et dit :

__ Je vais le recevoir dans le petit salon de père. Faites quérir de quoi boire et grignoter.
__ Du thé ?
__ Mm, plutôt du vin chaud aux épices et au miel.


Le serviteur s'exécuta et la jouvencelle donna ses dernières indications avant de se rendre dans le petit salon des appartements de ses parents et de s’installer à table comme si elle avait toujours été là. Lord Cendregué fut conduit jusqu’à elle par Creighton qui ne se priva pas de détailler ce que jeune seigneur pouvait porter comme arme, sa position en dépendrait. Il annonça Treyvir comme il se doit et Aelinor se leva avec un léger sourire sur les lèvres. Elle l’accueillit, vêtue de la même robe qu’au procès, de velours grise au large col arrondi brodé d’un galon argenté orné de perles qui dénudait la pointe des ses épaules. Elle n’avait pas eu le temps de mettre ses bijoux, ni de se faire coiffer, alors ses longs cheveux sombres, légèrement ondulés, tombaient en cascade dans son dos et sur ses épaules. Elle s’inclina légèrement.

__ Lord Cendregué, asseyez-vous je vous en prie. Que me vaut l’honneur de votre visite ?


Elle pariait que cela était lié aux révélations, mais elle ne voulait pas trahir le secret de Duncan par mégarde, elle préférait donc tâter le terrain, de plus, elle ne savait vraiment pas à quoi s’attendre, s’imaginant aisément que Treyvir la haïssait autant que sa sœur. Certainement, comme son demi-frère, estimait-il qu’elle avait eu tort de faire valoir ses droits devant la Main. Elle n’était pas très rassurée au fond, mais elle n’en montrait rien, préférant se cacher derrière son masque de glace et ses sourires hypocrites. Après tout, c’était ce que son père lui avait demandé, faire la paix avec les Cendregué, elle était donc prête à apaiser toute tension par n’importe quel moyen.